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RENCONTRE AVEC LE CLERGÉ DE ROME

"LECTIO DIVINA" DU PAPE BENOÎT XVI

Salle des bénédictions
Jeudi 10 mars 2011

Eminence, Excellences et chers frères,

C'est pour moi une grande joie de vous retrouver, chaque année, au début du Carême — vous qui formez le clergé de Rome — et de commencer avec vous le chemin pascal de l'Eglise. Je voudrais remercier Monsieur le cardinal pour les belles paroles qu'il m'a offertes, vous remercier tous pour le travail que vous faites pour cette Eglise de Rome qui — selon saint Ignace — préside à la charité, et devrait être toujours aussi exemplaire dans sa foi. Nous faisons ensemble tout notre possible pour que cette Eglise de Rome réponde à sa vocation et pour que nous, dans cette «Vigne du Seigneur», soyons des travailleurs fidèles.

Nous avons écouté ce passage des Actes des Apôtres (20, 17-38), dans lequel saint Paul parle aux prêtres d'Ephèse, raconté volontairement par saint Luc comme un testament de l’Apôtre, comme un discours destiné non seulement aux prêtres d’Ephèse, mais aux prêtres de tous les temps. Saint Paul parle non seulement avec eux qui étaient présents en ce lieu, mais il parle réellement avec nous. Cherchons donc à comprendre un peu ce qu'il nous dit en ce moment.

Je commence: «Vous savez vous-mêmes de quelle façon... je n'ai cessé de me comporter avec vous» (v. 18) et à propos de ce comportement qu'il n'a cessé d'avoir, saint Paul dit en fin de compte: «nuit et jour, je n'ai cessé de reprendre… chacun d'entre vous» (v. 31). Cela veut dire que pendant tout ce temps il était l'annonciateur, le messager, l'ambassadeur du Christ pour eux; il était prêtre pour eux. En un certain sens, on pourrait dire qu'il était un prêtre travailleur, parce que — comme il le dit aussi dans ce passage — il a travaillé avec ses mains comme tisseur de tentes pour ne pas peser sur leurs biens, pour être libre, pour les laisser libres. Mais bien qu'il ait travaillé avec ses mains, toutefois pendant tout ce temps, il était prêtre, pendant tout ce temps, il les a avertis. En d'autres mots, même s'il n'était pas tout le temps extérieurement à disposition de la prédication, son cœur et son âme étaient toujours présents pour eux; il était pénétré de la Parole de Dieu, de sa mission. Cela me semble un point très important: l'on n'est pas prêtre à temps partiel; on l'est toujours, de toute son âme, de tout notre cœur. Cet être avec le Christ et cet être ambassadeur du Christ, cet être pour les autres, est une mission qui pénètre notre être et doit pénétrer toujours davantage dans la totalité de notre être.

Puis, saint Paul dit: «servant le Seigneur en toute humilité» (v. 19). «Servant»: un mot clé de tout l'Evangile. Le Christ lui-même dit: Je ne suis pas venu pour dominer, mais pour servir (cf. Mt 20, 28). Il est Serviteur de Dieu, et Paul et les Apôtres continuent à être des «serviteurs»; non pas des maîtres de la foi, mais des serviteurs de votre joie, dit saint Paul dans la Seconde Lettre aux Corinthiens (cf. 1, 24). «Servir», cela doit être déterminant pour nous aussi: nous sommes des serviteurs. Et servir veut dire ne pas faire ce que je me propose, ce qui serait pour moi la chose la plus agréable; servir veut dire me laisser imposer le poids du Seigneur, le joug du Seigneur; servir veut dire ne pas suivre mes préférences, mes priorités, mais réellement me «mettre au service» de l'autre. Cela veut dire que nous aussi nous devons faire souvent des choses qui n'apparaissent pas immédiatement spirituelles et qui ne répondent pas toujours à nos choix. Nous devons tous faire, depuis le Pape jusqu'au dernier des vicaires paroissiaux, des travaux d’administration, des travaux temporels; toutefois nous le faisons comme un service, comme une partie de ce que le Seigneur nous impose dans l'Eglise et nous faisons ce que l'Eglise nous dit et ce qu'elle attend de nous. Cet aspect concret du service est important, celui que nous ne choisissons pas de faire, mais nous sommes des serviteurs du Christ dans l'Eglise et nous travaillons comme l'Eglise nous le dit, où l'Eglise nous appelle, et nous essayons d'être ainsi: des serviteurs qui ne font pas leur propre volonté, mais la volonté du Seigneur. Dans l'Eglise, nous sommes réellement des ambassadeurs du Christ et des serviteurs de l'Evangile.

