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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN ARMÉNIE

(24-26 JUIN 2016)

CONFÉRENCE DE PRESSE DU SAINT-PÈRE
AU COURS DU VOL DE RETOUR DE L'ARMÉNIE

Vol papal
Dimanche 26 juin 2016

[Multimédia]


 

Père Lombardi :

Saint-Père, merci beaucoup d’être ici à la fin de ce voyage assez bref mais très intense. Nous sommes heureux de vous accompagner et maintenant nous voulons encore vous poser, comme d’habitude, quelques questions, en profitant de votre bonté. Nous avons une liste de personnes qui sont inscrites ici pour parler, et nous pouvons commencer comme d’habitude, avec les collègues de l’Arménie, parce que nous leur donnons la priorité. Le premier est Arthur Grygorian, de la télévision publique arménienne.

Pape François :

Bonsoir ! Je vous remercie pour votre aide dans ce voyage et pour tout votre travail qui fait du bien aux gens : communiquer bien les choses signifie bonnes nouvelles, et les bonnes nouvelles font toujours du bien. Merci beaucoup, merci.

Arthur Grygorian, télévision publique arménienne :

(en anglais) Saint-Père, tout le monde sait que vous avez des amis arméniens. Vous aviez déjà des contacts avec les communautés arméniennes en Argentine. Au cours de ces trois derniers jours, vous êtes parvenu – pour ainsi dire – à toucher l’esprit arménien. Quels sont vos sentiments, vos impressions, et quel est le message pour l’avenir, vos prières pour nous Arméniens ?

Pape François :

Bien, pensons à l’avenir et puis nous irons vers le passé. Je souhaite à ce peuple la justice et la paix. Et je prie pour cela, parce que c’est un peuple courageux. Et je prie pour qu’il trouve la justice et la paix. Je sais que beaucoup travaillent pour cela, et j’ai été très heureux, la semaine dernière, lorsque j’ai vu une photographie du Président Poutine avec les deux Présidents arménien et azerbaïdjanais : au moins, ils se parlent. Et aussi avec la Turquie : le Président de la République [arménienne], dans son discours de bienvenue a parlé clairement. Il a eu le courage de dire : « Mettons-nous d’accord, pardonnons-nous et regardons vers l’avenir ». C’est un grand courage ! Un peuple qui a tant souffert ! L’icône du peuple arménien – et cette pensée m’est venue aujourd’hui tandis que je priais un peu – est une vie de pierre et une tendresse de mère. Il [ce peuple] a porté des croix, mais des croix de pierre – elles se voient aussi [les croix de pierre caractéristiques appelées khachkar] mais il n’a pas perdu la tendresse, l’art, la musique, ces ‘‘quarts de ton’’ si difficiles à comprendre, et avec un grand génie… Un peuple qui a beaucoup souffert dans son histoire, et c’est la foi seulement, la foi qui l’a maintenu debout. Parce que le fait qu’il a été la première nation chrétienne, cela n’est pas suffisant ; il a été la première nation chrétienne parce que le Seigneur l’a béni, parce qu’il a eu les saints, il a eu des évêques saints, martyrs… Et pour cela, il s’est formé dans sa résistance cette « peau de pierre » - appelons-la ainsi-, mais il n’a pas perdu la tendresse d’un cœur maternel ; et l’Arménie est aussi mère. C’est la seconde question. Et maintenant, venons-en à la première. Oui, j’ai eu beaucoup de contacts avec les Arméniens, j’allais souvent aux messes chez eux ; [j’ai] beaucoup d’amis arméniens ; j’ai une chose que d’habitude il ne me plaît pas de faire pour le repos, mais j’allais diner avec eux, et vous faites des diners copieux ! Mais je suis très ami, très ami aussi bien avec l’archevêque Kissag Mouradian, de l’Église apostolique, que de Boghossian, l’archevêque catholique. Mais parmi vous, plus importante que l’appartenance à l’Église apostolique ou à l’Église catholique, c’est l’« arménité », et ça, je l’ai compris à cette époque-là. Aujourd’hui, m’a salué un argentin de famille arménienne que, lorsque j’allais à la messe, l’Archevêque faisait toujours asseoir à côté de moi pour qu’il m’explique certaines cérémonies ou certaines paroles que je ne comprenais pas.

Père Lombardi :

Merci beaucoup, Saint-Père. Maintenant nous donnons la parole à une autre représentante arménienne qui est Madame Jeanine Paloulian, de « Nouvelles d’Arménie ».

