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DISCOURS DE JEAN-PAUL II AUX 
PARTICIPANTS AU CONGRÈS MONDIAL 
DES INSTITUTS SÉCULIERS

Castelgandolfo
Jeudi, 28 août 1980 

 

Chers Frères et Soeurs dans le Seigneur,

1. “A VOUS, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ”. Ces paroles, familières à l’Apôtre saint Paul[1], montent spontanément à mes lèvres pour vous souhaiter la bienvenue, et pour vous exprimer ma reconnaissance pour la visite que vous me rendez à l’occasion de votre Congrès, qui réunit les représentants des Instituts séculiers du monde entier.

Cette rencontre me procure une joie profonde. En effet, votre état de vie consacrée constitue un don particulier de l’Esprit-Saint fait à notre temps pour l’aider, comme l’ont dit mes confrères latino-américains réunis à Puebla, “à résoudre la tension entre l’ouverture objective aux valeurs du monde moderne (état séculier chrétien authentique) et le don plénier du cœur à Dieu (esprit de la consécration)”[2]. En effet, vous vous trouvez pour ainsi dire au centre du conflit qui agite et divise l’âme moderne, c’est pourquoi vous pouvez offrir “un apport pastoral efficace pour l’avenir et ouvrir des voies nouvelles et de valeur universelle pour le peuple de Dieu”[3].

Je porte donc un grand intérêt à votre Congrès et je prie le Seigneur de vous donner sa lumière et sa grâce afin que les travaux de votre assemblée vous permettent d’analyser lucidement les possibilités et les risques que votre manière de vivre comporte, de prendre ensuite les décisions capables d’assurer à votre choix de vie, dont l’Église attend beaucoup aujourd’hui, les développements opportuns.

2. En choisissant le thème de votre Congrès: “L’évangélisation et les Instituts séculiers à la lumière de l’exhortation apostolique "Evangelii Nuntiandi"”, vous avez suivi une suggestion contenue dans une allocution de mon vénéré prédécesseur, le Pape Paul VI auquel va certainement votre gratitude pour l’attention qu’il vous a toujours réservée et pour l’efficacité avec laquelle il sut faire accueillir par l’Église la consécration dans la vie séculière.

S’adressant le 25 août 1976 aux Responsables généraux de vos Instituts, il remarquait: “S’ils demeurent fidèles à leur vocation propre, les Instituts séculiers deviendront comme " le laboratoire d’expérience " dans lequel l’Église vérifie les modalités concrètes de ses rapports avec le monde. C’est pourquoi ils doivent écouter, comme leur étant adressé surtout à eux, l’appel de l’Exhortation Apostolique "Evangelii Nuntiandi": " Leur tâche première... est la mise en œuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur activité évangélisatrice c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass media" (n. 70)”[4].

Dans ces paroles, l’accent mis sur la réalité ecclésiale des Instituts séculiers dans leur être et dans leur agir n’aura certainement échappé à personne. Il est d’ailleurs développé aussi dans d’autres discours. Il y a là un élément que je désire souligner. En effet, comment ne pas se rendre compte combien il est important que votre expérience de vie, caractérisée et unifiée par la consécration, l’apostolat et la vie séculière, se déroule, à travers certes un sain pluralisme, dans une communion authentique: avec les Pasteurs de l’Église et dans la participation à la mission évangélisatrice de tout le peuple de Dieu?

Ceci ne porte pas préjudice, d’ailleurs, à ce qui distingue essentiellement le mode de consécration au Christ qui vous est propre. Mon prédécesseur le précisait dans l’allocution que j’ai déjà citée, et il rappelait à cette occasion une distinction de grande importance méthodologique: “Cela ne signifie pas, évidemment, - disait-il - que les Instituts séculiers, en tant que tels, doivent se charger de ces tâches. Cela revient normalement à chacun de leurs membres. C’est donc le devoir des Instituts eux-mêmes de former la conscience de leurs membres à une maturité et à une ouverture qui les poussent à se préparer avec beaucoup de zèle à la profession choisie, afin d’affronter ensuite avec compétence, et en esprit de détachement évangélique, les poids et la joie des responsabilités sociales vers lesquelles la Providence les orientera”[5].

3. Conformément à ces indications du Pape Paul VI, vos Instituts ont approfondi de diverses manières, ces dernières années, au niveau national ou continental, le thème de l’évangélisation.

