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JEAN-PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 21 juillet 1993

 

 

Le Prêtre et les biens de la terre (Lc 12, 32-34)

1. Parmi les exigences de renoncement que Jésus a adressées à ses disciples, une concerne les biens de la terre, et en particulier la richesse (cf. Mt 19, 21 ; Mc 10, 21 ; Lc 12, 33 et 18, 22). C’est une demande qui s’adresse à tous les chrétiens quant à l’esprit de pauvreté, c’est-à-dire le détachement intérieur par rapport aux biens de la terre, détachement qui rend généreux pour les partager avec d’autres. La pauvreté est un engagement de vie qu’inspire la foi dans le Christ et l’amour pour lui. C’est un esprit, qui exige aussi une pratique, dans une mesure de renoncement aux biens qui corresponde à la condition de chacun, soit dans la vie civile, soit dans l’état qui est le sien dans l’Église en vertu de la vocation chrétienne, tant comme personne singulière que comme membre d’un groupe déterminé de personnes. L’esprit de pauvreté vaut pour tous ; une certaine pratique, conforme à l’Évangile, est nécessaire à chacun.

2. La pauvreté que Jésus a demandée aux Apôtres est un filon de spiritualité qui ne pouvait s’épuiser avec eux, ni être réservé à des groupes particuliers : l’esprit de pauvreté est nécessaire à tous, en tout lieu et en tout temps. Y manquer serait trahir l’Évangile. La fidélité à l’esprit ne comporte cependant pas, ni pour les chrétiens en général ni pour les prêtres, la pratique d’une pauvreté radicale avec le renoncement à toute propriété, et encore moins avec l’abolition de ce droit de l’homme. À plusieurs reprises, le Magistère de l’Église a condamné ceux qui soutenaient cette nécessité (cf. DS, 760 ; 930 et s. ; 1097), cherchant à conduire la pensée et la pratique sur une voie de modération. Mais il est réconfortant de constater que, avec l’évolution des temps et sous l’influence de nombreux saints anciens et modernes, la conscience d’un appel à la pauvreté évangélique a mûri toujours davantage dans le clergé, soit dans l’esprit soit dans la pratique, en corrélation avec les exigences de la consécration sacerdotale. Les situations sociales et économiques dans lesquelles se trouve le clergé dans presque tous les pays du monde ont contribué à rendre effective la condition de pauvreté réelle des personnes et des institutions, même quand celles-ci, par leur nature même, ont besoin de nombreux moyens pour pouvoir accomplir leurs tâches. En de nombreux cas, c’est une condition difficile et affligeante, que l’Église cherche à surmonter de diverses manières, et principalement en faisant appel à la charité des fidèles, pour obtenir d’eux la contribution nécessaire afin de pourvoir au culte, aux œuvres de charité, à l’entretien des pasteurs d’âmes, aux initiatives missionnaires. Mais l’acquisition d’un nouveau sens de la pauvreté est une bénédiction pour la vie sacerdotale, comme pour celle de tous les chrétiens, parce qu’elle permet de mieux se conformer aux conseils et aux propositions de Jésus.

3. La pauvreté évangélique – il est bon de clarifier ceci – ne comporte aucun mépris des biens de la terre, mis par Dieu à la disposition de l’homme pour sa vie et sa collaboration au dessein de la création. Selon le Concile Vatican II, le prêtre – comme tout autre chrétien –, parce qu’il a une mission de louange et d’action de grâces, doit reconnaître et magnifier la générosité du Père céleste qui se révèle dans les biens de la création (Presbyterorum ordinis 17).