«Servant le Seigneur en toute humilité». «Humilité» aussi est un mot clé de l'Evangile, de tout le Nouveau Testament. Humilité, le Seigneur nous précède. Dans la Lettre aux Philippiens, saint Paul nous rappelle que le Christ, qui était au-dessus de nous tous, était réellement divin dans la gloire de Dieu, s'est humilié, est descendu en se faisant homme, en acceptant toute la fragilité de l'être humain, en allant jusqu'à l'obéissance ultime de la Croix (cf. 2, 5-8). Humilité ne veut pas dire fausse modestie — nous sommes reconnaissants des dons que le Seigneur nous a faits —, mais indique que nous sommes conscients que tout ce que nous pouvons faire est un don de Dieu, est donné pour le Royaume de Dieu. Nous travaillons dans cette humilité, dans ce refus d'apparaître. Nous ne demandons pas de louanges, nous ne voulons pas nous «faire voir». Le critère décisif est ce que dit Dieu et non penser à ce qu'on dira de nous dans les journaux ou ailleurs. C'est cela la vraie humilité: ne pas apparaître devant les hommes, mais être sous le regard de Dieu et travailler avec humilité pour Dieu et ainsi réellement servir également l'humanité et les hommes.

«En rien de ce qui vous était avantageux, je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire» (v. 20). Saint Paul revient, après quelques phrases, à nouveau sur ce point et il dit: «Je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous annoncer toute la volonté de Dieu» (v. 27). Cela est important, l'Apôtre ne prêche pas un christianisme «à la carte», selon ses propres goûts, il ne prêche pas un Evangile selon ses idées théologiques préférées; il ne se soustrait pas à l'engagement d'annoncer toute la volonté de Dieu, même la volonté inconfortable, même les sujets qui personnellement ne nous plaisent pas beaucoup. C'est notre mission d'annoncer toute la volonté de Dieu, dans sa totalité et son ultime simplicité. Mais le fait que nous devons enseigner et prêcher est important — comme le dit saint Paul — et proposer réellement la volonté totale de Dieu. Et je pense que le monde d’aujourd’hui est curieux de tout connaître, d'autant plus devrons-nous être curieux nous de connaître la volonté de Dieu: que pourrait-il y avoir de plus intéressant, de plus important, de plus essentiel pour nous que de connaître ce que veut Dieu, connaître la volonté de Dieu, le visage de Dieu? Cette curiosité intérieure devrait être aussi notre curiosité de connaître mieux, de manière plus complète, la volonté de Dieu. Nous devons répondre et réveiller cette curiosité chez les autres: connaître vraiment toute la volonté de Dieu et savoir ainsi comment nous pouvons et comment nous devons vivre, telle est la route de notre vie. Nous devrions donc faire connaître et comprendre — dans la mesure du possible — le contenu du Credo de l’Eglise, de la création jusqu’au retour du Seigneur, au monde nouveau. La doctrine, la liturgie, la morale, la prière — les quatre parties du Catéchisme de l’Eglise catholique — indiquent cet ensemble de la volonté de Dieu. Il est également important de ne pas nous perdre dans les détails, de ne pas donner l’idée que le christianisme est un ensemble immense de choses à apprendre. En fin de compte, c’est simple: Dieu s’est montré dans le Christ. Mais entrer dans cette simplicité — je crois en Dieu qui se montre dans le Christ et je veux voir et réaliser sa volonté — possède des contenus, et, selon les situations, nous entrons ou pas dans les détails, mais il est essentiel de faire comprendre d’une part la simplicité ultime de la foi. Croire en Dieu tel qu’il s’est montré dans le Christ est également la richesse intérieure de cette foi, les réponses qu’elle apporte à nos questions, notamment les réponses qui, au premier abord, ne nous plaisent pas mais qui représentent toutefois le chemin de la vie, le véritable chemin; dans la mesure où nous entrons dans ces choses, pour nous non plus pas très agréables, nous pouvons comprendre, nous commençons à comprendre ce qu’est réellement la vérité. Et la vérité est belle. La volonté de Dieu est bonne, c’est la bonté même.

