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DISCOURS

DU PAPE JEAN-PAUL II
À LA COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE
POUR LE XXV
e ANNIVERSAIRE DE SA CRÉATION

Samedi 2 décembre 1995

 

Monsieur Le Cardinal, Chers Frères dans L’Épiscopat, Chers Amis,

1. C’est pour moi une joie de vous accueillir au cours de votre session plénière annuelle, et de célébrer avec vous le vingt-cinquième anniversaire de la création de la Commission théologique internationale dont vous êtes aujourd’hui les membres. Je sais gré à Monsieur le cardinal Ratzinger d’en avoir retracé l’histoire.

L’idée qui a inspiré la constitution de la Commission était de prolonger de manière permanente l’étroite collaboration entre pasteurs et théologiens qui avait caractérisé les travaux du Concile Vatican II, en faisant appel à des théologiens venus de diverses parties du monde. Je voudrais redire aujourd’hui la grande estime dans laquelle je tiens la recherche théologique, convaincu que son aide est indispensable à l’exercice du Magistère du Successeur de Pierre. C’est pourquoi, au début de notre entretien, je vous remercie vivement de la contribution que vous ne cessez d’apporter à l’Église et à ses pasteurs. Cette gratitude s’étend à l’ensemble de vos collègues qui, avant vous, ont participé aux travaux de la Commission.

En vingt-cinq ans, comme il a été rappelé, la Commission a donné des preuves de sa vitalité, notamment en élaborant des documents qui servent de référence à la réflexion théologique de notre temps. Par son existence et par le déroulement de ses travaux, elle porte un témoignage de grand prix sur ce que doit être l’exercice de la théologie en Église. Vous venez de divers horizons, vous représentez des sensibilités intellectuelles et des cultures différentes, à l’image du domaine théologique lui-même dans sa complexité. Grâce à vos discussions franches et rigoureuses, vous parvenez, ou, en tout cas, vous vous efforcez de parvenir à un consensus sur les questions théologiques abordées. En effet, vos échanges sont marqués par l’écoute attentive d’autrui et par la conviction que le dialogue est nécessaire pour faire progresser le savoir sur des points souvent délicats. Vos sessions se déroulent dans le climat de grande liberté et de respect fraternel que requiert une recherche authentique de la vérité.

2. La Commission théologique internationale ne constitue pas une section de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Son indépendance même est la garantie de l’autonomie nécessaire à sa réflexion. En même temps, le fait que votre président est le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi est signe que l’Église vous appelle à offrir à son Magistère une collaboration féconde. Cela suppose la confiance réciproque et l’estime mutuelle.

Je suis heureux de vous redire, au cours de cette rencontre, la confiance que j’accorde aux théologiens, comme j’ai eu l’occasion d’en témoigner récemment, en élevant au cardinalat deux des anciens membres de votre Commission, le Père Yves Congar et Mgr Pierre Eyt.

D’autres membres les ont précédés : votre Président, créé cardinal par mon prédécesseur Paul VI, et les théologiens Henri de Lubac et Hans Urs von Balthasar, désignés par moi-même. L’Église sait qu’en retour, elle peut compter sur votre confiance, dont le fondement est l’amour que vous lui portez. En effet, l’amour filial de l’Église est au coeur de la vocation du théologien ; il rend libre, mais il est aussi la mesure intime des recherches les plus ardues.

Sans la foi, pas de théologie 3. Un des traits caractéristiques de la pensée moderne est l’attention prêtée aux questions d’épistémologie. Il est nécessaire que les théologiens aient une conscience claire de la spécificité de leur discipline, d’autant plus qu’ils sont amenés à prendre en compte l’apport d’autres disciplines scientifiques.

La théologie, intellectus fidei, est enracinée dans la foi. Sans la foi, il n’y a pas de théologie. C’est pourquoi le théologien doit être un homme de foi, dans la certitude que la vraie foi est toujours celle que professe l’Église. Par une connaturalité profonde, il accordera son intelligence au mystère chrétien. En conséquence, il sera, à un titre spécial, un homme de prière. La vie spirituelle est, en effet, une condition indispensable de la recherche théologique.

4. Homme de foi, le théologien a pour mission de scruter les richesses de lumière contenues dans le mystère. En parlant de mystère, nous soulignons, en effet, non pas je ne sais quelle opacité ou difficulté du message révélé, mais la disproportion qui existe entre, d’une part, celui « qui habite une lumière inaccessible » (1 Tm 6, 16) et cependant se fait connaître à nous, et, d’autre part, les limites de notre esprit créé. La foi donne d’adhérer à celui qui est Source de lumière. Le théologien s’emploiera à mettre en évidence, à l’aide de la raison, les insondables richesses reçues d’enhaut.

Il convient ici de relever une tentation typique de notre temps, la tentation d’étroitesse que connaît la démarche rationnelle et scientifique. Parce que, en progressant, le savoir s’est diversifié en de multiples disciplines distinctes, on serait facilement porté, si on n’y prend pas garde, à privilégier, au détriment des autres, un type particulier de rationalité. Cette attitude, qui est à l’origine d’un certain rationalisme, provoque une distorsion de la pensée, tout spécialement ruineuse pour la théologie dans sa vocation d’être sagesse. Le théologien doit être prêt à recourir, sans préjugés ni partipris, à toutes les ressources de la raison humaine prise dans son intégralité, à commencer par ses ressources métaphysiques. Ne sait-il pas que la raison humaine est une empreinte et un reflet de celui qui est la suprême Raison ?

Certes, le chemin du théologien a quelque chose de paradoxal. La racine de son savoir est l’infaillible lumière de la foi ; sa réflexion est sujette aux limitations et aux fragilités propres aux choses humaines. Sa fierté est dans le service de la Lumière divine, sa modestie est dans la conscience des limites de la pensée humaine.

5. En vertu des buts assignés à votre Commission, un double effort est requis de vous. Vous devez présenter à vos contemporains les beautés du mystère du salut et sa force de libération. Vous êtes aussi invités à aborder avec courage les questions nouvelles qui se posent à l’Église. Vous en donnez l’exemple dans la présente session où vous traitez des relations du christianisme et des religions non-chrétiennes. C’est dire que la nouvelle évangélisation, qui doit marquer l’aube du troisième millénaire, devra beaucoup aux théologiens.

Permettez-moi d’insister ici sur un seul point. Parmi les dangers qui menacent la culture contemporaine, le plus grave est la crise du sens et de la vérité, génératrice de dérives morales et de désespoir. À vous, théologiens, il appartient de redonner à un monde qui ne cesse d’y aspirer obscurément le désir d’atteindre la vérité, ou, pour reprendre l’expression si profonde de saint Augustin, le gaudium de veritate, la joie de la vérité qui sauve et qui libère (cf. Jn 8, 32).

À travers vos personnes, je veux, en terminant, m’adresser à tous les théologiens pour les encourager à poursuivre avec courage et confiance leur travail, si précieux pour l’Église et pour son Magistère.

En invoquant les saints Docteurs de l’Église d’Orient et d’Occident, je vous accorde de grand cœur la bénédiction apostolique.

 

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