Mais, ajoute le Concile, les prêtres, tout en vivant au milieu du monde, doivent toujours se souvenir que, comme l’a dit le Seigneur, ils n’appartiennent pas au monde (cf. Jn 17, 14-16), et ils doivent donc se libérer de tout attachement désordonné, afin d’acquérir “ la discrétion spirituelle qui permet de se situer dans un juste rapport avec le monde et les réalités terrestres ” (ibid. ; cf. Pastores dabo vobis, 30). Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un problème délicat. D’une part, “ la mission de l’Église s’exerce au milieu du monde, et les biens créés sont absolument nécessaires au développement personnel de l’homme ”. Jésus n’a pas défendu à ses Apôtres d’accepter les biens nécessaires à leur existence terrestre. Il a même affirmé leur droit à cet égard, en disant dans un discours sur la mission : “ Mangez et buvez ce qu’il y aura chez eux, car l’ouvrier mérite son salaire ” (Lc 10, 7 ; cf. Mt 10, 10). Saint Paul rappelle aux Corinthiens que “ le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile ” (1 Co 9, 14). Il a même demandé instamment “ que le disciple fasse part de toute sorte de biens à celui qui lui enseigne la Parole ” (Ga 6, 6). Il est donc juste que les prêtres aient des biens terrestres et s’en servent “ pour les finalités auxquelles on peut les assigner, d’accord avec la doctrine du Christ Seigneur et les orientations de l’Église ” (Presbyterorum ordinis 17). À cet égard, le Concile n’a pas manqué de proposer des indications concrètes.

Tout d’abord, l’administration des biens ecclésiastiques proprement dits doit être assurée “ selon les lois ecclésiastiques et, si possible, avec l’aide d’experts laïcs ”. Ces biens doivent toujours être employés pour “ organiser le culte divin, assurer au clergé un digne niveau de vie et soutenir les œuvres d’apostolat et de charité, spécialement en faveur des indigents ” (ibid.).

Les ressources provenant de l’exercice de quelque office ecclésiastique doivent être utilisées avant tout “ pour s’assurer un niveau de vie honnête et accomplir les devoirs de son état ; il sera bien de destiner le reste pour le bien de l’Église et pour les œuvres de charité ”. Il faut le souligner particulièrement : l’office ecclésiastique ne peut pas être pour les prêtres – ni non plus pour les évêques – une occasion d’enrichissement personnel ni de profits pour leur famille. “ C’est pourquoi les prêtres, sans s’attacher d’aucune façon aux richesses, doivent éviter toute avidité et s’abstenir de tout type de commerce ” (ibid.). En tout cas, on devra se souvenir que tout, dans l’usage des biens, doit s’accomplir à la lumière de l’Évangile.

4. On doit affirmer la même chose quant à l’engagement du prêtre dans les activités profanes, c’est-à-dire concernant le règlement d’affaires terrestres en dehors du domaine religieux et sacré. Le Synode des évêques de 1971 a déclaré que “ comme norme ordinaire, on doit se consacrer à plein temps au ministère sacerdotal… En effet, on ne peut absolument pas envisager comme fin principale la participation aux activités séculières des hommes, et cette participation ne peut suffire à exprimer la responsabilité spécifique du prêtre ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2a : SMME 596 ; Ench. Vat., IV, 1191). C’était une prise de position devant la tendance, apparue ici ou là, à la sécularisation de l’activité du prêtre, souhaitant qu’il puisse s’engager, comme les laïcs, dans l’exercice d’un métier ou d’une profession séculière.

Il est vrai qu’il existe des circonstances où la seule manière efficace de rattacher à l’Église un milieu de travail qui ignore le Christ, peut être la présence de prêtres qui exercent un métier dans ce milieu, se faisant, par exemple, ouvriers avec les ouvriers. La générosité de ces prêtres est digne d’éloges. Il faut cependant observer que, en assumant des rôles et des postes profanes et laïques, le prêtre risque de réduire à un rôle secondaire, ou même de supprimer, le ministère sacré qui lui est propre. En raison de ce risque, que l’expérience avait confirmé, le Concile avait déjà souligné la nécessité de l’approbation de l’autorité compétente pour exercer un métier manuel en partageant les conditions de vie des ouvriers (cf. Presbyterorum ordinis 8). Le Synode de 1971 a donné comme règle à suivre, la convenance ou non d’un certain engagement de travail profane avec les finalités du sacerdoce “ au jugement de l’évêque local avec son presbyterium, et après avoir consulté, autant que nécessaire, la Conférence épiscopale ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2a : SMME 596 ; Ench. Vat., IV, 1192).

