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PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN FRANCE

DISCOURS DU SAINT

-PÈRE
À L 'OCCASION DE LA RETRAITE SPIRITUELLE
DES
PRÊTRES, DIACRES ET SÉMINARISTES

Ars (France)
Lundi, 6 octobre 1986

Plus le peuple chrétien prend conscience de sa propre dignité 
plus il sentira le besoin de vrai prêtres.

1ère Lecture (Jn 20,19-23):

«Ce même soir, le premier jour de la semaine, les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint et il était au milieu d’eux. Il leur dit: “La paix soit avec vous”.

Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau: “La paix soit avec vous! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie”. Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et leur dit: “Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus”».

1. “Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie... Recevez l’Esprit Saint”.

Chers Frères, c’est le Christ qui nous choisit, il nous envoie comme il a été envoyé par le Père, et il nous communique l’Esprit Saint. Notre sacerdoce s’enracine dans les missions des personnes divines, dans leur Don mutuel au cœur de la Sainte Trinité. “La grâce de l’Esprit Saint... continue à être transmise par l’ordination épiscopale. Puis, par le sacrement de l’Ordre, les évêques font participer les ministres sacrés à ce don spirituel” Les prêtres participent à cette grâce et les diacres aussi.

Notre mission est une mission de salut. “Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour que par lui le monde soit sauvé” (Jn 3, 17). Jésus a prêché la Bonne Nouvelle du Royaume; il a choisi et formé ses apôtres; il a accompli par la croix et la résurrection l’œuvre de la Rédemption; à la suite des Apôtres, nous sommes associés d’une façon particulière à son œuvre de salut, pour la rendre présente et efficiente partout dans le monde. Saint Jean-Marie Vianney allait jusqu’à dire: “Sans le prêtre, la mort et la passion de Notre Seigneur ne serviraient de rien. C’est le prêtre qui continue l’œuvre de la Rédemption sur la terre” (Giovanni-Maria Vianney, curé d’Ars. sa pensée, son coeur, présentés par l'abbé Bernard Nodet, Le Puy, 1958, p. 100; par la suite: Nodet).

Ce que nous avons à réaliser, ce n’est donc pas notre œuvre, c’est le dessein du Père, c’est l’œuvre de salut du Fils. L’Esprit Saint se sert de notre esprit, de notre bouche, de nos mains. Il nous revient notamment de proclamer sans cesse la Parole, pour évangéliser; de la traduire de manière à toucher les cœurs, sans l’altérer ni l’amoindrir; et de refaire le geste d’offrande de Jésus à la Cène, ses gestes de pardon envers les pécheurs.

2. Ce n’est pas seulement une charge que nous avons reçue, une fonction qualifiée à accomplir au service du peuple de Dieu. Les gens peuvent parler du sacerdoce comme d’un métier, d’une fonction, y compris la fonction de présidence du rassemblement eucharistique. Mais nous n’en sommes pas réduits à être des fonctionnaires.

D’abord parce que c’est dans notre âme même que, par l’ordination, nous sommes marqués d’un caractère spécial qui nous configure au Christ Prêtre pour nous rendre capables d’agir au nom du Christ-Tête en personne. Certes, nous sommes pris d’entre les hommes et nous demeurons proches d’eux, “chrétiens avec eux” disait saint Augustin. Mais nous sommes “mis à part”, totalement consacrés à l’œuvre du salut; “la fonction du prêtre, en tant qu’elle est unie à l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps” (Presbyterorum Ordinis, 2-3). C’est le Concile Vatican II qui nous le rappelle.

Nous sommes à la fois dans l’assemblée chrétienne et face à elle, pour signifier que l’initiative de la sanctification vient de Dieu, de la Tête du Corps, et que l’Eglise la reçoit. Envoyés au nom du Christ, nous avons été sanctifiés par lui à un titre spécifique: cela demeure, et atteint en profondeur notre être de baptisés. Le Curé d’Ars avait à ce sujet des formules chocs: “C’est le prêtre que Dieu place sur la terre comme un autre médiateur entre le Seigneur et le pauvre pécheur” (Nodet, 99), nous dirions aujourd’hui: il participe d’une façon spécifique à la mission du seul Médiateur, Jésus-Christ.

Cela entraîne une conséquence dans notre vie de chaque jour. Il est normal que nous cherchions continuellement à conformer au Christ, dont nous sommes les ministres, non seulement les gestes du ministère, mais nos pensées, l’attachement de notre cœur, notre conduite, en disciples qui vont jusqu’à reproduire les mystères de sa vie, comme disait le Père Chevrier. Cela suppose évidemment une véritable intimité avec le Christ, dans la prière. Toute notre personne et toute notre vie renvoient au Christ. Imitamini quod tractatis. Tous les baptisés sont appelés à la sainteté, mais notre consécration et notre mission nous font un devoir particulier d’y tendre, que nous soyons séculiers ou religieux, à travers les richesses inhérentes à notre sacerdoce et les exigences de notre ministère au sein du peuple de Dieu.

Certes, les sacrements tiennent leur efficacité du Christ et non de notre dignité. Nous sommes ses instruments, pauvres et humbles, qui n’ont pas à attribuer le mérite de la grâce transmise, mais des instruments responsables, et, par la sainteté du ministre, les âmes sont mieux disposées à coopérer à la grâce.

Précisément, nous voyons dans le Curé d’Ars un prêtre qui ne s’est pas contenté d’accomplir extérieurement les gestes de la Rédemption; il y a participé dans son être même, dans son amour du Christ, dans sa prière constante, dans l’offrande de ses épreuves ou ses mortifications volontaires. Je le disais déjà aux prêtres à Notre-Dame de Paris, le 30 mai 1980: “Le Curé d’Ars demeure pour tous les pays un modèle hors pair, à la fois de l’accomplissement du ministère et de la sainteté du ministre”.