Jeanine Paloulian, « Nouvelles d’Arménie » :

(en français) Merci, Saint-Père. Hier soir, à la rencontre œcuménique de prière, vous avez demandé aux jeunes d’être des artisans de la réconciliation avec la Turquie et avec l’Azerbaïdjan. Je voudrais vous demander simplement – vu que dans quelques semaines, vous irez en Azerbaïdjan – ce que vous, ce que le Saint-Siège peut faire concrètement pour nous aider, pour nous aider à avancer. Quels sont les gestes concrets. Vous en avez fait en Arménie. Quels sont les gestes que vous ferez demain en Azerbaïdjan ?

Pape François :

Je parlerai aux Azerbaïdjanais de la vérité, de ce que j’ai vu, de ce que je sens. Et je les encouragerai eux aussi. J’ai rencontré le président azerbaïdjanais et j’ai parlé avec lui. Et je dirai aussi que ne pas faire la paix pour un petit morceau de terre – parce que ce n’est pas grand-chose- signifie quelque chose d’obscur… Mais ça, je le dis à tous : aux Arméniens et aux Azerbaïdjanais. Peut-être ne sont-ils pas d’accord sur les modalités de faire la paix, et sur cela on doit travailler. Mais je ne sais que dire de plus. Je dirai, en ce moment, ce que mon cœur sentira, mais toujours en positif, cherchant de trouver des solutions qui soient praticables, qui fassent avancer.

Père Lombardi :

Merci beaucoup. Et maintenant nous donnons la parole à Jean-Louis de la Vaissière, de « France-Presse ». Je crois que c’est le dernier voyage qu’il fait avec nous. Donc nous sommes heureux de lui donner la parole.

Jean-Louis de la Vaissière, « France-Presse » :

Saint-Père, avant tout, je voudrais vous remercier de ma part et de la part de Sébastien Maillard de « La Croix ». Nous quittons Rome et nous voulions vraiment vous remercier de tout cœur pour ce vent de printemps qui souffle sur l’Église. Et puis, j’ai une question : pourquoi avez-vous décidé d’ajouter ouvertement le mot « génocide » dans votre discours au Palais présidentiel ? Sur un thème douloureux comme celui-ci, pensez-vous que ce soit utile pour la paix dans cette région compliquée ?

Pape François :

Merci. En Argentine, quand on parlait de l’extermination arménienne, on utilisait toujours le mot « génocide ». Je n’en connaissais pas un autre. Et dans la cathédrale de Buenos Aires, sur le troisième autel à gauche nous avions mis une croix de pierre en souvenir du « génocide arménien ». L’Archevêque est venu, [ainsi que] les deux Archevêques arméniens, le catholique et l’apostolique, et ils l’ont inaugurée. De plus, dans l’Eglise catholique de Saint Barthélémy – une autre [Église] – l’Archevêque apostolique a érigé un autel en mémoire de Saint Barthélémy [évangélisateur de l’Arménie]. Mais toujours…, je ne connaissais pas un autre mot. Je viens avec ce mot. Quand j’arrive à Rome, j’entends d’autres termes, « le Grand Mal » ou « la terrible tragédie », en langue arménienne [Metz Yeghern], que je ne sais pas prononcer. Et on me dit que ce mot du génocide est blessant, qu’on doit utiliser celui-là. J’ai toujours parlé des trois génocides du siècle dernier, toujours trois. Le premier, l’arménien ; puis celui d’Hitler ; et le dernier celui de Staline. Les trois. Il y en a d’autres plus petits. Il y en a eu un autre en Afrique [Rwanda]. Mais dans l’orbite des deux grandes guerres, ce sont ces trois-là. Et j’ai demandé pourquoi, parce que certains disent : « Quelques-uns pensent que ce n’est pas vrai, que ça n’a pas été un génocide ». Un autre me disait – un avocat m’a dit ceci, qui m’a beaucoup intéressé – : « Le mot génocide est un mot technique, c’est un mot qui a une technicité, qui n’est pas synonyme d’extermination. On peut dire extermination, mais déclarer un génocide comporte des actions de réparation et des choses du genre ». C’est ce qu’un avocat m’a dit. L’année dernière, lorsque je préparais le discours [pour la célébration du 12 avril 2015 à Rome], j’ai vu que saint Jean-Paul II a utilisé le mot, il a utilisé tous les deux termes : « le Grand Mal » et « génocide ». Et je l’ai cité entre guillemets. Et cela n’a pas plu : une déclaration du gouvernement turc a été faite ; la Turquie en peu de jours a rappelé à Ankara l’Ambassadeur – qui est un brave homme, la Turquie nous a envoyé un ambassadeur de ‘‘luxe’’ ! –, il est revenu il y a deux ou trois mois… Cela a été un « jeûne diplomatique »… Mais il en a le droit : le droit de protester, nous l’avons tous. Et dans ce discours [en Arménie], au début, il n’y avait pas le mot, c’est vrai ; et je réponds sur la raison pour laquelle je l’ai ajouté. Après avoir entendu le ton du discours du Président, et aussi avec mon passé par rapport à ce mot, et après avoir dit ce mot l’année dernière à Saint-Pierre, publiquement, cela aurait semblé bizarre de ne pas dire la même chose, au moins. Mais ici je voulais souligner une autre chose, et je crois – si je ne me trompe – que j’ai dit : « Dans ce génocide, comme dans les deux autres, les grandes puissances internationales regardaient ailleurs ». Et voici l’accusation. Durant la Seconde Guerre mondiale, certaines puissances avaient les photographies des voies ferrées qui conduisaient à Auschwitz : elles auraient eu la possibilité de bombarder, et elles ne l’ont pas fait. C’est un exemple. Dans le contexte de la Première Guerre où il y a eu le problème des Arméniens, et dans le contexte de la Seconde Guerre, où il y a eu le problème d’Hitler et de Staline, et après Yalta, les camps de concentration et tout cela, personne n’en parle ? On doit le souligner, et poser la question historique : pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Vous, les puissances - je n’accuse pas, je pose une question. C’est intéressant : on regardait, oui, la guerre, beaucoup de choses, mais ce peuple… Et, je ne sais pas si c’est vrai, mais j’aimerais vérifier s’il est vrai, que, lorsque Hitler persécutait tant les juifs, l’une des choses qu’il aurait dite, c’est : « Mais qui se souvient aujourd’hui des Arméniens ? Faisons pareil avec les juifs ! ». Je ne sais pas si c’est vrai, c’est peut-être un racontar, mais je l’ai entendu dire. Que les historiens cherchent et voient si c’est vrai. Je crois avoir répondu. Mais ce mot, je ne l’ai jamais dit dans l’intention d’offenser, [mais] plutôt objectivement.