Puis l’apôtre dit: «Je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé, adjurant juifs et grecs de se repentir envers Dieu et de croire en Jésus, notre Seigneur» (v. 20-21). Ici est résumé l’essentiel: conversion à Dieu, foi en Jésus. Mais arrêtons-nous un instant sur le mot «conversion», qui est le mot central ou l’un des mots centraux du Nouveau Testament. Il est intéressant — pour connaître les dimensions de ce mot — d’être attentifs ici aux divers termes bibliques: en hébreu «šub» signifie «changer de route», prendre une nouvelle direction dans la vie: en grec, metanoia, «changement de pensée», en latin «poenitentia», «mon action pour me laisser transformer»; en français: «conversion», qui coïncide plutôt avec le terme hébreu de «nouvelle direction dans la vie». Peut-être pouvons-nous percevoir de façon particulière la raison du mot du Nouveau Testament, le terme grec «metanoia», «changement de pensée». Dans un premier temps, la pensée apparaît typiquement grecque, mais en allant en profondeur, nous voyons qu’elle exprime réellement l’essentiel de ce que les autres langues disent également: changement de pensée, c’est-à-dire changement réel de notre vision de la réalité. Etant donné que nous sommes nés dans le péché originel, pour nous, la «réalité» sont les choses que nous pouvons toucher, ce sont l’argent, ma position, les choses de chaque jour que nous voyons au journal télévisé: c’est cela la réalité. Et les choses spirituelles apparaissent un peu cachées «derrière» la réalité, «Metanoia», changement de pensée, signifie renverser cette impression. Ce ne sont pas les choses matérielles, l’argent, le patrimoine, ou ce que je peux avoir qui est essentiel, qui est la réalité. La réalité des réalités est Dieu. Cette réalité invisible, apparemment éloignée de nous, est la réalité. Apprendre cela, et ainsi renverser notre pensée, juger véritablement que le réel qui doit orienter toute chose, c’est Dieu, ce sont les paroles, la parole de Dieu. Tel est le critère, Dieu, le critère de tout ce que je fais. Il s’agit réellement d’une conversion, si mon concept de réalité est changé, si ma pensée est changée. Et cela doit ensuite imprégner chaque aspect de ma vie: pour juger chaque chose, prendre comme critère ce que Dieu dit sur cela. Telle est la chose essentielle: non pas ce que je réussis à obtenir à présent pour moi aujourd’hui, non pas le bénéfice ou l’inconvénient que j’en tirerai, mais la véritable réalité, nous orienter vers cette réalité. Au cours du Carême, qui est un chemin de conversion, nous devons véritablement — me semble-t-il — accomplir chaque année à nouveau cette inversion du concept de réalité, c’est-à-dire que Dieu est la réalité, le Christ est la réalité et le critère de mon action et de ma pensée: accomplir cette nouvelle orientation de notre vie. Et ainsi, le terme latin «poenitentia» lui aussi, qui apparaît un peu trop extérieur et sans doute activiste, devient réel: exercer cela signifie exercer la domination de moi-même, me laisser transformer, ainsi que toute ma vie, par la Parole de Dieu, par la pensée nouvelle qui vient du Seigneur et qui me montre la véritable réalité. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de pensée, d’esprit, mais il s’agit de la totalité de mon être, de ma vision de la réalité. Ce changement de la pensée, qui est conversion, touche mon cœur et unit esprit et cœur, et met fin à cette séparation entre esprit et cœur, et intègre ma personnalité dans le cœur qui est ouvert par Dieu et qui s’ouvre à Dieu. Et ainsi je trouve la voie, la pensée devient foi, c’est-à-dire placer ma confiance dans le Seigneur, m’en remettre au Seigneur, vivre avec Lui et entreprendre son chemin en se plaçant véritablement à la suite du Christ.