3. C’est vous dire, chers amis, qu’à bon droit nous pouvons admirer la splendeur du sacerdoce ministériel, comme aussi la vocation religieuse, car il y a une certaine relation entre les deux. Vous connaissez le mot du Curé d’Ars: “Oh, que le prêtre est quelque chose de grand! S’il le comprenait, il mourrait” (Nodet, 99).

Quelle merveille en effet d’exercer, comme évêques ou comme prêtres, notre triple mission sacerdotale, indispensable à l’Eglise:

– celle d’annonciateur de la Bonne Nouvelle: faire connaître Jésus-Christ; mettre en relation vraie avec Lui; veiller à l’authenticité et à la fidélité de la foi, qu’elle ne défaille pas, qu’elle ne soit ni altérée, ni sclérosée; et aussi entretenir dans l’Eglise l’élan évangélisateur, former à l’apostolat;

– celle de dispensateur des mystères de Dieu: les rendre présents de façon authentique, notamment le mystère pascal par l’Eucharistie, et le pardon; permettre aux baptisés d’y accéder, et les y préparer. A de tels ministères, les laïcs ne pourront jamais être délégués; il faut une ordination sacerdotale, qui permet d’agir au nom du Christ-Tête;

– celle enfin de Pasteur: édifier et maintenir la communion entre les chrétiens, dans la communauté qui nous est confiée, avec les autres communautés diocésaines, toutes en lien avec le successeur de Pierre. Avant d’être spécialisé, en fonction de ses compétences personnelles et en accord avec son évêque, le prêtre est en effet le ministre de la communion: dans une communauté chrétienne qui risque souvent l’éclatement ou la fermeture, il assure à la fois le rassemblement de la famille de Dieu et son ouverture. Son sacerdoce lui confère le pouvoir de conduire le peuple sacerdotal (cf. Lettre du Jeudi Saint 1979, n. 5) .

4. L’identité spécifique du pretre apparaît ainsi clairement. D’ailleurs, après les débats des vingt dernières années, elle est maintenant de moins en moins discutée. Mais le nombre très restreint de prêtres et d’ordinations sacerdotales en bien des pays pourrait amener certains fidèles ou même des prêtres à se résigner à ce manque, sous prétexte qu’on a mieux redécouvert et mis en pratique le rôle des laïcs.

Il est vrai que le Concile a heureusement replacé le sacerdoce ministériel dans la perspective de la mission apostolique au sein de de tout le peuple de Dieu. Il a évité qu’on en fasse un enrichissement “en soi”, détaché de ce peuple. Il a mis en relief la tâche primordiale d’annoncer la Parole qui prépare le terrain à la foi, et donc aux sacrements. Il a mieux articulé le sacerdoce du prêtre sur celui de l’évêque, et montré son rapport avec le ministère ordonné des diacres et le sacerdoce commun de tous les baptisés grâce auquel tous peuvent et doivent avoir accès aux richesses de la grâce (adoption filiale, vie du Christ, Esprit Saint, sacrements), faire de leur vie une offrande spirituelle, témoigner comme disciples du Christ dans le monde, et prendre leur part de l’apostolat et des services de l’Eglise.

Mais précisément, pour qu’ils exercent pleinement ce rôle prophétique, sacerdotal et royal, les baptisés ont besoin du sacerdoce ministériel, par lequel leur est communiqué de façon privilégiée et tangible le don de la vie divine reçue du Christ, Tête de tout le Corps. Plus le peuple est chrétien et prend conscience de sa dignité et de son rôle actif dans l’Eglise, plus il ressent le besoin de prêtres. Et il en est de même dans les régions déchristianisées et les milieux sociaux coupés de l’Eglise (cf. Discours à Notre-Dame de Paris, 30 mai 1980, n. 3). Laïcs et prêtres ne pourront jamais se résigner à voir réduit le nombre des vocations sacerdotales et des ordinations comme c’est le cas aujourd’hui en maints diocèses. Cette résignation serait un mauvais signe pour la vitalité du peuple chrétien, ce serait périlleux pour son avenir et pour sa mission. Et il serait ambigu, sous prétexte de faire face avec réalisme au proche avenir, d’organiser les communautés chrétiennes comme si elles pouvaient se passer en très grande partie du ministère sacerdotal. Demandonsnous au contraire si nous faisons tout le possible pour aviver dans le peuple chrétien la conscience de la beauté et de la nécessité du sacerdoce, pour éveiller les vocations, les encourager et les faire mûrir. Je suis heureux de savoir que vos services des vocations prennent de nouvelles initiatives pour relancer l’appel. Ne nous lassons pas de faire prier pour que le Maître de la moisson envoie des ouvriers.

Chers Frères, restons modestes et humbles, puisqu’il s’agit d’une grâce du Seigneur reçue pour le service des autres, dont nous ne sommes jamais vraiment dignes. Le Curé d’Ars disait: “Le prêtre n’est pas pour lui, il est pour vous” (Nodet, 102). Mais, comme lui, ne cessons pas d’admirer la grandeur de notre sacerdoce et de rendre grâce à chaque instant. Et puisiez-vous, chers séminaristes, aspirer davantage encore, dans la joie et l’espérance, à ce très haut service du Seigneur et de son Eglise!

PRIERE

Seigneur, comme l’Apôtre Pierre, nous avons tous ressenti, dans le secret de notre vie, l’appel à quitter les berges tranquilles pour aller au large, à laisser les filets d’un métier humain pour être pêcheurs d’hommes;

par l’Eglise, tu nous as appelés, consacrés, oints de ton Esprit, et envoyés devant toi, pour agir en ton nom, au service de tous les membres du peuple de Dieu, afin que de plus en plus ils reçoivent ton message et ta vie divine;

fais que nous demeurions sans cesse dans l’action de grâce et soucieux de conformer toute notre vie à la sainteté de ce ministère, toi qui vis avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles.

