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VOYAGE APOSTOLIQUE
DU PAPE FRANÇOIS
EN RÉPUBLIQUE DE CORÉE
À L'OCCASION DE LA VIe JOURNÉE DE LA JEUNESSE ASIATIQUE

(13-18 AOÛT 2014)

CONFÉRENCE DE PRESSE DU PAPE FRANÇOIS
DANS LE VOL DE LA CORÉE À ROME

Lundi 18 août 2014

  

Sainteté, bienvenue parmi nous pour l’ultime rendez-vous de ce voyage qui a été très intense mais qui nous semble bien réussi : au moins, vous donnez l’impression d’être satisfait, vous avez donné l’impression de vous sentir bien et nous en avons été très contents. Alors, pour cette rencontre, je crois qu’elle se déroulera selon le style des deux précédentes que nous avons eues avec vous ; nous nous sommes organisés en nous divisant par groupes linguistiques et puis, dans chaque groupe, quelques collègues qui poseront les questions ont été choisis. Nous en avons un bon nombre… Lorsque vous serez fatigué, vous nous direz que cela suffit et nous nous arrêtons ; autrement, nous continuons.

Donc, nous voulons commencer avec un représentant du groupe asiatique et nous invitons à venir ici au micro Sung Jin Park, du Yonhap News : c’est l’agence coréenne. J’annonce aussi qui doit se préparer, de manière qu’il commence à s’approcher, pour que nous ne perdions pas trop de temps à l’attendre. La deuxième question sera posée par Alan Holdren, di Ewtn.

Sainteté, voulez-vous nous dire quelque chose pour introduire ? Vous avez la parole et puis nous la donnerons au collègue coréen.

(Le Pape François)

Bonjour. Merci beaucoup pour votre travail qui a été très absorbant. Merci pour ce que vous avez fait et maintenant pour l’attention en vue de cet entretien. Merci beaucoup.

(Père Lombardi)

Alors, nous donnons la parole à Sung Park.

(Sung Jin Park)

Je m’appelle Sung Jin Park, journaliste du South Korean News Agency Yonhap. Saint-Père, au nom des journalistes coréens et de notre peuple, je désire vous remercier de votre visite. Vous avez apporté le bonheur à beaucoup de gens en Corée. Et merci aussi pour l’encouragement à l’unification de notre pays. Saint-Père, durant votre visite en Corée, vous vous êtes adressé en premier lieu aux familles des victimes de la tragédie du ferry Sewol et vous les avez consolées. J’ai deux questions. La première : qu’avez-vous éprouvé quand vous les avez rencontrées ? La deuxième : n’avez-vous pas craint que votre geste puisse être mal compris politiquement ?

(Le Pape François)

Quand tu te trouves en face de la douleur humaine, tu dois faire ce que ton cœur te porte à faire. Ensuite on dira : « Il a fait ceci parce qu’il a telle intention politique ou telle autre…. ». On peut dire tout. Mais quand tu penses à ces hommes, à ces femmes, pères et mères, qui ont perdu des fils, des frères et sœurs, à la douleur si grande d’une catastrophe, je ne sais pas, mon cœur… moi je suis prêtre, et je sens que je dois m’approcher ! Je le sens ainsi ; c’est la première chose. Je sais que la consolation que pourra donner ma parole n’est pas un remède, elle ne rend pas la vie à ceux qui sont morts ; mais la proximité humaine dans ces moments nous donne la force, il y a la solidarité… Je me rappelle qu’en tant qu’Archevêque de Buenos Aires j’ai vécu deux catastrophes de ce type : l’une, un incendie d’une salle de danse, où se déroulait un concert de musique pop : 193 personnes sont décédées ! Et puis, une autre fois, une catastrophe de train ; je crois que 120 personnes sont décédées. Et moi, dans ces moments, j’ai senti la même chose : la nécessité de m’approcher. La douleur humaine est forte, et, si dans ces moments tristes nous nous rapprochons, nous nous aidons beaucoup. Et au sujet de cette question, pour finir, je voudrais ajouter une chose. J’ai pris ceci [un badge répandu en Corée comme signe de solidarité envers les victimes du ferry Sewol]. Après l’avoir porté une demi journée - je l’ai pris par solidarité avec eux - quelqu’un s’est approché et m’a dit : « C’est mieux de l’enlever…. Vous devez être neutre… ». « Mais, écoute, avec la douleur humaine, on ne peut être neutre ». J’ai répondu ainsi. C’est ce que je sens. Merci de ta question, merci.

C’est le tour de qui à présent ?

(Père Lombardi)

Alan Holdren di Ewtn.

(Le Pape François)

Et après ? [ils rient]

(Père Lombardi)

Puis après, c’est Jean-Louis de la Vaissière, du groupe français.

