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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU XVIIe CONGRÈS D'ANATOMIE*

Salle du Consistoire - Jeudi 15 novembre 1956

 

Nous saluons avec plaisir, Messieurs, les continuateurs d'une glorieuse tradition scientifique et les adeptes fervents d'une des branches les plus nobles et les plus précieuses du savoir humain, celle de l'anatomie. Nous Nous réjouissons de vous accueillir à l'occasion du XVIIe Congrès National de la Société Italienne d'Anatomie, qui vous a rassemblés à Rome pour mettre en commun les résultats de vos recherches les plus récentes. L'anatomie humaine normale a toujours été et reste encore la base indispensable des connaissances biologiques et médicales, qui ont l'homme pour objet; toutes les disciplines qui, sous tel ou tel aspect particulier, essaient d'approfondir la connaissance de la personne humaine, de l'expliquer dans ses états normaux ou pathologiques, doivent s'y référer et tenir compte de es conclusions. C'est pourquoi le présent Congrès, qui aborde des problèmes concernant les structures macroscopiques et microscopiques du corps humain, l'histologie, l'embryologie, ainsi que l'histophysique et l'histochimie, ne manquera pas de susciter un vif intérêt dans les milieux médicaux, non moins que chez tous ceux qui, de près ou de loin, suivent les progrès des sciences de l'homme.

Si l'anatomie s'est maintenue pendant longtemps sur le plan de la morphologie macroscopique et de la structure des organes, elle s'est engagée depuis le siècle dernier dans l'étude toujours plus minutieuse des tissus et de leur constituant élémentaire, la cellule, et cela non seulement d'un point de vue statique et purement descriptif, mais aussi sous l'aspect génétique et fonctionnel qui, replaçant les phénomènes observés dans l'ensemble de leurs causes et de leurs finalités, s'efforce d'en saisir la signification d'une manière beaucoup plus complète. Les progrès continus de la physique, de la chimie et ceux de la technique offrent a l'histologie des possibilités toujours plus larges dans l'examen analytique de la substance vivante. Même en se limitant aux grandeurs d'ordre microscopique, il reste encore beaucoup à faire en morphologie comparée et systématique ; il faut entre autres récolter le plus grand nombre possible d'observations susceptibles de montrer exactement quelles sont les parties similaires d'un seul ou de plusieurs organismes. Mais on est maintenant à l'ordre de grandeur ultramicroscopique, et l'on est en mesure de saisir directement certains détails morphologiques de l'infrastructure des éléments qui constituent la cellule. On utilise en outre la recherche indirecte, par exemple l'étude des variations du pouvoir d'absorption des ondes lumineuses ultra-violettes ou la sensibilité à certains ferments.

L'histophysiologie voit maintenant s'ouvrir devant elle un horizon presque illimité. Les résultats expérimentaux obtenus par la culture des tissus « in vitro » ont déjà fourni de nombreux renseignements sur les propriétés fondamentales des cellule, sur les exigences que pose leur croissance, sur les possibilité ouvertes ou latentes qu'elles recèlent. On entreprend aussi des recherches sur les manifestations électriques concomitantes ou liées à des activités fonctionnelles particulières des tissus. La culture « in vitro » permet même d'étudier les phénomènes fondamentaux du métabolisme cellulaire et la réactivité des cellules à divers agents physiques et chimiques.

Avec l'histophysiologie, l'histochimie connaît actuellement une efflorescence pleine de promesses. Tandis qu'autrefois, on se limitait à identifier un petit nombre de substances au moyen de réactions chimiques connues, on utilise à présent des méthodes microanalytiques beaucoup plus précises, qui permettent non seulement l'analyse qualitative de certains composés chimiques, mais aussi l'analyse quantitative et topographique. On peut même dans certains cas éclairer le dynamisme des processus chimiques, qui intéressent toutes les activités fondamentale, de la substance vivante, comme le métabolisme matériel et énergétique, la différentiation morphologique, la croissance, l'excitabilité. Les procédés de coloration histologique eux-mêmes bénéficient d'une révision critique, qui substitue aux recettes empiriques des critères scientifiques et rationnels.

L'histophysique, pour sa part, a la tâche de rechercher selon quelles lois physiques et physico-chimiques se produit l'association des composants chimiques de la substance vivante en aggrégats ultra-microscopiques et microscopiques. On peut aujourd'hui analyser de manière très détaillée les manifestations physiques associées aux activités biologiques et en donner une mesure quantitative très précise. L'histophysique entretient d'ailleurs des rapports étroits avec presque toutes les autres disciplines biologiques ; elle conduit à une meilleure compréhension de l'anatomie macroscopique et microscopique ; elle est une partie intégrante la recherche physiologique, ouvre la voie à l'étude de la pathologie générale et de l'anatomie pathologique ; enfin en médecine, elle fournit l'ensemble des notions qui sont nécessaires à la formation du pathologiste et du clinicien.