Convertir, soigner, sauver,
trois paroles-clés de notre mission
 

2ème Lecture A (1 Cor 9, 16-23):

Annoncer l’Evangile en effet n’est pas pour moi un titre de gloire; c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi, si je n’annonçais pas l’Evangile! Si j’avais l’initiative de cette tâche, j’aurais droit à une récompense; si je ne l’ai pas, c’est une charge qui m’est confiée. Quelle est donc ma récompense? C’est qu’en annonçant l’Evangile, j’offre gratuitement l’Evangile sans user du droit que me confère l’Evangile.

Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Je me suis fait Juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs; sujet de la Loi avec les sujets de la Loi – moi, qui ne suis pas sujet de la Loi – afin de gagner les sujets de la Loi. Je me suis fait un sans-loi avec les sans-loi – moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ – afin de gagner les sans-loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Evangile, afin d’en avoir ma part.

2ème Lecture B (2 Cor. 5, 14-6,2)

Car l’amour du Christ nous presse, à la pensée que, si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est ressuscité pour eux.

Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair. Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant ce n’est plus ainsi que nous le connaissons. Si donc quelqu’un est dans la Christ, c’est une création nouvelle: l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconcilié avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car c’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc en ambassade au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu.

Et puisque nous sommes ses coopérateurs, nous vous exhortons encore à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. II dit en effet: Au moment favorable, je t’ai exaucé; au jour du salut, je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

5. “Je me suis fait tout à tous afin d’en sauver à tout prix quelques-uns” (1 Cor 9, 22).

Le mot de salut est un de ceux qui reviennent le plus souvent chez le Curé d’Ars. Qu’est-ce à dire pour lui? Etre sauvé, c’est être délivré du péché qui éloigne de Dieu, dessèche le cœur, et risque de séparer de l’Amour de Dieu pour toujours, ce qui serait le plus grand malheur. Etre sauvé, c’est vivre uni à Dieu, c’est voir Dieu. Etre sauvé, c’est également être réintroduit dans une vraie communion avec les autres, car nos péchés, bien souvent, consistent à blesser l’amour du prochain, la justice, la vérité, le respect de ses biens et de son corps, ses droits humains, tout cela est contraire à la volonté de Dieu. Et il y a une solidarité profonde entre tous les membres du Corps du Christ: on ne peut l’aimer, Lui, sans aimer ses frères. Le salut permet donc de retrouver une relation filiale avec Dieu et fraternelle avec les autres.

La Rédemption du Christ a ouvert pour tous la possibilité du salut. Le prêtre coopère à la Rédemption, y dispose les âmes en prêchant la conversion, en donnant le pardon. C’est pour leur salut que le Curé d’Ars a voulu être prêtre: “Gagner des âmes au Bon Dieu”, déclarait-il en annonçant sa vocation, à dix-huit ans, comme saint Paul disait: “Gagner le plus grand nombre”, C’est pour cela que Jean-Marie Vianney s’est dépensé jusqu’à l’épuisement, pour cela qu’il acceptait de faire pénitence, comme pour arracher à Dieu les grâces de conversion. Pour leur salut, il craignait, il pleurait. Et lorsqu’il était tenté du fuir sa lourde charge de curé, il revenait, pour le salut des paroissiens. Nous lisons dans saint Paul: “L’amour du Christ nous presse.. le voici, le jour du salut”. “Le sacerdoce, disait encore Jean-Marie Vianney, c’est l’amour du Cœur du Christ” (Nodet, 100).

Chers Frères, beaucoup de nos contemporains semblent devenus indifférents au salut de leur âme. Nous soucions-nous assez de cette perte de foi, ou bien nous résignons-nous?

Certes, nous avons raison d’insister aujourd’hui sur l’amour de Dieu qui a envoyé son Fils pour sauver et non pour condamner. Nous avons raison de miser sur l’amour plutôt que sur la crainte et la peur. D’ailleurs, c’est aussi ce que faisait le Curé d’Ars.

En outre, les hommes sont libres d’adhérer ou non à la foi et au salut; ils réclament hautement cette liberté, et l’Eglise aussi veut que leur démarche soit libre de contraintes extérieures, . étant sauve l’obligation morale pour chacun de chercher la vérité et d’y adhérer, d’agir selon sa conscience.

Enfin, Dieu lui-même est libre de ses dons. La conversion est une grâce. Dans l’encyclique “Dominum et Vivificantem” j’ai montré que seul l’Esprit Saint fait prendre conscience de la gravité du péché, du drame de la perte du sens de Dieu, et donne le désir de la conversion.

Mais notre amour des hommes ne peut se résigner à ce qu’ils se privent du salut. Nous n’avons pas prise directement sur la conversion des âmes. Mais nous sommes responsables de l’annonce de la foi, de la totalité de la foi, et de ses exigences. Nous devons inviter nos fidèles à la conversion et à la sainteté, dire la vérité, avertir, conseiller et faire désirer les sacrements qui les rétablissent dans la grâce de Dieu. Le Curé d’Ars considérait que c’était 1à un ministère redoutable, mais nécessaire: “Si un pasteur reste muet en voyant Dieu outragé et les âmes s’égarer, malheur à lui”. On sait avec quel soin il préparait ses homélies dominicales et ses catéchèses, avec quel courage il rappelait les exigences de l’Evangile, dénonçait le péché et invitait à réparer le mal commis.