(Alan Holdren)

Sainteté, je m’appelle Alan Holdren, je travaille pour la Catholic News Agency, ACI Prensa à Lima, au Pérou, et aussi pour Ewtn. Comme vous le savez, les forces militaires des États-Unis depuis peu ont commencé à bombarder des terroristes en Iraq pour prévenir un génocide, pour protéger l’avenir des minorités – je pense aussi aux catholiques sous votre guide. Approuvez-vous ce bombardement américain ?

(Le Pape François)

Merci de votre question si claire. Dans ces cas où il y a une agression injuste, je peux seulement dire qu’il est licite d’arrêter l’agresseur injuste. Je souligne le verbe : arrêter. Je ne dis pas bombarder, faire la guerre, mais l’arrêter. Les moyens par lesquels on peut arrêter, devront être évalués. Arrêter l’agresseur injuste est licite. Mais nous devons aussi avoir de la mémoire ! Combien de fois, avec cette excuse d’arrêter l’agresseur injuste, les puissances se sont emparées des peuples et ont fait une vraie guerre de conquête ! Une seule nation ne peut juger de la façon d’arrêter un agresseur injuste. Après la Seconde Guerre Mondiale, est venue l’idée des Nations-Unies : là, on doit discuter, et dire : « Est-ce un agresseur injuste ? Il semble que oui. Comment l’arrêtons-nous ? ». Seulement cela, rien de plus. En second lieu, les minorités. Merci pour ce mot. Parce que l’on me dit : « Les chrétiens, pauvres chrétiens… » Et c’est vrai, ils souffrent. Les martyrs, oui, il y a beaucoup de martyrs. Mais ici, il y a des hommes et des femmes, des minorités religieuses, pas toutes chrétiennes, et tous sont égaux devant Dieu. Arrêter l’agresseur injuste est un droit de l’humanité, mais aussi un droit de l’agresseur, d’être arrêté pour ne pas faire du mal.

(Père Lombardi)

Jean-Louis de la Vaissière, de France Presse. Fabio Zavattaro se prépare.

(Jean-Louis de la Vaissière, France Presse)

Bonsoir, Saint-Père. Retournons au thème iraquien. Comme le Cardinal Filoni, avec le Supérieur des Dominicains Cadoré, serez-vous prêt, Sainteté, à soutenir une intervention militaire sur le terrain en Iraq pour arrêter les djihadistes ? Et puis, j’avais une autre question : Pensez-vous aller un jour en Iraq, peut-être au Kurdistan, pour soutenir les réfugiés chrétiens qui vous attendent, et prier avec eux sur cette terre où ils vivent depuis deux mille ans ?

(Le Pape François)

Merci. J’ai été il y a peu de temps avec le Président du Kurdistan, et il avait un avis très clair sur la situation, sur comment trouver des solutions… Mais c’était avant cette dernière agression. À la première question j’ai répondu : je suis d’accord sur le fait que, lorsqu’il y a un agresseur injuste, il doit être arrêté. Ah, oui, pardonnez-moi, j’oubliais ça. Oui, je suis disponible, mais je crois que je peux dire ceci : quand nous avons été informés, avec mes collaborateurs, de cette situation des minorités religieuses, et aussi du problème, en ce moment, du Kurdistan, qui ne pouvait pas recevoir tant de monde – c’est un problème, on comprend, il ne pouvait pas – nous nous sommes dits : que pouvons-nous faire ? Nous avons pensé à beaucoup de choses. Avant tout, nous avons écrit le communiqué que le père Lombardi a fait en mon nom. Puis, ce communiqué a été envoyé à toutes les Nonciatures pour qu’il soit transmis aux gouvernants. Ensuite, nous avons écrit une lettre au Secrétaire Général des Nations Unies… Beaucoup de choses… Et, à la fin, nous avons décidé de dépêcher un Envoyé personnel, le Cardinal Filoni. Et enfin nous avons dit : si cela est nécessaire, quand nous revenons de Corée, nous pouvons aller là-bas. C’était une des possibilités. Voilà la réponse : je suis disponible. En ce moment ce n’est pas la meilleure chose à faire, mais je suis prêt à cela.

(Père Lombardi)

Fabio Zavattaro, et Paloma Garcia Ovejero de la Cope se prépare.

(Fabio Zavattaro)

Je demande pardon, un petit problème pour arriver. Très Saint-Père, vous êtes le premier Pape qui a pu survoler la Chine. Le télégramme que vous avez envoyé au Président chinois a été accueilli sans commentaires négatifs. Pensez-vous que ce sont des pas en avant vers un dialogue possible ? Auriez-vous le désir d’aller en Chine ?

