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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX EVÊQUES DE LA FRANCE MÉRIDIONALE
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Lundi 6 juin 1977

 

Chers Frères dans le Christ,

C’est avec joie que Nous vous accueillons aujourd’hui, vous les Evêques d’une vaste région apostolique, qui s’étend de l’Auvergne aux Pyrénées, des Cévennes au Languedoc et au Roussillon, et qui gravite autour de la grande et célèbre métropole de Toulouse.

Vos diocèses évoquent pour Nous tant de hauts lieux chrétiens! D’abord Toulouse et l’antique église des Jacobins, avec le rayonnement des Frères Prêcheurs, depuis saint Dominique! Et aussi des lieux de pèlerinages aujourd’hui très fréquentés: Notre-Dame de Roc Amadour, Sainte-Germaine de Pibrac, Saint-Bertrand de Comminges, et principalement Lourdes. La grotte de Massabielle est devenue le rendez-vous de tant de pèlerins de chez vous, de toute la France, du monde entier! Nos diocésains de Rome, aussi, sont de plus en plus nombreux à en bénéficier. Vous avez su garder au sanctuaire marial sa signification originale, sa note évangélique: autour de l’exemple de Marie Immaculée et avec son intercession, ce pèlerinage permet un ressourcement de la foi, dans la prière, la réconciliation avec Dieu, le partage fraternel. La piété populaire peut s’y déployer avec aisance - et c’est important pour la vitalité du Peuple de Dieu - en même temps que les différents groupes trouvent une nourriture substantielle, adaptée à leurs besoins spirituels. Toutes nos félicitations et nos encouragements à ceux qui sont, avec vous, les artisans de cette pastorale!

Vos rapports témoignent des efforts déployés pour donner ou redonner une vigueur spirituelle à des communautés chrétiennes anciennes ou nouvelles, disséminées dans les plaines ou les montagnes, ou dans les populeuses cités, et pour les rendre elles-mêmes évangélisatrices.

Nous avons bien noté les difficultés que vous rencontrez pour l’évangélisation. Celle-ci ne peut ignorer les problèmes humains posés à votre région: un vieillissement de la population, un départ assez massif des jeunes, les difficultés de l’agriculture et de la viticulture, le manque d’emplois . . . Et sur le plan spirituel, vous, relevez notamment la difficulté d’assurer une présence active de l’Eglise en maints secteurs ou milieux, le manque d’apôtres de l’Evangile, l’indifférence religieuse en certains diocèses, plus encore la montée accrue de l’incroyance et la tâche délicate de proposer la foi dans les nouvelles formes de culture, sans compter les secteurs particuliers qui demandent une pastorale adaptée: celui des migrants si nombreux en votre région, celui des multiples établissements de soins pour les malades ou handicapés qui viennent profiter de votre bon climat ou des sources thermales.

Mais Nous regardons avec vous les éléments positifs. Même la présence des frères séparés et des non chrétiens peut aider les catholiques à prendre mieux conscience de l’identité de leur foi et de leur mission. Certes les forces apostoliques sont réduites, mais vous avez su promouvoir entre elles la concertation, la mise en commun des efforts, en associant au mieux les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs. Vous constatez que les textes du Concile sont assez bien assimilés. Nous vous encourageons à compter beaucoup sur la catéchèse, la préparation aux sacrements, l’enseignement catholique, la responsabilité des laïcs bien formés. Vous mentionnez comme signe de vitalité la forte coopération de vos prêtres à la mission universelle de l’Eglise. De tout cela Nous nous réjouissons.

Nous notons deux axes principaux selon lesquels vos efforts pastoraux peuvent se développer, parce qu’ils correspondent à la fois à vos possibilités et à vos besoins: une pastorale universitaire, une pastorale rurale.

Il Nous semble que vous avez bien mis à profit la présence de l’Institut catholique de Toulouse. Non seulement il assure une préparation solide des ouvriers apostoliques, afin qu’ils soient dignes de l’Evangile dont ils seront porteurs; mais il contribue de façon notable à la formation permanente de ceux qui sont dispersés dans toute la région, pour leur permettre de faire face aux nouvelles questions, dans la fidélité à la Tradition vivante de l’Eglise. Vous soulignez vous-mêmes le besoin et la soif de formation biblique, théologique et spirituelle, y compris chez les jeunes. En ce domaine, Nous vous encourageons de toutes nos forces.

La pastorale rurale est aussi un terrain de première importance pour tous vos diocèses. Nous imaginons sans peine les problèmes que vivent vos populations rurales, très dispersées et très amenuisées. S’il n’est pas question de revenir à la pastorale d’antan, il est encore possible de faire quelque chose pour sauver vos campagnes. Nous encourageons avec vous les équipes de laïcs et de prêtres qui se consacrent à cette pastorale. Il leur revient de promouvoir une collaboration des ruraux, pour une réflexion chrétienne sur leurs conditions de vie, une entraide efficace, un appel à leur propre responsabilité, les interventions adéquates auprès des instances compétentes susceptibles de leur apporter l’aide nécessaire, avec le souci du bien commun de tous, une participation aussi à la vitalité de leurs communautés chrétiennes.