Convertir, guérir, sauver: trois maîtres-mots de notre mission. Le Curé d’Ars s’est montré vraiment solidaire de son peuple pécheur; il a tout fait pour arracher les âmes à leur péché, à leur tiédeur, pour les ramener à l’amour: “Accordez-moi la conversion de ma paroisse, et je suis prêt à souffrir ce que vous voudrez, tout le reste de la vie”. Il avait, a-t-on dit, “une vision pathétique du salut”; le jansénisme lui a peut-être inspiré des expressions et un ton sévères. Mais il a su dépasser ce rigorisme. Il préférait insister sur le côté attirant de la vertu, sur la miséricorde de Dieu auprès de laquelle nos péchés sont “comme des grains de sable”. Il montrait la tendresse du Dieu offensé. Ses appels s’inscrivent dans le droit fil des appels des prophètes ((cf. Ep 3, 16-21), de Jésus, de saint Paul, de saint Augustin, sur l’importance du salut et l’urgence de la conversion. Il craignait que les prêtres ne “s’engourdissent”, qu’ils ne s’habituent à l’indifférence de leurs fidèles. Comment pourrions-nous aujourd’hui négliger son avertissement?

6. “Laissez-vous réconcilier avec Dieu”: Cette phrase de saint Paul définit tout à fait le ministère de saint Jean-Marie Vianney. Il est connu dans le monde entier comme celui qui confessait jusqu’à dix heures, quinze heures par jour, ou davantage, et cela encore cinq jours avant sa mort. Il ne s’agit sans doute pas de transporter à la lettre dans nos vies de prêtres son rythme de confesseur, mais son attitude et ses motivations nous interpellent vigoureusement.

Offrir le pardon aux âmes repenties était l’essentiel de son ministère de salut, au prix d’une fatigue qui ne cesse de nous impressionner. Accordons-nous la même importance au sacrement de la réconciliation? Sommes-nous prêts à y consacrer du temps? Formons-nous assez les fidèles à le désirer, à s’y préparer? Cherchonsnous suffisamment les moyens pratiques dans nos villes et nos villages de leur en offrir concrètement la possibilité? Essayons-nous de rénover la célébration du sacrement, conformément aux suggestions de l’Eglise (confrontation à l’Evangile, préparation communautaire assurée périodiquement...), sans cesser d’envisager la démarche personnelle d’aveu, au moins pour les péchés graves? Essayons-nous de faire comprendre qu’il s’agit, dans ce dernier cas, d’une condition pour participer à l’Eucharistie, et aussi pour célébrer dignement le sacrement de mariage? Apprécions-nous l’occasion merveilleuse qui est ainsi offerte de former les consciences, de guider les âmes vers un progrès spirituel?

Je sais, chers amis, qu’après une période difficile, beaucoup de prêtres, avec leur évêque, ont tenté une reprise. Je vous y encourage de toutes mes forces. C’était l’objet du document post-synodal “Reconciliatio et Paenitentia”.

Je sais aussi que vous vous heurtez à beaucoup de difficultés: le manque de prêtres, et surtout la désaffection des fidèles pour le sacrement du pardon. Vous dites: “Depuis longtemps, ils ne viennent plus se confesser”. C’est bien 1à le problème! Cela ne cacherait-il pas un manque de foi, un manque de sens du péché, du sens de la médiation du Christ et de l’Eglise, un mépris pour une pratique dont on n’aurait retenu que les déformations routinières?

Remarquons que son Vicaire général avait dit au Curé d’Ars: “Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous en mettrez”. Et le saint Curé a trouvé lui aussi des pénitents peu fervents. Mais, à cause de son attitude sacerdotale, de sainteté, une foule considérable a saisi l’importance du sacrement du pardon. Par quel secret attirait-il à la fois croyants et incroyants, saintes gens et pécheurs? En fait le Curé d’Ars, qui était si rude dans certaines prédications pour fustiger le péché, était, comme Jésus, très miséricordieux dans la rencontre de chaque pécheur. L’Abbé Monnin disait de lui: c’est un “foyer de tendresse et de miséricorde”. Il brûlait de la miséricorde du Christ.

II s’agit bien là d’un aspect capital de l’évangélisation. Dès le soir de Pâques, les Apôtres sont envoyés pour remettre les péchés. Le don du Saint-Esprit est lié à ce pouvoir. Et le livre des Actes revient sans cesse sur la rémission des péchés, comme la grâce de la nouvelle Alliance (cf. Ac 2, 38; 5, 31; 10, 43; 13, 38). C’est le leitmotiv de la prédication apostolique: “Laissez-vous réconcilier”.

Ces paroles s’adressent aussi à nous, chers amis. Sommes-nous fidèles à accueillir personnellement le pardon par la médiation d’un autre prêtre?

7. C’est à l’Eucharistie que Jean-Marie Vianney voulait conduire ses fidèles repentis. Vous savez la place centrale qu’occupait la messe dans chacune de ses journées, avec quel soin il s’y préparait, la célébrait. Il était très conscient que le renouvellement du sacrifice du Christ était la source des grâces de conversion. Il insistait aussi sur la communion, invitant les hommes dûment préparés à communier plus fréquemment, contrairement à la pastorale de l’époque. Vous savez encore que la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie le fascinait, pendant et en dehors de la messe. On le trouvait si souvent au pied du tabernacle, en adoration! Et ses pauvres paroissiens n’ont pas tardé à venir eux-mêmes saluer et adorer le Christ dans son Saint-Sacrement.