Père Lombardi :

Merci beaucoup, Sainteté. Vous avez abordé un sujet délicat, avec grande sincérité et en profondeur. Maintenant donnons la parole à Elisabetta Piqué qui, comme vous le savez, est Argentine, de « La Nación ».

Elisabetta Piqué, « La Nación » :

(en espagnol) Tous mes compliments, avant tout, pour le voyage. Je voudrais vous demander : nous savons que vous êtes le Pape ; mais il y a aussi le Pape Benoît, le Pape émérite. Dernièrement, il y a eu des rumeurs, une déclaration du Préfet de la Maison Pontificale, Mgr Georg Gänswein, qui aurait dit qu’il y aurait un ministère pétrinien partagé – si je ne me trompe - avec un Pape actif et un autre contemplatif. Y-a-t-il deux Papes ?

Pape François :

(en espagnol) Il y a eu une époque dans l’Église où il y en a eu trois ! (il répète en italien) A une certaine époque, dans l’Eglise, il y en avait trois ! Je n’ai pas lu cette déclaration parce que je n’en ai pas eu le temps. Benoît est Pape émérite. Il a dit clairement, ce 11 février, qu’il démissionnait à partir du 28 février, qu’il se retirerait pour aider l’Église par la prière. Et Benoît est dans le monastère, et il prie. Je suis allé le voir bien des fois, ou [je l’ai eu] au téléphone… L’autre jour il m’a écrit une petite lettre – il signe encore avec cette écriture qui lui est bien propre – me faisant ses vœux pour ce voyage. Et une fois - non pas une fois, plusieurs fois - j’ai dit que c’est une grâce d’avoir à la maison le ‘‘grand-père’’ sage. Je l’ai dit aussi devant lui, et il a ri. Mais il est pour moi le Pape émérite, le ‘‘grand-père’’ sage, il est l’homme qui me protège par sa prière. Je n’oublie jamais ce discours qu’il nous a fait, aux cardinaux, le 28 février : « L’un de vous, sûrement, sera mon successeur. Je promets obéissance ». Et il l’a fait. Ensuite j’ai entendu – mais je ne sais pas si c’est vrai – je souligne : j’ai entendu, ce sont peut-être des racontars, mais ils correspondent à son caractère, que certains sont allés là-bas se plaindre parce que « ce nouveau Pape… », et il les a chassés ! Avec les meilleures manières bavaroises : éduqué, mais il les a chassés. Et si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé, parce que cet homme est ainsi : c’est un homme de parole, un homme droit, droit, droit ! Le Pape émérite. Ensuite, je ne sais pas si vous vous en souvenez, j’ai remercié publiquement Benoît – je ne sais pas quand, mais je crois pendant un vol – pour avoir ouvert la porte aux Papes émérites. Il y a 70 ans, les évêques émérites n’existaient pas. Aujourd’hui, il y en a. Mais avec cet allongement de la vie, peut-on gouverner une Eglise jusqu’à un certain âge avec des infirmités ou non ? Et lui, avec courage – avec courage ! – et dans la prière, et aussi avec science, avec théologie, il a décidé d’ouvrir cette porte. Et je crois que c’est bon pour l’Eglise. Mais il y a un seul Pape. L’autre…ou peut-être - comme pour les évêques émérites – je ne dis pas beaucoup, mais peut-être pourra-t-il y en avoir deux ou trois, [qui] seront émérites. Ils ont été [Papes], [maintenant] ils sont émérites. Après-demain on célébrera le 65ème anniversaire de son ordination sacerdotale. Il y aura son frère Georg, [cette présence n’a pas été confirmée] parce qu'ils ont été tous les deux ordonnés ensemble. Et il y aura une petite cérémonie, avec les Chefs de Dicastères et peu de personnes, parce que lui préfère… Il a accepté, mais très modestement ; et j’y serai aussi. Et je dirai quelque chose à ce grand homme de prière, de courage qu’est le Pape émérite – non pas le second Pape – qui est fidèle à sa parole et qui est un homme de Dieu. Il est très intelligent, et pour moi il est le grand-père sage à la maison.

