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PAUL VI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 mars 1968

 

Annversaire de « Populorum Progressio »

Chers Fils, et Chères Filles,

Votre visite trouve notre esprit occupé par une pensée dont il Nous paraît bon de vous faire part, comme à des fils. Il y a un an (l'anniversaire exact était hier, le 26 mars), Nous publiions la lettre encyclique « Рорulorum progressio », adressée à l'Eglise et au monde entier, pour attirer l'attention de tous sur un fait caractéristique et capital de notre temps: la nouvelle conscience que les peuples prennent de leur besoin de progrès. Il s'agit là d'un réveil qui semble découvrir une loi générale de l'humanité, celle d'être plus, de posséder plus, de profiter davantage des biens que la vie et le monde mettent à la disposition de l'homme.

Cette idée de progrès n'est pas nouvelle pour les nations déjà évoluées et développées. Elle continue même pour elles une de ces formules magiques et mythiques dans lesquelles l'homme se complaît et qu'il porte aux nues, comme si elle était une religion, une conception très élevée des temps nouveaux. Mais l'idée de progrès a gagné les populations qui stagnaient dans leur état primitif ou dont la civilisation restait imparfaite. Ce sont les populations qui étaient privées des prodigieuses ressources économiques et sociales apportées par les découvertes scientifiques (pensons, par exemple, à l'électricité) et par l'application des ressources de la nature à la machine, ce puissant auxiliaire du travail humain qui multiplie son rendement, en même temps qu'il diminue sa peine. Alors une inquiétude énorme a soulevé et continue de soulever ces populations. Elles ont pris conscience de leur besoin, de leur droit de passer de leur niveau de vie modeste et souvent misérable à un niveau de vie plus élevé, plus riche, plus digne, plus humain. Cette aspiration reste entière; elle fermente dans la majeure partie de l'humanité, où elle produit les effets multiples que chacun connaît: le désir d'indépendance, politique d'abord, économique et culturelle ensuite, mettant en évidence les conditions parfois très tristes de ces peuples neufs qui souffrent de la faim, de la maladie, de l'ignorance, de leur incapacité de sortir de cet état par leurs propres moyens. Sensibilisés comme ils le sont à tout ce qui évoque le colonialisme, il arrive parfois qu'ils ne reconnaissent même pas les avantages que l'époque coloniale leur a apportés. Ils mesurent ainsi le degré de leur infériorité devant les peuples développés et ils éprouvent un sentiment de rébellion contre toute forme de tutelle de la part des peuples riches, un sentiment d'hostilité pour ce bien-être même, que d'autres produisent parmi eux et qui reste encore l'apanage de quelques-uns, étrangers ou indigènes, pour leur profit presque exclusif.

Le problème se pose maintenant au plan international

La plupart du temps, ce sont les larmes et la colère qui caractérisent la psychologie de ces peuples jeunes. Ils souffrent d'un mal nouveau, qui d'abord passait inaperçu et qui aujourd'hui est devenu intolérable: l'humiliante inégalité économique et sociale qui les sépare des peuples favorisés. C'est là un problème crucial et mondial. Avec lui la question sociale qui se posait au sein des différentes sociétés, se pose maintenant sur le plan international et s'étend à l'humanité tout entière. C'est aux relations internationales que s'applique maintenant la justice sociale, qui tend à instaurer une répartition plus équitable de la richesse et de la culture entre les différentes classes d'une société, en sorte que personne ne jouisse d'une façon exagérée et égoïste des biens temporels, alors que d'autres souffrent d'en être privés. Et alors on comprend l'ampleur et l'importance des problèmes posés par le progrès moderne, aujourd'hui où chaque peuple a acquis la notion de cette justice sociale et la revendique pour lui d'une façon qui, sous tant d'aspects, est légitime.

