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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN THAÏLANDE ET AU JAPON

(19 - 26 NOVEMBRE 2019)

CONFÉRENCE DE PRESSE DU SAINT-PÈRE
AU COURS DU VOL DE RETOUR

Vol papal
Mardi 26 novembre 2019

[Multimédia]


 

Comme d’ordinaire au terme de chaque voyage apostolique, sur l’avion qui, de Tokyo, le ramenait à Rome, le mardi 26 novembre, le Pape François a voulu rencontrer les journalistes qui l’accompagnaient. Avant de répondre à leurs questions, le Pape a écouté le salut du directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, et a introduit l’entretien par les paroles suivantes: «Je vous remercie pour votre travail, parce que cela a été un voyage véritablement intense et aussi avec un changement de catégories, parce que la Thaïlande était une chose, et le Japon une autre. On ne peut pas juger les choses selon une même catégorie; les réalités doivent être évaluées selon les catégories qui proviennent de la même réalité. Et il s’agissait de deux catégories complètement différentes. C’est pourquoi un double travail était nécessaire, et je vous remercie pour cela, et aussi pour ces journées très intenses, je crois que le travail a été considérable. Je vous remercie. Je me suis senti proche de vous dans ce travail. Merci. »

[Père Makoto Yamamoto, «Catholic Shimbum»]: Bonsoir Saint -Père. Nous vous remercions de tout cœur d’être venu au Japon de si loin. Je suis prêtre diocésain de Fukuoka, tout près de Nagasaki. Je voudrais vous poser une question : vous avez visité  Nagasaki et Hiroshima. Saint-Père, qu’avez-vous ressenti? Je voudrais vous demander autre chose: la société et l’Eglise occidentale ont-elles quelque chose à apprendre de la société et de l’Eglise orientales?

Je commence par la dernière partie. Il y a une chose qui m’a beaucoup éclairé, un proverbe: «Lux ex Oriente, ex Occidente luxus». La lumière vient de l’Orient, le luxe, le consumérisme, vient de l’Occident. Il y a précisément cette sagesse orientale, qui n’est pas une sagesse uniquement de connaissance, mais une sagesse de tous les temps, une sagesse de contemplation. A la société occidentale — qui est trop pressée, toujours — cela aide beaucoup d’apprendre un peu de contemplation, de s’arrêter, de regarder les choses également d’un point de vue poétique. Vous savez, je pense cela — c’est une opinion personnelle —, je crois qu’il manque un peu de poésie à l’Occident. Il possède des choses poétiques très belles, mais l’Orient va au-delà. L’Orient est capable de regarder les choses avec un regard qui va au-delà; je ne voudrais pas utiliser le terme “transcendant”, parce que certaines religions orientales ne font pas mention de la transcendance, mais il existe certainement une vision qui va au-delà de la limite de l’immanence, sans dire transcendance, au-delà. C’est pourquoi je parle de “poésie”, de ce qui est gratuit, rechercher sa perfection dans le jeûne, dans les pénitences et dans la lecture de la sagesse des sages orientaux. Je crois qu’il nous fera du bien à nous, occidentaux, de nous arrêter un peu et de laisser de la place à la sagesse. La culture de la hâte [a besoin] de la culture du “arrête-toi un peu”. Arrête-toi. Je ne sais pas si cela sert à comprendre la différence et ce dont nous avons besoin.

La première [question]: Nagasaki et Hiroshima. Toutes deux ont souffert de la bombe atomique, et cela les rend semblables. Mais il y a une différence. Nagasaki n’a pas seulement eu la bombe, mais aussi les chrétiens. Nagasaki a des racines chrétiennes, un christianisme antique. La persécution des chrétiens existait dans tout le Japon, mais à Nagasaki, elle a été très forte. Le secrétaire de la Nonciature m’a offert un facsimilé en bois où il y a le “wanted” de l’époque : “On recherche des chrétiens! Si tu en trouves un, dénonce-le, et tu toucheras beaucoup, si tu trouves un prêtre, dénonce-le et tu toucheras beaucoup”. Une chose de ce genre ira au musée. Voilà ce qui est frappant : il y eu des siècles de persécutions. C’est un phénomène chrétien, qui “relativise”, dans le bon sens du terme, la bombe atomique, parce ce sont deux choses. Si l’on va à Nagasaki en pensant seulement: “Oui, d’accord, elle était chrétienne... Mais il y a eu la bombe atomique”, et que l’on s’arrête là [on néglige une partie de son histoire]. En revanche, on ne va à Hiroshima que pour la bombe atomique, parce que ce n’était pas une ville chrétienne comme Nagasaki. C’est pourquoi j’ai voulu visiter les deux. C’est, vrai, pour toutes les deux, il y a eu une catastrophe atomique.