Père Lombardi :

Nous donnons maintenant la parole à Alexej Bukalov, qui est l’un de nos doyens et qui - comme vous le savez bien – représente Itar-Tass, et donc la culture russe parmi nous.

Pape François :

Vous avez parlé russe en Arménie ?

Alexej Bukalov, Itar-Tass :

Oui, avec grand plaisir. Nous vous remercions encore… Merci, Sainteté, merci pour ce voyage, qui est le premier voyage sur le territoire ex-soviétique. Pour moi, cela a été très important de le suivre… Ma question va un peu hors de ce sujet : je sais que vous avez beaucoup encouragé ce Concile panorthodoxe, et même, lors de la rencontre avec le Patriarche Kirill à Cuba, il a été mentionné comme un souhait. Quel jugement, maintenant, portez-vous sur ce – disons- forum ? Merci.

Pape François :

Un jugement positif ! Un pas en avant a été fait : non pas à 100% mais un pas en avant. Les choses qui ont justifié, entre guillemets, [les absences] sont sincères pour eux, ce sont des choses qui, avec le temps peuvent se résoudre. Ils voulaient – les quatre qui ne sont pas venus – le faire un peu plus tard. Mais je crois que le premier pas se fait comme on peut. Comme les enfants quand ils font leurs premiers pas, ils les font comme ils peuvent : le premier, ils le font comme les chats, et ensuite ils font les premiers pas. J’en suis heureux. Ils ont parlé de beaucoup de choses. Je crois que le résultat est positif. Le seul fait que ces Églises autocéphales se soient réunies, au nom de l’Orthodoxie, pour se regarder en face, pour prier ensemble et parler, et peut-être dire quelque plaisanterie, mais c’est très positif. Je remercie le Seigneur. Au prochain ils seront plus nombreux. Béni soit le Seigneur !

Père Lombardi :

Merci Sainteté. Nous passons maintenant le micro à Edward Pentin, qui représente un peu la langue anglaise : cette fois-ci le National Catholic Register.

Edward Pentin, National Catholic Register :

Saint-Père, comme Jean-Paul II vous semblez apporter votre soutien à l’Union Européenne : vous avez fait l’éloge du projet européen quand vous avez reçu récemment le Prix Charlemagne. Êtes-vous préoccupé du fait que le Brexit pourrait conduire à la désintégration de l’Europe, et éventuellement à la guerre ?

