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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU XIII CONGRÈS INTERNATIONAL
DE LA FÉDÉRATION MONDIALE
DES JEUNESSES FÉMININES CATHOLIQUES
*

Salle Clémentine - Mardi 3 avril 1956

 

Vous inaugurez aujourd'hui, chères filles, le Congrès qui a rassemblé à Rome les membres de la Fédération Mondiale des Jeunesses féminines catholiques et, poussées par votre affection filiale, dont Nous apprécions vivement toute la délicatesse, voici que vous venez Nous offrir dans la ferveur et la joie, le témoignage de votre dévoûment et les projets nouveaux de votre zèle. Pendant cette semaine vous allez vous prodiguer inlassablement dans les sessions d'étude, les rencontres, les manifestations de foi et de piété, et vous aborderez ensemble le problème essentiel de tout mouvement d'Action Catholique, celui de la vie spirituelle. Nous disons essentiel, parce que, plus encore que les problèmes d'organisation interne ou ceux de l'action sur le milieu, la vie spirituelle constitue le cœur même de l'apostolat chrétien, et ceci d'une manière d'autant plus urgente que l'orientation du monde moderne, et son appel toujours plus avide aux ressources prodigieuses de la technique, semblent s'opposer diamétralement à la pratique sérieuse de la prière et de l'union à Dieu.

L'enquête, que vous avez menée en guise de préparation à ces journées d'étude, vous a révélé sans doute le déchirement dont souffrent beaucoup de jeunes chrétiens et chrétiennes d'aujourd'hui. Découvrant avec enthousiasme les moyens de connaissance et d'action qui s'offrent à eux, ils s'en emparent sans hésiter, les utilisent sans arrière-pensée et se lancent à la conquête d'un univers, dont la science et la technique reculent chaque jour les limites. La vitesse accrue et la commodité des moyens de communication, l'abondance des livres et périodiques, la radio, le cinéma, la télévision les mettent en contact avec toutes les formes de la vie et de l'activité humaines. Saisis dans ce tourbillon qui ne leur laisse plus le loisir de la réflexion et du recueillement, comment n'en viendraient-ils pas insensiblement à perdre le sens d'autres réalités, plus vraies et plus hautes, mais aussi plus austères, celles de la vie spirituelle, dont ils conservent malgré tout comme une nostalgie, mais qui risquent de s'estomper progressivement jusqu'à perdre à leurs yeux presque toute valeur et toute signification.

Puisque vous assumez la mission de répondre aux besoins actuels de la jeunesse sur le plan international, vous devez regarder en face la difficulté et y chercher des solutions adéquates. Nous vous félicitons de votre effort lucide et généreux, dont les fruits, Nous l'espérons, ne se feront pas attendre et, au moment où vous vous préparez à commencer votre Congrès, Nous voudrions vous adresser un mot d'exhortation et d'encouragement, comme expression de Notre paternelle sollicitude et de la confiance que Nous mettons en vous.

Le monde moderne s'édifie comme une construction aux dimensions gigantesques, mais l'âme humaine, malgré son émerveillement et son attachement à cette nouvelle demeure, ne pourra jamais échapper au mystère de son origine et de sa destinée, à l'emprise de Dieu son Créateur, pour qui elle est faite et à qui elle doit retourner. Votre apostolat prend appui sur cette inquiétude radicale ; mais afin de pouvoir conduire autrui jusqu'à la découverte du surnaturel dans toute sa plénitude, il faut que vous-mêmes parcouriez en le méditant ce long et difficile itinéraire, qui va de la foi spontanée des enfants et des âmes simples à l'assimilation pleinement réfléchie du message chrétien intégral et de toutes ses exigences. La civilisation moderne séduit par son caractère d'actualité ; elle est tendue vers l'avenir, vers la conquête, vers l'organisation d'une société, qui déborde les frontières politiques et ethniques et s'étende à l'univers. Comment pourrez-vous rester convaincues de l'actualité non moins passionnante et de la puissance d'impulsion de la vie spirituelle, si vous ne l'avez expérimentée en quelque sorte, si chaque jour vous ne vous efforcez de pénétrer davantage dans ce monde, plus secret, mais plus réel et plus merveilleux que l'autre, et de le découvrir sous la conduite de Dieu lui-même ?