Votre Congrès actuel veut faire le point sur les résultats acquis et en vérifier la valeur, afin d’orienter toujours mieux les efforts de chacun en accord avec la vie de l’Église, qui cherche par tous les moyens “à étudier comment faire arriver à l’homme moderne le message chrétien dans lequel il peut trouver la réponse à ses interrogations et la force pour son engagement de solidarité humaine”[6].

Je suis heureux de prendre acte du bon travail accompli, et j’exhorte tous les membres, prêtres et laïcs, à persévérer dans la recherche d’une meilleure compréhension des réalités et des valeurs temporelles par rapport à l’évangélisation elle-même: le prêtre, pour se rendre toujours plus attentif à la situation des laïcs et pour porter au presbyterium diocésain non seulement une expérience de vie selon les conseils évangéliques et avec une aide communautaire, mais aussi une sensibilité exacte du rapport de l’Église au monde; le laïc, pour accueillir le rôle particulier dévolu à celui qui est consacré dans la vie laïque au service de l’évangélisation.

Que les laïcs aient, en ce domaine, une charge spécifique, j’ai eu l’occasion de le souligner à maintes reprises, en accord étroit d’ailleurs avec les indications données par le Concile. “En tant que peuple saint de Dieu - disais-je par exemple à Limerick, au cours de mon pèlerinage en Irlande - vous êtes appelés à remplir votre rôle dans l’évangélisation du monde”. Oui, les laïcs sont “une race élue, un sacerdoce saint”. Eux aussi sont appelés à être “le sel de la terre” et “la lumière du monde”. C’est leur vocation et leur mission spécifique de manifester l’Évangile dans leur vie et de l’insérer ainsi comme un levain dans la réalité du monde où ils vivent et travaillent. Les grandes forces qui régissent le monde - politique, mass media, science, technologie, culture, éducation, industrie et travail - sont précisément les domaines où les laïcs ont spécifiquement compétence pour y exercer leur mission. Si ces forces sont dirigées par des personnes qui sont de véritables disciples du Christ et qui, en même temps, par leurs connaissances et leurs talents, sont compétentes dans leur domaine spécifique, alors le monde sera vraiment changé du dedans par la puissance rédemptrice du Christ”[7].

4. En reprenant maintenant ce discours et en l’approfondissant, j’éprouve le besoin d’attirer votre attention sur trois conditions d’une importance fondamentale pour l’efficacité de votre mission:

a) Vous devez être, avant tout, de vrais disciples du Christ. En tant que membres d’un Institut séculier, vous voulez être tels par le radicalisme de votre engagement à suivre les conseils évangéliques d’une manière telle que, non seulement elle ne change pas votre condition, - vous êtes et vous demeurez des laïcs! - mais qu’elle la renforce, en ce sens que votre état séculier soit consacré, qu’il soit plus exigeant et que l’engagement dans le monde et pour le monde, impliqué par cet état séculier, soit permanent et fidèle.

Rendez-vous bien compte de ce que cela signifie: la consécration spéciale, qui conduit à sa plénitude la consécration du baptême et de la confirmation, doit imprégner toute votre vie et toutes vos activités quotidiennes, en créant en vous une disponibilité totale à la volonté du Père qui vous a placés dans le monde et pour le monde. De cette manière, la consécration en viendra à constituer comme l’élément de discernement de l’état séculier, et vous ne courrez pas le risque d’accepter cet état simplement comme tel, avec un optimisme facile, mais vous l’assumerez en gardant conscience de l’ambiguïté permanente qui l’accompagne, et vous vous sentirez logiquement engagés à en discerner les éléments positifs et ceux qui sont négatifs afin de privilégier les uns, précisément par l’exercice du discernement, et pour éliminer au contraire progressivement les autres.

b) La seconde condition est que vous soyez, au niveau du savoir et de l’expérience, vraiment compétents dans votre domaine spécifique pour exercer, grâce à votre présence, cet apostolat de témoignage et d’engagement envers les autres que votre consécration et votre vie dans l’Église vous imposent. En effet, c’est seulement grâce à cette compétence que vous pourrez mettre en pratique la recommandation adressée par le Concile aux membres des Instituts séculiers: “Il faut qu’ils tendent avant tout à se donner entièrement à Dieu dans la charité parfaite et que leurs Instituts gardent le caractère séculier qui leur est propre et spécifique afin de pouvoir exercer partout et efficacement l’apostolat dans le monde et comme du sein du monde, apostolat pour lequel ils ont été créées”[8].

c) La troisième condition sur laquelle je veux vous inviter à réfléchir est constituée par cette résolution qui vous est propre: à savoir de changer le monde de l’intérieur. Vous êtes, en effet, insérés dans le monde à part entière et non seulement de par votre condition sociologique; vous êtes tenus à cette insertion avant tout comme à une attitude intérieure. Vous devez donc vous considérer comme “partie” du monde, comme engagés à le sanctifier, en acceptant totalement les exigences qui découlent de la légitime autonomie des réalités du monde, de ses valeurs et de ses lois.