Saint Paul poursuit: «Et maintenant voici qu'enchaîné par l'Esprit je me rends à Jérusalem, sans savoir ce qui m'y adviendra, sinon que, de ville en ville, l'Esprit Saint m'avertit que chaînes et tribulations m'attendent. Mais je n'attache aucun prix à ma propre vie, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus: rendre témoignage à l'Evangile de la grâce de Dieu» (v. 22-24). Saint Paul sait que ce voyage à Jérusalem lui coûtera probablement la vie: ce sera un voyage vers le martyre; ici, nous devons tenir compte de la raison de son voyage. Il se rend à Jérusalem pour remettre à cette communauté, à l’Eglise de Jérusalem, la somme pour les pauvres recueillie dans le monde des païens. Il s’agit donc d’un voyage de charité, mais bien plus: il s’agit d’une expression de la reconnaissance de l’unité de l’Eglise entre juifs et païens, il s’agit d’une reconnaissance formelle du primat de Jérusalem à cette époque, du primat des premiers apôtres, une reconnaissance de l’unité et de l’universalité de l’Eglise. Dans ce sens, le voyage possède une signification ecclésiologique et également christologique, parce que pour lui, cette reconnaissance possède une grande valeur, de même que cette expression visible de l’unicité et de l’universalité de l’Eglise, qui met en compte également le martyre. L’unité de l’Eglise vaut le martyre. Ainsi, il dit: «je n'attache aucun prix à ma propre vie, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j'ai reçu» (v. 24). La pure survie biologique — dit saint Paul — n’est pas la valeur primordiale pour moi; la valeur primordiale pour moi est de réaliser ce service; la valeur primordiale pour moi est d’être avec le Christ; vivre avec le Christ est la véritable vie. Même s’il perd cette vie biologique, il ne perd pas la vraie vie. En revanche, s’il perdait la communion avec le Christ pour conserver la vie biologique, il aurait perdu la vie elle-même, l’essentiel de son être. Cela aussi me semble important: savoir quelles sont les justes priorités. Nous devons certainement être attentifs à notre santé, travailler raisonnablement, mais également savoir que la valeur ultime est demeurer dans la communion avec le Christ; vivre notre service et le perfectionner mène la course à bonne fin. Peut-être pouvons-nous nous arrêter encore un instant sur cette expression «pourvu que je mène ma course à bonne fin». Jusqu’au bout, l’Apôtre veut être le serviteur de Jésus, l’ambassadeur de Jésus pour l’Evangile de Dieu. Il est important que, même dans la vieillesse, même si les années passent, nous ne perdions pas notre zèle, la joie d’être appelés par le Seigneur. Il est facile, dirais-je, dans un certain sens, au début du chemin sacerdotal d’être emplis de zèle, d’espérance, de courage, d’activité, mais l’on peut ensuite facilement perdre un peu de cet enthousiasme, lorsque l’on voit la façon dont vont les choses, dont le monde demeure toujours le même, dont le service devient lourd. Revenons toujours à la Parole de Dieu, à la prière, à la communion avec le Christ dans le sacrement — cette intimité avec le Christ — et laissons que soient renouvelés notre jeunesse spirituelle, le zèle, la joie de pouvoir aller avec le Christ jusqu’à la fin, de «mener la course à son terme», toujours dans l’enthousiasme d’être appelés par le Christ pour ce grand service, pour l’Evangile de la grâce de Dieu. Et cela est important. Nous avons parlé d’humilité, de cette volonté de Dieu, qui peut être dure. A la fin, le titre de tout l’Evangile de la Grâce de Dieu est «Evangile», la «Bonne Nouvelle» que Dieu nous connaît que Dieu m’aime, et que l’Evangile, la volonté ultime de Dieu est la Grâce. Rappelons-nous que la course de l’Evangile commence à Nazareth, dans la chambre de Marie, par l’expression «Je te salue Marie», qui en grec est «Chaire kecharitomene»: «Réjouis-toi, car tu es dans la grâce!». Et cette expression demeure le fil conducteur: l’Evangile est une invitation à la joie car nous sommes dans la Grâce, et la dernière parole de Dieu est la Grâce.

