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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX FOYERS DES EQUIPES NOTRE-DAME

Lundi 4 mai 1970

 

Chers Fils, chères Filles:

1. Tout d’abord, Nous vous remercions du fond du coeur pour vos paroles de foi, pour votre prière nocturne à nos intentions, pour votre engagement aussi au service des vocations. Et Nous voulons vous dire quelle grande joie est la nôtre de vous accueillir ce matin, et aussi de Nous adresser, par-delà vos personnes, aux 20.000 foyers des Equipes Notre-Dame, dont vous Nous disiez à l’instant le rayonnement à travers le monde et la préoccupation de vivre avec le Christ et de tisser avec lui la trame quotidienne de votre amour conjugal. Entre couples chrétiens, vous constituez de petites équipes d’entraide spirituelle soutenues dans leur effort par une présence sacerdotale. Comment ne pas Nous en réjouir? Chers fils et chères filles, de grand coeur le pape vous encourage et appelle la bénédiction de Dieu sur vos recherches. Trop souvent l’Eglise a paru, bien à tort, suspecter l’amour humain. Aussi voulons-Nous clairement vous le dire aujourd’hui: non, Dieu n’est pas l’ennemi des grandes réalités humaines, et l’Eglise ne méconnaît nullement les valeurs quotidiennement vécues par des millions de foyers. Bien au contraire, la bonne nouvelle apportée par le Christ sauveur est aussi une bonne nouvelle pour l’amour humain, lui aussi excellent dans ses origines - «Et Dieu vit que cela était très bon» - (Gen. 1, 31), lui aussi corrompu par le péché, lui aussi racheté au point de devenir, par la grâce, moyen de sainteté.

2. Comme tous les baptisés, vous êtes en effet appelés à la sainteté, selon l’enseignement de l’Eglise solennellement réaffirmé par le concile (Cfr. Lumen gentium, 11). Mais il vous appartient d’y tendre à votre manière propre, dans et par votre vie de foyer (Ibid. 41). C’est l’Eglise qui nous l’enseigne: «Les époux sont rendus capables par la grâce de mener une vie sainte» (Gaudium et spes, 49 § 2), et de faire de leur foyer «comme un sanctuaire de l’Eglise à la maison» (Apostolicam actuositatem, 11). Ces pensées, dont l’oubli est si tragique pour notre temps, vous sont certes familières. Nous voudrions les méditer avec vous quelques instants pour renforcer encore en vous, s’il en était besoin, la volonté de vivre généreusement votre vocation humaine et chrétienne dans le mariage (Cfr. Gaudium et spes, 1, 47-52), et de collaborer ensemble au grand dessein d’amour de Dieu sur le monde, qui est de se former un peuple «à la louange de sa gloire» (Eph. 1, 14).

3. Comme la sainte Ecriture nous l’enseigne, le mariage, avant d’être un sacrement, est une grande réalité terrestre: «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gen. 1, 27). Il faut toujours en revenir à cette première page de la Bible, si l’on veut comprendre ce qu’est, ce que doit être un couple humain, un foyer. Les analyses psychologiques, les recherches psychanalytiques, les enquêtes sociologiques, les réflexions philosophiques pourront certes apporter leurs lumières sur la sexualité et l’amour humain, elles nous aveugleraient si elles négligeaient cet enseignement fondamental qui nous est donné dès l’origine: la dualité des sexes a été voulue par Dieu, pour qu’ensemble l’homme et la femme soient image de Dieu, et comme lui source de vie: «soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la» (Ibid. 1, 28). Une lecture attentive des prophètes, des livres sapientiaux, du Nouveau Testament, nous montre du reste la signification de cette réalité fondamentale, et nous apprend à ne pas la réduire au désir physique et à l’activité génitale, mais à y découvrir la complémentarité des valeurs de l’homme et de la femme, la grandeur et les faiblesses de l’amour conjugal, sa fécondité et son ouverture sur le mystère du dessein d’amour de Dieu.

4. Cet enseignement garde aujourd’hui toute sa valeur et nous prémunit contre les tentations d’un érotisme ravageur. Ce phénomène aberrant devrait du moins nous alerter sur la détresse d’une civilisation matérialiste qui pressent obscurément en ce domaine mystérieux comme un dernier refuge d’une valeur sacrée. Saurons-nous l’arracher à l’enlisement de la sensualité? Sachons du moins, devant un envahissement cyniquement poursuivi par des industries cupides, en juguler les néfastes effets auprès des jeunes. Sans barrage ni refoulement, il s’agit de favoriser une éducation qui aide l’enfant et l’adolescent à prendre progressivement conscience de la force des pulsions qui s’éveillent en eux, à les intégrer à la construction de leur personnalité, à en maîtriser les forces montantes pour réaliser une pleine maturité affective aussi bien que sexuelle, à se préparer par là au don de soi dans un amour qui lui donnera sa véritable dimension, de manière exclusive et définitive.

5. L’union de l’homme et de la femme diffère en effet radicalement de toute autre association humaine, et constitue une réalité singulière, à savoir le couple fondé sur le don mutuel de l’un à l’autre: «et ils deviennent une seule chair» (Gen. 2, 24). Unité dont l’indissolubilité irrévocable est le sceau apposé sur l’engagement libre et mutuel de deux personnes libres, qui, « dès lors, ne sont plus deux, mais une seule chair (Matth. 19. 6): une seule chair, un couple, on pourrait presque dire un seul être, dont l’unité prendra forme sociale et juridique par le mariage, et se manifestera par une communauté de vie, dont le don charnel est l’expression féconde. C’est dire qu’en se mariant les époux expriment une volonté de s’appartenir pour la vie, et de contracter dans ce but un lien objectif, dont les lois et les exigences, bien loin d’être une servitude, sont une garantie et une protection, un véritable soutien, comme vous l’éprouvez vous-mêmes dans votre expérience quotidienne.