Pape François :

Il y a déjà la guerre en Europe ! Ensuite, il y a un climat de division, et pas seulement en Europe, mais à l’intérieur des pays eux-mêmes. Souvenez-vous de la Catalogne ; l’année dernière, c’était l’Écosse… Ces divisions, je ne dis pas qu’elles sont dangereuses, mais nous devons bien les examiner et, avant de faire un pas en avant dans une division, bien parler entre nous et chercher des solutions réalisables. Je ne sais pas vraiment, je n’ai pas examiné les raisons pour lesquelles le Royaume Uni a voulu prendre cette décision. Mais il y a des décisions – et je crois que je l’ai déjà dit une fois, je ne sais où, mais je l’ai dit – d’indépendance, qui se prennent pour l’émancipation. Par exemple, tous nos pays latino-américains, également les pays d’Afrique, se sont émancipés des couronnes de Madrid, de Lisbonne ; de même en Afrique : de Paris, Londres ; d’Amsterdam, l’Indonésie surtout… L’émancipation est plus compréhensible, parce qu’il y a derrière une culture, une manière de penser. En revanche la sécession d’un pays - je ne parle pas encore du Brexit -, pensons à l’Écosse, est une chose qui a pris le nom – et je le dis sans offenser, en utilisant le mot que les politiciens utilisent – de « balkanisation » - sans mal parler des Balkans ! C’est un peu une sécession, non une émancipation, et derrière il y a des histoires, des cultures, des malentendus ; et aussi beaucoup de bonne volonté chez d’autres. Il faut que cela soit bien clair. Pour moi, l’unité est toujours supérieure au conflit, toujours ! Mais il y a plusieurs sortes d’unité ; de même la fraternité - et j’en arrive à l’Union Européenne – est mieux que l’inimitié ou que les distances. Par rapport aux distances – disons – la fraternité est meilleure. Et les ponts sont mieux que les murs. Tout cela doit nous faire réfléchir. C’est vrai, un pays [dit] : « Je suis dans l’Union Européenne, mais je veux avoir certaines choses qui me sont propres, de ma culture… ». Et le pas – et j’en viens au Prix Charlemagne ­– que doit faire l’Union Européenne pour retrouver la force qu’elle a eue dans ses racines est un pas de créativité et aussi de « saine désunion » : c’est-à-dire plus d’indépendance, donner plus de liberté aux pays de l’Union. Penser une autre forme d’union : être créatifs. Créatifs en ce qui concerne les postes de travail, l’économie. Il y a aujourd’hui en Europe une économie ‘‘liquide’’ qui fait – par exemple en Italie – que la jeunesse de moins de 25 ans n’a pas de travail : 40% ! Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette Union massive. Mais ne jetons pas par la fenêtre le bébé avec l’eau de bain sale ! Essayons de restaurer les choses et de les re-créer… Car la re-création des choses humaines – et également de notre personnalité – est un parcours, et on doit toujours le faire. Un adolescent n’est pas le même que la personne adulte ou que la personne âgée : il est le même et il n’est pas le même, il se recrée continuellement. Et cela lui donne vie et envie de vivre, et cela donne fécondité. Et cela, je le souligne : aujourd’hui, les deux mots-clefs pour l’Union Européenne sont créativité et fécondité. C’est le défi. Je ne sais pas, c’est mon point de vue.

Père Lombardi :

Merci Sainteté. Alors, à présent donnons la parole à Tilmann Kleinjung, qui est de Adr, la radio nationale allemande. Pour lui aussi, je crois qu’il s’agit du dernier voyage… Donc, nous sommes heureux de lui donner cette possibilité.

Tilmann Kleinjung – Adr :

Oui, moi aussi je suis sur le départ pour la Bavière. Merci de me permettre de pouvoir poser cette question. “Zu viel Bier, zu viel Wein”. Heiliger Vater’’ : “Trop de bière, trop de vin”. Saint-Père, je voulais vous poser une question : aujourd’hui, vous avez parlé des dons partagés par les Églises, ensemble. Vu que vous irez – dans quatre mois – à Lund pour commémorer le 500ème anniversaire de la Réforme, je pense que c’est peut-être le moment opportun également pour ne pas rappeler uniquement les blessures des deux parties, mais aussi pour reconnaître les dons de la Réforme, et peut-être aussi – et c’est une question hérétique – pour annuler ou retirer l’excommunication de Martin Luther ou d’une quelconque réhabilitation. Merci.

Pape François :