Puis vient le passage sur le martyre imminent. Ici, il y a une phrase très importante, que je voudrais méditer avec vous: «Soyez attentifs à vous-mêmes, et à tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a établis gardiens pour paître l'Eglise de Dieu, qu'il s'est acquise par le sang de son propre fils» (v. 28). Commençons par le mot: «Soyez attentifs». Il y a quelques semaines, j’ai consacré une catéchèse à saint Pierre Canisius, apôtre de l’Allemagne à l’époque de la Réforme, et une phrase de ce saint m’est restée à l’esprit; une phrase qui était pour lui un cri d’angoisse à son époque historique. Il dit: «Voyez, Pierre dort, Judas veille». C’est une phrase qui nous fait réfléchir: la somnolence des bons. Le Pape Pie xia dit: «Le grand problème de notre temps, ce ne sont pas les puissances néfastes, mais la somnolence des bons».

«Soyez attentifs»: méditons cela, et pensons que le Seigneur, dans le jardin des Oliviers, répète par deux fois à ses disciples: «Soyez attentifs», alors qu’eux dorment. «Soyez attentifs», nous dit-il; efforçons-nous de ne pas dormir en ce moment, mais d’être réellement prêts pour la volonté de Dieu et pour la présence de sa Parole, de son Royaume.