Le Concile nous a heureusement permis de rénover nos célébrations eucharistiques, de les ouvrir à une participation communautaire, de les rendre vivantes, expressives, faciles à suivre. Je pense que le Curé d’Ars s’en réjouirait. Mais nous nous apercevons que tout n’a pas pour autant progressé. La baisse notable de la pratique religieuse, due à des causes multiples que je ne veux pas analyser ici, est un fait très préoccupant. Nos fidèles doivent réapprendre sa place capitale dans la vie du chrétien. C’était une catéchèse essentielle pour le Curé d’Ars. D’autre part, la dignité de la célébration, le recueillement, sont des valeurs qui n’ont pas toujours été respectées. Le Curé d’Ars tenait à créer dans son église tout un climat de prière, accessible au peuple et propre à favoriser l’adoration, même en dehors de la messe. Qui ne désirerait promouvoir ce goût de la prière silencieuse dans nos églises, ce sens de l’intériorité?

Une chose nous frappe encore: le Curé d’Ars a beaucoup travaillé à restaurer le sens du dimanche, de façon à libérer les mères de familles et les domestiques pour le rassemblement eucharistique. Je vous encourage à continuer de promouvoir le dimanche chrétien.

k vous laisse méditer sur cette grâce que le Seigneur nous fait de remettre les péchés en son nom et d’offrir son Corps en nourriture à nos frères et sœurs. “Sauveur avec le Christ”!

PRIERE

Seigneur Jésus-Christ, qui as donné ta vie pour que tous les hommes soient sauvés et aient la vie en abondance, maintiens en nous le désir du salut de tous ceux que tu confies à notre ministère. Renouvelle notre disponibilité à leur offrir la réconciliation avec Dieu et avec leurs frères, comme saint Paul et saint Jean-Marie Vianney.

Nous te rendons grâce pour ton Corps et ton Sang que tu nous permets chaque jour d’offrir pour le salut du monde, de recevoir en nous, de donner à nos frères et sœurs et de vénérer dans nos églises. Ne permets pas que nos cœurs s’habituent à ce don: donnenous d’y discerner ton Amour extrême, comme le Curé d’Ars. Toi qui règnes avec le Père et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles.

3ème Lecture (2 Cor. 4, l-15)

Voilà pourquoi, miséricordieusement investis de ce ministère, nous ne faiblissons pas, mais nous avons répudié les dissimulations de la honte, ne nous conduisant pas avec astuce et ne falsifiant pas la parole de Dieu. Au contraire, par la manifestation de la vérité, nous nous recommandons à toute conscience humaine devant Dieu. Que si notre Evangile demeure voilé, c’est pour ceux qui se perdent qu’il est voilé, pour les incrédules dont le Dieu de ce monde a aveuglé l’entendement afin qu’ils ne voient pas briller l’Evangile de la gloire du Christ, qui est l’image de Dieu. Car ce n’est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, Seigneur; nous ne sommes, nous, que vos serviteurs à cause de Jésus. En effet le Dieu qui a dit: Que des ténèbres resplendisse la lumière, est Celui qui a resplendi dans nos cœurs, pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ.

Mais ce trésor, nous le portons en des vases d’argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous. Nous sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés; persécutés, mais non abandonnés; terrassés, mais non annihilés. Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi manifestée dans notre corps. Quoique vivants en effet, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle. Ainsi donc, la mort fait son œuvre en nous, et la vie en vous.

Mais, possédant ce même esprit de foi, selon ce qui est écrit: J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous aussi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons, sachant que Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus, et nous placera près de lui avec vous. Car tout cela arrive à cause de vous, pour que la grâce, se multipliant, fasse abonder l’action de grâces chez un plus grand nombre, à la gloire de Dieu.

8. “Ce trésor, nous le portons en des vases d’argile pour que cette puissance extraordinaire soit de Dieu et ne vienne pas de nous”.

Chers Frères il nous fallait méditer d’abord sur la splendeur du sacerdoce, sur la “puissance extraordinaire” de salut que Dieu nous confie. Mais comment ignorer les tribulations du ministère que saint Paul lui-même éprouvait? Comment ne pas reconnaître les faiblesses de nos “vases d’argile”? Je voudrais vous aider à les vivre dans l’espérance et encourager vos efforts de ressourcement. Le Curé d’Ars disait: “Ne vous effrayez pas de votre fardeau, Notre Seigneur le porte avec vous”.

Les difficultés de l’apôtre peuvent venir de l’extérieur, alors qu’il est fidèle à ne servir que Jésus-Christ. Il subit les moqueries, la calomnie, l’entrave à sa liberté; il lui arrive même d’être, comme dit saint Paul, “pressé de toute part”, “persécuté”, “terrassé”. En certains pays combien de prêtres, de chrétiens subissent silencieusement ces persécutions? Souvent elles stimulent la foi des fidèles par contrecoup et la purifient. Mais quelle épreuve! Et quelle entrave au ministère! Demeurons solidaires de ces frères éprouvés.

Dans les pays d’occident, il y a d’autres difficultés. Vous rencontrez un esprit diffus de critique, de malcroyance, de sécularisation, d’athéisme même, ou simplement de fermeture sur des soucis matérialistes, et l’on relativise ou l’on rejette le message que vous voulez porter au nom du Christ et de l’Eglise. Déjà, dans les années 50, le Cardinal Suhard avait bien décrit le signe de contradiction qu’est le prêtre dans une société qui redoute son message et le classe parmi les gens du passé ou les utopistes. Depuis lors, en beaucoup de diocèses, les prêtres sont devenus moins nombreux, la moyenne d’âge est élevée. Cette pyramide des âges rend parfois plus difficile l’intégration des jeunes prêtres.

Le découragement peut même trouver un aliment dans nos mentalités de prêtres; certains peuvent se laisser gagner par la morosité, l’aigreur devant des échecs ou des débats sans fin; parfois des durcissement venant d’idéologies étrangères à l’esprit chrétien et sacerdotal; parfois encore un esprit de défiance systématique envers Rome. Tout cela a pesé et pèse sur le dynamisme des prêtres. J’ai l’impression que les jeunes sont plus libres vis-à-vis de telles mentalités. Je les encourage, et je les invite aussi à apprécier les générations précédentes de prêtres éprouvés mais fidèles; ils on porté le poids du jour et de la chaleur au milieu de maints changements, et se sont acquittés de leur charge bien souvent dans un esprit évangélique.