(Père Lombardi)

Sommes-nous dans l’espace aérien chinois à présent ? Oui, je peux annoncer que nous sommes dans l’espace aérien chinois en ce moment, la question est donc pertinente…

(Le Pape François)

Et quand nous allions entrer dans l’espace aérien chinois, j’étais dans le cockpit avec les pilotes, et l’un d’eux m’a fait voir là un registre, et il a dit : « il manque dix minutes pour entrer dans l’espace aérien chinois, nous devons demander l’autorisation. On la demande toujours, c’est une chose normale, on la demande à tous les pays ». Et j’ai entendu comment ils demandaient l’autorisation, comment on répondait… J’ai été témoin de cela. Et le pilote a dit : « Maintenant on envoie le télégramme », mais je ne sais pas comment ils ont fait. Ainsi… Ensuite je les ai quittés, je suis retourné à ma place et j’ai prié beaucoup pour ce grand et noble peuple chinois, un peuple sage… Je pense aux grands sages chinois, une histoire de science, de sagesse… Les jésuites aussi : nous avons là une histoire, avec le père Ricci… Et toutes ces choses me venaient. Si j’ai envie d’aller en Chine ? Mais bien sûr : demain ! Eh, oui. Nous respectons le peuple chinois ; seulement, l’Église demande la liberté pour sa mission, pour son travail ; aucune autre condition. Et puis, il ne faut pas oublier ce document fondamental pour la question chinoise qu’a été la Lettre envoyée aux Chinois par le Pape Benoît XVI. Cette lettre est actuelle aujourd’hui, elle est d’actualité. La relire fait du bien. Et toujours le Saint Siège est ouvert aux contacts : toujours, parce qu’il a une véritable estime pour le peuple chinois.

(Père Lombardi)

Paloma Garcia Ovejero est de la Cope, la radio catholique espagnole ; et se prépare Johannes Schidelko, de la Kna.

(Paloma Garcia Ovejero)

Bien, le prochain voyage sera en Albanie. Peut-être l’Iraq. Puis, les Philippines et le Sri Lanka… Mais où irez-vous en 2015 ? Et je vous dis aussi : vous savez qu’à Avila et à Alba de Tormes il y a beaucoup d’attente : peuvent-ils encore espérer ?

(Le Pape François)

Oui oui…Madame le Président de la République de Corée, dans un espagnol parfait, m’a dit : « La esperanza es lo ultimo que se pierde ». M’a-t-elle parlé comme ça en se référant à l’unification de la Corée ? J’ai envie de dire ceci : on peut espérer, mais ce n’est pas décidé.

(Paloma Garcia Ovejero)

Mais ensuite : le Mexique, Philadelphie… ?

(Le Pape François)

Non, je t’explique maintenant. Cette année est prévue l’Albanie, c’est vrai. Certains disent que le Pape a l’habitude de toujours commencer par les périphéries. Mais non, je vais en Albanie pourquoi ? Pour deux raisons importantes. Premièrement, parce qu’ils ont réussi à former un gouvernement – pensons aux Balkans ! – un gouvernement d’unité nationale entre musulmans, orthodoxes et catholiques, avec un conseil interreligieux qui aide beaucoup et qui est équilibré. Et ça va bien, c’est harmonisé. La présence du Pape, c’est pour dire à tous les peuples : « on peut travailler ensemble ! » Je l’ai senti comme si c’était une véritable aide pour ce noble peuple. Et l’autre chose : si nous pensons à l’histoire de l’Albanie, elle a été religieusement l’unique pays communiste qui avait dans sa Constitution l’athéisme pratique. Si tu allais à la Messe, c’était anticonstitutionnel. Et puis, un des ministres me disait qu’ont été détruites – je veux être précis dans le nombre – 1820 églises. Détruites ! Orthodoxes, catholiques… à cette époque. Et aussi, d’autres églises ont été transformées en cinéma, en théâtre, en salle de bal… J’ai senti que je devais y aller : c’est proche, cela se fait en une journée… Ensuite, l’an prochain, je voudrais aller à Philadelphie, à la rencontre des familles ; et j’ai été aussi invité par le Président des États-Unis au Parlement américain, et aussi par le Secrétaire des Nations Unies, à New York : peut-être les trois villes ensemble… Le Mexique : les Mexicains veulent que j’aille à la Vierge de Guadalupe ; on pourra profiter de ce voyage, mais ce n’est pas sûr. Et enfin, l’Espagne. Le Roi et la Reine m’ont invité, et l’épiscopat m’a invité… il y a une pluie d’invitations pour aller en Espagne : Saint Jacques de Compostelle… c’est peut-être possible, mais je n’en dis pas plus parce que ce n’est pas décidé ; aller le matin à Avila et à Alba de Tormes, et retourner l’après midi… Ce serait possible…

(Paloma Garcia Ovejero)

C’est possible…

(Le Pape François)

Oui, mais ce n’est pas décidé. C’est la réponse. Merci à toi.