Je crois que les intentions de Martin Luther n’étaient pas erronées : c’était un réformateur. Peut-être certaines méthodes n’étaient-elles pas justes, mais à l’époque, si nous lisons l’histoire du Pasteur, par exemple, un allemand luthérien qui s’est converti ensuite quand il a vu la réalité de ce temps, et est devenu catholique – nous voyons que l’Église n’était pas forcément un modèle à imiter : il y avait de la corruption dans l’Église, il y avait de la mondanité, il y avait de l’attachement à l’argent et au pouvoir. Et pour cela, il a protesté. Ensuite, il était intelligent, et il a fait un pas en avant en expliquant pourquoi il faisait cela. Et aujourd’hui, luthériens et catholiques, avec tous les protestants, nous sommes d’accord sur la doctrine de la justification : sur ce point si important, lui ne s’était pas trompé. Il a fabriqué un ‘‘médicament’’ pour l’Église, ensuite ce médicament s’est consolidé dans un état de choses, dans une discipline, dans une manière de croire, dans une manière faire, de façon liturgique. Mais il n’y avait pas que lui : il y avait Zwingli, il y avait Calvin. Et derrière eux, qui y avait-il ? Les princes, ‘‘cuius regio eius religio’’. Nous devons nous mettre dans le contexte historique de cette époque-là. C’est une histoire pas facile à comprendre, pas facile. Puis, les choses ont continué. Aujourd’hui, le dialogue est très bon et ce document sur la justification, je crois qu’il est l’un des documents œcuméniques les plus riches, l’un des plus riches et des plus féconds. Êtes-vous d’accord ? Il y a des divisions, mais elles dépendent également des Églises. À Buenos Aires, il y avait deux églises luthériennes : une pensait d’une façon et l’autre d’une autre. De même, dans la même Église luthérienne, il n’y a pas d’unité. Elles se respectent, elles s’aiment… La diversité est ce qui nous a peut-être fait beaucoup de mal à nous tous et aujourd’hui nous essayons de reprendre le chemin pour nous rencontrer après 500 ans. Je crois que nous devons prier ensemble, prier. Pour cela la prière est importante. En second lieu : travailler pour les pauvres, pour les persécutés, pour tant de personnes qui souffrent, pour les réfugiés… Travailler ensemble et prier ensemble. Et que les théologiens étudient ensemble, en cherchant… Mais il s’agit d’un chemin long, très long. J’ai dit une fois en plaisantant : « Moi je connais le jour de l’unité pleine » - « Quel jour ? » - « Le lendemain de la venue du Fils de l’homme ! ». Parce qu’on ne sait pas… L’Esprit Saint accordera cette grâce. Mais en attendant, il faut prier, nous aimer et travailler ensemble, surtout pour les pauvres, pour les gens qui souffrent, pour la paix et pour tant d’autres choses, contre l’exploitation des gens… Tant de choses pour lesquelles on travaille ensemble.

Père Lombardi :

Merci. Alors, maintenant, donnons la parole à Cécile Chambraud, du [journal] ‘‘Le Monde’’, qui représente encore la langue française.

Cécile Chambraud – Le Monde :

(Question en espagnol) Saint-Père, il y a quelques semaines, vous avez parlé d’une Commission pour réfléchir sur la thématique des femmes diaconesses. Je voudrais savoir si cette Commission existe déjà et quelles seront les questions sur lesquelles elle réfléchira pour qu’elles soient résolues. Et enfin, parfois une Commission sert pour faire oublier les problèmes : je voudrais savoir si c’est le cas.

Pape François :

