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VOYAGE APOSTOLIQUE À MADAGASCAR, LA RÉUNION, ZAMBIE ET MALAWI

RENCONTRE DU PAPE JEAN-PAUL II
AVEC LE LAÏCAT DANS L'ÉGLISE PAROISSIALE
DE SAINT FRANÇOIS D’
ASSISE

Antananarivo (Madagascar)
Dimanche, 30 avril 1989

 

Chers Frères et Sœurs,

1. «Vous êtes le sel de la terre...
Vous êtes la lumière du monde»[1].

Ces paroles de Jésus s’adressent à tous les disciples. Elles s’appliquent de façon toute spéciale aux fidèles laïcs[2]. Au nom de Jésus, je suis venu vous les redire à vous, chrétiens de Madagascar. Je suis très heureux de vous rencontrer, d’écouter votre témoignage, de voir votre vitalité chrétienne et de vous affermir dans votre mission de témoins du Christ. Je vous remercie de l’attachement envers l’Evêque de Rome que vous avez exprimé dans votre adresse, vous qui représentez les forces vives de l’Eglise dans ce pays.

L’engagement du laïcat chrétien à Madagascar ne constitue sans doute pas un pas unique dans l’Eglise, mais il est singulièrement significatif. Dans beaucoup de pays en effet, surtout ceux de vieille chrétienté, nous essayons de convaincre les laïcs de bien prendre toutes leurs responsabilités de baptisés et de ne pas s’en décharger sur les prêtres, car tous les membres du Corps du Christ doivent être actifs. C’est ce que j’ai fait récemment encore en adressant aux catholiques l’exhortation «Christifideles Laici» sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde. Je reprenais en grande partie les témoignages donnés au Synode des Evêques de 1987, à Rome. Je me faisais l’écho de la très large invitation de Jésus à travailler à l’évangélisation du monde: «Allez, vous aussi, à ma vigne»[3].

Or, on a l’impression que chez vous, il n’y a pas lieu d’insister beaucoup: les laïcs ont pris d’emblée leur part de ce travail. Dès le début, comme vous venez de le rappeler, alors qu’il n’y avait pas encore de prêtres malgaches et que les missionnaires étrangers manquaient ou avaient dû partir, après une première annonce bien rapide, les chrétiens se sont organisés, notamment les jeunes de l’«Union catholique». Ils ont soutenu et formé les catéchumènes, ils les ont entraînés à la prière, ils ont été missionnaires jusque dans les villages de la brousse, des hauts-plateaux. Une laïque, Victoire Rasoamanarivo que nous venons de béatifier, et un Frère des Ecoles chrétiennes, Raphaël Louis Rafiringa, prenaient en charge l’animation de la vie de l’Eglise. Et depuis, les laïcs semblent n’avoir jamais déserté la vigne du Seigneur.

2. Cela ne veut pas dire que le rôle spécifique du prêtre et de l’évêque au milieu de vous en soit obscurci ou diminué. Au contraire, plus vous participez aux services d’Eglise, plus vous exercez votre apostolat et plus vous sentez le besoin de ministres ordonnés qui agissent au nom du Christ-Tête pour rassembler l’Eglise en lui transmettant l’Evangile et les sacrements[4]. Ils sont à votre service pour vous permettre de remplir votre mission de baptisés qui est une participation à la fonction sacerdotale, prophétique et royale de Jésus-Christ[5]. Vous ne pouvez pas vous substituer à eux comme pasteurs, même si vous êtes délégués pour telle ou telle fonction. Mais les prêtres eux-mêmes ne peuvent travailler comme vous, du dedans, à la sanctification du monde.

La joie avec laquelle vous me parlez des premières vocations de prêtres, de vocations actuelles de religieux et de religieuses, manifeste que vous comprenez bien que tous se complètent au service d’un même but: l’accroissement du Règne de Dieu. Je félicite donc tous les laïcs qui acceptent de consacrer leur temps, leurs forces, leur cœur, a travailler à la vigne du Seigneur, et j’y appelle tous les autres, chacun selon les dons qu’il a reçus.

3. La mission du laïc comprend des services d’Eglise, un témoignage, un apostolat, en somme une action dans le cadre de l’œuvre d’évangélisation. Mais pour agir et témoigner en chrétien, il faut d’abord être chrétien. L’apostolat serait artificiel, infructueux et mal accueilli s’il n’était pas l’expression d’une foi approfondie, d’une charité sincère, d’une prière authentique. Le Christ ne vous dit pas seulement: vous introduirez votre sel dans le monde; ou vous porterez une lumière dans le monde; mais vous êtes le sel de la terre», «vous êtes la lumière du monde». Vous ne pouvez rayonner que ce que vous êtes déjà au-dedans de vous-mêmes.