Mais la difficulté surgit au moment où s'imposent, inéluctables, les conditions de cette découverte. Le bruit, l'agitation, la vitesse perdent ici tous leurs droits. Il s'agit d'entrer dans le sanctuaire intérieur, dans le calme et le silence, et surtout d'attendre patiemment et humblement la grâce d'en-haut, d'accepter la volonté d'un Autre, dont Jean-Baptiste disait : « Il faut qu'Il grandisse et que je diminue » (Io. 3, 30). La prière quotidienne et prolongée, seule voie qui conduise en présence de Dieu, combien de jeunes ont le courage de s'y astreindre ? N'espérez pas, chères filles, exercer d'apostolat digne de ce nom, si vous n'acte pas d'abord cette exigence élémentaire et dont la tradition chrétienne n'a cessé de souligner l'importance.

La civilisation matérialiste s'efforce d'ancrer l'homme dans le monde présent, de faire briller à ses yeux des espérances toutes terrestres, d'accroître sa confiance dans l'efficacité du travail humain et son aptitude à remédier aux maux de l'humanité. Les chrétiens eux-mêmes n'échappent pas à cette fascination. Certains, trop sûrs d'eux-mêmes, ont peine à admettre la précarité des résultats acquis par la mise en œuvre des seules ressources de la technique et de l'économie. D'autres, incapables de l'effort sincère que réclame la vie chrétienne, tâchent d'en réduire les exigences: ils demandent instamment des concessions, des accommodements. Le dogme les offusque par son caractère absolu; ils accusent la morale chrétienne d'intransigeance et préféreraient qu'elle s'adapte aux circonstances de l'âge moderne, aux difficultés apparemment insurmontables qui s'opposent à son observation ; ils plient ainsi la rigueur des préceptes à l'appréciation subjective des individus. Et vous savez aussi combien l'obéissance à l'Église, à ses directives, à ses conseils de prudence coûte à beaucoup de vos contemporains.

Pour restaurer dans votre milieu social le sens du christianisme authentique, il faut que, bien conscientes de ces problèmes, vous en ayez aperçu le vrai principe de solution : une vie de grâce fervente, jalousement protégée et entretenue. Cette ferveur, loin d'affecter uniquement les couches superficielles de la sensibilité, doit imprégner l'âme entière, pénétrer l'intelligence et aviver de son éclat la connaissance des vérités révélées et des normes morales qui inspirent le comportement individuel et social. L'attitude de l'homme devant les biens terrestres, devant les conquêtes de la technique en particulier, dépend d'abord de la conviction, non purement théorique, mais intimement vécue et nourrie par la prière et la réflexion, que ce monde passe : — « praterit enim figura huius mundi » (1 Cor. 7, 31), dit St-Paul, — et que, pour l'homme pécheur, il n'y a de salut que dans l'acceptation du sacrifice du Christ, de la mort avec Lui et en Lui : la vraie vie n'est pas ici-bas, mais dans l'au-delà. Déjà cependant elle s'inaugure sur terre en celui qui adhère au Christ et à son enseignement intégral, c'est-à-dire pour qui reconnaît l'Eglise comme dépositaire du message divin, qu'elle interprète infailliblement, et du pouvoir de gouverner et de sanctifier les hommes. Vous êtes bien conscientes, comme toutes les jeunes filles d'aujourd'hui, de votre autonomie personnelle, et vous ne voulez pas d'une autorité qui s'impose sans donner les preuves de son pouvoir. La justification dernière de l'Église et de la soumission qu'on lui doit, la foi vous la donnera ; l'amour de Dieu répandu dans vos cœurs par le Saint-Esprit ( cfr. Rom. 5, 5) seul peut vous faire comprendre et admettre tout ce que le Christ vous enseigne par l'Église, sans rien dissimuler, ni estomper, ni effacer. Vous aimez aussi vous lancer dans l'action et vous réjouir des fruits obtenus par votre initiative. Qui vous apprendra sinon l'Esprit-Saint à rester humbles dans le succès, à vous dévouer sans retour sur vous-mêmes, peut-être sans résultat tangible, mais dans une fidélité inaltérable et silencieuse. Vous n'aurez plus alors à craindre l'échec ou la désillusion, mais vous les supporterez vaillamment d'un cœur égal.