Hiroshima a été une véritable catéchèse humaine sur la cruauté. La cruauté. Je n’ai pas pu voir le musée d’Hiroshima, parce que je suis resté juste le temps [de la rencontre], parce que c’était une journée très difficile, mais on dit que c’est terrible, terrible: des lettres des chefs d’Etat, des généraux qui expliquaient comment on pouvait provoquer un désastre plus grand. Pour moi, cela a été une expérience beaucoup plus émouvante que celle de Nagasaki. A Nagasaki, cela a été celle du martyre: j’ai vu un peu le musée — en passant — du martyre; mais l’expérience d’Hiroshima a été très émouvante. Et là, j’ai répété que l’usage des armes nucléaires est immoral — cela doit être inséré dans le Catéchisme de l’Eglise catholique — et non seulement l’usage, mais aussi la possession, parce qu’un accident [à cause] de la possession, ou de la [folie] d’un gouvernant, la folie d’un seul peut détruire l’humanité. Pensons à ce qu’a dit Einstein: “La  quatrième guerre mondiale se mènera avec des bâtons et avec des pierres”.

[Shinichi Kawarada, «The Asahi Shimbum»]: Je voudrais poser une question sur le nucléaire. Comme vous l’avez indiqué à juste titre, une paix durable n’est pas réalisable sans désarmement. Le Japon est un pays qui jouit de la protection nucléaire des Etats-Unis, et il est également producteur d’énergie nucléaire, ce qui comporte un risque important pour  l’environnement et pour l’humanité, comme l’a démontré de façon tragique l’accident de  Fukushima. Comment le Japon peut-il contribuer à la réalisation de la paix mondiale? Les centrales nucléaires devraient-elles être fermées?

Je reviens sur la possession d’industrie nucléaire. Un accident peut toujours arriver. Vous en avez fait l’expérience, et aussi la triple catastrophe, qui a fait beaucoup de dégâts.  Le nucléaire est à la limite. Les armes, laissons-les de côté, parce qu’avec elles, c’est la destruction. Mais l’utilisation de l’énergie nucléaire est très “limite”, parce que nous ne sommes pas encore arrivés à la sécurité totale. Nous n’y sommes pas arrivés.  Tu pourrais me dire: “Oui, mais même avec l’électricité, on peut provoquer une catastrophe à cause d’un manque de sécurité”. Mais c’est une petite catastrophe. Une catastrophe nucléaire, d’une centrale nucléaire, sera une grande catastrophe. Et la sécurité n’est pas encore bien au point. Moi — mais c’est une opinion personnelle —, je n’utiliserais pas l’énergie nucléaire tant que son utilisation ne sera pas entièrement sûre. Mais en cela je suis un profane et j’exprime mon point de vue. Certains disent que l’énergie nucléaire est contraire à la sauvegarde de la création, qu’elle la détruira et qu’elle doit cesser. Cela fait l’objet d’un débat. Je m’arrête sur la sécurité. Il n’y a pas la sécurité pour empêcher une catastrophe. Oui, il y en a une dans le monde en dix ans, mais après, elle [a des effets] sur la création: le désastre de la puissance nucléaire sur la création, et aussi sur la personne.

La catastrophe nucléaire dure encore en Ukraine, depuis de nombreuses années. Je fais la distinction avec la guerre, les armes. Mais ici, je dis qu’il faut faire des recherches sur la sécurité, tant sur les catastrophes que sur l’environnement. Et sur l’environnement, je crois que nous sommes allés au-delà de la limite, au-delà de la limite: dans l’agriculture, par exemple, les pesticides, dans l’élevage des poulets — les médecins disent aux mères de ne pas donner à manger les poulets d’élevage, parce qu’ils sont engraissés avec des hormones et que cela est mauvais pour la santé des enfants —; et beaucoup de maladies rares existent aujourd’hui à cause du mauvais usage de l’environnement. Ce sont des maladies rares. Les fils électriques et tant d’autres choses... La sauvegarde de la création est quelque chose qui doit se faire aujourd’hui ou jamais. Mais revenons sur l’énergie nucléaire : construction, sécurité, et sauvegarde de l’environnement.

