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HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II 
AU SÉMINAIRE PONTIFICAL FRANÇAIS

Dimanche 11 janvier 1981

  

Cette célébration du baptême du Seigneur Jésus nous introduit intimement dans le mystère de la personne et de la mission du Christ. Elle nous introduit par là-même dans une meilleure compréhension de notre être de chrétien, de baptisé, et plus encore de notre vocation de prêtre ou de futur prêtre.

1. Au terme de cette semaine de l’Epiphanie, c’est bien à la manifestation du Christ, à son « épiphanie », que nous assistons, lors de son baptême par Jean-Baptiste. Sur les bords du Jourdain, Jésus s’est mêlé aux pécheurs, à tous ceux qui attendaient la présence du Messie dans la pénitence. 

Le Verbe fait chair, tout en étant de condition divine, ne s’est pas prévalu d’être l’égal de Dieu, mais il a pris la condition d’esclave, se faisant semblable aux hommes et se rendant obéissant [1], vivant dans la chair pour racheter ceux qui étaient sous l’emprise de la chair. 

Et « les cieux s’ouvrent », dit mystérieusement saint Matthieu. Il est ainsi manifeste, pour tous ceux auxquels cet événement spirituel est alors révélé et pour ceux auxquels le récit évangélique est destiné, qu’il n’y a aucune barrière entre Dieu et Jésus, mais un contact immédiat, une union totale, un face à face, et nous croyons qu’il en est ainsi en vertu même de l’Incarnation, puisque c’est le Verbe de Dieu qui s’est fait chair.

Le prophète Isaïe avait soupiré après la venue de Dieu, après sa révélation plénière, en ces termes émouvants: « Ah! si tu déchirais les cieux et si tu descendais... pour faire connaître ton nom » [2]. Maintenant nous connaissons le véritable nom de Dieu, grâce au Fils. Le Père se révèle comme tel en désignant son « Fils bien aimé », en qui il a « mis tout son amour ». Il révèle le Fils. Il le présente désormais au monde, à commencer par ses disciples. « C’est le témoignage de Dieu, le témoignage que Dieu a rendu à son Fils », dira saint Jean [3]. Nous pénétrons avec Jésus dans le véritable mystère de Dieu, celui de la Trinité sainte. 

Car l’Esprit Saint est manifesté lui aussi. Il repose sur Jésus, tel une colombe, cet oiseau familier, symbole de l’amour et de la paix, qui est ici l’image du Don parfait venant des profondeurs de Dieu. Il vient exprimer le lien ineffable qui unit Jésus à son Père, et signifier aussi que Jésus va inaugurer publiquement sa mission de salut au milieu des hommes avec la puissance d’en Haut. Nous sommes alors invités à appliquer à Jésus la prophétie d’Isaïe où Dieu dit: « Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu en qui j’ai mis toute ma joie. J’ai fait reposer sur lui mon Esprit..., je t’ai pris par la main, et t’ai mis à part, j’ai fait de toi mon alliance avec le peuple, et la lumière des nations » [4].

Oui, adorons le Fils bien aimé dans cette « épiphanie » que les Pères et surtout l’Orient célèbrent en même temps que la manifestation aux Mages à Bethléem: il nous est manifesté, avec le ciel ouvert, au sein de la Trinité; et il nous est manifesté comme investi de sa mission pour nous.

2. Le Fils unique de Dieu vient faire de nous des fils. Le mystère de son baptême nous introduit dans le mystère de notre baptême. « Tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce sur grâce » [5]. Nous avons été baptisés, non seulement dans l’eau, pour répondre à un besoin de purification, mais dans l’Esprit qui vient d’en Haut et qui donne la vie de Dieu. Nous avons été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, pour entrer en communion avec eux. Les cieux se sont ouverts, en quelque sorte, pour chacun d’entre nous, par le ministère de l’Eglise, pour que nous entrions « dans la maison de Dieu », pour que nous connaissions l’adoption divine. Nous en portons l’empreinte à jamais, malgré notre faiblesse et notre indignité. Rendons grâces aujourd’hui, pour ce don de notre baptême: en nous faisant participer à la vie de Dieu, il nous fait participer au culte spirituel du Christ, à sa mission prophétique, à son service royal, qui constituent le sacerdoce commun à tous les baptisés. « Reconnais, ô chrétien, ta dignité! ». Le premier juin dernier, j’interpellais ainsi tout le peuple de France: « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fìdèle aux promesses de ton baptême? ». Cette question, je la pose aujourd’hui à chacun d’entre vous qui appartenez au peuple de France, tout en séjournant actuellement dans le diocèse de Rome.