Enfin, chacun d’entre vous connaît ses difficultés propres: de santé, de solitude, de soucis familiaux, et aussi les tentations du monde qui rentrent en lui, parfois le sentiment d’une grande pauvreté spirituelle, voire de faiblesses qui humilient. Nous offrons à Dieu cette fragilité de nos “vases d’argile”.

Il nous est bon de savoir que le Curé d’Ars a connu lui aussi bien des épreuves: les misères de son corps malmené par les fatigues de son ministère et par ses jeûnes, les incompréhensions et calomnies de ses paroissiens, les soupçons critiques et les jalousies des confrères et des épreuves spirituelles plus mystérieuses: une certaine “mélancolie surnaturelle”, disait l’Abbé Monnin, des désolations spirituelles, l’angoisse de son salut, une lutte implacable contre l’Esprit du mal, et une certaine nuit. Les âmes généreuses et spirituelles en sont rarement exemptes. Mais, malgré sa vive sensibilité, on n’a pas vu le Curé d’Ars découragé. Il a résisté à ces tentations.

9. Alors, vous aussi, vous connaissez le chemin du salut et les moyens de ressourcement.

Je dirais d’abord: une reprise spirituelle.

Comment pourrions-nous remédier a la crise spirituelle de notre temps si nous ne prenions pas nous-mêmes les moyens d’une union profonde et constante au Seigneur dont nous sommes les serviteurs? Dans le Curé d’Ars, nous avons un guide hors pair. Il disait: “Le prêtre est avant tout un homme de la prière... C’est la réflexion, l’oraison, l’union à Dieu qu’il nous faut”.

Ce ne pas sans raison que nos directeurs spirituels ont insisté sur un temps d’oraison donné chaque jour, gratuitement, en présence du Seigneur, sur l’écoute quotidienne de la Parole de Dieu, sur la louange et l’intercession, au nom de l’Eglise, par la prière de la liturgie des Heures, sur la façon de célébrer quotidiennement l’Eucharistie, sur la prière mariale: quelle admiration avait pour la Vierge le Curé d’Ars: “Ma plus vieille affection”! Et quelle confiance: “Il suffit de se tourner vers Elle pour être exaucé”!

Je pense encore à des moments réguliers de retraite pour laisser à l’Esprit de Dieu la possibilité de nous pénétrer, de nous “vérifier”, et nous aider à discerner l’essentiel de notre vocation.

La rencontre quotidienne des beautés et des misères humaines, dans notre ministère, est évidemment à intégrer dans notre prière; elle peut la nourrir, à condition de tout rapporter au Seigneur, “pour sa gloire”.

Tous nos engagements sacerdotaux prennent un nouveau relief dans la lumière de cette vitalité spirituelle:

– le célibat, signe de notre disponibilité sans limite au Christ et aux autres;
– une pauvreté réelle, qui est participation à la vie du Christ pauvre et à la condition des pauvres, comme l’a montré le Père Chevrier;
– l’obéissance, qui traduit notre service en Eglise;
– l’ascèse nécessaire à toute vie, à commencer par celle du ministère quotidiennement accompli;
– l’acceptation des épreuves qui surviennent et même des mortifications volontaires offertes avec amour pour les âmes: le Curé d’Ars a fait l’expérience de cette parole du Seigneur: “Il y a des démons que ne se chassent que par le jeûne et la prière”.

Mais, direz-vous, où trouver l’énergie pour tout cela? Certes, nous ne sommes pas dispensés d’être des hommes de courage. Mais “le joug est doux et le fardeau léger” si notre courage s’appuie sur la foi, sur la confiance que le Seigneur n’abandonnera pas ceux qui se sont livrés à lui: “Dieu est plus grand que notre cœur”.

Par surcroît, nous trouverons la joie: le visage émacié du Curé d’Ars semblait toujours sourire!

10. “Je me suis fait tout à tous, faible avec les faibles”.

Le ministère sacerdotale, vécu dans un état d’union à Dieu, est alors le terrain quotidien de notre sanctification.

Jésus priait ainsi le Père pour ses Apôtres: “Je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du mauvais” (Jn 17, 15) Le Concile a recommandé aux pasteurs de ne jamais être étrangers à l’existence et aux conditions de vie de leur troupeau. En France, beaucoup de prêtres de la génération du Concile, et déjà auparavant, ont eu très fortement ce souci. Cette attitude d’accueil, d’écoute, de compréhension, de partage, est toujours nécessaire pour que l’évangélisation se fasse en termes audibles et crédibles. Je le dis notamment aux nouvelles générations de séminaristes. Le Père Chevrier s’était fait pauvre avec les pauvres; il faut pareillement pénétrer les mentalités nouvelles des milieux à évangéliser, riches ou pauvres, cultivés ou non. Il faut que, par vous, la vigueur missionnaire de vos aînés se maintienne pour le monde actuel. Mais précisément pour cela, les prêtres, dit aussi le Concile, n’oublieront pas qu’ils sont les dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, et qu’ils n’ont pas à se modeler sur le monde présent, mais à l’interpeller au nom de l’Evangile. Ils n’ont même pas à cautionner les options temporelles ou politiques de leurs fidèles, même légitimes, afin que leur ministère soit ouvert à tous et orienté clairement vers le Royaume de Dieu.

11. La qualité spirituelle et apostolique des prêtres de demain se prépare aujourd’hui, et je ne peux omettre d’évoquer cette formation.