Il y avait un Président d’Argentine qui disait et conseillait aux autres Présidents des autres pays : si tu veux qu’une chose ne soit pas résolue, fais une commission! Le premier à être surpris par cette information, c’est moi, parce que le dialogue avec les religieuses, qui a été enregistré et ensuite publié dans ‘‘L’Osservatore Romano’’, était autre chose, sur cette ligne : ‘‘Nous avons appris qu’au cours des premiers siècles il y avait des diaconesses. On pourra étudier cela ? Faire une commission ?...’’. Rien de plus. Elles ont posé la question, elles ont été courtoises, et non seulement elles ont été courtoises, mais ce sont aussi des personnes qui aiment l’Église, [ces] femmes consacrées. J’ai raconté que je connaissais un syrien, un théologien syrien qui est décédé ; c’est lui qui a fait l’édition critique de Saint Ephrem en italien. Une fois, en parlant des diaconesses – quand je venais, je logeais à Via della Scrofa et lui il habitait là – au petit déjeuner, il m’a dit : ‘‘Oui, mais on ne sait pas exactement ce qu’elles étaient, si elles avaient reçu l’ordination...’’. Certainement, il y avait ces femmes qui aidaient l’évêque ; et elles l’aidaient en trois choses : la première, pour le baptême des femmes, parce qu’il y avait le baptême par immersion ; la deuxième, pour les onctions pré et post baptismales des femmes ; et la troisième – cela fait rire – lorsque la femme allait chez l’évêque se plaindre parce que le mari la frappait, l’évêque appelait l’une de ces diaconesses, qui voyait le corps de la femme pour trouver des traces prouvant ces choses. J’ai dit ceci : ‘‘Peut-on l’étudier ?’’ – ‘‘Oui, je dirai à la [Congrégation pour la] Doctrine de la Foi de faire cette Commission’’. Le jour suivant [dans les journaux] : ‘‘L’Église ouvre la porte aux diaconesses !’’. Vraiment, je me suis fâché un peu avec les media, parce que ça, ce n’est pas dire la vérité aux gens. J’ai parlé avec le Préfet de la [Congrégation pour la] Doctrine de la Foi, qui m’a dit : ‘‘Tenez, il y a une étude que la Commission Théologique Internationale a faite dans les années 1980’’. Ensuite, j’ai parlé avec la Présidente [des Supérieures Générales] et je lui ai dit ‘‘S’il vous plaît, faites-moi parvenir une liste de personnes que vous pensez qu’on peut prendre pour composer cette Commission’’. Et elle m’a envoyé la liste. De même, le Préfet m’a envoyé [sa] liste, et maintenant, elle est là sur mon bureau, pour la composition de cette Commission. Je crois qu’on a beaucoup étudié le thème dans la période des années 1980 et il ne sera pas difficile de faire la lumière sur la question. Mais il y a une autre chose. Il y a un an et demi, j’ai créé une Commission de femmes théologiennes qui ont travaillé avec le Cardinal Ryłko [Président du Conseil Pontifical pour les Laïcs], et elles ont fait du bon travail, parce que la pensée de la femme est très importante. Pour moi, la fonction de la femme n’est pas aussi importante que la pensée de la femme : la femme pense d’une autre manière par rapport à nous les hommes. Et on ne peut pas prendre une bonne décision, bonne et juste sans consulter les femmes. Parfois, à Buenos Aires, je consultais mes collaborateurs, je prenais leur avis sur un thème ; puis, je faisais venir quelques femmes et elles voyaient les choses sous un autre jour, et cela enrichissait tellement, tellement ; et ensuite la décision était très, très féconde, très belle. Je dois rencontrer ces femmes théologiennes, qui ont fait du bon travail, mais qui s’est arrêté. Pourquoi ? Parce que le Dicastère pour les laïcs change maintenant, il se restructure. Et j’attends un peu que cela se fasse pour continuer ce deuxième travail, celui concernant les diaconesses. Autre chose sur les femmes théologiennes – et cela, je voudrais le souligner - : la façon des femmes de comprendre, de penser, de voir les choses est plus importante que la fonction de la femme. Et puis, je répète ce que je dis toujours : l’Église est femme, elle est ‘‘l’’ ‘Église. Et elle n’est pas ‘‘vieille fille’’, elle est une femme mariée au Fils de Dieu, son Époux est Jésus Christ. Réfléchissez sur cela et puis vous me direz ce que vous en pensez..

Père Lombardi :

Alors, comme vous avez parlé des femmes, faisons poser une dernière question à une femme ; après j’en poserai une et nous conclurons… Ainsi, après une heure, nous vous laisserons en paix. Cindy Wooden, qui est responsable du CNS, qui est l’Agence Catholique des États-Unis.

Cindy Wooden – CNS :

Merci Sainteté. Ces derniers jours, le Cardinal allemand Marx en parlant à une grande conférence très importante à Dublin, sur l’Église dans le monde moderne, a dit que l’Église catholique devait dire pardon à la communauté gay pour avoir marginalisé ces personnes. Les jours qui ont suivi le massacre d’Orlando, beaucoup ont dit que la communauté chrétienne a quelque chose à voir avec cette haine envers ces personnes. Qu’en pensez-vous ?

Pape François :