Chers Frères et Sœurs, prenez donc conscience de ce que vous êtes devenus par le baptême. Vous êtes devenus membres du Corps du Christ, temples de l’Esprit Saint. Vous avez revêtu le Christ. L’être ancien, le «vieil homme» que vous étiez a été comme enseveli avec le Christ, un être nouveau est né en vous avec une capacité de croire, d’espérer et d’aimer selon Dieu. Vous n’en avez pas le mérite: c’est un don de l’amour de Dieu. Cependant, vous y avez cru, vous avez donné votre assentiment à cet appel de Dieu. Avec sa grâce, vous devez devenir de plus en plus conformes à Celui dont vous portez l’image en vous. Aimez comme il a aimé! Je vous redis la parole de Pierre: «De même que celui qui vous a appelés est saint, montrez-vous saints, vous aussi, dans toute votre conduite»[6].

Cette sainteté suppose un rapport confiant avec Dieu, entretenu dans la prière personnelle et communautaire; elle requiert aussi la mise en pratique quotidienne des béatitudes. Qu’il n’y ait pas de divorce entre votre foi et votre vie[7]! Vous incarnerez alors la nouveauté de l’Evangile, vous la porterez en vous comme un sel qui donne saveur et qui conserve, comme une lumière qui brille, qui réchauffe et qui éclaire. Vous n’aurez sans doute pas conscience de ce rayonnement, mais il sera un appel pour les autres.

Certes, il nous faut demeurer humbles. Nous ne sommes jamais à la hauteur d’une telle vocation. Nous portons ce trésor dans des vases d’argile. Il vaut mieux le reconnaître. Vous venez de dire vous-mêmes la peur que vous éprouvez souvent devant les exigences évangéliques. Mais l’Esprit de sainteté demeure en vous; il vous permet de vous ressaisir; il vous empêche de vous résigner aux diverses formes du péché, à l’injustice, à la violence, à la haine; il vous pousse à reconstruire sans cesse l’harmonie entre frères, l’amitié dans l’entraide, ce que vous appelez dans votre tradition le «fihavanana».

4. Non seulement le Seigneur vous appelle personnellement à la sainteté, mais il vous envoie témoigner. Le baptême et la confirmation vous ont habilités et engagés à l’œuvre d’évangélisation. Et également le mariage.

Dans l’Eglise elle-même, vous participez à tout ce qui assure sa vitalité, sa sanctification, son soutien matériel, sa vie fraternelle et surtout son témoignage de l’Evangile[8]. On peut parler d’une co-responsabilité des fidèles laïcs dans l’Eglise-Communion qui est aussi l’Eglise-Mission. Cela se manifeste de bien des façons, au niveau de la paroisse, du diocèse, de l’ensemble du pays. Vous participez aux Conseils pastoraux et vous apportez même une collaboration appréciée aux travaux des Commissions épiscopales, notamment de la Commission épiscopale pour l’apostolat des laïcs; vous contribuez à la préparation des documents par lesquels les évêques interpellent la conscience de vos compatriotes sur de graves questions.

Depuis longtemps, dans les communautés des villages qui dépendent du centre où se trouve le pasteur de l’ensemble, le catéchiste et un comité de laïcs ont la charge de diriger la prière dominicale en l’absence du prêtre, d’animer la communauté et de participer aux décisions avec le prêtre. Outre le rôle liturgique, les laïcs assurent une grande partie de la catéchèse, c’est presque totalement le cas dans la brousse, ainsi que la préparation aux sacrements.

Dans les villes, la jeunesse très nombreuse des lycées a un besoin impérieux d’être initiée à la foi: j’encourage tous ceux qui s’y consacrent. Les chrétiens qui enseignent dans les établissements scolaires catholiques peuvent y donner une éducation où la foi imprègne tout ce qui forme l’esprit et le cœur. Puissent-ils saisir cette chance!

La pastorale familiale est également un apostolat capital, qu’il s’agisse de préparer les jeunes au mariage ou d’aider les foyers à le vivre selon le projet de Dieu et l’enseignement de l’Eglise.

Le service des frères et sœurs plus démunis est également une caractéristique essentielle de l’Eglise, et je sais quelles initiatives généreuses déploient chez vous les réseaux de la Caritas où les laïcs ont une grande part. N’oubliez jamais le soutien des malades et des pauvres. On compte également sur vous pour annoncer l’Evangile à tous ceux qui ne l’ont pas encore reçu et accueilli par la foi[10].

Pour tous ces services qui édifient l’Eglise, je souhaite que les laïcs gardent l’esprit d’initiative et la générosité qu’ils ont montrés dès le début de l’évangélisation à Madagascar. Je me réjouis de savoir que des prêtres et de nombreuses religieuses malgaches les soutiennent dans ces activités ecclésiales. Mais la bonne volonté des laïcs ne suffit pas: il leur faut acquérir la compétence qui correspond à ces services, notamment la formation catéchétique, doctrinale, pédagogique, liturgique, dans l’esprit du Christ, du Christ-Sauveur.