Chers séminaristes, quelle joie pour moi de vous voir tous réunis ici! Je salue en vous la relève du clergé de France. Même si vous êtes encore le petit troupeau de l’Evangile, je suis plein d’espérance en vous voyant. Et je compte sur votre joie de consacrer votre vie à l’Eglise pour susciter beaucoup d’autres candidats. Je crois que vous êtes prêts à accepter aussi les exigences de ce service.

Beaucoup parmi vous entrent au séminaire à un âge plus mûr que par le passé, après une expérience de travail ou d’études. Mais, très souvent – une enquête récente l’a montré –, vous avez pensé au sacerdoce dès avant l’âge de 13 ans. Acceptez les conditions de discernement et de maturité de votre vocation. Si Dieu vous appelle, si l’Eglise en juge ainsi, ne vous laissez pas décourager par les difficultés innombrables rencontrées par le jeune Jean-Marie Vianney pour être prêtre: manque d’instruction et de contact avec les gens cultivés, retard à cause de la Révolution française, nécessité de travailler à la ferme, aventure étrange sur le chemin du service militaire, surtout difficulté de se familiariser avec le latin, manque de mémoire, hésitations des responsables du Séminaire, ordination tardive, dans la solitude, en pays occupé... Bien sûr, il a bénéficié de grâces: un climat familial chrétien, l’aide affectueuse et tenace de l’Abbé Balley, d’Ecully. Mais son cheminement pour arriver au sacerdoce encouragera tous ceux qui connaissent l’épreuve pour la maturation de leur vocation.

Vos Séminaires doivent pouvoir accueillir des sensibilités différentes, dans un grand respect mutuel; les âmes généreuses ne doivent pas être entravées par la crainte des autres, et ne doivent pas non plus les juger a priori. Le lien avec l’Evêque est primordial, l’accompagnement d’un directeur spirituel personnel et le jugement d’une équipe éducative sont la garantie de la vocation. On ne conquiert pas le sacerdoce, on y est appelé par ceux qui vous jugent aptes, au nom de l’Evêque.

Je souhaite que vos Séminaires vous préparent au mieux à la vie sacerdotale qui a été sans cesse devant nos yeux aujourd’hui. Aux évêques de cette région Centre-Est, que je recevais lors de la visite “ad limina” en 1982, je disais que vous devez poursuivre une réflexion philosophique profonde, jusqu’au plan métaphysique, sans en rester à un “flou impressionniste”¡ la théologie doit être abordée dans l’attitude, à la fois intellectuelle, scientifique et spirituelle, d’une initiation la plus complète possible au mystère du salut; l’écoute de la Parole de Dieu doit tenir la première place dans vos Maisons; la formation à la vie spirituelle, avec les entretiens adéquats et la fréquentation des auteurs, est évidemment indispensable. En même temps, vous devez faire l’expérience d’une vie communautaire fraternelle et d’une prière liturgique et personnelle approfondie, comme je le disais à propos de la reprise spirituelle. Il y a place aussi pour un certain apprentissage du ministère: comment connaître le monde d’aujourd’hui, tel qu’il est, comment l’aborder dans un dialogue pastoral, un dialogue de salut. Au seuil de la vie sacerdotale, vous devez être ouverts à la diversité des tâches sacerdotales nécessaires à un diocèse, et disponibles à celle qui vous sera confiée.

Toutes ces exigences de la vie des Séminaires – qu’heureusement beaucoup d’étudiants, actuellement, semblent désirer – représentent aussi une grande responsabilité pour les directeurs et professeurs. Je prie le Seigneur de les assister dans ce service capital de l’Eglise.

12. Quant à vous prêtres, vous avez aussi besoin de ressourcement intellectuel et de soutien communautaire.

Vous comprenez bien la nécessité du travail intellectuel, d’une sorte de formation permanente, de nature à approfondir votre réflexion théologique, pastorale et spirituelle. N’est-il pas impressionnant de noter que le Curé d’Ars, malgré ses journées harassantes, essayait chaque jour de lire, en choisissant parmi les 400 volumes restés dans sa bibliothèque!

D’autre part, je souhaite qu’une vrai fraternité vous unisse pardessus toutes les différences, une fraternité sacramentelle et affective. Le Père Chevrier voulait s’associer d’autres prêtres et des laïcs.

Les prêtres religieux trouvent un soutien parmi leurs frères. Les prêtres séculiers vivent une plus grande solitude, et je pense que les prêtres des jeunes générations auront du mal à vivre seuls comme le Curé d’Ars. Il est certain que beaucoup trouveraient dans les associations sacerdotales un grand appui fraternel et un stimulant pour leur réflexion et leur prière. Je sais qu’elles ont en France un regain de vitalité et je les encourage.

Certaines personnes ou associations de laïcs s’appliquent aussi à aider les prêtres isolés et pauvres, comme l’Œuvre des campagnes. C’est très louable.

Mais, ce que je veux souligner, c’est la collaboration de plus en plus intense entre prêtres et laïcs dans le ministère. Il y a 1à une grande espérance pour l’apostolat, et je dirais un grand stimulant pour le prêtre lui-même, s’il sait faire confiance aux laïcs dans leurs initiatives, les aider à discerner ce qui convient et se situer lui-même en prêtre. Même dans ce domaine, le Curé d’Ars savait susciter la collaboration de ses paroissiens et les rendre plus responsables.

13. Et vous, chers diacres, mes entretiens de ce matin vous concernent de près, puisque vous êtes les collaborateurs de l’ordre sacerdotal. Je ne puis évoquer votre charge sans penser à l’attitude de Jésus le Jeudi Saint: il se lève de table, lave les pieds de ses disciples, et, au moment où il institue l’Eucharistie, il indique le service des autres comme la voie royale. Diacres permanents, l’évêque vous associe aux prêtres par une ordination qui vous met pour toujours au service du peuple de Dieu d’une façon qui vous est propre. L’Eglise compte beaucoup sur vous, notamment pour annoncer la Parole et catéchiser, pour préparer aux sacrements, pour administrer le baptême et donner la sainte communion, pour présider à la prière de la communauté en certains circonstances, pour assurer d’autres services d’Eglise et surtout porter le témoignage de la charité en maints secteurs de la vie sociale. Je suis heureux de vous bénir et de bénir vos familles.