[Elisabetta Zunica, «Kyoto News»]: Hakamada Iwao est un condamné à mort japonais, en attente de la révision de son procès. Il était présent à la Messe au Tokyo Dome, mais il n’a pas eu l’occasion de parler avec vous. Pourriez-vous nous confirmer si une brève rencontre avec vous était au programme ou pas? Parce que le thème de la peine de mort au Japon est très controversé. Un peu plus d’un mois avant la modification du Catéchisme sur ce thème, 13 condamnés à mort ont été exécutés. Il n’y a pas de référence à ce thème dans vos discours lors de cette visite. Comment cela se fait-il, est-ce parce que vous n’avez pas voulu vous prononcer à cette occasion, ou bien avez-vous eu l’occasion d’en parler avec le premier ministre  Abe?

Sur le cas de la peine de mort, je l’ai su après, je ne savais rien de cette personne: je ne le savais pas. Avec le premier ministre, j’ai parlé en général de nombreux problèmes: de procès, de condamnations éternelles qui ne finissent jamais, que ce soit à mort ou pas à  mort. Mais j’ai parlé de cela comme d’un problème général, qui existe également dans d’autres pays: les prisons surpeuplées, les gens qui attendent en détention préventive, sans présomption d’innocence... ils attendent là, attendent, attendent... Il y a quinze jours, je suis intervenu au congrès international de droit pénal et j’ai parlé de façon spécifique de ce thème: le thème des prisons, le thème de la précaution [détention provisoire], et puis de la peine de mort, dont il a été clairement dit qu’elle n’est pas morale, qu’on ne peut plus la pratiquer. Je crois que cela va de pair avec une conscience qui se développe toujours plus. Par exemple, certains pays n’osent pas l’abolir en raison de problèmes politiques, mais ils la suspendent: c’est une façon de déclarer, sans déclarer, par exemple la détention à perpétuité. Mais le problème est que la condamnation doit toujours être en vue de la réinsertion: une condamnation sans “fenêtre” d’horizon est inhumaine. La réclusion à perpétuité aussi : il faut réfléchir à la façon dont un condamné à perpétuité peut se réinsérer, en prison ou dehors. Mais il faut toujours qu’il y ait un horizon, une réinsertion. Vous me direz : il y en a qui sont condamnés pour folie, pour un problème de maladie, de folie, un problème génétique impossible à corriger, pour ainsi dire... Mais il faut chercher le moyen pour qu’ils puissent au moins faire des choses qui les fassent se sentir des personnes. Aujourd’hui, dans de nombreuses parties du monde, les prisons sont surpeuplées, ce sont des entrepôts de chair humaine, qui au lieu de grandir en santé, se corrompt souvent à cause de cela. Nous devons lutter contre la peine de mort, petit à petit... Il y a des cas qui me réjouissent parce qu’il y a des Etats, des pays qui disent : nous arrêtons. J’ai parlé avec le gouverneur d’un Etat l’an dernier, et avant de quitter ses fonctions, il a ordonné cette suspension, presque définitive. Ce sont des pas, des pas d’une conscience humaine. D’autres pays, en revanche, ne sont pas encore arrivés à s’insérer dans la ligne de l’humanité.

[Jean-Marie Guénois, Le Figaro]: Vous avez dit que la véritable paix ne peut être qu’une paix désarmée. Mais que se passe-t-il en cas de légitime défense, quand un pays est attaqué par un autre?  Dans ce cas, existe-t-il encore la possibilité d’une guerre juste? Une petite question : on a parlé d’une encyclique sur la non-violence: est-elle encore en projet, cette encyclique sur la non-violence? Deux questions.

Oui, le projet existe, mais c’est le prochain Pape qui la fera, parce que j’ai à peine le temps de... Il y a des projets dans les tiroirs...: l’un sur la paix, par exemple et celui-là, il mûrit et quand ce sera le moment, je le ferai.  Mais je parle assez de cela: par exemple, le problème du harcèlement avec les enfants dans les écoles, c’est un problème de violence ; j’ai parlé précisément aux jeunes japonais de ce thème. C’est un problème qu’à travers de nombreux programmes éducatifs nous cherchons à contribuer à résoudre. C’est un problème de violence, et les problèmes de violence doivent être affrontés... Mais une encyclique sur la non-violence, je ne la sens pas encore assez mûre, je dois prier davantage et chercher la voie.

