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PAUL VI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 23 avril 1969

 

Valeur et portée de la « consécration du monde »

Chers Fils et Filles,

Parlons encore du Concile, Nous devrons encore en parler longtemps. Notre époque est marquée par cet événement. Que nos fréquentes allusions à ce qu'il dit ne soient pas ennuyeuses pour vous, car il influence toute la vie de l'Eglise, ne fut-ce que par le langage nouveau qu'il a mis en honneur dans l'enseignement de la doctrine chrétienne. Des locutions nouvelles, même si elles étaient antérieures au Concile, même si elles peuvent se retrouver dans la littérature traditionnelle, sont devenues d'usage courant, ont acquis une signification caractéristique, importante aussi bien pour la pensée théologique que pour la pratique habituelle entre nous croyants.

Une de ces expressions est la suivante « consecratio mundi », la consécration du monde. Cette expression a des racines lointaines, mais elle doit au Pape Pie XII d'avoir été rendue particulièrement expressive dans le domaine de l'apostolat des laïcs. Nous la trouvons dans le discours que ce grand Pape a prononcé à l'occasion du deuxième Congrès mondial de l'apostolat des laïcs (cf. Discorsi, XIX, p. 459, et AAS, 1957, p. 427); il y avait fait également allusion en d'autres occasions (cf. Discorsi, III, p. 460; XIII, 295; XV, 590; etc.). Plus explicitement, le 5 octobre 1957, il affirmait que la « consecratio mundi » pour ce qui est de l'essentiel, est l'œuvre des laïcs « qui se sont insérés intimement dans la vie économique et sociale ». Nous-même avons employé cette locution dans notre lettre pastorale de 1962 à l'archidiocèse de Milan (cf. Rivista Diocesana, 1962, p. 263). Et l'expression est passée (nouvelle preuve de la continuité cohérente de l'enseignement ecclésial) dans les documents du Concile: « Les Laïcs, dit la constitution dogmatique sur l'Eglise, consacrent à Dieu le monde lui-même » (Lumen gentium, 34, voir aussi 31, 35, 36; Apostolicam actuositatem, 7, etc.).

Le sens des mots

Pour évaluer cette expression Nous devrons analyser la signification de trois mots: consécration, monde, laïcs. Ce sont des mots riches de contenu, et qui ne sont pas toujours utilisés de manière univoque. Ici il nous suffira de rappeler que par consécration Nous voulons dire non pas la séparation d'une chose profane pour la réserver exclusivement à un but précis, plus particulièrement à la divinité, mais, dans un sens plus large, le rétablissement d'une relation à Dieu pour une chose, selon son ordre propre, selon l'exigence de la chose elle-même, dans le dessein voulu de Dieu (cf. Lazzati, in Studium 1959, pp. 791-805; Congar, Jésus-Christ, pp. 215 ss.).

Par monde, Nous voulons comprendre le complexe des valeurs naturelles, positives, qui sont dans l'ordre temporel, ou, comme le dit le Concile (Gaudium et spes, 2): « la famille humaine tout entière avec l'univers au sein duquel elle vit ».

Et par le mot « laïcs » que voulons-Nous dire? Il y a eu une grande discussion pour préciser la signification ecclésiale de ce mot, pour arriver à cette définition descriptive: le laïc est un fidèle, appartenant au peuple de Dieu, distinct de la hiérarchie, laquelle est séparée des activités temporelles (cf. Ac 6, 4) et préside la communauté en lui dispensant les « mystères de Dieu » (cf. 1 Co 4, 1; 2 Co 6, 4), et qui a au contraire un rapport déterminé et temporel avec le monde profane (cf. E. Schillebeeckx, La Chiesa del Vat. II, p. 960 ss.).

L'Eglise et l'engagement temporel des laïcs chrétiens

De la simple considération de ces mots, semble surgir une difficulté: comment peut-on penser à une « consecratio mundi » aujourd'hui, alors que l'Eglise a reconnu l'autonomie de l'ordre temporel, c'est-à-dire le monde comme il est, ayant ses fins propres, ses lois propres, ses moyens propres (cf. Apostolicam actuositatem, 7; Gaudium et spes, 42, etc.)? La position nouvelle de l'Eglise en ce qui concerne les réalités terrestres est désormais connue de tous: elles ont une nature qui jouit d'un ordre ayant, dans le cadre de la création, sa raison en soi, même si elle est subordonnée à l'ordre de la rédemption: le monde est par lui-même profane, détaché de la conception unitaire de la chrétienté médiévale; il est souverain dans son domaine, qui couvre tout le monde de l'homme. Comment peut-on penser alors à la consécration? Ne retourne-t-on pas à une conception sacrale, cléricale du monde?