14. Au terme de cette longue méditation, je reviens à l’aspect missionnaire de notre sacerdoce. Il s’agit, comme un bon Pasteur, de rejoindre les gens 1à où ils sont. Pour cela, il y a beaucoup d’approches apostoliques: présence discrète et patiente dans la proximité amicale, dans le partage des conditions de vie, parfois même du travail, dans le monde ouvrier, dans le monde des travailleurs intellectuels, ou en d’autres milieux lorsque ceux-ci semblent coupés de l’Eglise et ont besoin du dialogue quotidien et crédible d’un prêtre, solidaire de leur recherche d’un monde plus juste et plus fraternel. Dans ce cas, les prêtres sont moins à même d’exercer les ministères ordinaires de leurs confrères curés ou aumônier. Dans la mesure où leur motivation est apostolique, leur ressourcement spirituel régulier, et où cela correspond à une mission reçue de l’évêque, qu’ils ont l’estime de l’Eglise! Puissent-ils rendre toujours un témoignage authentique à l’Evangile, en le considérant comme une fonction sacerdotale, une préparation à une évangélisation plus complète! Que leur appartenance à un seul et même presbyterium, avec lequel ils auront à cœur d’entretenir des liens étroits et fréquents, leur permettre de maintenir en eux la responsabilité d’intendants des mystère du Christ, et que tous les prêtres se sentent solidaires de leur ministère au service de l’évangélisation! Par ailleurs, les changements que l’Evangile doit susciter dans la société sont normalement l’œuvre des laïcs chrétiens, en lien avec les prêtres.

Il reste vrai que tous les efforts pastoraux des prêtres doivent converger, comme chez le Curé d’Ars, vers l’annonce explicite de la foi, vers le pardon, vers l’Eucharistie.

Surtout, Paul VI le disait à vos Evêques en 1977, ne séparez jamais mission et contemplation, mission et culte, mission et Eglise. Comme s’il y avait d’un côté ceux qui exercent une activité missionnaire auprès de ceux qui sont en marge de l’Eglise et, de l’autre, ceux qui préparent aux sacrements, à la prière, en fortifiant l’institution chrétienne. La mission est l’œuvre de toute l’Eglise; elle prend son souffle dans la prière, et sa force dans la sainteté.

La mission ne saurait non plus se limiter aux besoins de votre pays, si grands soient-ils. Elle est ouverte aux autres Eglise, à l’Eglise universelle qui continue à compter sur l’entraide des prêtres français, dans le sillage de la générosité missionnaire admirable qui s’est maintenue depuis un siècle et demi. Les diocèses français qui, même dans leur pauvreté actuelle, poursuivent cet effort de solidarité, retrouvent pour eux-mêmes un dynamisme missionnaire.

15. Mais je ne veux pas limiter mon appel à la France. Il y a ici des prêtres et des évêques venus de plus de soixante pays du monde. Ils se sentent chez eux à Ars, 1à où le sacerdoce a brillé d’un éclat tout particulier. L’exemple de saint Jean-Marie Vianney continue à donner un élan aux curés du monde entier, et à tous les prêtres engagés dans les tâches apostoliques les plus diverses.

De ce haut lieu qui contraste avec la modestie du village primitif, je rends grâce à Jésus-Christ pour ce don inouï du sacerdoce, celui du Curé d’Ars, et celui de tous les prêtres d’hier et d’aujourd’hui. Ils prolongent à travers le monde entier le saint ministère de Jésus-Christ, dans les communautés chrétiennes comme aux avant-postes de la mission; ils travaillent, souvent dans des conditions difficiles, cachées, ingrates, au salut des âmes et au renouveau spirituel du monde qui tantôt les honore, tantôt les ignore, les méconnaît ou les persécute.

Aujourd’hui, en union avec tous les évêques du monde, mes Frères dans l’épiscopat, dont les prêtres sont les coopérateurs immédiats, je leur rends l’hommage qu’ils méritent, en priant Dieu de les soutenir et de les récompenser. Et j’invite tout le peuple chrétien à s’y associer.

Et à mon remerciement, je joins un appel pressant à tous les prêtres: quelles que soient vos difficultés intérieures ou extérieures que le Seigneur miséricordieux connaît, demeurez fidèles à votre sublime vocation, aux divers engagements sacerdotaux qui font de vous des hommes totalement disponibles au service de l’Evangile. Aux temps critiques, pensez qu’aucune tentation d’abandon n’est fatale devant le Seigneur qui vous a appelés, sachez que vous pouvez compter sur le soutien de vos frères dans le sacerdoce et de vos évêques.

La seule question décisive que Jésus pose à chacun d’entre nous, à chaque pasteur, est celle posée à Pierre: “M’aimes-tu, m’aimes-tu vraiment?” (Jn 21, 15).

Alors chers Frères, n’ayez pas peur! Si le Seigneur nous a appelés dans son champ, il est avec nous par son Esprit. Laissons-nous entraîner par l’Esprit Saint, en Eglise.

A chacun de vous, séminaristes, prêtres, diacres, et à tous ceux que vous représentez, je donne mon affectueuse Bénédiction Apostolique.

Nous allons maintenant prier Marie dans l’Angélus. Le Curé d’Ars avait consacré sa paroisse à Marie conçue sans péché. Qu’elle nos aide à coopérer au mieux à la mission de son Fils Sauveur!

 

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