Sur la paix et les armes : il existe ce dicton romain “Si vis pacem, para bellum”. Là, nous ne sommes pas matures. Les organisations internationales ne réussissent pas, les Nations unies ne réussissent pas... Elles font beaucoup de choses, beaucoup de médiations, c’est louable. Des pays comme la Norvège par exemple : toujours prêts à faire de la médiation, à chercher une issue pour éviter les guerres...  C’est ce que l’on fait et cela me fait plaisir. Mais c’est peu, il faut faire davantage. Pensez — sans offenser personne — au Conseil de sécurité: il y a un problème avec les armes, tous sont d’accord pour résoudre ce problème pour éviter un incident militaire, tous votent oui, quelqu’un ayant le droit de veto dit non et tout s’arrête. J’ai entendu — je ne suis pas en mesure de dire si c’est bon ou pas, c’est une opinion que j’ai entendue — que les Nations unies devraient peut-être faire un pas en arrière en renonçant au sein du Conseil de sécurité au droit de veto de certains pays. Je ne suis pas technicien, en cela, mais je l’ai entendu comme étant une possibilité. Je ne sais pas quoi dire, mais il serait beau que tous aient le même droit.

Dans l’équilibre mondial, il y a des thèmes en ce moment que je ne suis pas capable de juger. Mais tout ce que l’on peut faire pour arrêter la fabrication d’armes, pour arrêter les guerres, passer aux négociations, également avec l’aide de facilitateurs, cela doit toujours être fait, toujours. Et cela donne des résultats: certains disent peu, mais commençons par le peu, puis nous irons au-delà avec les résultats des négociations pour tenter de résoudre des problèmes. Par exemple, dans le cas de l’Ukraine-Russie: on ne parle pas d’armes, il y a eu la négociation pour l’échange de prisonniers, cela est positif. C’est toujours un pas vers la paix. Il y a eu à présent des discussions pour penser à la planification d’un régime gouvernemental dans le Donbass, différent, et ils en discutent: cela est un pas en avant vers la paix.

Il y a peu de temps, une chose belle et une chose mauvaise sont arrivées. La chose mauvaise est — je dois le dire — l’hypocrisie «des armements». Des pays chrétiens — tout au moins de culture chrétienne — des pays européens — on dit «Europe culte» — qui parlent de paix et qui vivent d’armes: on appelle cela de l’hypocrisie. C’est un terme évangélique: Jésus le prononce de nombreuses fois au chapitre 23 de Matthieu. Il faut en finir avec cette hypocrisie. Qu’un pays ait le courage de dire: «Je ne peux pas parler de paix, parce que mon économie gagne beaucoup de la fabrication des armes». Sans insulter et sans salir ce pays, mais parler comme des frères, la fraternité humaine: arrêtons-nous les gars, arrêtons-nous, parce que c’est laid! Dans un port — je ne me souviens plus très bien  duquel — dans un port, il est arrivé d’un pays un navire transportant des armes qui devaient être remises à un navire plus grand partant pour le Yémen. Nous savons ce qui se passe au Yémen. Et les ouvriers du port ont dit «non». Ils ont été courageux! Et le navire est reparti chez lui. C’est juste un cas, mais il nous enseigne comment nous devons nous comporter sur ce point. La paix aujourd’hui est très faible, très faible, mais il ne faut pas se décourager. Et avec les armes, nous favorisons cette faiblesse.

[Jean-Marie Guénois, «Le Figaro»:] Et  la légitime défense avec les armes?

L’hypothèse de la légitime défense demeure toujours. C’est une hypothèse qui même dans la théologie morale, doit être envisagée, mais comme dernier recours. Dernier recours avec les armes. La légitime défense doit être accomplie  par la diplomatie, à travers les médiations. Dernier recours la légitime défense avec les armes. Mais je souligne: dernier recours! Nous allons de l’avant dans un progrès éthique qui me plaît, qui remet en question toutes ces choses. Cela est beau: cela montre que l’humanité va de l’avant également dans le bien, pas seulement dans le mal. Merci à vous.

