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DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II
AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE
DE LA RÉGION APOSTOLIQUE DE L'OUEST DE LA FRANCE
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 14 février 1992

 

Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Après nos entretiens privés, je suis heureux de vous accueillir ensemble, vous qui avez reçu la charge pastorale des Églises particulières regroupées dans la région apostolique de l’Ouest de la France. Les journées intenses de prière et d’échanges de votre pèlerinage ad limina Apostolorum vous auront apporté, je le souhaite, le surcroît d’espérance que vous attendiez de ce retour aux sources et de cette expérience de communion.

Votre Président, Monseigneur Jacques Jullien, vient de m’exposer plusieurs aspects de vos préoccupations et de vos motifs de confiance. Les soucis concernant la foi des jeunes, l’éducation chrétienne des enfants ou la qualité chrétienne des familles sont considérables. L’inquiétude que vous cause le vieillissement d’un clergé qui ne se renouvelle pas assez est également considérable et constitue l’une des raisons d’une réorganisation pastorale qu’il n’est pas toujours facile de réaliser harmonieusement dans une période d’évolution générale de la société. Mais vous gardez l’espérance, vous êtes aussi les témoins heureux de la foi vivante, du dévouement et de la générosité des prêtres et des laïcs, des jeunes ou des adultes. Je confie votre ministère épiscopal à l’intercession des Apôtres fondateurs et des nombreux saints de votre région. Je vous demande de porter mes encouragements à tous vos diocésains, spécialement aux membres du clergé, aux religieux et aux religieuses, et de leur exprimer ma confiance dans leur engagement actif à faire vivre et grandir l’Église en Bretagne, en Normandie et dans les Pays de Loire.

Comme vous le savez, en rencontrant successivement les évêques des régions apostoliques, j’ai choisi d’aborder des questions différentes. Pensant aujourd’hui à la grande tradition d’ouverture au large de cet «extrême Ouest de l’Europe», comme vous l’avez dit vous-mêmes, je voudrais inviter l’Église qui est en France à garder vivante sa solidarité séculaire avec les autres pays de ce continent et de toutes les parties du monde, de même que l’esprit missionnaire qui a lancé tant de ses fils et de ses filles sur les routes de l’évangélisation.

2. Les événements qui ont changé la physionomie de l’Europe ne peuvent laisser indifférent. La récente Assemblée du Synode des Évêques pour l’Europe a bien montré que les catholiques prenaient conscience de leur appartenance à un continent qui retrouve sa cohésion et sa liberté, en même temps qu’il a devant lui la tâche immense de réorganiser la société. Devant cette situation, les Européens de l’Ouest, individus ou nations, doivent résister aux tentations du repli sur eux-mêmes. Ils sont plutôt appelés à entrer dans des relations fraternelles avec ceux de l’Est qu’ils apprennent à mieux connaître. Beaucoup de possibilités s’offrent à l’exercice d’une solidarité effective, d’ordre spirituel, culturel ou économique. Cela conduit à l’«échange de dons», selon l’appel dont le Synode a confirmé l’intérêt pour tous les peuples européens.

Cette requête ne concerne pas les seuls dirigeants religieux ou civils. Il serait bon que l’ensemble des chrétiens saisisse clairement les enjeux de l’évolution intervenue depuis la deuxième guerre mondiale. Une communauté s’est constituée à l’Ouest d’un mur. Désormais les relations sont possibles avec l’Est. Et l’on espère que des nations qui ont tant en commun avanceront vers une vaste communauté, diverse mais unie. La place du christianisme dans le passé et le présent de l’Europe, comme on l’a constaté au Synode, permet de considérer que «la contribution de l’Église à l’Europe nouvelle n’est certainement pas un élément secondaire; elle doit accompagner les efforts des fidèles laïcs agissant dans le domaine social et politique»[1].