(Père Lombardi)

Johannes Schidelko de l’Agence catholique allemande. Yoshimori Fukushima, du Japon, se prépare pour la question suivante.

(Johannes Schidelko)

Merci. Sainteté, quel type de relations y a-t-il entre vous et Benoît XVI ? Existe-t-il entre vous un fréquent échange d’opinions, d’idées, existe-t-il un projet commun après à cette Encyclique ?

(Le Pape François)

Nous nous voyons… Avant de partir, je suis allé le rencontrer. Et lui, deux semaines auparavant, m’avait envoyé un écrit intéressant : il demandait mon avis… Et nous avons une relation normale parce que je reviens à cette idée, qui ne plaît peut-être pas à l’un ou l’autre théologien - je ne suis pas théologien - : je pense que le Pape émérite n’est pas une exception, mais après tant de siècle, c’est le premier émérite. Pensons, oui, comme lui a dit : ‘‘J’ai pris de l’âge, je n’ai plus les forces’’. Cela été un beau geste de noblesse, et aussi d’humilité et de courage. Moi, je pense : il y a 70 ans, les Évêques émérites étaient aussi une exception, ils n’existaient pas. Aujourd’hui, les Évêques émérites sont une institution. Je pense que le ‘‘Pape émérite’’ est déjà une institution. Pourquoi ? Parce que notre vie s’allonge et, à un certain âge, il n’y a plus la capacité de bien gouverner, parce que le corps se fatigue ; la santé est peut-être bonne, mais il n’y a plus la capacité d’affronter tous les problèmes d’un gouvernement comme celui de l’Église. Et je pense que le Pape Benoît XVI a fait ce geste qui, de fait, institue les Papes émérites. Je le répète : peut-être l’un ou l’autre théologien me dira que ce n’est pas juste, mais moi je pense ainsi. Les siècles diront si c’est ainsi ou non, nous verrons. Vous me direz : ‘‘Et si vous, vous ne sentez plus la force, un jour, de continuer ?’’. Je ferais de même, je ferais de même ! Je prierai beaucoup, mais je ferais de même. Il a ouvert une porte qui est institutionnelle, et non pas exceptionnelle. Notre relation est fraternelle, vraiment. J’ai aussi dit que je le prends comme si j’avais le grand-père à la maison, pour la sagesse : c’est un homme plein de sagesse, avec les nuances, qu’il me fait du bien d’écouter. Et il m’encourage aussi beaucoup. Voilà la relation que nous avons avec lui.

(Père Lombardi)

A présent, nous avons Yoshimori Fukushima du Mainichi Shimbun : nous sommes retournés en Asie. Il est japonais. Et Deborah Ball, du Wall Street Journal, se prépare.

(Yoshimori Fukushima)

Pape François, pour commencer, mille fois merci pour votre première visite en Asie. Au cours de ce voyage, vous avez rencontré des personnes qui ont souffert. Qu’avez-vous éprouvé lorsque vous avez salué les sept « femmes de réconfort » à la Messe de ce matin ? En ce qui concerne la souffrance des personnes, comme en Corée, il y avait des chrétiens cachés aussi au Japon, et l’année prochaine, aura lieu le 150ème anniversaire de leur ‘‘ré-émersion’’. Sera-t-il possible de prier pour eux ensemble avec vous à Nagasaki ? Mille fois merci.

(Le Pape François)