[Cristiana Caricato, «TV 2000»]: Les gens lisent dans les journaux que le Saint-Siège a acheté des immeubles  pour des centaines de millions d’euros au cœur de Londres et ils sont un peu déconcertés par cette utilisation des finances vaticanes, en particulier lorsque le Denier de Saint-Pierre est également impliqué. Avez-vous connaissance de ces opérations financières? Et surtout,  l’utilisation qui est faite du Denier de Saint-Pierre est-elle correcte selon vous? Vous avez souvent dit que l’on ne doit pas gagner de l’argent avec de l’argent, vous avez souvent dénoncé cet usage sans scrupule de la finance, et ensuite   nous voyons que ces opérations concernent également le Saint-Siège et provoque un  scandale. Comment voyez-vous toute cette affaire?

Merci. Tout d’abord, la bonne administration  normale: la somme du Denier de Saint-Pierre arrive et qu’est-ce que je fais? Je la mets dans un  tiroir? Non. C’est une mauvaise administration. Je cherche à faire un investissement et quand j’ai besoin de donner, quand la nécessité se présente, au cours de l’année, je prends l’argent et ce capital ne se dévalue pas, il se conserve ou s’accroît un peu. Cela est une  bonne administration. En revanche, l’administration  «du tiroir» est mauvaise. Mais il faut chercher une bonne administration, un bon investissement: est-ce clair? Même un investissement… chez nous on dit «un investissement de veuves», comme font les veuves: deux œufs ici, trois là, cinq là. Si l’un tombe, il y a l’autre, et ils ne s’abîment pas. C’est toujours un investissement sur quelque chose de sûr, c’est toujours sur quelque chose de moral. Si tu fais un investissement avec le Denier de Saint-Pierre dans une usine d’armement, dans ce cas le Denier  n’est plus le Denier! Si tu fais un investissement  et que tu restes pendant des années sans toucher le capital, cela ne va pas. Le Denier de Saint-Pierre [d’un an] doit être dépensé durant l’année, un an et demi, jusqu’à ce qu’arrive l’autre collecte, celle que l’on fait au niveau mondial. C’est cela une bonne administration: quelque chose de  sûr. Et oui, on peut aussi acheter une propriété, la louer, et ensuite la vendre, mais de manière sûre, avec toutes les sécurités pour le bien des personnes et du Denier. C’est un premier aspect.

Ensuite est arrivé ce qui est arrivé: un scandale, des choses qui ne semblent pas propres ont été faites. Mais la dénonciation n’est pas venue de l’extérieur. Cette réforme de la méthodologie économique qu’avait déjà commencée Benoît XVI est allée de l’avant, et c’est le réviseur des comptes interne qui a dit: il y a là quelque chose de mauvais, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Il est venu me voir et je lui ai dit: «Mais vous êtes sûr»?”  — «Oui», m’a-t-il répondu, il m’a fait voir les chiffres. «Que dois-je faire»?» — «Il y a la justice vaticane: allez déposer une plainte auprès du Promoteur de justice». Et j’ai été content de cela, car on voit que l’administration vaticane a maintenant les ressources pour éclaircir les choses mauvaises qui se passent à l’intérieur, comme dans ce cas, qui, s’il ne s’agit pas de l’immeuble de Londres — car cela n’est pas encore clair —, présentait toutefois des problèmes de corruption. Le promoteur de justice a étudié la chose, il a fait des consultations et vu qu’il y avait un déséquilibre dans le bilan. Ensuite, il m’a demandé la permission de procéder à des perquisitions. J’ai dit: «Votre  [dossier] est clair?» — «Oui, il y a une présomption de corruption et dans ces cas je dois effectuer des perquisitions dans ce bureau, dans ce bureau et dans ce bureau…». Et j’ai signé l’autorisation. La perquisition a été effectuée dans cinq bureaux et actuellement — bien qu’il y ait la présomption d’innocence — il y a des capitaux qui ne sont pas bien administrés et même  de la corruption. Je crois que d’ici moins d’un mois  les interrogatoires des cinq personnes qui ont été suspendues commenceront, parce qu’il y avait des indices de corruption. Vous pourrez me demander: ces cinq personnes sont-elles corrompues? Non, la présomption d’innocence est une garantie, un droit humain. Mais il y a de la corruption, on le voit. Avec les perquisitions, on verra s’ils sont coupables ou non. Ce n’est pas une belle chose, ce n’est pas beau que cela se produise au Vatican. Mais cela a été éclairci par les mécanismes  internes, qui commencent à fonctionner, que le Pape Benoît avait commencé à établir. Il faut rendre grâce à Dieu pour cela. Je ne rends pas grâce à Dieu qu’il y ait de la corruption, mais je rends grâce à Dieu que le système de contrôle vatican fonctionne bien.