«Veillez sur vous-mêmes» (v. 28): il s’agit là aussi d’une parole adressée aux prêtres de tous les temps. Il existe un activisme bien intentionné, mais dans lequel on perd son âme, sa propre vie spirituelle, son propre être avec le Christ. Saint Charles Borromée, dans la lecture du Bréviaire de sa fête liturgique, nous dit chaque année à nouveau: tu ne peux pas être un bon serviteur pour les autres si tu négliges ton âme. «Veillez sur vous-mêmes»: soyons attentifs également à notre vie spirituelle, à notre être avec le Christ. Comme je l’ai dit de nombreuses fois: prier et méditer la Parole de Dieu n’est pas du temps perdu pour le soin des âmes, mais est la condition pour que nous puissions être réellement en contact avec le Seigneur et parler ainsi de manière directe du Seigneur aux autres. «Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau où l’Esprit Saint vous a placés comme responsables, pour être les pasteurs de l’Eglise de Dieu» (v. 28) Ici, deux termes sont importants. En premier lieu: «où l’Esprit Saint vous a placés»; c’est-à-dire, le sacerdoce n’est pas une réalité dans laquelle on trouve un travail, une profession utile, belle, qui plaît et que l’on choisit. Non! Nous sommes placés par l’Esprit Saint. Seul Dieu peut faire de nous des prêtres, seul Dieu peut choisir ses prêtres et, si nous sommes choisis, nous sommes choisis par Lui. Ici apparaît clairement le caractère sacramentel de la prêtrise et du sacerdoce, qui n’est pas une profession qui doit être exercée parce que quelqu’un doit administrer les choses, doit aussi prêcher. Ce n’est pas une chose que nous faisons nous-mêmes, simplement. C’est une élection de l’Esprit Saint et dans cette volonté de l’Esprit Saint, volonté de Dieu, nous vivons et nous cherchons toujours plus à nous laisser prendre par la main par l’Esprit Saint, par le Seigneur lui-même. En deuxième lieu: «placés comme responsables, pour être les pasteurs». Le terme qui ici, dans la traduction française, retentit comme «responsables» est en grec «episkopos». Saint Paul s’adresse aux prêtres, mais ici il les appelle «episkopoi». Nous pouvons dire que, dans l’évolution de la réalité de l’Eglise, les deux ministères n’étaient pas encore clairement divisés et distincts, ils sont encore de manière évidente l’unique sacerdoce du Christ et ces derniers, les prêtres, sont également «episkopoi». Le mot «prêtre» vient surtout de la tradition juive, où régnait le système des «anciens», des «prêtres», alors que le mot «episkopos» a été créé — ou trouvé — dans le cadre de l’Eglise des païens, et vient du langage de l’administration romaine. Les «Episkopoi» sont ceux qui surveillent, qui ont une responsabilité administrative en surveillant le déroulement des choses. Les chrétiens ont choisi ce mot dans le cadre païen-chrétien pour exprimer la charge du sacerdoce, du prêtre, mais naturellement cela a immédiatement changé la signification du mot. Le mot «episkopoi» a immédiatement été identifié avec le mot «pasteurs». C’est-à-dire que surveiller signifie «faire paître», faire le travail du pasteur: en réalité, cela est imédiatement devenu «poimainein», «paître» l’Eglise de Dieu. Cela est pensé dans le sens de cette responsabilité pour les autres, de cet amour pour le troupeau de Dieu. Et n’oublions pas que, dans l’antique Orient, «pasteur» était le titre des rois: ils sont les pasteurs du troupeau, qui est le peuple. Ensuite, le roi-Christ transforme intérieurement — étant le vrai roi — ce concept. Il est le pasteur qui se fait agneau, le pasteur qui se fait tuer pour les autres, pour les défendre contre le loup; le pasteur dont la première signification est d’aimer ce troupeau et lui donner ainsi la vie, le nourrir, le protéger. Peut-être est-ce là les deux concepts centraux pour cette tâche de «pasteur»: nourrir en faisant connaître la Parole de Dieu, non seulement avec les mots, mais en la témoignant par la volonté de Dieu; et protéger avec la prière, avec tout l’engagement de sa propre vie. Pasteurs, l’autre signification qu’ont perçu les Pères dans la parole chrétienne «episkopoi» est: quelqu’un qui surveille non comme un bureaucrate, mais comme quelqu’un qui voit du point de vue de Dieu, qui marche vers la hauteur de Dieu et, dans la lumière de Dieu, voit cette petite communauté de l’Eglise. Cela est important également pour un pasteur de l’Eglise, pour un prêtre, un «episkopos»: voir du point de vue de Dieu, chercher à voir d’en haut, selon le critère de Dieu et non selon ses propres préférences, mais de la manière dont Dieu juge. Voir de cette hauteur de Dieu et aimer ainsi avec Dieu et pour Dieu.

«Etre les pasteurs de l’Eglise de Dieu, qui lui appartient grâce au sang qu’a versé son propre Fils» (v. 28). Nous trouvons ici une parole centrale sur l’Eglise. L’Eglise n’est pas une organisation qui s’est formée peu à peu; l’Eglise est née de la Croix. Le Fils a acquis l’Eglise dans la Croix et pas seulement l’Eglise de ce moment, mais l’Eglise de tous les temps. Il a acquis avec son sang cette portion du peuple, du monde, pour Dieu. Et il me semble que cela doit nous faire réfléchir. Le Christ, Dieu a créé l’Eglise, la nouvelle Eve, avec son sang. Ainsi il nous aime et il nous a aimés, et cela est vrai à chaque instant. Et cela doit également nous faire comprendre que l’Eglise est un don; être heureux d’être appelés à être Eglise de Dieu; éprouver la joie d’appartenir à l’Eglise. Il y a aussi, bien sûr, toujours des aspects négatifs, difficiles, mais au fond cela doit rester comme cela: c’est un très beau don que je peux vivre dans l’Eglise de Dieu, dans l’Eglise que le Seigneur s’est acquise par son sang. Etre appelés à connaître réellement le visage de Dieu, connaître sa volonté, connaître sa Grâce, connaître cet amour suprême, cette Grâce qui nous guide et nous tient par la main. Bonheur d’être Eglise, joie d’être Eglise. Il me semble que nous devons réapprendre cela. La peur du triomphalisme nous a peut-être un peu fait oublier qu’il est beau d’être dans l’Eglise, et cela n’est pas du triomphalisme, mais c’est de l’humilité, être reconnaissants pour le don du Seigneur.

