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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AU COMITÉ INTERGOUVERNEMENTAL DU
«PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL»*

Jeudi 20 avril 1967

 

Avant de quitter Rome, Messieurs, au terme de la Session de votre Comité intergouvernemental, vous avez bien voulu Nous faire l’honneur de Nous rendre visite.

Nous sommes d’autant plus heureux de vous accueillir, que cette visite se situe pour Nous au lendemain de la publication d’un important document de Notre magistère, qui concerne de très près les problèmes et préoccupations qui sont les vôtres.

Vous êtes les délégués, en provenance de 24 Pays, du «Programme Alimentaire Mondial». Votre but est de mobiliser les ressources de l’ensemble de la Communauté internationale dans la lutte contre la faim, et de telle sorte que la solution apportée soit liée au développement économique et social des Pays en voie de développement.

Quant à Nous, ce que Nous avons proposé à l’Eglise et à toute la communauté humaine dans l’Encyclique Populorum progressio, c’est un vaste programme d’action en faveur des pays en voie de développement, tenant compte de ce fait, capital aux yeux de l’Eglise, à savoir que la croissance économique ne suffit pas, à elle seule; qu’elle doit être pleinement humaine et donc se soucier du développement global et équilibré - aussi bien social, moral et spirituel que matériel - des personnes et des peuples.

Vous voyez, Messieurs, l’harmonie profonde de vos buts et de vos activités avec les soucis de l’Eglise pour le bien de ses fils et de tous les hommes. Et vous comprendrez le plaisir que Nous éprouvons à Nous entretenir quelques instants, avec un auditoire aussi qualifié que le vôtre, sur un sujet qui Nous tient tant à cœur.

Vous aimerez sans doute à savoir ce que l’Eglise fait ou se propose de faire en matière d’aide aux Pays en voie de développement.

Son action ne se situe pas tout à fait sur le même plan que le vôtre, et la convergence des efforts et des points de vue laisse entière la distinction qui s’impose entre une société spirituelle, comme l’Eglise, et la société temporelle, constituée par les Etats que vous représentez (cf. Populorum progressio, § 13).

Mais vous aurez remarqué sans doute - et ce fut surtout sensible en ces dernières années - que l’Eglise exhorte de plus en plus vivement ses fils à s’engager sans crainte dans des tâches temporelles, au service de leurs frères et du bien commun de la cité terrestre.

Inutile de rappeler ici les innombrables bienfaits matériels et culturels (cf. ibid., § 12) apportés par les missionnaires, en plus des bienfaits spirituels, dans les Pays qu’ils ont évangélisés. L’Eglise n’a jamais reconnu comme sienne une conception désincarnée, purement spirituelle, de la religion, une conception qui tiendrait les chrétiens à l’écart des tâches terrestres. Elle leur fait au contraire un devoir - et cela, au nom même de leur foi - d’accepter des responsabilités sociales et économiques et de les porter en fidèles disciples du Christ, qui est venu - il nous l’a dit lui-même - «non pour être servi, mais pour servir» (Matth. 20, 28).

La Constitution conciliaire sur «l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui», qui vous est connue sans doute, est particulièrement explicite à cet égard, et le grand mouvement de renouveau, introduit dans l’Eglise par le Concile, va dans ce sens.

Nous avons indiqué Nous-même dans Notre message à l’Organisation des Nations Unies, combien Nous étions soucieux que Nos fils catholiques élargissent leur cœur et leur action aux dimensions des immenses besoins du monde. Des organisations catholiques se sont constituées dans plusieurs pays, sous la direction des Evêques, pour l’aide au «Tiers-Monde». D’autres, déjà existantes, ont élargi en ce sens leur rayon d’action. Un grand organisme international est mandaté par Nous pour englober et coordonner toute cette action et la représenter au plan mondial: la Caritas Internationalis, qui ne vous est sans doute pas inconnue.