Ce serait très beau, ce serait très beau ! J’ai été invité : aussi bien par le Gouvernement que par l’épiscopat ; j’ai été invité. Les souffrances… Vous revenez à l’une des premières questions. Le peuple coréen est un peuple qui n’a pas perdu la dignité. Il a été un peuple envahi, humilié ; il a subi des guerres, à présent il est divisé, avec beaucoup de souffrances. Hier, quand je suis allé à la rencontre des jeunes, j’ai visité le Musée des martyrs. Elle est terrible, la souffrance de ces gens, simplement pour ne pas fouler aux pieds la Croix ! C’est une douleur ou une souffrance historique. Ce peuple a la capacité de souffrir, et ceci fait aussi partie de sa dignité. Aujourd’hui encore, quand ces femmes âgées, étaient là, devant, à la messe : penser que lors de cette invasion, elles ont été emmenées, jeunes filles, dans les casernes, pour être exploitées… et elles n’ont pas perdu leur dignité. Aujourd’hui elles se montraient à visage découvert, âgées, les dernières survivantes… C’est un peuple fort dans sa dignité. Mais retournant à ces réalités du martyre, de la souffrance, et aussi de ces femmes: ce sont les fruits de la guerre ! Et aujourd’hui, nous sommes dans un monde en guerre, partout ! Quelqu’un me disait : ‘‘Savez-vous, Père, que nous sommes dans la troisième guerre mondiale, mais ‘disséminée’ ? » Vous comprenez ? C’est un monde en guerre, où sont perpétrées ces cruautés. Je voudrais m’arrêter sur deux mots. Le premier, c’est cruauté. Aujourd’hui, les enfants ne comptent pas ! Autrefois, on parlait de guerre conventionnelle ; aujourd’hui cela ne compte pas. Je ne dis pas que les guerres conventionnelles soient une bonne chose, non. Mais aujourd’hui, la bombe arrive et te tue l’innocent comme le coupable, l’enfant avec la femme, avec la maman… elle les tue tous. Mais nous, nous devons nous arrêter, et penser un peu au niveau de cruauté auquel nous sommes arrivés. Cela doit nous effrayer ! Je ne le dis pas pour faire peur : on peut faire une étude empirique. Le niveau de cruauté de l’humanité, de nos jours, est plutôt effrayant. Et l’autre mot sur lequel je voudrais dire quelque chose, et qui a un rapport avec le premier, c’est la torture. Aujourd’hui, la torture est l’un des moyens – je dirais- presqu’ordinaires des services d’intelligence, des procès judiciaires… Et la torture est un péché contre l’humanité, elle est un délit contre l’humanité ; et je dis aux catholiques: torturer une personne est un péché mortel, c’est un péché grave ! Qui plus est : c’est un péché contre l’humanité. Cruauté et torture. Je voudrais beaucoup, que dans vos media vous fassiez des réflexions à ce sujet : comment voyez-vous ces choses, aujourd’hui ? Quel est le niveau de cruauté de l’humanité ? Et que pensez-vous de la torture ? Je crois que cela fera du bien à nous tous, de réfléchir sur cela.

(Père Lombardi)

Deborah Ball du Wall Street Journal ; Anaïs Feuga, de la Radio Française, se prépare.

(Deborah Ball)

Merci. Notre question est : Vous avez un rythme très, très intense, très serré ; vous vous concédez peu de repos et aucun congé ; vous faites ces voyages harassants. De plus, ces derniers mois, nous avons vu que vous avez dû annuler l’un ou l’autre rendez-vous, même au dernier moment. Faut-il se préoccuper pour votre rythme de travail ?

(Le Pape François)

Eh oui, quelqu’un me l’a dit ! J’ai pris les vacances, maintenant, à la maison, comme je le fais d’habitude, parce que… une fois, j’ai lu un livre intéressant, le titre était : « Réjouis-toi d’être névrotique » ! Moi aussi, j’ai quelques névroses ; mais il faut bien les traiter, les névroses ! Leur donner le mate, chaque jour… L’une de ces névroses, c’est que je suis un peu trop attaché à l’habitat. La dernière fois que j’ai pris des vacances hors de Buenos Aires, avec la communauté jésuite, c’était en 1975. Depuis, je prends des vacances - vraiment !-, mais dans l’habitat : changement de rythme. Je dors plus, je lis les choses qui me plaisent, j’écoute de la musique, je prie plus… Et cela me repose. En juillet et durant une partie du mois d’août, j’ai fait ça, et ça va bien. L’autre question : le fait que j’ai dû annuler [des engagements] : c’est vrai, c’est vrai. Le jour où je devais aller au ‘‘Gemelli’’, jusqu’à 10 minutes avant j’étais là, mais je n’en pouvais plus… vraiment… Il y avait eu des journées très absorbantes. Et maintenant, je dois être un peu plus prudent. Tu as raison !

(Père Lombardi)

Alors, à présent, Anaïs Feuga de la Radio Française, et se prépare Francesca Paltracca de la Radio Rai.

(Anaïs Feuga)

A Rio, quand la foule criait ‘‘François, François’’, vous répondiez : ‘‘Christ, Christ’’. Aujourd’hui, comment gérez-vous cette immense popularité ? Comment la vivez-vous ?

(Le Pape François)

Mais, je ne sais pas comment dire… Je la vis en remerciant le Seigneur que son peuple soit heureux - cela, je le fais vraiment - et je souhaite au peuple de Dieu le meilleur. Je la vis comme une générosité du peuple, c’est vrai. Intérieurement, je cherche à penser à mes péchés et à mes erreurs, pour ne pas me faire d’illusions, parce que je sais que cela durera peu de temps, deux ou trois ans, et puis… à la maison du Père… Ensuite, ce n’est pas sage de se demander cela, mais je la vis comme la présence du Seigneur dans son peuple, qui utilise l’Évêque, qui est pasteur du peuple, pour manifester beaucoup de choses. Je la vis plus naturellement qu’avant : avant, cela m’effrayait un peu… Je fais ces choses… Je me dis aussi: ne te trompe pas, parce que tu ne dois pas faire du tort à ce peuple ; et toutes ces choses…. Un peu comme ça….