Ceci veut dire que vous devez prendre au sérieux l’ordre naturel et son “épaisseur ontologique”, en essayant de lire en lui le dessein librement poursuivi par Dieu, et en offrant votre collaboration afin qu’il s’actualise progressivement dans l’histoire. La foi vous donne des lumières sur le destin supérieur auquel cette histoire est ouverte grâce à l’initiative salvatrice du Christ; dans la révélation divine, cependant, vous ne trouvez pas de réponses toutes faites aux nombreuses questions que l’engagement concret vous pose. C’est votre devoir de chercher, à la lumière de la foi, les solutions adéquates aux problèmes pratiques qui émergent peu à peu, et que vous ne pourrez souvent obtenir qu’en prenant le risque de solutions seulement probables.

Il y a donc un engagement à promouvoir les réalités de l’ordre naturel et il y a un engagement à faire intervenir les valeurs de la foi, qui doivent s’unir et s’intégrer harmonieusement à votre vie, en constituant son orientation de fond et sa constante inspiration. De cette façon, vous pourrez contribuer à changer le monde “du dedans”, en devenant son ferment vivifiant et en obéissant à la consigne qui vous a été donnée dans le Motu Proprio “Primo Feliciter”: être “le ferment, modeste mais efficace, qui agissant partout et toujours, et mêlé à toutes les classes de citoyens, des plus modestes aux plus élevées, s’efforce de les atteindre et de les imprégner toutes et chacune par l’exemple et de toutes façons jusqu’à informer la masse toute entière de telle sorte qu’elle soit toute levée et transformée dans le Christ”.

5. La mise en évidence de l’apport spécifique de votre style de vie ne doit pas, cependant, conduire à sous-évaluer les autres formes de consécration à la cause du Royaume auxquelles vous pouvez aussi être appelés. Je veux faire allusion ici à ce qui est dit au numéro 73 de l’exhortation “Evangelii Nuntiandi”, qui rappelle que: “les laïcs peuvent aussi se sentir appelés ou être appelés à collaborer avec les Pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour la croissance et la vie de celle-ci, exerçant des ministères très diversifiés, selon la grâce et les charismes que le Seigneur voudra bien déposer en eux”.

Cet aspect n’est certainement pas nouveau mais correspond au contraire dans l’Église à de très vieilles traditions; il concerne aussi un certain nombre de membres des Instituts séculiers et principalement, mais non exclusivement, ceux qui vivent dans les communautés d’Amérique latine ou d’autres pays du tiers-monde.

6. Chers Fils et Filles, votre champ d’action, comme vous le voyez, est très vaste. L’Église attend beaucoup de vous. Elle a besoin de votre témoignage pour apporter au monde, affamé de la Parole de Dieu même s’il n’en a pas conscience, la “joyeuse annonce” que toute aspiration authentiquement humaine peut trouver dans le Christ son accomplissement. Sachez être à la hauteur des grandes possibilités que la Providence divine vous offre en cette fin du second millénaire du christianisme.

Pour ma part, je renouvelle ma prière au Seigneur, par l’intercession maternelle de la Vierge Marie, afin qu’il vous accorde en abondance ses dons de lumière, de sagesse, de détermination dans la recherche des voies les meilleures pour être, parmi vos frères et vos sœurs qui sont dans le monde, un témoignage vivant rendu au Christ et un appel discret mais convaincant à accueillir sa nouveauté dans la vie personnelle et dans les structures sociales.

Que la charité du Seigneur guide vos réflexions et vos échanges durant ce Congrès. Vous pourrez alors marcher avec confiance. Je vous y encourage en vous donnant la Bénédiction Apostolique, pour vous ainsi que pour ceux et celles que vous représentez aujourd’hui.


[1] Cf. Rm 1, 7; 1 Co 1, 3; 2 Co 1, 2, etc.

[2] Cf. Document final de l'Assemblée de Puebla, n. 775.

[3] Ibid.

[4] Cf. Doc. Cath., 1976, p. 807.

[5] Cf. ibid. p. 807.

[6] Evangelii Nuntiandi, n.3.

[7] Homélie prononcée à Limerick, le 1er octobre 1979. Cf. Doc. Cath. 1979, p. 867.

[8] Décret Perfectae Caritatis, n.11.

 

 

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