Le progrès de ces différentes branches de l'histologie n'est possible que grâce à l'amélioration incessante des techniques de travail. L'étude des tissus vivants, qui constitue l'idéal de l' histologie, se heurte malheureusement à de sérieuses difficultés : en effet l'objet en question ne peut avoir qu'une épaisseur minime, et la substance vivante transparente est constituée d'éléments, dont les indices de réfraction ne présentent que de très faibles différences. Des dispositifs optiques récents, tels le microscope à contraste de phase, ou l'usage des rayons ultra-violets et infrarouges associé à la photographie, permettent toutefois d'observer des détails très fins. Parmi les techniques qu'utilise la recherche moderne, signalons encore l'observation en champ obscur, l'emploi du microscope à fluorescence, du microscope polarisateur, l'histospectographie d'absorption et celle qui utilise les rayons Roentgen, la microscopie électronique, dont la pratique pose d'ailleurs une série de problèmes ardus quant à la préparation des tissus à examiner.

Si l'anatomie et l'histologie s'efforcent d'observer et d'étudier des structures plus ténues, de donner des mesures quantitatives plus précises, de localiser et de décrire les constituants premiers de la matière vivante, elles n'omettent pas de considérer les phénomènes dynamiques, qu'il s'agisse des processus stationnaires et réversibles considérés par l'histophysiologie normale, ou de modifications structurelles et fonctionnelles, souvent irréversibles, comme celles de l'histogénèse, de l'accroissement des tissus, de leur renouvellement, de leur vieillissement. Et on ne se contente pas de considérer ces divers aspects dans le développement normal des organismes, mais l'on crée expérimentalement, par la culture « in vitro », des changements du milieu de vie, qui mettent en évidence les possibilités insoupçonnées de la substance vivante.

En regardant progresser cette science à la fois si ancienne et si moderne, une question se pose tout naturellement : quel en sera le point d'aboutissement ? Le mystère des activités dont vous étudiez le substrat matériel, se révélera-t-il un jour aux yeux des savants, à qui de longues analyses auraient enfin permis d'expliquer entièrement la structure et les fonctions de la cellule et celles des tissus qui composent les différents organismes ? Ne faut-il pas plutôt, pour en percevoir la raison remonter des éléments premiers inertes, des édifices moléculaires complexes qui composent la cellule, vers le groupement de celles-ci en tissus et considérer ceux-ci à leur tour comme constituants des organes, et les organes eux-mêmes comme parties de l'être vivant, dont l'activité propre donne leur sens aux structures dont il est formé ? C'est ainsi que l'archéologue et l'artiste, devant un monument ancien, en cherchent la signification en étudiant non pas des pierres séparées, mais plutôt l'ordre de leur agencement qui trahit les intentions du constructeur. C'est la pensée première de celui-ci qui commande le choix et la disposition des matériaux et non l'inverse, bien que ceux-ci puissent à leur tour expliquer certaines dispositions secondaires. Pour expliquer la vie, il est nécessaire de la chercher à la source, là où elle se trouve en plénitude et d'en expliquer les formes inférieures à partir de la forme supérieure ; en d'autres termes, si le monde sensible manifeste les deux caractères inséparables de la matérialité et de la spiritualité, il serait vain d'expliquer l'esprit par la matière, de l'en faire sortir en quelque sorte. C'est l'intelligence humaine, qui construit la science des êtres matériels, qui rend raison de leur structure, qui agit sur eux pour les faire servir à ses fins. Et cette intelligence possède la vie à un degré supérieur, qui n'a avec celle des êtres sans raison qu'un rapport d'analogie.

Toutefois l'esprit de l'homme n'est pas à lui-même sa propre mesure il dépend à chaque instant, dans son existence et dans sa double activité spéculative et pratique, d'un être transcendant, qui lui impose ses responsabilités et lui fixe sa vocation. La plénitude de la vie ne se trouve qu'en Dieu, et c'est lui seul qu'il faut expliquer tout ce qui existe, l'homme mais aussi toutes les formes inférieures des vivants.

Nous avons vu que les enquêtes les plus détaillées de l'histologie devaient unir le point de vue dynamique à la considération des formes statiques. C'est là le premier pas de cette marche ascendante, à laquelle aucun savant digne de ce nom ne peut se dérober. Replacer chacune des branches de votre science dans l'ensemble, dont elle fait partie, prolonger l'étude du corps de homme par celle de son âme, et voir celle-ci dans le plan général du Créateur lui-même : voilà la tâche d'une science vraiment humaine et bâtie, non point comme un tout se suffisant à lui-même, mais afin de servir les fins les plus hautes auxquelles l'homme est destiné. L'une des tentations les plus redoutables de l'effort scientifique contemporain est sans doute celle d'ériger une citadelle orgueilleuse, une moderne tour de Babel, comme un défi de l'intelligence humaine à la souveraineté du Créateur. Mais vous, Messieurs, qui avez le privilège de consacrer vos travaux à l'étude de l'organisme humain, il vous appartient plus qu'à d'autres de rester en contact profond avec la source même de la vie, avec ce Dieu qui se révèle au cœur de ses enfants, bien plus encore que dans l'image imparfaite de la création visible. Puisse sa lumière éclairer sans cesse vos esprits et guider vos pas, pour que les patientes et difficiles recherches auxquelles vous vous livrez, loin de vous éloigner de Lui, vous y ramènent sans cesse et vous fassent trouver les biens qui ne passent pas.

En gage de ces précieuses faveurs, Nous vous accordons bien volontiers pour vous-mêmes, vos familles et vos collaborateurs Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
 Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 661 - 665
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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