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VOYAGE APOSTOLIQUE À PARIS ET LISIEUX
(30 MAI - 2 JUIN 1980)

DISCOURS DE JEAN-PAUL II AUX RELIGIEUSES
DANS LE JARDIN DE RUE DU BAC

Paris (France)
Samedi, 31 mai 1980

 

Mes chères Sœurs,

1. Au cours de mes voyages apostoliques, j'éprouve un bonheur très profond et toujours nouveau à rencontrer les religieuses, dont l’existence consacrée par les trois vœux évangéliques “appartient inséparablement à la vie et à la sainteté de l’Église”[1]. Bénissons ensemble le Seigneur qui a permis cette rencontre! Bénissons-le pour les fruits qui en résulteront dans vos vies personnelles, dans vos Congrégations, dans le peuple de Dieu! Merci d’être venues si nombreuses de tous les quartiers de Paris et de la région parisienne, et même de la province! Je suis heureux de vous exprimer, à vous qui êtes ici, comme à toutes le religieuses de France, mon estime, mon affection, mes encouragements.

Ce rassemblement, presque champêtre me fait penser à ces moments de pause et de respiration que le Christ lui-même réservait à ses premiers disciples au retour de certaines tournées apostoliques. Vous aussi, mes chères Sœurs, vous arrivez de vos lieux et tâches d’évangélisation: dispensaires ou maisons-hospitalières, écoles ou collèges, centres de catéchèse ou aumôneries de jeunes, services paroissiaux ou insertions dans les milieux pauvres. Il me plaît de vous redire les paroles du Seigneur: “Venez à l’écart... et reposez-vous un peu”[2]. Ensemble, nous méditerons sur le mystère et le trésor évangélique de votre vocation.

2. La vie religieuse n’est pas votre propriété, pas plus qu’elle n’est la propriété d’un Institut. Elle est “le don divin que l’Église a reçu de son Seigneur et que, par grâce, elle conserve fidèlement”[3].

En somme, la vie religieuse est un héritage, une réalité vécue en Église depuis des siècles, par une multitude d’hommes et de femmes. Et l’expérience profonde qu’ils en ont faite transcende les différences socioculturelles qui peuvent exister d’un pays à un autre, dépasse aussi les descriptions qu’ils en ont laissées, et se situe au-delà de la diversité des réalisations et des recherches d’aujourd’hui. Il importe de respecter et d’aimer ce riche patrimoine spirituel. Il importe d’écouter et d’imiter ceux et celles qui ont le mieux incarné l’idéal de la perfection évangélique, et qui furent si nombreux à sanctifier et illustrer la terre de France.

Jusqu’au soir de votre vie, demeurez dans l’émerveillement et l’action de grâces pour l’appel mystérieux qui retentit un jour au fond de votre cœur: “Suis-moi”[4]; “Vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi”[5]. Vous avez d’abord porté cet appel comme un secret, puis vous l’avez soumis au discernement de l’Église.

C’est en effet un bien grand risque de tout laisser pour suivre le Christ. Mais déjà vous sentiez - et vous avez expérimenté depuis - qu’Il était capable de combler votre cœur. La vie religieuse est une amitié, une intimité d’ordre mystique avec le Christ. Votre itinéraire personnel doit être comme une réédition originale du célèbre poème du Cantique des Cantiques. Chères Sœurs, dans le cœur à cœur de l’oraison, absolument vitale pour chacune de vous, comme à l’occasion de vos divers engagements apostoliques écoutez le Seigneur vous murmurer le même appel: “Suis-moi”.

L’ardeur de votre-réponse vous maintiendra dans la fraîcheur le votre première oblation. Vous irez ainsi de fidélité en fidélité!

3. Suivre le Christ est bien autre chose que l’admiration d’un modèle, même si vous avez de bonnes connaissances des Écritures et de la théologie. Suivre le Christ est quelque chose d’existentiel. C’est vouloir l’imiter au point de se laisser configurer à Lui, assimiler à Lui, au point de lui être - selon les paroles de Sœur Élisabeth de la Trinité - “une humanité de surcroît”. Et cela dans son mystère de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.

Un tel idéal dépasse l’entendement et dépasse les forces humaines! Il n’est réalisable que grâce à des temps forts de contemplation silencieuse et ardente du Seigneur Jésus. Lès religieuses dites “actives” doivent être à certaines heures des “contemplatives”, à l’exemple des moniales auxquelles je m’adresserai à Lisieux.

La chasteté religieuse, mes Sœurs, c’est véritablement vouloir être comme le Christ; toutes les raisons que l’on peut avancer par ailleurs s’évanouissent devant cette raison essentielle: Jésus était chaste. Cet état du Christ était non seulement un dépassement de la sexualité humaine, préfigurant le monde futur, mais également une manifestation, une “épiphanie” de l’universalité de son oblation rédemptrice.