3. Et rendons grâces enfin pour cet appel du Christ à partager son sacerdoce ministériel, qui nous associe si étroitement à sa mission même de « Serviteur » inaugurée à son baptême.

J’ai la grande joie précisément, aujourd’hui, de célébrer l’eucharistie dans un séminaire, de m’adresser à des prêtres et surtout à ceux qui se préparent au sacerdoce, et à leurs amis de Rome. Je n’oublie pas que vous représentez une partie des séminaristes de France – pratiquement le dixième, m’a-t-on dit – en provenance d’un grand nombre de diocèses de France.

Chers amis, réalisez-vous bien la grâce que le Seigneur vous a déjà accordée? Il a fait retentir en vous son appel à tout quitter pour le suivre, en attendant de vous conférer, lors de l’imposition des mains, son Esprit qui fera de vous ses diacres et ses prêtres. Comment vous dire la grande espérance que l’Eglise met en vous, notamment pour l’avenir de l’Eglise en France? Le cher Cardinal Marty, heureusement présent parmi nous, pourrait en témoigner mieux que quiconque. Et le Pape partage cet espoir des Evêques de France, en vous exprimant avec eux sa confiance et son affection.

A vos compagnons du séminaire d’Issy-les-Moulineaux, j’ai déjà eu l’occasion de dire ma pensée, en juin dernier, cependant que j’avais confié aux prêtres, à Notre-Dame, les encouragements et les orientations que je leur destinais. Vous n’avez sûrement pas manqué de relire ces textes, et vos directeurs savent vous orienter vers l’essentiel. Je me contenterai donc de quelques points.

4. Vous faites ici l’apprentissage de serviteurs du Christ, qui nécessite une longue maturation spirituelle, intellectuelle et pastorale. C’est un peu l’expérience des Apôtres que le Seigneur s’est associés après son baptême.

Il vous faut d’abord entrer chaque jour davantage dans l’esprit du Christ, vous enraciner en lui. C’est dire à quel point vous devez vous familiariser avec sa Parole, avec l’Ecriture, la méditer; fréquenter le Seigneur dans l’intimité de la prière – rien ne remplacera l’oraison personnelle sans laquelle notre vie sacerdotale se dessécherait –; apprendre à prier ensemble et à avoir des échanges spirituels en toute simplicité; célébrer le Seigneur dans une liturgie digne et vivante, comme le permettent le Concile et la réforme bien comprise de Paul VI; vous associer au Sacrifice du Christ qui sera le sommet et le centre de votre vie sacerdotale quotidienne. Vous devez aussi profiter de l’expérience des auteurs spirituels, vous initier aux écoles de spiritualité, pour nourrir votre pensée chrétienne, orienter et fortifier votre agir chrétien, et pour acquérir l’art de guider vous-mêmes les âmes, comme je le rappelais dans ma lettre aux prêtres du Jeudi Saint 1979. 

5. Vous êtes là aussi pour recevoir une solide formation doctrinale, dans les différentes branches du savoir théologique, biblique, canonique, philosophique. Je n’insiste pas, car je pense que vous en êtes bien convaincus et je crois savoir que vous y prenez bonne peine. Vous avez d’ailleurs la chance de disposer, dans cette ville de Rome, d’Universités et de Facultés remarquables, qui exigent un haut niveau d’études et de recherches: elles vous permettent de vous initier d’une façon équilibrée à toute la pensée du Magistère de l’Eglise, d’en découvrir le sens profond, de vous y attacher avec fidélité. Parfois vous ne voyez pas toujours le lien direct entre ces études et le ministère qui vous sera demandé, je pense par exemple aux bases de la philosophie qui a pourtant bien son importance. Mais soyez patients. Vous enrichissez votre réflexion d’éléments solides et de méthodes absolument indispensables pour vous éviter à vous-mêmes d’être emportés à tout vent de doctrine, pour être en mesure de prêcher, d’enseigner, de guider sûrement la réflexion des laïcs chrétiens dans le dédale des courants d’idées et des mœurs actuelles. Ces études romaines doivent aussi vous donner le goût et la possibilité de poursuivre votre travail intellectuel tout au long de votre vie. Vous serez certainement appelés à des ministères diversifiés, que vous ne pouvez pas prévoir et qu’il ne vous appartient pas de choisir, mais qui exigeront tous de vous une formation solide et qualifiée. Personnellement, comme archevêque de Cracovie et professeur à Lublin, j’ai toujours insisté sur ces études approfondies. Elles demandent certes quelques sacrifices. Mais elles préparent sûrement l’avenir. Le problème, c’est de veiller à unifier votre vie intellectuelle et votre vie spirituelle. 

