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PIE X

LETTRE

A NOS TRÈS CHERS FILS
LES CARDINAUX*

VICTOR-LUCIEN Card. LECOT, Archevêque de Bordeaux
PIERRE-HECTOR Card. COULLIÉ, Archevêque de Lyon
LOUIS-HENRI Card. LUÇON, Archevêque de Reims
PAULIN-PIERRE Card. ANDRIEU, Evêque de Marseille

 

 

Nos très chers Fils,

 

Le moment Nous parait venu de vous faire connaître les décisions que Nous avons prises au sujet des Mutualités dites approuvées afin que par votre entremise tous les membres de l'Episcopat et du clergé Français en soient informés.

Nous avons examiné la question avec le plus grand soin et à tous les points de vue, désireux, comme Nous l'étions, de trouver un moyen d'épargner aux ecclésiastiques Français de nouveaux sacrifices. Dans Notre amour pour la France et pour ses prêtres, dont Nous suivons à chaque pas les admirables efforts de générosité sous le coup des plus cruelles épreuves, Nous étions disposé à autoriser les plus larges concessions, pourvu que la loi eût permis aux prêtres de France de sauvegarder leur dignité et les règles de la discipline ecclésiastique. — Mais voici que l'on demande au clergé Français de former des Mutualités ouvertes à toux ceux qui se réclameraient de quelque façon que ce soit du titre d'intéressés, sans moyen légal d'écarter de leurs rangs des égarés ou même des membres exclus de la communion de l'Eglise. On demande en somme aux ecclésiastiques Français de seconstituer en corps séparé, et d'oublier en quelque sorte leur caractère de prêtres en communion avec le Siège Apostolique. Ils devraient se considérer comme de simples citoyens, mais des citoyens privés du droit accordé à tous les Français d'exclure de leurs mutualités des sociétaires indignes. Et tout cela pour pouvoir recueillir des avantages matériels, fort discutables et précaires, et entourés de restrictions hostiles à la hiérarchie, dont le moindre contrôle est positivement et explicitement exclus de par la loi.

C'est dans l'exercice de leur saint ministère, généreusement accordé à tous leurs concitoyens sans distinction, d'un bout à l'autre de la France, que les prêtres âgés et infirmes acquièrent le droit à des secours pourtant si minimes, et cependant on refuse de reconnaître ces fonctions ecclésiastiques et par le fait même les services qu'ils rendent sans cesse à l'Eglise et à leur Patrie. Tandis que les auteurs de la loi cherchent à éviter l'odieux d'avoir enlevé le pain aux pauvres prêtres âgés et infirmes, ils s'offrent à rendre une petite partie de tant de biens séquestrés, mais ce qu'ils donnent d'une main ils le marchandent de l'autre par des restrictions et des mesures d'exception. Dans ces conditions il ne Nous est pas possible d'autoriser la formation des Mutualités approuvées. Avec sa clairvoyance habituelle notre illustre Prédécesseur écrivait en 1892 aux Evêques de France, que dans la pensée des ennemis la séparation de l'Eglise de l'Etat devait être « l'indifférence absolue du Pouvoir à l'égard des intérêts de la société chrétienne, c'est à dire de l'Eglise, et la négation même de son existence ». Et Léon XIII ajoutait: « Ils font cependant une réserve qui se formule ainsi: Dès que l'Eglise, utilisant les ressources que le droit commun laisse aux moindres des Français, saura, par un redoublement de son activité native, faire prospérer son oeuvre aussitôt l'Etat intervenant pourra et devra mettre les catholiques Français hors du droit commun lui-même. Pour tout dire en un mot, l'idéal de ees hommes serait le retour au paganisme: l'Etat ne reconnaît l'Eglise qu'au jour où il lui plait de la persécuter ». C'est hélas! ce que nous voyons aujourd'hui.

Plus grave encore est la question des fondations de Messes, patrimoine sacré sur lequel on a osé mettre la main au détriment des âmes et en sacrifiant les dernières volontés des testateurs. Il est incontestable en effet que ces fondations devaient servir, dans la pensée des défunts, à faire célébrer les saintes Messes non pas d'une façon quelconque ou par qui que ce soit, mais dans la forme légitime et en parfaite conformité avec la discipline de l'Eglise catholique. Or, au lieu de restituer ces fondations sans entraves, on les offre à des Mutualités que l'on dépouille explicitement de tout caractère ecclésiastique et auxquelles de par la loi on interdit toute intervention légale de l'Episcopat. La loi en effet ne reconnaît aucune intervention de l'autorité ecclésiastique, qui se trouverait désormais dépourvue de toute force légale pour assurer toujours et partout la célébration légitime des saintes Messes, et par là même, malgré toutes les mesures que pourrait prendre l'Episcopat, et malgré le bon vouloir de la majorité des très dignes prêtres de France, la célébration de ces Messes serait exposée aux plus redoutables périls. Or Nous devons sauvegarder la volonté des testateurs et assurer la célébration légitime en toute circonstance du saint Sacrifice. Nous ne pouvons donc autoriser un système, qui est en opposition avec les intentions des défunts et contraire aux lois qui régissent la célébration légitime de l'acte le plus auguste du culte catholique. C'est avec une profonde tristesse que Nous voyons ainsi se consommer des spoliations sans nombre par la mainmise sur le patrimoine des morts. Dans le but d'y remédier autant que possible, Nous faisons appel à tous Nos chers prêtres de France de vouloir une fois l'année célébrer une Messe aux intentions des pieuses fondations, comme Nous le ferons Nous même une fois par mois. En outre et malgré les limites restreintes de Nos ressources, Nous avons déjà déposé la somme nécessaire pour la célébration de deux mille Messes par an aux mêmes intentions, afin que les âmes des trépassés ne soient pas privées de suffrages auxquels elles avaient droit et que la loi, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, ne respecte plus.

C'est avec toute l'effusion de Notre âme, et comme gage de Notre très vive et paternelle affection pour la France, que vous donnons, Nos très chers Fils, à vous, à votre clergé, et aux fidèles de vos diocèses, la bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, 17 Mai de l'année 1908, de Notre Pontificat la cinquième.

 

PIUS PP. X

 


 

*ASS, vol. XLI (1908), pp. 361-364.



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