(Père Lombardi)

Francesca Paltracca, de la Radio Rai, et Sergio Rubin, du Clarin, se prépare.

(Francesca Paltracca)

Pour le Pape venu ‘‘du bout du monde’’, qui s’est retrouvé au Vatican, au-delà de Sainte Marthe - vous nous avez raconté comment s’y déroule votre vie, ainsi que votre choix - comment vit le Pape au Vatican ? On nous demande toujours : qu’est-ce qu’il fait, comment se déplace-t-il, se promène-t-il ? Ensuite, nous avons vu que vous allez à la cantine, vous nous surprenez chaque jour… par exemple, nous avons vu que vous êtes allé à la cantine du Vatican… Vous nous surprenez… Donc, quel genre de vie menez-vous, au-delà du travail, à l’intérieur de Sainte Marthe ?

(Le Pape François)

Mais… j’essaie d’être libre… Il y a les rendez-vous officiels, de travail… Mais ensuite, la vie, pour moi, est la plus normale que je puisse mener. Vraiment, je voudrais pouvoir sortir, mais ce n’est pas possible, ce n’est pas possible… non. Ce n’est pas par précaution. Ce n’est pas possible parce que si tu sors, les gens t’entourent… et ce n’est pas possible ; c’est une réalité. Mais à l’intérieur, à Sainte Marthe, je mène une vie normale de travail, de repos, de conversations…

(Francesca Paltracca)

Ne vous sentez-vous pas prisonnier, après tout ?

(Le Pape François)

Non, non. Au début oui, à présent… les murs sont tombés… je ne sais pas… : ‘‘le Pape ne peut pas sortir….’’ ; un exemple, pour te faire rire : je vais prendre l’ascenseur, immédiatement quelqu’un se présente, parce que le Pape ne pouvait pas descendre en ascenseur seul. « Retourne à ta place, moi je descends seul ». Et c’est fini. C’est ainsi, non ? C’est la normalité, une normalité.

(Père Lombardi)

Alors, maintenant c’est le tour de Sergio Rubin et se prépare Jürgen Erbacher.

(Sergio Rubin)

Saint-Père, je suis Sergio Rubin. Je m’excuse mais, pour le groupe espagnol, au sein duquel il y a aussi l’Argentine, je dois vous poser une question qui sollicite vos profondes connaissances théologiques. Votre Équipe, le San Lorenzo, pour la première fois est devenue championne d’Amérique ! J’aimerais savoir comme vous vivez cet événement, et l’on me dit aussi que vous recevrez une délégation de la Société sportive ce mercredi à l’Audience générale…

(Le Pape François)

Après la deuxième place du Brésil, c’est une bonne nouvelle. Je l’ai appris ici, ici à Seoul ils me l’a dit ; et ils m’ont dit : « Écoute, mercredi, ils arrivent… ». Mais qu’ils viennent, c’est l’Audience publique… ils y seront… Pour moi, le San Lorenzo, c’est l’équipe dont toute ma famille était supporter : mon père jouait au basket pour le compte de San Lorenzo ; c’était un joueur dans l’équipe de basket. Et, enfants, nous allions, maman aussi venait avec nous au gazomètre… Je m’en souviens comme si c’était hier, de la saison de 1946 ; San Lorenzo avait une brillante équipe, ils ont été champions… Tu sais, avec joie, je le vis avec joie. Mais des miracles, non ! Ne parlons pas de miracles !

(Père Lombardi)

A présent Jürgen Erbacher, de la télévision allemande.

(Jürgen Erbacher)

La question est : on parle depuis un moment du projet d’une Encyclique sur l’écologie. Peut-on dire quand elle sera publiée et quels en sont les points importants ?

(Le Pape François)

Cette Encyclique… J’ai parlé beaucoup avec le Cardinal Turkson et avec d’autres, et j’ai demandé au Cardinal Turkson de recueillir toutes les contributions qui sont arrivées. Et avant le voyage, une semaine auparavant, non, quatre jours avant, le Cardinal Turkson m’a remis la première mouture. La première mouture est grosse comme ça… Je dirais que ça dépasse d’un tiers le volume d’Evangelii gaudium ! C’est la première mouture. Mais à présent, c’est un problème pas facile, parce que sur la sauvegarde de la création, l’écologie, l’écologie humaine aussi, on peut parler avec une certaine assurance jusqu’à un point donné. Puis, arrivent les hypothèses scientifiques, dont quelques unes sont sûres, d’autres non. Et une Encyclique de ce genre, qui doit être magistrale, doit se fonder seulement sur les certitudes, sur les choses qui sont sûres. Parce que, si le Pape dit que le centre de l’univers est la terre et non le soleil, il se trompe, parce qu’il dit une chose qui doit être scientifique ; et ainsi, ça ne va pas. C’est ce qui se passe maintenant. Nous devons étudier, numéro par numéro ; et je crois qu’elle deviendra plus petite. Mais, on ira à l’essentiel et à ce qui peut s’affirmer avec certitude. On peut dire en note de pied de page, « sur ce point, il y cette hypothèse, celle-ci, celle-là… », le dire comme information, mais pas dans le corps d’une Encyclique, qui est doctrinale et doit être sûre.