Enfin, étant donné l’importance et la gravité croissantes de ces problèmes, Nous n’avons pas hésité, malgré la charge supplémentaire que cela Nous imposait, à créer récemment un nouvel organisme dans la Curie romaine, un bureau d’études, le Secrétariat Iustitia et Pax, dont le nom indique assez le programme et les finalités.

Voilà donc ce que fait l’Eglise en ce domaine. Sa contribution, au plan matériel, comparée à celles qu’apportent vos Etats, pourra sembler bien modeste. Mais ce n’est là que la partie la moins importante de son intervention dans les problèmes qui vous occupent. L’autre partie ne se mesure pas par des chiffres et par des bilans, et elle est pourtant, de beaucoup, la plus notable. C’est celle qui relève de sa mission spirituelle.

En quoi, dira-t-on, cet aspect de la mission de l’Eglise peut-il influer sur la solution des problèmes du sous-développement? En ceci, que c’est dans le cœur des hommes qu’est la racine profonde de toute solution durable en ce domaine.

Un penseur contemporain l’a dit dans une formule frappante, paradoxale en apparence, mais profondément juste: «Le pain pour moi-même est une question matérielle: le pain pour mon voisin est une question spirituelle» (Nicolas Berdiaeff). Effectivement, il s’agit d’abord d’arracher les hommes et les nations à leur égoïsme, à leur cupidité, à leur avarice. On peut même dire que les efforts pour résoudre le problème de la faim et de la pauvreté mondiales seraient voués à l’échec si l’on n’arrivait pas à effectuer un changement réel dans le cœur des populations du monde, à y développer un altruisme plus profond et plus effectif, élargi aux dimensions du globe.

C’est ici, Nous semble-t-il, sur ce plan spirituel qui est proprement le sien, que l’Eglise apporte sa contribution la plus efficace aux problèmes qui sont les vôtres. Elle peut agir sur le cœur des hommes, parce qu’elle sait «ce qu’il y a dans l’homme» (cf. Io. 2, 25); elle a une doctrine sur son origine, sa nature, sa destinée: et c’est à ce titre que Nous avons cru pouvoir prendre la hardiesse de Nous présenter devant les Nations Unies au titre d’«expert en humanité».

Si le rôle de l’Eglise n’est pas de dicter des solutions techniques pour la réforme des structures de la société, elle peut, en revanche, stimuler la conscience, «qui a une voix nouvelle pour notre époque» (Populorum progressio, § 47), l’éveiller à ses nouveaux devoirs dans le monde d’aujourd’hui. Elle peut donc par là infléchir la réorientation des structures politiques, sociales et économiques des nations dans le sens du vrai progrès, qui est la participation de tous les hommes aux bienfaits du développement, l’ascension de tous les hommes à des conditions de vie dignes d’êtres humains.

C’est assez vous dire, Messieurs, combien l’Eglise se réjouit de voir des hommes de cœur, conscients de leurs responsabilités, s’adonner, comme vous le faites, à multiplier le pain à la table de la grande famille humaine. Nous avons relevé avec émotion que les contributions volontaires qui vous parviennent des Gouvernements ne sont pas uniquement, comme on pourrait le croire, en provenance des pays riches. Non: des nations, elles-mêmes en voie de développement, vous offrent, elles aussi, leur contribution. Admirable exemple, qui confirmerait, si besoin était, combien votre travail transcende le simple plan matériel pour se situer au niveau de ce qu’il y a de plus grand, de plus beau, de plus élevé dans l’homme: son âme et son cœur.

Avec Nos félicitations et Nos souhaits les plus chaleureux pour l’heureuse continuation de votre belle tâche, Nous vous assurons, Messieurs, de l’intérêt profond avec lequel Nous en suivons le déroulement, invoquant de grand cœur sur vos personnes, vos familles et vos activités, les plus abondantes bénédictions divines.


*AAS 59 (1967), p.423-426.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. V, p.173-176.

L'Osservatore Romano, 21.4.1967, p.1, 2.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.17 p.3.

La Documentation catholique, n.1495 col. 1005-1010.

 



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