Voici la réponse, et voici la nouveauté conceptuelle et extrêmement importante dans le domaine pratique. L'Eglise admet, même pour ses fidèles du laïcat catholique, quand ils agissent sur le terrain de la réalité temporelle, une certaine émancipation; elle leur attribue une liberté d'action et leur propre responsabilité, leur fait confiance. Pie XII a également parlé d'une « laïcité légitime de l'Etat » (AAS, 1958, p. 220). Le Concile recommandera aux pasteurs de reconnaître et de promouvoir « la dignité et la responsabilité des laïcs » (Lumen gentium, 37), mais ajoutera, parlant des laïcs et à des laïcs, que « la vocation chrétienne est de sa nature une vocation à l'apostolat » (Apostolicam actuositatem, 2); et alors qu'il leur concède, leur recommande même d'agir dans le monde profane en observant parfaitement les devoirs qui en découlent, il les charge d'y mettre trois réalités (en parlant très empiriquement) c'est-à-dire: l'ordre correspondant aux valeurs naturelles, propres au monde profane (valeurs culturelles, professionnelles, techniques, politiques, etc.), l'honnêteté et l'habileté, nous pourrions dire la compétence et le dévouement, l'art de développer convenablement et de réaliser ces mêmes valeurs. Le laïc catholique devrait être, sous cet aspect aussi, un parfait citoyen du monde, un élément positif et constructeur, un homme méritant l'estime et la confiance, une personne aimant la société et son pays. Nous espérons qu'on pourra toujours penser cela de lui et Nous attendons qu'il ne cède pas au conformisme de tant de mouvements de contestation, qui traversent aujourd'hui, de diverses manières, le monde moderne. La première lettre de l'apôtre Pierre, et certaines pages de celles de saint Paul (par exemple Rm 13) mériteraient, de la part de beaucoup qui se disent actifs en fonction de leur laïcat catholique, une méditation sérieuse.

Apporter au monde le ferment chrétien

L'autre influence que l'Eglise, et pas seulement le laïcat, peut exercer dans le monde profane, en le laissant tel quel et en même temps en l'honorant d'une consécration, c'est de l'animer de principes chrétiens. Le Concile nous fait comprendre que cette animation est une consécration (Apostolicam actuositatem, 7; Gaudium et spes, 42). Si ces principes chrétiens, ont gardé leur vraie signification verticale, c'est-à-dire leur référence au terme suprême et dernier de l'humanité, ils sont religieux et surnaturels, et dans leur efficience, qui aujourd'hui se dit horizontale, terrestre, ils sont extrêmement humains; ces principes sont l'interprétation, la vitalité inépuisable, la sublimation de la vie humaine en tant que telle. Le Concile parle, à ce propos, de « compénétration de la cité terrestre et de la cité céleste (pour) contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire » (Gaudium et spes, 40). Il rappelle aux laïcs « qu'ils doivent activement participer à la vie totale de l'Eglise. Ils ne doivent pas seulement s'en tenir à l'animation chrétienne du monde, mais ils sont aussi appelés à être, en toute circonstance et au cœur même de la communauté humaine, les témoins du Christ » (Gaudium et spes, 43; Apostolicam actuositatem, 2).

C'est dans ce sens que l'Eglise, et plus particulièrement les laïcs catholiques, confèrent au monde un nouveau degré de consécration, non pas en y apportant des signes spécifiquement sacrés et religieux (qui sont cependant, en certaines circonstances et formes, valables) mais en l'ordonnant, « dans l'exercice de l'apostolat dans la foi, l'espérance et la charité » (Apostolicam actuositatem, 3), au règne de Dieu: « Qui sic ministrat », qui sert ainsi le prochain, sert le Christ, dit une belle page de S. Augustin (In Io., tract. 51, 12: PL 35, 1768). C'est la sainteté, qui rayonne sur le monde et dans le monde. Que ce soit la vocation de notre époque, de nous tous, chers Fils, avec Notre Bénédiction.

                                           



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