5. Votre témoignage et votre action ne sauraient se limiter au soutien des communautés ecclésiales. C’est le monde qui est le champ de votre apostolat. «Le "monde" devient ainsi le milieu et le moyen de la vocation chrétienne des fidèles laïcs», affirme l’exhortation post-synodale «Christifideles Laici»[11].

L’apostolat vise naturellement la conversion et le progrès spirituel des personnes; il s’agit de toucher le cœur de son voisin, de son ami, de son compagnon de travail. C’est dire l’importance d’un apostolat personnel, qui découle avec simplicité d’une vie vraiment chrétienne.

Mais les personnes sont très marquées par leur milieu, par les mentalités de leur entourage, par les conditions de vie, par les institutions sociales. A Madagascar, vous êtes particulièrement sensibles à cette solidarité qui unit les personnes dans le bien comme dans le mal. L’apostolat doit donc chercher à introduire la nouveauté de l’Evangile dans les mentalités et les structures sociales pour permettre le bonheur et le progrès moral et spirituel des personnes et des communautés. C’est un devoir pressant lorsque la société risque de se dégrader. Et si un tel apostolat est collectif, il est plus efficace et il témoigne mieux du mystère de l’Eglise qui est communion[12].

C’est bien sur ce terrain que vous cherchez à agir. En écho à la lettre de vos évêques de novembre 1987, certains d’entre vous ont rédigé un document significatif: «Les laïcs face au redressement national». Vous êtes lucides sur les maux qui pervertissent l’esprit de l’homme le «fanahy maha-olona», et contrecarrent la solidarité, le véritable «fihavanana». Vous stigmatisez les inégalités injustes, la corruption, tout ce qui détruit la paix sociale et la justice. Si les «décideurs» ont une responsabilité première, tous les citoyens sont concernés. Et vous pensez justement que la mission de l’Eglise est de proposer son éthique de service, de justice, de vérité, d’amour, de pardon, d’espérance. Comment ne pas apprécier cet engagement, en souhaitant qu’il se réalise concrètement! Tant de Malgaches ont reçu une éducation chrétienne qui devrait leur permettre d’assumer en chrétiens leurs responsabilités sociales, s’ils ne cèdent pas à la démission ou à la peur. Il faut veiller aussi à ce que cet engagement soit à la portée des chrétiens de tous les milieux, non seulement indépendants, mais aussi ouvriers et paysans. Par ailleurs nos frères protestants et même les autres croyants peuvent s’associer aux catholiques lorsqu’il s’agit de ce redressement moral pour promouvoir le sens du bien commun, de l’honnêteté, de la justice, de la dignité des personnes.

L’exhortation «Christifideles Laici»[13] évoque tous ces engagements qui peuvent concerner la vie sociale, économique, administrative, syndicale, éducative, ou les graves problèmes de la nutrition, de la santé, de l’emploi des jeunes, sans omettre les responsabilités politiques, étant entendu que les options personnelles légitimes en ce dernier domaine ne sauraient être identifiées à celles de l’Eglise. J’attire enfin l’attention sur le premier espace de l’engagement social: la famille[14]. La civilisation et la solidité des peuples dépendent surtout de la qualité humaine de leurs familles: accueil et respect de la vie, fidélité des conjoints, éducation donnée aux enfants.

J’encourage donc tous les mouvements ou associations qui répondent à ce devoir de l’apostolat: ceux qui fortifient la vie spirituelle des chrétiens ou leur sens apostolique, comme les Communautés de vie chrétienne ou la Légion de Marie, les mouvements d’éducation des jeunes (MEI, scoutisme et Ibalita), les mouvements familiaux (FTK), les mouvements d’action catholique d’enfants, de jeunes, notamment pour les ruraux, et d’adultes. Que leurs membres s’imprègnent de l’esprit du Christ, car c’est son œuvre qui doit s’accomplir en eux et par eux! Qu’ils soient notamment les témoins de l’amour préférentiel du Christ pour les pauvres!

Voilà, chers amis laïcs, les orientations que le Pape vous invite a donner a votre action, avec se Frères les évêques de Madagascar. Travaillez en confiante collaboration avec eux. Le peuple de Madagascar vous fait confiance, il a les yeux fixés sur vous qui appartenez à la religion du Fils de Dieu fait homme, qui adhérez à son message d’amour. L’Eglise compte sur vous; vous êtes l’Eglise, le Corps du Christ. N’oubliez pas les paroles du Seigneur: «Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde». Que l’exemple et l’intercession de la Bienheureuse Victoire vous stimulent! Et moi, de grand cœur, je prie Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, de vous bénir et de bénir vos familles, vos mouvements, et votre pays tout entier.

 


[1] Matth. 5, 13. 14.

[2] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, 15.

[3] Matth. 20, 3.

[4] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, 22.

[5] Cfr. ibid. 14.

[6] 1 Petr. 1, 15.

[7] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, 59.

[8] Ibid. 33.

[9] Ibid. 32.

[10] Ibid. 34.

[11] Ibid. 15.

[12] Ibid. 29.

[13] Ibid. 36-44.

[14] Ibid. 40.

 



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