On voit souvent, hélas !, des jeunes filles bien disposées, mais superficielles dans leur foi et dépourvues de convictions raisonnées, subir l'attirance de sentiments généreux, d'idées apparemment très belles, de démarches apostoliques audacieuses, et céder sans discernement à cet attrait, avec le risque fréquent de commettre de lourdes imprudences et d'en porter les tristes conséquences. La formation religieuse ne leur manquait pas, mais elle n'était ni complète ni solide ; leur esprit se nourrissait plus volontiers de formules brillantes que de doctrine ferme, s'enthousiasmait plus facilement de gestes spectaculaires que de service obscur et généreux. Soyez donc avides, chères filles, d'une vie intérieure stable et bien équilibrée ne négligez aucun des aspects de la vérité chrétienne, mais scrutez avec sérieux et patience ses inépuisables richesses. Exercez-vous à la pratique de toutes les vertus, sans en dédaigner aucune. Quand vous ne percevez pas le motif de telle restriction, de telle mesure de l'autorité, sachez obéir avec soumission, et la grâce que vous méritera cette humilité vous éclairera bientôt.

Enfin, qui pourrait se dire véritablement membre d'un Sauveur rachetant les péchés du monde par la souffrance et la mort sans accepter lui-même sa part effective du sacrifice, sans vouloir conformer de jour en jour plus étroitement sa vie à celle du Crucifié ? Le monde actuel pénétré d'influences matérialistes, tourné vers la jouissance et la facilité, ne comprend pas cette exigence et adopte des attitudes pratiques qui la contredisent. Puisque vous devez y vivre et en subir l'influence, il est clair que la lutte s'impose. Vous portez en vous-mêmes une sorte d'antagonisme. Vous voulez être des enfants de lumière dans un monde qui la refuse. Et si le renoncement à tant d'aspects attirants de la vie moderne vous semble coûteux, laissez-vous conquérir d'abord par l'idéal que le Christ vous propose. N'est-ce pas le plus noble qui soit, puisqu'il invite à la fois à l'intimité personnelle avec Dieu lui-même, à la conquête du monde à son Royaume, à la charité et à la fraternité universelle ? « Ego vici mundum » (Io. 16, 33) : « J'ai vaincu le monde », dit-Il aux siens. D'une victoire, qui avant de se traduire dans les événements historiques, se célèbre au fond des cœurs, qu'elle purifie de tout égoïsme et qu'elle enflamme de l'amour de Dieu et des hommes.

Le combat, que vous menez par l'Action Catholique, est essentiellement un combat intérieur et spirituel : c'est sur ce plan d'abord que vous devez, par le renoncement à vous-mêmes, triompher des résistances de la nature à la vie nouvelle, qui germe en vos âmes et veut s'y épanouir. Et le fruit de votre charité et de vos œuvres sera d'autant plus abondant et durable qu'elles témoigneront d'un enracinement plus profond dans le surnaturel authentique.

Nous savons, bien chères filles, que la voie, que Nous vous indiquons, demande courage et abnégation. Mais songez à tant de vos sœurs, qui à cette heure combattent héroïquement pour la sauvegarde de leur foi et n'hésistent pas à affronter le martyre du cœur et du corps. Que leur amour du Christ et leur intrépidité soutiennent vos efforts quotidiens! S'il vous semble parfois n'apporter qu'une modeste contribution à l'œuvre immense qui devrait se faire, remerciez le Seigneur, qui daigne l'agréer et récompensera votre fidélité en vous donnant de le servir mieux et davantage.

Nous Le prions de répandre ses faveurs en abondance sur vous-mêmes, sur vos associations et toutes vos entreprises et, de tout cœur, Nous vous en donnons pour gage Notre paternelle Bénédiction Apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
 Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 55-59
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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