[Philip Pullella]: Si vous me permettez, je voudrais poursuivre un peu à propos de cette question que vous a posée  Cristiana, avec un peu plus de détails. Il y a eu une grande préoccupation ces dernières semaines à propos de  ce qui se passe dans les finances du Vatican et, selon certaines personnes, il y a une guerre interne sur qui doit contrôler l’argent. La plupart des membres du conseil d’administration de l’AIF ont démissionné. Le groupe Egmont, qui est le groupe de ces autorités financières, a suspendu le Vatican des communications sûres après les perquisitions du 1er octobre. Le directeur de l’AIF est encore suspendu, comme vous l’avez dit, et il n’y a pas encore de réviseur général. Que pouvez-vous faire ou dire pour garantir à la communauté financière internationale et aux fidèles en général, qui sont appelés à contribuer au Denier, que le Vatican ne sera plus à nouveau considéré comme un “paria” à exclure, auquel il ne faut pas se fier,  que les réformes continueront et que l’on ne reviendra pas aux habitudes du passé?

Merci de la question. Le Vatican a fait des pas en avant dans son administration. Aujourd’hui, par exemple, le  IOR est  accepté par toutes les banques et peut agir comme les banques italiennes, normalement, ce qui il y a encore un an n’était pas possible. Il y a eu des progrès. Ensuite, à propos du  groupe Egmont. Le groupe Egmont est quelque chose de non officiel, international; c’est un groupe auquel appartient l’AIF. Et le contrôle international ne  dépend pas du groupe  Egmont, le groupe  Egmont est un groupe privé, qui a son poids, mais c’est un groupe privé. Moneyval se chargera de l’inspection: elle l’a programmée pour les premiers mois de l’année prochaine et elle la fera. Le directeur de l’AIF est suspendu, parce qu’il y avait des soupçons de mauvaise administration. Le président de l’AIF a fait pression avec le groupe  Egmont pour reprendre la documentation, et cela la justice ne peut pas le faire. Devant ce fait, j’ai consulté un magistrat italien de haut niveau: que dois-je faire? Devant une accusation de corruption, la justice est souveraine dans un pays, elle est souveraine, personne ne peut s’en mêler, personne ne peut donner les dossiers au groupe Egmont [et dire]: «Vos dossiers sont là». Non. On doit étudier les dossiers qui font [apparaître] ce qui semble une mauvaise administration au sens d’un mauvais contrôle: c’est  l’AIF — semble-t-il — qui n’a pas contrôlé les délits des autres. Son devoir était de contrôler. J’espère que l’on prouvera qu’il n’en est pas ainsi, car il y a encore la présomption d’innocence; mais pour le moment, le magistrat est souverain et doit étudier comment cela s’est passé; car dans le cas contraire, un pays aurait une administration supérieure qui léserait la souveraineté du pays. Le mandat du président de l’AIF arrivait à échéance le  19 [novembre]; je l’ai appelé quelques jours avant et il n’a pas vu que je l’appelais — c’est ce qu’il m’a dit. Et j’ai annoncé qu’il devait partir le  19. J’ai déjà trouvé son successeur: un magistrat de très haut niveau juridique et économique national et international, et dès mon retour il assumera la charge à l’AIF et on continuera ainsi. Cela aurait été un contresens que l’autorité de contrôle soit souveraine, au-dessus de l’Etat. C’est quelque chose qui n’est pas facile à comprendre. Mais ce qui a un peu dérangé est le groupe Egmont, qui est un groupe privé: il aide beaucoup, mais ce n’est pas l’autorité de contrôle de Moneyval. Moneyval étudiera les chiffres, étudiera les procédures, étudiera comment a agi le promoteur de justice et comment le juge et les juges ont déterminé la chose. Je sais que ces jours-ci commencera  — ou a commencé — l’interrogatoire de certains des cinq personnes qui ont été suspendues. Cela n’est pas facile, mais nous ne devons pas être naïfs, nous ne devons pas être esclaves. Quelqu’un m’a dit — mais je ne crois pas —: «Oui, du fait que  nous ayons touché le groupe Egmont, les gens prennent peur…». Et l’on fait un peu de terrorisme [psychologique]. Mais laissons cela de côté. Nous, allons de l’avant avec la loi, avec  Moneyval, avec le nouveau président de l’AIF. Et le directeur est suspendu, mais j’aimerais qu’il soit innocent, je le voudrais, car c’est une belle chose qu’une personne soit innocente et pas coupable. Mais on a fait un peu de bruit avec ce groupe, qui voulait que l’on prenne les dossiers qui appartenaient au groupe.