Je répéterai la même chose que j’ai dite lors du premier voyage, et je répète aussi ce que dit le Catéchisme de l’Église catholique : qu’ils ne sont pas discriminés, qu’ils doivent être respectés, accompagnés pastoralement. On peut condamner, non pour des motifs idéologiques, mais pour des motifs –disons-nous – de comportement politique, certaines manifestations un peu trop blessantes pour les autres. Mais ces choses n’ont pas à voir avec le problème : si le problème est une personne qui a cette condition, qui a bonne volonté et qui cherche Dieu, qui sommes-nous pour la juger ? Nous devons bien l’accompagner selon ce que dit le Catéchisme. Le Catéchisme est clair ! Ensuite il y a les traditions dans certains pays, dans certaines cultures qui ont une mentalité différente sur ce problème. Je crois que l’Église non seulement doit demander pardon – comme a dit le Cardinal « marxiste » [Cardinal Marx] – à cette personne qui est gay qu’elle a offensée, mais elle doit demander aussi pardon aux pauvres, aux femmes et aux enfants exploités dans le travail; elle doit demander pardon d’avoir béni tant d’armes… L’Église doit demander pardon de ne pas s’être comportée tant, tant de fois… - et quand je dis ‘‘l’Église’’ j’entends les chrétiens ; l’Église est sainte, c’est nous qui sommes des pécheurs ! – les chrétiens doivent demander pardon de ne pas avoir accompagné tant de choix, tant de de familles… Je me rappelle la culture de Buenos Aires, la culture catholique fermée, quand j’étais enfant – je viens de là !- : on ne pouvait pas entrer dans la maison d’une famille divorcée ! Je parle d’il y a 80 ans. La culture a changé, grâce à Dieu. Comme chrétiens, nous devons beaucoup demander pardon, et pas seulement pour cela. Pardon et non seulement des excuses ! « Pardon Seigneur ! » : c’est une parole que nous oublions – maintenant, je fais le pasteur et je fais le sermon ! Non, c’est vrai, beaucoup de fois le ‘‘prêtre patron’’ et non le prêtre père, le prêtre ‘‘qui châtie’’ et non le prêtre qui embrasse, pardonne, console… Mais il y en a tant ! Tant d’aumôniers d’hôpitaux, d’aumôniers des prisons, tant de saints ! Mais ceux-là ne se voient pas, parce que la sainteté a de la pudeur, elle se cache. Au contraire, le manque de pudeur est effronté : il est effronté et se fait remarquer. Tant d’organisations, avec de bonnes personnes, et de moins bonnes ; ou des personnes auxquelles tu donnes une « bourse » un peu nourrie et elles regardent ailleurs, comme les puissances internationales avec les trois génocides. Nous aussi, chrétiens – prêtres, évêques- nous l’avons fait ; mais nous chrétiens nous avons aussi une Teresa de Calcutta et tant de Teresa de Calcutta ! Nous avons tant de sœurs en Afrique, tant de laïcs, tant de couples de saints époux ! Le grain et la zizanie, le grain et la zizanie. Jésus dit que le Royaume est ainsi. Nous ne devons pas nous scandaliser d’être ainsi. Nous devons prier afin que le Seigneur fasse en sorte que cette zizanie finisse et qu’il y ait davantage de grain. Mais c’est la vie de l’Église. On ne peut mettre une limite. Nous sommes tous saints, parce que nous avons tous l’Esprit Saint en nous, mais nous sommes –nous tous- des pécheurs. Moi le premier. D’accord ? Merci. Je ne sais pas si j’ai répondu… Non seulement une excuse, mais le pardon !

Père Lombardi :

Saint-Père, je me permets de poser une dernière question et puis nous vous laisserons aller en paix…

Pape François :

Ne me mets pas en difficulté…

Père Lombardi :

Elle concerne le prochain voyage en Pologne, auquel nous avons déjà commencé à nous préparer. Et vous vous consacrerez à la préparation en ce mois de juillet. Si vous nous dites quelque chose sur les sentiments avec lesquels vous allez vers cette Journée mondiale de la Jeunesse, en ce Jubilé de la Miséricorde. Et un autre point, un peu spécifique, est celui-ci : nous avons visité avec vous le Mémorial de Tzitzernakaberd, durant la visite en Arménie, et vous visiterez aussi Auschwitz et Birkenau, durant le voyage en Pologne. J’ai entendu que vous vouliez vivre ces moments davantage dans le silence qu’avec les paroles, comme vous l’avez fait ici, peut-être aussi à Birkenau. Je voulais donc vous demander si vous vouliez dire que vous feriez là un discours, ou si vous préféreriez, au contraire, faire un moment de prière silencieuse avec une intention personnelle spécifique.

Pape François :

Il y a deux ans, à Redipuglia, j’ai fait cela pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre. À Redipuglia je suis allé en silence. Puis il y a eu la messe et à la messe j’ai fait l’homélie, mais c’était autre chose. Le silence. Aujourd’hui, nous avons vu – ce matin – le silence… C’était aujourd’hui ? [P. Lombardi : Non, hier]. Je voudrais aller en ce lieu d’horreur sans discours, sans les gens, seulement le petit nombre nécessaire… Mais les journalistes, c’est sûr qu’ils y seront !... Mais sans saluer celui-ci, celui-là… Non, non. Seul, entrer, prier… Et que le Seigneur me donne la grâce de pleurer.

Père Lombardi :

Merci Sainteté. Alors nous vous accompagnerons aussi dans la préparation de ce prochain voyage et nous vous remercions beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré. Maintenant, reposez-vous un peu, mangez aussi… Et reposez-vous aussi durant le mois de juillet, ensuite.

Pape François :

Merci beaucoup ! De nouveau merci, merci aussi pour votre travail et pour votre bienveillance.

 



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