Par ailleurs, il est clair que l’on peut rencontrer aujourd’hui, comme dans le passé, des cas spéciaux où un prêtre, particulièrement doué et préparé, peut exercer une activité dans des domaines du travail ou de la culture qui ne sont pas directement ecclésiaux. On devra cependant faire tout ce qui est possible pour que ces cas restent exceptionnels. Et même alors, on devra toujours appliquer le critère fixé par le Synode, si l’on veut être fidèles à l’Évangile et à l’Église.

5. Nous terminerons cette catéchèse en nous tournant, une fois encore, vers la figure de Jésus-Christ, Souverain Prêtre, Bon Pasteur et modèle suprême des prêtres. Il est le modèle du dépouillement des biens terrestres pour le prêtre qui veut se conformer à l’exigence de la pauvreté évangélique. En effet, Jésus est né et a vécu dans la pauvreté. Saint Paul avertissait : “ De riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour vous ” (2 Co 8, 9). Jésus lui-même, à quelqu’un qui voulait le suivre, a dit de lui-même : “ Les renards ont une tanière et les oiseaux du ciel leur nid, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête ” (Lc 9, 57). Ces paroles manifestent un détachement complet de toutes les commodités terrestres. Mais on ne doit pas en conclure que Jésus a vécu dans la misère. D’autres passages de l’Évangile rapportent qu’il recevait et acceptait des invitations chez des gens riches (cf. Mt 9, 10-11 ; Mc 2, 15-16 ; Lc 5, 29 ; 7, 36 ; 19, 5-6), qu’il avait des collaboratrices qui l’aidaient dans ses besoins économiques (Lc 8, 2-3 ; cf. Mt 27, 55 ; Mc 15, 40 ; Lc 23, 55-56) et qu’il était en mesure de faire l’aumône aux pauvres (cf. Jn 13, 29). Il n’y a cependant aucun doute quant à la vie et l’esprit de pauvreté qui le caractérisaient.

Le même esprit de pauvreté devra animer le comportement du prêtre, en marquant son attitude, sa vie et sa figure même de pasteur et d’homme de Dieu. Cela se traduira par un désintéressement et un détachement vis-à-vis de l’argent, par le renoncement à toute avidité dans la possession des biens terrestres, un style de vie simple, le choix d’une habitation modeste et accessible à tous, le refus de tout ce qui est luxueux, ne serait-ce qu’en apparence, une tendance croissante à la gratuité dans le dévouement au service de Dieu et des fidèles.

6. Ajoutons enfin que, appelés par Jésus et selon son exemple, à “ évangéliser les pauvres ”, “ les prêtres – comme aussi les évêques – s’efforceront d’éviter tout ce qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, écarter les pauvres ” (Presbyterorum ordinis 17). Au contraire, en nourrissent en eux-mêmes un esprit évangélique de pauvreté, ils seront en mesure de montrer leur option préférentielle pour les pauvres, la traduisant par le partage, par des œuvres personnelles et communautaires d’aide, y compris matérielle, en faveur de ceux qui se trouvent dans le besoin. C’est là un témoignage du Christ pauvre que rendent aujourd’hui de nombreux prêtres, pauvres et amis des pauvres. C’est une grande flamme d’amour allumée dans la vie du clergé et de l’Église. Si parfois le clergé a pu en certains lieux être rangé dans la catégorie des riches, il se sent aujourd’hui honoré, avec toute l’Église, de se trouver en première ligne parmi “ les nouveaux pauvres ”. C’est un grand progrès dans suite du Christ sur le chemin de l’Évangile.

 

 

 



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