Nous ne pouvons pas nous étendre aujourd’hui sur les autres points mis en relief dans vos rapports. Sur le plus grand nombre d’entre eux, Nous avons déjà exprimé devant vos confrères des autres régions ce qui Nous tient à cœur. Nous nous arrêterons plutôt sur un aspect particulier, qui n’est nullement propre à votre région, mais qui Nous semble conditionner de façon importante l’engagement des chrétiens et des mouvements chrétiens dans le domaine temporel. Vous venez vous-même d’y faire allusion en reprenant une phrase de notre Exhortation «Evangelii Nuntiandi» partageant «la ferme conviction que toute libération temporelle . . . déchoit de l’idéal qu’elle se propose . . . tant que l’élan qui l’entraîne n’a pas de dimension vraiment spirituelle».

Le rôle des Evêques est de veiller à ce que l’Eglise soit d’abord témoin de l’Evangile. Aujourd’hui, dans la vie sociale telle qu’elle évolue, certains ne savent plus aborder un problème quel qu’il soit, même concernant la famille, l’éducation, telle réalité professionnelle, sans le placer aussitôt sur un plan politique et se limiter à cette perspective. Une telle réduction, déjà critiquable intellectuellement, est dommageable à la société et ouvre la voie à bien des sectarismes. Les chrétiens devraient être les premiers à témoigner de ces risques. A plus forte raison, est-il regrettable que certaines personnes ou certains groupes, dans l’Eglise elle-même, aient également tendance à juger les choses d’un point de vue d’abord et essentiellement politique.

Les méthodes d’apostolat et les pédagogies de la foi s’égarent et s’enlisent si elles ne se développent pas sous le rayonnement de la personne même de Jésus-Christ et de son message, proposés sans altération. Car la foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (Cfr. 1 Cor. 2. 4). C’est la responsabilité et la joie de notre commun ministère apostolique de veiller à ce que les communautés et les organisations ecclésiales, dans leur légitime diversité, ne se réunissent sous nul autre signe que le signe de Jésus-Christ. Qu’elles donnent donc le témoignage d’une foi qui se préoccupe d’abord d’accueillir le don de Dieu, dans la méditation de la Parole insurpassable de l’Evangile, dans une célébration eucharistique dont le mouvement vient de Dieu et conduit à Dieu.

De ce retour incessant aux sources surgissent des énergies et des lumières pour l’existence entière. Tout l’homme s’y régénère. Il y fortifie tout ce qu’il porte d’authentiquement humain et les solidarités multiformes dans lesquelles il est engagé. Dans la lumière de l’Evangile il perçoit, par-delà les sophismes trompeurs ou rassurants, l’incompatibilité avec la foi de tant d’idéologies athées et réductrices: il en naît un besoin renouvelé de fortifier et de purifier la foi et d’aider tout homme à s’ouvrir à sa force de libération. Apparaît aussi l’incompatibilité, avec une vie chrétienne cohérente, de tant de pratiques sociales, économiques et politiques qui mutilent l’homme et lui dénient ses droits fondamentaux: il en surgit un appel à une action résolue, et d’abord sur soi-même. L’Evangile invite chacun à la conversion. S’il est légitime de distinguer idéologies et mouvements historiques (Cfr. PAULI PP. VI Octogesima Adveniens, 30), il convient aussi de voir avec lucidité les liens réciproques qui demeurent (Ibid. 34; cfr. etiam Compte-rendu sommaire de la réunion du Conseil permanent de l’Episcopat français, 14-16 juin 1976, in «La Documentation Catholique», 1976, p. 636). Un tel discernement s’impose aussi bien aux communautés et associations chrétiennes comme telles, qu’aux personnes. Nous ne voyons pas sans une profonde inquiétude comment certains peuvent penser, au nom de la solidarité et pour une plus grande efficacité, qu’il est possible d’être vraiment chrétien tout en donnant son adhésion à un parti dont les principes d’analyse et d’action relèvent d’une idéologie incompatible avec la foi chrétienne. Car de toute manière la pratique aussi, avec les structures qu’elle sécrète et dans lesquelles elle se déploie, est tributaire d’une loyale confrontation avec l’Evangile.

Et l’on ne saurait négliger non plus l’expérience des frères dans la foi qui, partout dans le monde, sous des régimes divers, souffrent persécution ou oppression, et luttent pour défendre ensemble leur foi, leur liberté religieuse et les libertés de tous ceux qui sont opprimés. Les Evêques ont une responsabilité particulière dans ce discernement.

En bref, Nous connaissons et Nous apprécions les capacités que les catholiques français ont si souvent manifestées au cours de leur histoire pour répondre aux besoins de leur temps. Nous les exhortons donc à ne pas se laisser glisser vers une atténuation ou une dissolution de leur témoignage spécifique au profit d’idéologies ou de pratiques non évangéliques et non ecclésiales. Nous faisons appel à leur fidélité dans la foi, à leur courage, à leur charité inventive, pour qu’ils apportent à leur pays, en tant de domaines qui conditionnent son avenir social, moral et spirituel, une contribution en harmonie avec les exigences éthiques de l’Evangile et avec l’enseignement social de l’Eglise.

Sur ces catholiques français toujours si chers à notre cœur, et d’abord sur vous-mêmes, qui avez charge de les éclairer et de les guider selon l’Evangile, Nous implorons l’aide et la force de l’Esprit Saint, Nous demandons la protection de la Vierge Marie. Et en vous exprimant notre confiance, Nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.

                                 



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