6. Enfin, tout ce que vous faites, c’est pour vous préparer à la vie apostolique des prêtres. C’est dire l’élan qui doit vous animer pour porter l’Evangile à vos contemporains, pour les aider à l’accueillir dans une adhésion de foi qui s’avère souvent difficile, pour les entraîner à la prière comme à la réception fructueuse des sacrements, pour les éduquer aux exigences concrètes de la foi dans leurs divers engagements. Ce souci d’évangélisation a été et demeure à l’honneur d’un grand nombre de prêtres français: j’espère que vous serez de ceux-là. Non pas pour faire votre œuvre à vous. Mais pour conduire à Jésus-Christ. Et par les chemins que veut l’Eglise. Car être prêtre, ce sera, en participant au sacerdoce unique du Christ, participer au sacerdoce de votre Evêque, et sous sa responsabilité; ce sera vous intégrer dans le presbyterium de votre diocèse, avec ardeur, confiance et humilité, pour y exercer une part de ministère, celle qu’on vous confiera et pour laquelle vous devez être très disponibles; ce sera travailler solidairement avec vos confrères, sans abdiquer aucune des exigences de l’Eglise intégrées dans votre formation. Pour l’instant, l’engagement dans vos études et le fait de ne pas être encore prêtre ne vous permettent guère de prendre en charge un apostolat, encore qu’un certain nombre apportent déjà l’aide qui leur est possible au diocèse de Rome. Mais par-dessus tout vous devez être soucieux de liens véritables et confiants avec votre propre Evêque, demeurer très humblement ouverts aux besoins spirituels auxquels demain il vous faudra répondre, aux soucis apostoliques de vos confrères français, et surtout des Evêques qui ont la responsabilité de l’évangélisation. L’apprentissage d’une vie ecclésiale doit se faire encore grâce à la qualité de votre vie communautaire, dans ce séminaire de Santa Chiara, de votre vie fraternelle, de votre aptitude à vous accepter différents et à vivre en équipes, tournés vers le même objectif: la mission de l’Eglise. 

Vous vous souvenez comment Isaïe traçait tout à l’heure la figure du Serviteur: « il ne criera pas... il n’écrasera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il fera paraître le jugement en toute fidélité. Il ne faiblira pas ».Puissiez-vous demain être ces pasteurs intrépides, à la fois fermes et miséricordieux. Et aussi susciter d’autres candidats au sacerdoce. Ah! chers jeunes, votre prière, votre exemple, votre dynamisme au service de l’Eglise, votre joie de servir le Christ peuvent tellement pour obtenir de Dieu les vocations dont l’Eglise en général, dont l’Eglise en France, a un besoin vital!

Enfin, est-il nécessaire d’ajouter qu’ici, à Rome, vous avez la chance de pouvoir joindre à ce sens pastoral, à l’amour de votre Eglise locale, l’ouverture à d’autres Eglises locales dont vous côtoyez ici les membres, et la préoccupation de leur nécessaire unité dans l’Eglise universelle, en communion avec le Pape? Je suis sûr que vous garderez très fort cet attachement à Rome, au Successeur de Pierre, et que vous aiderez toujours vos communautés chrétiennes à en vivre, afin que leur croissance s’opère dans la fidélité de la foi et dans l’harmonie de tout le Corps du Christ.

7. Chers amis, cette formation sera le fruit d’efforts persévérants que je tenais à encourager. Vous les accomplirez avec l’aide de vos directeurs et professeurs de cette maison, de vos conseillers spirituels. Je tiens à les remercier vivement de leur concours, et à rendre hommage à la Congrégation des Pères Spiritains pour l’animation de ce Séminaire pontifical depuis sa fondation.

Sur la voie du sacerdoce, l’âme de votre progrès sera finalement l’Esprit Saint, celui qui a reposé sur Jésus à son baptême et l’a entraîné dans sa mission. Nous allons prier cet Esprit Saint pour vous. Vous le ferez aussi pour moi. Et cela, toujours en union avec la Très Sainte Vierge, si disponible précisément à l’Esprit Saint, Marie Immaculée, à laquelle est consacrée votre maison, et que vous regardez à juste titre comme « Tutela domus ».Elle vous conduit sûrement à Jésus, au Sauveur, pour que vous deveniez, comme prêtres, les serviteurs de son amour. Amen.


[1] Cfr. Phil. 2, 4-8.

[2] Is. 63, 19―64, 1.

[3] 1 Io. 5, 9.

[4] Is. 42, 1-6.

[5] Io. 1, 16.

 

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