Les aspects politiques et économiques sont au premier plan de l’actualité, mais il serait vraiment réducteur d’en rester là. Les laïcs chrétiens, qui prennent part à la construction européenne, peuvent y apporter la dimension morale et spirituelle sans laquelle beaucoup d’espoirs seraient rendus vains. Je pense notamment à l’engagement pour une paix qui reste malheureusement précaire. Il faut approfondir les réconciliations qu’appelle un passé souvent lourd.

La vie économique demande une réflexion renouvelée sur les avantages et les déficiences que comporte la libération des marchés. L’an dernier, nous avons beaucoup travaillé dans le domaine de la doctrine sociale de l’Église à la lumière des événements; et je suis heureux de l’intérêt suscité par l’encyclique «Centesimus Annus». Il importe maintenant, au jour le jour, que l’on mette en œuvre l’enseignement social de l’Église et que l’on fasse entrer en application ses intuitions majeures: la réorganisation de la vie économique ne doit jamais être réalisée au détriment des personnes. Les valeurs chrétiennes restent des guides pour tous. Dans votre région de l’Ouest, je retiendrai l’exemple des agriculteurs, confrontés à une évolution difficile. Par une recherche des enjeux positifs de la construction de la nouvelle communauté européenne et de l’ouverture à l’Est, aidez–les à trouver leur juste place et à réfléchir en vue d’une organisation qui allie solidarité et technicité. Ne cessez pas de leur rappeler combien ils sont indispensables pour la vie des peuples.

3. Du point de vue de la vie ecclésiale et de l’évangélisation, le Synode a bien marqué la nécessité de «l’échange des dons» entre des communautés aux histoires si dissemblables, au cours de ce dernier siècle. Ainsi, les liens entre les Églises dans chaque pays doivent se resserrer durablement. Déjà, des relations fraternelles existent entre de nombreux évêques de pays voisins ou plus lointains. Des congrégations religieuses, des communautés nouvelles ou des responsables de mouvements spécialisés tissent des liens de coopération. Favorisez ces initiatives en y intéressant l’ensemble de vos diocésains. Il s’agit d’apporter des soutiens matériels, mais aussi d’entrer dans une communion spirituelle féconde entre personnes qui s’admettent avec leurs différences.

Dans certains domaines, la coopération pastorale semble s’imposer particulièrement: ainsi l’accompagnement pastoral des migrants, leur accueil et leur insertion dans les pays d’accueil sans rompre leurs liens humains et spirituels avec leurs nations d’origine. L’élargissement de l’horizon culturel est souhaitable pour tous, avec comme corollaire l’ouverture d’esprit à des expressions différentes de la foi et des modes de vie ecclésiale qu’il ne faudrait pas mésestimer du fait de leur caractère «étranger».

Découvrant les attentes des Églises les plus démunies, les communautés de votre pays pourraient coopérer avec elles, sans vouloir imposer leurs propres modes de pensée, les aider à reconstituer leurs séminaires ou leurs institutions universitaires, travailler en commun dans le champ de la théologie, de la doctrine morale, des conceptions de la famille, de la doctrine sociale, pour ne prendre que quelques exemples. Des rencontres fructueuses ont eu lieu, à une échelle continentale. Cela pourrait aussi se développer dans des cadres plus restreints, à l’échelle de diocèses ou de régions.

4. Le Synode l’a dit: l’Europe doit rester ouverte au restant du monde, et notamment au Tiers Monde. Vous avez, dans ce domaine, une tradition qui honore votre pays. Ces dernières décennies, beaucoup a été fait pour l’aide aux pays en voie de développement par des organisations catholiques notamment; au cours de mes voyages, j’ai pu souvent en constater les fruits réels. La poursuite de coopérations désintéressées et respectueuses des peuples plus défavorisés reste tout à fait souhaitable.