[Philip Pullella]: C’est pour garantir aux fidèles que les choses vont bien?

C’est pour garantir cela! Tu vois, c’est la première fois qu’au Vatican  on découvre une affaire  de l’intérieur, pas de l’extérieur. De l’extérieur, [cela est arrivé] de nombreuses fois. On nous a dit: «Regarde…», et nous avons eu très honte… Mais en cela le Pape Benoît a été sage: il a commencé un processus qui a mûri, il a mûri et à présent il y a les institutions. Que le réviseur ait eu le courage de déposer une plainte  écrite contre cinq personnes…: le réviseur fonctionne. Je ne veux vraiment pas offenser le groupe  Egmont, car il fait beaucoup de bien, il aide, mais dans ce cas, la souveraineté de l’Etat est la justice. La justice est même plus souveraine que le pouvoir exécutif. Plus souveraine. Ce n’est pas facile à comprendre, mais je vous demande de comprendre cette difficulté. Je vous remercie.

[Roland Juchem, «cic»]: Saint-Père, sur le vol de Bangkok à Tokyo vous avez envoyé un télégramme à Mme Carrie Lam de Hong Kong. Que pensez-vous de la situation là-bas, avec les manifestations et après les élections municipales? Et quand pourrons-nous vous accompagner à Pékin?

On envoie des télégrammes à tous les chefs d’Etat, c’est quelque chose d’automatique: ce sont des salutations et également une manière courtoise de demander la permission de survoler leur territoire. Cela n’a pas la signification d’une condamnation ni d’un soutien. C’est quelque chose de mécanique que font tous les avions: quand techniquement ils entrent [ils survolent un nouveau territoire], ils avertissent qu’ils sont en train d’entrer, et nous le faisons avec courtoisie. Nous saluons. Cela n’a aucune valeur dans le sens où vous posez la question, seulement une valeur de courtoisie.

L’autre chose que vous me demandez est ce que je pense [de la situation à Hong Kong]. Mais il n’y a pas seulement Hong Kong: pensez au Chili, pensez à la France, la France démocratique: une année de «gilets jaunes». Pensez au  Nicaragua, pensez à d’autres pays latino-américains, le Brésil, qui ont des problèmes de ce genre, et aussi certains pays européens. C’est quelque chose de général. Que fait le Saint-Siège en cela? Il appelle au dialogue, à la paix... Mais il n’y a pas que Hong Kong, ils y a différentes réalités qui ont des problèmes et en ce moment je ne suis pas capable de les évaluer. Je respecte la paix et je demande la paix pour tous ces pays qui ont des problèmes. Des problèmes de ce genre existent aussi en Espagne... Il faut relativiser les choses et appeler au dialogue, à la paix, pour que l’on résolve les problèmes.

[Roland Juchem, «CIC»]: Et quand irez-vous à Pékin?

Ah, j’aimerais aller à Pékin! J’aime la Chine...

[Valentina Alazraki, «Televisa»]: L’Amérique latine est en flamme. Nous avons vu, après le Vénézuéla et le Chili, des images que nous ne pensions plus voir après  Pinochet. Nous avons vu la situation en  Bolivie, au Nicaragua ou dans d’autres pays: des révoltes, des violences dans les rues, des morts, des blessés, même des églises brûlées, violées. Quelle est votre analyse sur ce qui se passe dans ces pays? L’Eglise et vous-même personnellement, en tant que  Pape latino-américain, êtes-vous en train de faire quelque chose?