L’Évangile ne cesse de montrer comment Jésus a vécu la chasteté. Dans ses relations humaines, singulièrement élargies par rapport aux traditions de son milieu et de son époque, il rejoint parfaitement la personnalité profonde de l’autre. Sa simplicité, son respect, sa bonté, son art de susciter le meilleur dans le cœur des personnes rencontrées, bouleversent la Samaritaine, la femme adultère et tant d’autres gens.

Puisse votre vœu de virginité consacrée - approfondi et vécu dans le mystère de la chasteté du Christ - et qui transfigure déjà vos personnes, vous pousser à rejoindre en vérité vos frères et sœurs en humanité, dans les situations concrètes qui sont les leurs!

Tant de gens, dans notre monde, sont comme égarés, écrasés, désespérés! Dans la fidélité aux règles de prudence, faites-leur sentir que vous les aimez à la manière du Christ, en puisant dans son cœur la tendresse humaine et divine qu’il leur porte.

Vous avez également promis au Christ d’être pauvres avec Lui et comme Lui. Certes, la société de production et de consommation pose des problèmes complexes à la pratique de la pauvreté évangélique. Ce n’est pas le lieu et le moment d’en débattre. Il me semble que toute Congrégation doit voir dans ce phénomène économique une invitation providentielle à donner une réponse, à la fois traditionnelle et toute nouvelle au Christ pauvre. C’est en le contemplant souvent et longuement dans sa vie radicalement pauvre, c’est en fréquentant assidûment les humbles et les pauvres, qui sont aussi son visage, que vous serez capables de donner tout ce que vous êtes et tout ce que vous avez. L’Église a besoin d’être comme entraînée par votre témoignage. Mesurez votre responsabilité.

Quant à l’obéissance de Jésus, elle occupe une place centrale dans son œuvre rédemptrice. Vous avez souvent médité les pages où saint Paul parle de la désobéissance initiale, qui fut comme la porte d’entrée du péché et de la mort dans le monde, et il parle du mystère de l’obéissance du Christ qui amorce la remontée de l’humanité vers Dieu.

La dépossession de soi-même, l’humilité sont plus difficiles à notre génération éprise d’autonomie et même de fantaisie. On ne peut cependant imaginer une vie religieuse sans obéissance aux supérieures, qui sont gardiennes de la fidélité à l’idéal de l’Institut. Saint Paul souligne le lien de cause à effet entre l’obéissance du Christ jusqu’à la mort de la croix[6] et sa gloire de Ressuscité et de Seigneur de l’univers. De même l’obéissance de toute religieuse - qui est toujours un sacrifice de la volonté, par amour - porte d’abondants fruits de salut pour le monde entier.

4. Vous avez donc accepté de suivre le Christ et de limiter de plus près, pour manifester son véritable visage à ceux qui le connaissent déjà comme à ceux qui ne le connaissent pas. Et cela, à travers toutes ces activités apostoliques aux quelles je faisais allusions au début de notre rencontre.

A ce plan des engagements, étant sauve la spiritualité particulière de vos Instituts, je vous exhorte vivement à vous intégrer dans l’immense réseau des tâches pastorales de l’Église universelle et des diocèses[7]. Je sais que des Congrégations ne peuvent - faute de sujets - répondre à tous les appels qui leur viennent des évêques et de leurs prêtres. Faites pourtant l’impossible afin d’assurer les services vitaux des paroisses et des diocèses.Que des religieuses dûment préparées collaborent à la pastorale des réalités nouvelles qui sont nombreuses.

En un mot, investissez au maximum tous vos talents naturels et surnaturels dans l’évangélisation contemporaine. Soyez toujours et partout présentes au monde sans être du monde[8]. Ne craignez jamais de laisser clairement reconnaître votre identité de femmes consacrées au Seigneur. Les chrétiens et ceux qui ne le sont pas on droit de savoir qui vous êtes. Le Christ, notre Maître à tous, a fait de sa vie un dévoilement courageux de son identité[9].

Courage et confiance, mes chères Sœurs! Je sais que depuis des années vous avez beaucoup réfléchi sur la vie religieuse, sur vos Constitutions. Le temps est venu de vivre, dans la fidélité au Seigneur et à vos tâches apostoliques. Je prie de tout cœur pour que le témoignage de vos vies consacrées et le visage de vos Congrégations religieuses éveillent dans le cœur de nombreux jeunes le projet de suivre, comme vous, le Christ. Je vous bénis ainsi que toutes les religieuses de France œuvrant sur le sol de la patrie ou sur d’autres continents. Et je bénis tous ceux que vous portez dans votre cœur et votre prière.


 [1] Lumen Gentium, 44.

 [2] Cfr. Marc. 6, 31.

 [3] Lumen Gentium, 43.

 [4] Cfr. Matth. 9, 9; Io. 1, 43.

 [5] Ibid. 19, 21.

 [6] Cfr. Phil. 2, 6-11.

 [7] Cfr. Perfectae Caritatis, 20.

 [8] Cfr. Io. 17, 15-16.

 [9] Cfr. Luc. 9, 26.

 

 

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