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DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II 
À LA COUR EUROPÉENNE

Lundi, 10 novembre 1980

 

Messieurs les Présidents,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Je mesure toute l'importance de cette rencontre avec les représentants du Mouvement international des Juristes catholiques, auxquels se sont jointes de hautes personnalités de l’Organisation des Nations Unies, de l’UNESCO, de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe et du Corps diplomatique. Je suis très heureux de vous accueillir à l’occasion de votre Colloque romain organisé pour le trentième anniversaire de la signature de la Convention européenne des Droits de l’homme.

Cet anniversaire suscite en effet dans notre cœur une profonde et sincère reconnaissance envers les promoteurs de cet important document, et en même temps il nous stimule à reprendre conscience de tout ce qu’il contient et surtout à vérifier courageusement et sincèrement l’application effective qui a pu en être faite.

Le Colloque vous a permis de réfléchir sur les fondements doctrinaux de la Convention comme sur la jurisprudence qui s’est développée ces trente dernières années pour défendre la dignité de la personne et soutenir ses droits inviolables.

2. Et maintenant cette rencontre avec le Pape, qui se déroule dans le sillage d’une tradition de fécond dialogue entre les Papes et les Institutions européennes[1] et de collaboration entre le Saint-Siège et la communauté européenne, m’offre l’occasion de rappeler l’intérêt et l’engagement de l’Église pour la consolidation de la paix et de la justice entre les peuples européens.

Il faut tout d’abord noter que l’Église catholique, dans ses hommes les meilleurs et surtout dans ses saints, a offert une contribution décisive pour le développement et pour l’unité de l’Europe. Je le rappelais explicitement le 8 octobre, en inaugurant la chapelle hongroise dans les grottes vaticanes: “De l’œuvre des saints est née une civilisation européenne fondée sur l’Évangile du Christ et a surgi un ferment pour un authentique humanisme, imprégné de valeurs éternelles, tandis que s’enracinait par ailleurs une œuvre de promotion civile sous le signe et dans le respect du primat du spirituel. La perspective ouverte alors par la fermeté de ces témoins de la foi est toujours actuelle et constitue la route idéale pour continuer à construire une Europe pacifique, solidaire, vraiment humaine, et pour dépasser les oppositions et contradictions qui risquent de bouleverser la sérénité des individus et des nations”[2].

3. Il ne fait pas de doute qu’à la base de 1’“Europe des hommes” il y a l’image de l’homme que la révélation chrétienne nous a laissée et que l’Église catholique continue à annoncer et à servir. Il s’agit de l’homme dans sa pleine vérité, dans toutes ses dimensions, de l’homme concret, historique, de chacun des hommes compris dans le mystère de la Rédemption, aimé par Dieu et destiné a la grâce, comme je l’ai longuement exposé dans l’encyclique “Redemptor Hominis”[3]. Cette image de l’homme a marqué de manière particulière la culture européenne et elle sera toujours pour nous le principe fondamental de toute dignité humaine. C’est sur cette base que se construit l’Europe des hommes et des peuples, et pas seulement celle du progrès matériel et technique.

A cette œuvre gigantesque et jamais terminée, une contribution de qualité est apportée par la Convention européenne des droits de l’homme que les États membres du Conseil de l’Europe ont signée, “animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit”, pour reprendre les mots du préambule. On a voulu, par cet acte solennel, assurer la garantie collective de l’exercice des droits énoncés dans la Déclaration universelle de 1948, et en même temps tous les Européens se sont engagés à travailler efficacement pour passer de l’égoïsme individuel ou nationaliste à une authentique solidarité entre les personnes et entre les nations.

4. Le chemin accompli par l’Europe au cours de ces trente années, après le bouleversement du dernier conflit mondial est d’une importance considérable et il est sûrement positif, si l’on pense par exemple à la façon de percevoir la hiérarchie des droits, au souci de les garantir au plan législatif et judiciaire, d’éduquer globalement au respect de l’autre et à la reconnaissance de ses droits de façon réciproque. Mais pour assurer à tout homme le droit de vivre dans le plein respect de la dignité due à son existence et à sa liberté, il faut donner encore davantage de place à l’affirmation de chacun des droits énumérés dans la Convention, parmi lesquels certains prennent un relief tout à fait particulier, tel le droit à la vie, dans toute son extension, et le droit à la liberté religieuse.

Le défenseur des droits de l’homme doit être, par sa nature même, l’État, tout État, auquel le droit naturel assigne précisément comme but le “bien commun temporel”. Mais, comme l’affirmait mon prédécesseur Jean XXIII dans son encyclique “Pacem in terris” le bien commun ne peut être conçu qu’en tenant compte de l’homme et de tout l’homme. Le bien commun n’est pas une idéologie ou une théorie, mais il est un engagement à créer des conditions de développement plénier pour tous ceux qui participent à un système social donné[4]. La reconnaissance des droits naturels de l’homme est une condition pour l’existence de l’état de droit: “Le bien de l’homme, ai-je dit dans l’encyclique “Redemptor Hominis”, comme facteur fondamental du bien commun, doit constituer le critère essentiel de tous les programmes, systèmes, régimes”[5]. Ce principe personnaliste se trouve aujourd’hui explicitement énoncé ou du moins implicitement accueilli dans les textes constitutionnels des États libres, et sa valeur a été proclamée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme; il impose à l’État des obligations précises pour garantir les fins des personnes qui les composent[6]. A partir de là peuvent être déterminés les contenus du bien commun, lequel est le but de l’État et de là découlent pour l’État des obligations précises[7].