(Père Lombardi)

Nous avons posé 12 questions, tous les groupes ont déjà fait deux tours. Voulez-vous continuer ou voulez-vous que nous allions manger ?

(Le Pape François)

Cela dépend de la faim qu’ils ont…..

(journalistes)

Nous n’avons pas faim, nous n’avons pas sommeil…

(Père Lombardi)

Alors, il y avait sur la liste Jung Hae Ko, du journal coréen…

(Jung Ae Ko)

Sainteté, merci beaucoup pour votre visite en Corée du Sud. Je vous poserai deux questions. La première : peu avant la messe finale à la cathédrale de Myeong- dong, vous avez consolé quelques « femmes de réconfort » : quelles pensées vous ont-elles traversé ? C’est ma première question. La seconde : Pyongyang affirme que le christianisme est une menace directe à son régime et à son leadership. Nous savons que quelque chose de terrible est arrivé aux chrétiens nord-coréens. Mais nous ne savons pas ce qui est arrivé. Y-a-t-il, dans votre esprit, une volonté particulière pour tenter de changer l’approche de Pyongyang vis-à-vis des chrétiens nord-coréens ?

(Le Pape François)

Sur la première question, je répète ceci : aujourd’hui ces femmes étaient là parce que, malgré tout ce qu’elles ont souffert, elles ont une dignité : elles ont mis leur réputation en jeu. Moi, j’ai pensé à ce que j’avais dit aussi peu avant, aux souffrances de la guerre, aux cruautés qu’apporte une guerre… Ces femmes ont été exploitées, elles ont été réduites en esclavage ; ce sont des cruautés… J’ai pensé à tout cela : la dignité qu’elles ont, et aussi tout ce qu’elles ont souffert. Et la souffrance est un héritage. Nous disons, les premiers Pères de l’Église disaient que le sang des martyrs est semence de chrétiens. Vous, coréens, vous avez semé beaucoup, beaucoup. Par cohérence. Et on voit maintenant le fruit de cette semence de martyrs. Sur la Corée du Nord, je ne sais pas… Je sais que c’est une souffrance… J’en connais une de certaine : il y a des parents, beaucoup de parents qui ne peuvent pas se retrouver, et cela fait souffrir, ça c’est vrai. C’est la souffrance de cette division du pays. Aujourd’hui, à la cathédrale, là où j’ai mis les ornements pour la messe, il y avait un cadeau qui m’a été offert, c’était une couronne d’épines du Christ, faite avec du fil de fer qui divise les deux parties de l’unique Corée. Et nous l’emportons, ce cadeau, je l’emporte dans l’avion… La souffrance de la division, d’une famille divisée. Comme je l’ai dit – hier je crois, je ne me rappelle pas quand, ou en parlant aux Évêques, je ne me souviens plus – nous avons une espérance : les deux Corées sont frères, elles parlent la même langue. Quand on parle la même langue c’est parce qu’on a la même mère, et cela nous donne de l’espérance. La souffrance de la division est grande, je comprends cela et je prie pour qu’elle finisse.

(Père Lombardi)

Maintenant c’est le tour de Pulella, du groupe de langue anglaise.

(Pulella)

Une observation et une question : en tant qu’italo-américain, je voulais vous faire mes compliments pour votre anglais. Vous ne devez pas avoir peur. Et si avant d’aller en Amérique, ma seconde patrie, vous voulez pratiquer un peu, je suis disponible. Quelque soit l’accent que vous voulez prendre, le newyorkais… - je suis de New York – je suis disponible. La question est celle-ci. Vous avez parlé du martyre : a quel point en sommes-nous dans le procès pour l’Évêque Romero ? Qu’est-ce que vous voudriez voir sortir de ce procès ?