Quelqu’un m’a dit cela: «On doit faire une analyse». La situation aujourd’hui en Amérique latine ressemble à celle de  1974-1980, où au  Chili, en Argentine, en Uruguay, au Brésil, au Paraguay avec Strössner, et je crois aussi en Bolivie, avec Lidia Gueiler, se déroulait l’opération  Condor à ce moment-là. Une situation incendiaire, mais je ne sais pas si c’est un problème semblable ou d’un autre genre. Vraiment, en ce moment je ne suis pas capable de faire l’analyse complète de cela. Il est vrai qu’il y a des déclarations qui ne sont pas précisément de paix. Ce qui arrive au Chili m’effraye, car le Chili sort d’un problème d’abus qui a beaucoup  fait souffrir et, à présent, il a un problème d’un genre que nous ne comprenons pas bien. Mais il est en flamme, comme vous le dites, et on doit chercher le dialogue et aussi l’analyse. Je n’ai pas encore trouvé une analyse bien faite sur la situation en Amérique latine. Et [il y a] aussi des gouvernements faibles, très faibles, qui n’ont pas réussi à faire régner l’ordre et la paix chez eux. C’est pourquoi on arrive à cette situation.

[Valentina Alazraki, «Televisa»]: Evo Morales a demandé votre médiation par exemple. Des choses concrètes...

Oui, des choses concrètes. Le Vénézuéla a demandé la médiation et le Saint-Siège a toujours été disponible. De bonnes relations existent; nous sommes présents pour aider quand c’est nécessaire. La Bolivie a fait quelque chose de ce genre, je ne sais pas encore bien  par  quelle voie, mais elle a fait également une demande aux Nations unies qui ont envoyé des délégués, et aussi certains pays de l’union européenne. Je ne sais pas si le Chili a fait des demandes de médiation internationale. Le Brésil certainement pas, mais là aussi il y a des problèmes. C’est quelque chose d’un peu étrange, je ne voudrais pas dire un mot de plus parce que je suis incompétent, parce que je n’ai pas bien étudié le problème et sincèrement je ne le comprends pas bien.

Mais je profite de votre question: vous avez peu parlé de la Thaïlande, et la Thaïlande est une autre chose, différente du Japon, une autre culture, totalement différente, une culture de la transcendance, une culture également de la beauté, différente de la beauté du Japon: une culture avec beaucoup de pauvreté et beaucoup de richesses spirituelles. Mais il y a  aussi un problème qui fait mal au cœur et qui nous fait penser à  « La Grèce et les autres » [un livre de Valentina Alazraki]: vous êtes une experte dans ce problème de l’exploitation, vous l’avez bien étudié, et votre livre a fait beaucoup de bien. Et la Thaïlande, certains lieux de la Thaïlande sont durs, sont difficile pour cela. Mais il y a la Thaïlande du  Sud, il y a aussi la belle Thaïlande du Nord, où je n’ai pas pu aller, la Thaïlande  tribale, comme il y a l’Inde du Nord-Est  tribale, qui a une toute autre culture. J’ai reçu une vingtaine des personnes de cette région, les premiers chrétiens, les premiers baptisés, qui sont venus à Rome, avec une autre culture différente, ces cultures tribales, qu’en Inde on connaît bien, mais qu’on ne connaît pas encore bien en Thaïlande; c’est au  Nord. Et Bangkok, nous l’avons vu, est une ville très moderne, c’est une ville forte, grande, mais elle a des problèmes différents de ceux du Japon et elle a aussi des richesses différentes de celles du Japon. C’est important. Mais j’ai voulu souligner le problème de l’exploitation, et je vous remercie pour votre livre.

De même que je voudrais remercier le «livre vert» [L’alphabet vert du Pape François] de Franca Giansoldati… où est-elle? Ah, elle est là. Deux femmes qui sont sur ce vol et qui  ont chacune écrit  un livre qui touche des problèmes d’aujourd’hui: le problème écologique, le problème de la destruction de la mère terre, de l’environnement; et le problème de l’exploitation humaine, que vous avez abordé. On voit que les femmes travaillent plus que les hommes et sont capables: merci. Merci à vous, toutes les deux, pour cette contribution. Merci. Et j’ai encore dans le cœur la chemise de  Rocío [le Pape fait référence à la chemise d’une jeune femme mexicaine assassinée que Valentina Alazraki a donnée au Pape au cours d’une récente interview].

Et merci à vous tous pour avoir posé des questions directes, merci. Cela fait du bien, cela fait toujours du bien. Priez pour moi. Bon déjeuner. Merci.

 



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