Il faut mentionner ensuite les institutions et les procédures internationales, telles que la Commission européenne des droits de l’homme - à laquelle toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou groupe de personnes privées peuvent recourir, dans le cas où ils seraient victimes d’une violation des droits reconnus dans la Convention - et la Cour européenne des droits de l’homme. A leur endroit, on peut reconnaître “l’activité méritoire et délicate (qui) vise à assurer le respect des garanties prévues par la Convention, en ouvrant aux personnes qui se plaignent d’avoir été victimes d’une violation des droits de l’homme l’accès à des instances supranationales”[8].

Les deux institutions ont étendu leur juridiction à des problèmes fondamentaux tels que la protection de la vie privée, la protection des droits des mineurs, la liberté d’association, le respect des droits de la famille et la promotion des valeurs positives nécessaires au développement intégral de l’homme et des communautés humaines. De la sorte, la Commission et la Cour se sont instituées défenseurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales “qui constituent les bases mêmes de la justice et de la paix” en Europe et dans le monde.

5. Je voudrais vous proposer une ultime réflexion. La Déclaration des droits de l’homme comme la Convention européenne se réfèrent non seulement aux droits de l’homme, mais aussi au droit des sociétés, à commencer par la “société familiale”.

Le récent Synode des Évêques, vous le savez, a étudié de façon précise “les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui”. La Convention européenne offre, elle aussi, quelques indications précieuses sur ce thème, à commencer par l’article 2: “Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi”. Et l’article 8 ajoute: “Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”, tandis que l’article 12 précise: “A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit”. Ces trois articles expriment une attitude ferme en faveur de la vie ainsi que de l’autonomie et des droits de la famille, et ils assurent une rigoureuse défense juridique de ces droits.

Mais dans la ligne de l’affirmation de la priorité de la famille, il me semble important de souligner la disposition de l’article 2 du “Protocole additionnel” qui s’énonce ainsi: “Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques”. Cette affirmation exclut toute restriction d’ordre juridique ou économique, ou toute pression idéologique qui empêcherait le droit sacro-saint des parents de s’exercer; et en même temps elle pousse la famille à assumer son rôle éducatif, en elle-même et dans la communauté civile qui doit lui reconnaître explicitement cette tâche originelle en tant que “société jouissant d’un droit propre et primordial”[9].

L’Église est convaincue que la famille se trouve insérée dans une société plus vaste sur laquelle elle est ouverte et envers laquelle elle est responsable. Mais l’Église réaffirme et soutient le droit qu’a tout homme de fonder une famille et de défendre sa vie privée, comme aussi le droit des époux à la procréation et à la décision concernant le nombre de leurs enfants, sans contrainte indue de l’autorité publique, et le droit d’éduquer leurs enfants au sein de la famille[10]. L’Église exhorte tous les hommes à veiller à ce que “il soit tenu compte, dans le gouvernement du pays, des exigences des familles concernant l’habitation, l’éducation des enfants, les conditions de travail, la sécurité sociale et les impôts et que dans les migrations la vie commune de la famille soit parfaitement respectée”[11].

La promotion de la famille comme cellule première et vitale de la société, et donc comme institution éducative de base, ou au contraire la diminution progressive de ses compétences et même des tâches des parents, dépend en très grande partie du projet social influencé par les idéologies et concrétisé dans certaines législations modernes, lesquelles en arrivent à être en contradiction évidente avec la lettre des droits de l’homme reconnus par les documents internationaux solennels comme la Convention européenne des droits de l’homme.

Alors s’impose nécessairement le devoir de soumettre les lois et les systèmes à une continuelle révision du point de vue des droits objectifs et inviolables de l’homme.

Il faut souhaiter en fin de compte que tout programme, tout plan de développement social, économique, politique, culturel de l’Europe mette toujours au premier plan l’homme avec sa dignité suprême et avec ses droits imprescriptibles, fondement indispensable de progrès authentique.

C’est dans cette esprit que je me réjouis des échanges approfondis que votre Colloque vous aura permis. Je forme les meilleurs vœux pour que cette rencontre aide désormais tous les participants à réaliser, chacun selon sa responsabilité, les objectifs qui ont été mis en lumière, qu’il s’agisse de l’homme, de la famille ou de l’État. Que Dieu vous assiste dans cette noble tâche, et moi, je vous bénis de tout cœur.


[1] Cfr., ex. gr., I Papi e l'Europa, Documenti, Torino 1978.

[2] Ioannis Pauli PP. II Homilia occasione inaugurationis sacelli Hungarici in cryptis Vaticanis habita, die 8 oct. 1980: vide supra, pp. 803-804.

[3] Eiusdem Redemptor Hominis, 13.

[4] Cfr. Gaudium et Spes, 74.

[5] Ioannis Pauli PP. II Redemptor Hominis, 17.

[6] Cfr. ibid.

[7] Cfr. ibid.

[8] Cfr. Eiusdem Nuntius scripto datus: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, 2 (1979) 1531 ss.

[9] Cfr. Dignitatis Humanae, 5.

[10] Cfr. Gaudium et Spes, 52 et 87.

[11] Apostolicam Actuositatem, 11.

 

 

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