L'apport irremplaçable de l'Eglise

L'Eglise peut-elle se désintéresser de ce gigantesque aspect de la vie des hommes d'aujourd'hui? Il ne lui appartient certainement pas de s'occuper de la solution technique des problèmes économiques et politiques posés par l'admission des peuples en voie de développement à un niveau de vie suffisant et à la dignité légitime. Mais ces problèmes trouvent leur logique et leur force humaine dans une conception de la vie des hommes que seule la religion peut donner. La religion en effet, et la religion chrétienne tout spécialement, voit dans le progrès humain une intention divine: Dieu a créé l'homme pour qu'il domine la terre, et pour que la terre profite à tous d'une façon ordonnée. La religion donne un fondement de justice aux revendications des non-possédants lorsqu'elle rappelle que tous les hommes sont fils d'un même Père céleste, et donc frères. Seule la religion peut rappeler au riche qu'il est l'intendant de ses biens et non leur maitre despotique, et que les fruits de ses biens doivent, dans une mesure équitable, profiter à celui qui en a besoin. La religion catholique, la nôtre, proclame la loi suprême de la charité, de cette charité qui sait voir les souffrances et les besoins du prochain et qui incite à secourir les autres, sous la libre et douce impulsion de l'amour. La religion du Christ, dont le principe et la fin en ce monde sont le bon ordre, l'équilibre, la concorde des hommes, rappelle que le développement des peuples est le nom actuel de la paix.

Réponses a trois critiques faites à l'Encyclique

Pouvions-Nous Nous taire devant cet état de choses? Non. Et c'est pourquoi Nous avons parlé.

Nos paroles ont semblé à certains sévères et injustes à l'égard des systèmes économiques qui par eux-mêmes ne tendent pas à créer des conditions égales entre les hommes, parce qu'ils favorisent les uns et condamnent les autres à un état permanent d'infériorité. Notre intention n'était certainement pas de méconnaître les termes naturels des processus économiques, ni d'offenser leurs promoteurs, lorque Nous disions que dans une perspective qui ne soit pas partielle ou égoïste, mais globale et humaine, ces processus s'insérent dans les exigences du bien commun.

Il a semblé à d'autres qu'en dénonçant, au nom de Dieu, les très graves besoins dont souffre une si grande partie de l'humanité, Nous ouvrions la voie à ce que l'on appelle la théologie de la révolution et de la violence. Une semblable aberration était bien éloignée de Notre pensée et de Nos paroles. Combien différente est l'activité positive, courageuse et énergique qui est nécessaire, dans de nombreux cas, pour instaurer de nouvelles formes de progrès social et économique. Il a également semblé à beaucoup, et peut-être aussi à vous qui Nous écoutez, qu'une question aussi complexe et immense que celle qui consiste à promouvoir le progrès des peuples avec équité et résolution, n'était du ressort ni des individus, ni des initiatives privées, ni de celle des corps intermédiaires. Certes, cette question relève de ceux qui ont entre leurs mains le sort de la politique générale et des relations internationales. Cependant, elle peut et elle doit retenir l'attention de tous. Elle doit intéresser l'opinion publique, elle doit entrer dans la mentalité de tous, elle doit être un problème de conscience pour tout chrétien. Avec les communications modernes, même celui qui est très loin est devenu notre prochain. Et partout où sévit la faim, la misère, partout où les hommes ne peuvent pas mener une vie libre et digne, notre charité est sollicitée.

Lorsque vous aidez les missions, lorsque vous contribuez à soulager la faim dans le monde, lorsque vous soutenez les œuvres en faveur de l'alphabétisation etc., vous répondez à l'appel de la charité universelle qui aspire au juste progrès des peuples. Nous avons voulu vous rappeler ce grand sujet qui préoccupe l'Eglise et qui fait l'objet de l'intelligente et fervente activité de Notre Commission postconciliaire « Justice et Paix », afin que vous sachiez combien le cœur de l'Eglise est ardent aujourd'hui. Et si le vôtre bat à l'unisson du sien, Notre Bénédiction Apostolique vous est assurée.


Salut aux Religieuses de la Congrégation Romaine de Saint Dominique

Nous tenons à adresser un souhait particulier de bienvenue aux Religieuses de la Congrégation Romaine de Saint Dominique, réunies autour de leur nouvelle Prieure générale pour un chapitre spécial d’aggiornamento. Nous vous encourageons, chères Filles, à tout mettre en œuvre, dans la fidélité à votre vocation apostolique dominicaine, pour assurer le service d’éducation humaine et chrétienne qui vous est confié à travers le monde: promouvoir la formation d’une jeunesse, forte dans sa foi et soucieuse d’apostolat dans son milieu de vie. Aussi est-ce volontier que Nous louons vos efforts généreux de rénovation religieuse dans l’esprit du Concile et de l’Eglise et que Nous vous bénissons, toutes et chacune, de grand cœur.

                                             



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