Mais n’y a-t-il pas eu certains déséquilibres et un certain affaiblissement de l’ardeur missionnaire, si on la compare à celle des générations précédentes? A-t-on suffisamment encouragé les jeunes à porter la Bonne Nouvelle du Christ sur les routes du monde, et à accueillir la vocation missionnaire au sens classique du terme? Les actions se sont parfois trop limitées à une aide matérielle, sans faire assez de place au désir de partager la foi et de rompre le pain eucharistique. Ces questions, vous les posez vous-mêmes; en les reprenant, je n’ignore pas de nombreuses initiatives positives, comme les jumelages entre diocèses ou paroisses, les journées missionnaires, l’influence des congrégations missionnaires et des rencontres locales des missionnaires originaires du pays avec leurs confrères et les paroisses ou mouvements. Je salue ces actions favorables, et je sais que vous leur donnez tout votre appui.

En particulier, alors que je m’apprête à partir pour un huitième voyage pastoral en Afrique, je souligne volontiers les liens profonds qui existent entre les catholiques de France et les jeunes Églises de ce continent. On célèbre cette année le centenaire de la mort du Cardinal Lavigerie; ce grand homme d’Église, qui a d’ailleurs joué un rôle considérable dans votre pays, demeure un bel exemple par la conception éclairée de l’apostolat qui a présidé à la fondation des Pères Blancs. Qu’il continue à inspirer les actions missionnaires aujourd’hui!

Les coopérations avec les jeunes Églises prennent des formes diverses, parfois nouvelles; ainsi, vous accueillez des étudiants ou des prêtres pour des études approfondies; avec d’autres pays européens, vous soutenez la création d’institutions d’enseignement spécialisées; une collaboration très utile s’intensifie dans le domaine des médias. Veillez à la poursuite de ces initiatives, sans négliger l’appel à l’engagement personnel d’hommes et de femmes, prêtres, religieux ou laïcs à vouer leur vie entière à l’évangélisation dans les pays où les jeunes Églises n’ont pas encore atteint leur pleine maturité.

Vous savez combien je suis attaché aux communautés chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient. Vos relations anciennes avec cette région, la Terre Sainte et le Liban notamment, m’incitent à demander instamment aux chrétiens de France de leur demeurer fidèles. Ces chrétiens, qui maintiennent vivant un héritage irremplaçable, comptent sur votre appui fraternel à de multiples points de vue. Honorez leur confiance alors que, pour eux, le temps de l’épreuve se prolonge!
Je ne saurais achever mon propos sans rappeler le rôle de pionnier joué par des catholiques français, comme Pauline Jaricot, dans la fondation des Œuvres pontificales missionnaires. Ne manquez pas de promouvoir chez vous ces institutions qui demeurent indispensables, tant pour soutenir de nombreuses communautés chrétiennes répandues dans le monde que pour garder vivant le dynamisme missionnaire dans les Églises plus anciennes.

5. Parfois, le poids des difficultés rencontrées dans vos diocèses peut conduire à hésiter devant un engagement exigeant pour la solidarité ecclésiale au-delà des frontières. Mais ne savons-nous pas que l’ouverture à l’autre et la générosité amènent à dépasser ses propres limites? Il s’agit ici de la mission que le Christ a donnée à son Église, et de la simple exigence de la communion entre tous les membres du Corps du Christ. Évêques, votre appartenance au Collège des successeurs des Apôtres fait de vous les premiers responsables d’une solidarité qui s’étend à l’Église universelle.
La sainte patronne des missions est de votre région. Depuis Lisieux, Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face a fait rayonner dans le monde son ardeur missionnaire. Son enseignement spirituel, d’une lumineuse simplicité, continue de toucher les fidèles de toutes conditions et de toutes cultures. Il est juste que nous lui demandions d’aider les catholiques de France à suivre sa voie de sainteté et à développer leur solidarité avec leurs frères d’Europe, d’Afrique et d’autres parties du monde pour partager les dons reçus du Christ, notre salut.

De tout cœur, j’appelle sur vous et sur vos communautés diocésaines la Bénédiction de Dieu.


[1] Synodi Episc. Europae Declaratio, 10.

 

 

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