Immédiatement après, il est dit que cette Eglise est toujours non seulement un don de Dieu et divine, mais qu’elle est aussi très humaine: «des loups féroces s’introduiront» (v. 29). L’Eglise est toujours menacée, il y a toujours du danger, l’opposition du diable qui n’accepte pas que dans l’humanité soit présent ce nouveau peuple de Dieu, qu’il y ait la présence de Dieu dans une communauté vivante. On ne doit donc pas s’étonner qu’il y ait toujours des difficultés, qu’il y ait toujours des mauvaises herbes dans le champ de l’Eglise. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. Mais nous devons être conscients, avec joie, que la vérité est plus forte que le mensonge, l’amour est plus fort que la haine, Dieu est plus fort que toutes les forces qui Lui sont contraires. Et avec cette joie, avec cette certitude intérieure, nous prenons notre route inter consolationes Dei et persecutiones mundi, dit le Concile Vatican ii (cf. Const. dogm. Lumen gentium, 8): entre les consolations de Dieu et les persécutions du monde.

Et à présent l’avant-dernier verset. A ce point, je ne voudrais plus entrer dans les détails: à la fin apparaît un élément important de l’Eglise, du fait d’être chrétiens. «Je vous ai toujours montré qu’il faut travailler ainsi pour secourir les faibles, en nous rappelant les paroles du Seigneur Jésus, car lui-même a dit: “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir”» (cf. v. 35). L’option préférentielle pour les pauvres, l’amour pour les plus faibles est fondamental pour l’Eglise, est fondamental pour le service de chacun de nous: être attentifs avec un grand amour pour les plus faibles, même s’ils ne sont peut-être pas sympathiques, s’ils sont difficiles. Mais ils attendent notre charité, notre amour, et Dieu attend notre amour. En communion avec le Christ, nous sommes appelés à secourir avec notre amour, à travers nos actions, les plus faibles.

Enfin, le dernier verset: «Quand Paul eut ainsi parlé, il se mit à genoux et il pria avec eux tous» (v. 36). A la fin, le discours devint prière et Paul s’agenouilla. Saint Luc nous rappelle qu’au Jardin des Oliviers, le Seigneur priait aussi à genoux, et il nous dit que saint Etienne aussi, au moment du martyre, s’est agenouillé pour prier. Prier à genoux signifie adorer la grandeur de Dieu dans notre faiblesse, reconnaissants que le Seigneur nous aime précisément dans notre faiblesse. Derrière cela apparaît la parole de saint Paul dans la Lettre aux Philippiens, qui est la transformation christologique d’une parole du prophète Isaïe, quand il dit, dans le chapitre 45, que le monde entier, le ciel, la terre et ce qui est sous la terre, s’agenouillera devant le Dieu d’Israël (cf. Is 45, 23). Et saint Paul précise: Le Christ est descendu du ciel à la croix, l’obéissance ultime. Et en ce moment se réalise cette parole du prophète: devant le Christ crucifié, l’univers tout entier, les cieux, la terre et ce qui est sous la terre, s’agenouille (cf. Ph 2, 10-11). Il est réellement l’expression de la véritable grandeur de Dieu. L’humilité de Dieu, l’amour jusqu’à la croix, nous démontre qui est Dieu. Devant Lui nous sommes agenouillés, en adoration. Etre agenouillés n’est plus l’expression de la servitude, mais précisément de la liberté que nous donne l’amour de Dieu, la joie d’être rachetés, de se rassembler, avec le ciel et la terre, avec tout l’univers, pour adorer le Christ, être unis au Christ et être ainsi rachetés.

Le discours de saint Paul finit dans la prière. Nous prions le Seigneur afin qu’il nous aide à être toujours davantage pénétrés par sa Parole, toujours plus des témoins et pas seulement des maîtres, à être toujours plus des prêtres, des pasteurs, «episkopoi», c’est-à-dire ceux qui voient Dieu et accomplissent le service de l’Evangile de Dieu, le service de l’Evangile de la Grâce.

 



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