(Le Pape François)

Le procès était à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, bloqué « par prudence », disait-on. Maintenant il est débloqué. Il est passé à la Congrégation pour les Saints. Et il suit la voie normale d’un procès. Cela dépend de comment procèdent les postulateurs. C’est très important, d’aller vite. Moi, ce que je voudrais, c’est que l’on éclaircisse : quand-est-ce qu’il y a le martyre in odium fidei, soit pour avoir confessé le Credo, soit pour avoir fait les œuvres que Jésus nous demande envers le prochain. Et ceci est le travail des théologiens, qui sont en train de l’étudier. Parce que derrière lui [Romero], il y a Rutilio Grande et il y en a d’autres ; il y en a d’autres qui ont été tués, mais qui ne sont pas à la même hauteur que Romero. On doit distinguer théologiquement cela. Pour moi Romero est un homme de Dieu, mais on doit faire le procès, et aussi le Seigneur doit donner son signe…S’il le veut, il le fera. Mais maintenant les postulateurs doivent agir, parce qu’il n’y a pas d’empêchements.

(Père Lombardi)

Alors, nous avons une dernière question, nous la faisons poser par Céline Hoyeau, qui est venue pour La Croix, journal catholique français.

(Céline Hoyeaux)

Très Saint-Père, étant donné la guerre à Gaza, la prière pour la paix organisée au Vatican, le 8 juin dernier, a-t-elle été, selon vous, un échec ?

(Le Pape François)

Merci, merci pour la question. Cette prière pour la paix n’a absolument pas été un échec. D’abord, l’initiative n’est pas venue de moi : l’initiative de prier ensemble est venue des deux Présidents, du Président de l’État d’Israël et du Président de l’État de Palestine. Ils m’avaient fait savoir ce désir. Ensuite, nous voulions la faire là [en Terre Sainte], mais on ne trouvait pas l’endroit juste, parce que le coût politique pour chacun était très élevé s’il allait de l’autre côté. La Nonciature, oui, aurait été un lieu neutre, mais pour arriver à la Nonciature le Président de l’État de Palestine aurait dû entrer en Israël et la chose n’était pas facile. Et ils m’ont dit : « Faisons-le au Vatican, et nous venons ! » Ces deux hommes sont des hommes de paix, ce sont des hommes qui croient en Dieu, et qui ont vécu tant de choses horribles, tant de choses horribles qu’ils sont convaincus que l’unique voie pour résoudre cette histoire est la négociation, le dialogue et la paix. Mais votre question, maintenant : est-ce que cela a été un échec ? Non, je crois que la porte est ouverte. Tous les quatre, comme représentants, et Bartholomée j’ai voulu qu’il soit là comme chef de l’Orthodoxie, Patriarche œcuménique de l’Orthodoxie – je ne veux pas utiliser des termes qui peut-être ne plaisent pas à tous les orthodoxes – comme Patriarche œcuménique, c’était bien qu’il soit avec nous. La porte de la prière a été ouverte. Et on dit : « On doit prier ». C’est un don, la paix est un don, un don qui se mérite par notre travail, mais c’est un don. Et dire à l’humanité qu’avec la voie de la négociation – qui est importante -, du dialogue – qui est important – il y a aussi celle de la prière. C’est vrai. Après est arrivé ce qui est arrivé. Mais cela est conjoncturel. En revanche cette rencontre n’était conjoncturelle. C’est un pas fondamental du comportement humain : la prière. Maintenant la fumée des bombes, des guerres, ne laisse pas voir la porte, mais la porte est restée ouverte depuis ce moment. Et comme je crois en Dieu, je crois que le Seigneur regarde cette porte, et il regarde tous ceux qui prient et tous ceux qui lui demandent de nous aider. Oui, j’aime cette question. Merci, merci pour l’avoir posée. Merci.

(Père Lombardi)

Très Saint Père, merci beaucoup. Je crois que vous avez fait plus d’une heure de conversation avec nous et il est donc juste, à présent, de pouvoir aller se reposer un peu au terme de ce voyage. Entre autres choses, nous savons que vous retournerez probablement ce soir auprès de la Vierge Marie…

(Le Pape François)

De l’aéroport je passerai remercier la Vierge Marie [à Sainte Marie Majeure]. C’est une belle chose. Le Dr Giani avait demandé de rapporter des fleurs de la Corée avec les couleurs de la Corée, mais ensuite, à la sortie de la Nonciature, une fillette est venue avec un bouquet de fleurs, de roses, et nous avons dit : « Portons à la Vierge Marie, justement, ces fleurs d’une enfant de Corée ». Et nous porterons celles-là. De l’aéroport nous allons prier un peu là, et ensuite, à la maison.

(Père Lombardi)

Bien. Sachez que nous serons aussi avec vous à remercier le Seigneur pour ces journées extraordinaires. Et tous nos vœux pour la reprise ensuite de votre ministère à Rome ; nous continuerons à vous accompagner et nous espérons que vous continuerez à nous donner, comme vous nous avez donné ces jours-ci, de très belles chose à dire. Merci.

(Pape François)

Et merci à vous pour votre travail, merci beaucoup…Et je m’excuse de ne pas rester plus longtemps avec vous. Merci ! Bon déjeuner !



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