6. Le don n’est pas une fusion, en effet. Chaque personnalité demeure distincte, et loin de se dissoudre dans le don mutuel, s’affirme et s’affine, grandit à longueur de vie conjugale, selon cette grande loi de l’amour: se donner l’un à l’autre pour se donner ensemble. L’amour est en effet le ciment qui donne sa solidité à cette communauté de vie, et l’élan qui l’entraîne vers une plénitude toujours plus parfaite. Tout l’être y participe, dans les profondeurs de son mystère personnel, et de ses composantes affectives, sensibles, charnelles aussi bien que spirituelles, jusqu’à constituer toujours mieux cette image de Dieu que le couple a mission d’incarner au fil des jours, en la tissant de ses joies comme de ses épreuves, tant il est vrai que l’amour est plus que l’amour. Il n’est aucun amour conjugal qui ne soit, dans son exultation, élan vers l’infini, et qui ne se veuille, dans son élan, total, fidèle, exclusif et fécond (Humanae vitae, 9). C’est dans cette perspective que le désir trouve sa pleine signification. Moyen d’expression autant que de connaissance et de communion, l’acte conjugal entretient, fortifie l’amour, et sa fécondité conduit le couple à son plein épanouissement: il devient, à l’image de Dieu, source de vie.
Le chrétien le sait, l’amour humain est bon de par son origine, et s’il est, comme tout ce qui est dans l’homme, blessé et déformé par le péché, il trouve dans le Christ son salut et sa rédemption. Au reste, n’est-ce pas la leçon de vingt siècles d’histoire chrétienne? Que de couples ont trouvé dans leur vie conjugale le chemin de la sainteté, dans cette communauté de vie qui est la seule à être fondée sur un sacrement!

7. Œ uvre de l’Esprit-Saint (Cfr. Tt. 3, 5), la régénération baptismale fait de nous des créatures nouvelles (Cfr. Gal. 6, 15), «appelées à mener, nous aussi, une vie nouvelle» (Rom. 6, 4). Dans cette grande entreprise du renouvellement de toutes choses dans le Christ, le mariage, lui aussi purifié et renouvelé, devient une réalité nouvelle, un sacrement de la nouvelle alliance. Et voici qu’au seuil du Nouveau Testament comme à l’entrée de l’Ancien se dresse un couple. Mais, tandis que celui d’Adam et Eve fut la source du mal qui a déferlé sur le monde, celui de Joseph et de Marie est le sommet d’où la sainteté se répand sur toute la terre. Le Sauveur a commencé l’œuvre du salut par cette union virginale et sainte où se manifeste sa toute-puissante volonté de purifier et sanctifier la famille, ce sanctuaire de l’amour et ce berceau de la vie.

8. Dès lors tout est transformé. Deux chrétiens désirent se marier; saint Paul les prévient: «vous ne vous appartenez plus» (1 Cor. 6, 19). Membres du Christ, l’un et l’autre «dans le Seigneur», leur union aussi se fait «dans le Seigneur», comme celle de l’Eglise, et c’est pourquoi elle est «un grand mystère» (Eph. 5, 32), un signe qui, non seulement représente le mystère de l’union du Christ avec l’Eglise, mais encore le contient et le rayonne par la grâce de l’Esprit-Saint, qui en est l’âme vivifiante. Car c’est bien l’amour même qui est propre à Dieu que celui-ci nous communique pour que nous l’aimions et qu’aussi nous nous aimions de cet amour divin: «aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (Io. 13, 34). Les manifestations mêmes de leur tendresse sont, pour les époux chrétiens, pénétrées de cet amour qu’ils puisent au coeur de Dieu. Et, si la source humaine risquait de se tarir, sa source divine est aussi inépuisable que les profondeurs insondables de la tendresse de Dieu. C’est dire vers quelle communion intime, forte et riche tend la charité conjugale. Réalité intérieure et spirituelle, elle transforme la communauté de vie des époux «en ce qu’on pourrait appeler, selon l’enseignement autorisé du concile, l’Eglise domestique» (Lumen gentium, 11), une véritable «cellule d’Eglise», comme le disait déjà notre bien-aimé prédécesseur Jean XXIII à votre pèlerinage du 3 mai 1959 (Discorsi, messaggi, colloqui del Santo Padre Giovanni XXIII, 1, Tip. Pol. Vat., p. 298), cellule de base, cellule germinale, la plus petite sans doute, mais aussi la plus fondamentale de l’organisme ecclésial.

9. Tel est le mystère dans lequel s’enracine l’amour conjugal, et qui illumine toutes ses manifestations. Mystère de l’Incarnation, qui exhausse nos virtualités humaines en les pénétrant de l’intérieur. Bien loin de les mépriser, l’amour chrétien les porte en effet à leur plénitude, avec patience, générosité, force et douceur, comme saint François de Sales aimait le souligner en faisant l’éloge de la vie conjugale de saint Louis (Introduction à la vie dévote, IIIe Partie, ch. 38, Avis pour les gens mariés, dans Œ uvres, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Nrf, Gallimard 1969, p. 237). Car, si la fascination de la chair est dangereuse, la tentation d’angélisme ne l’est pas moins, et une réalité méprisée ne tarde guère à revendiquer sa place. Aussi, conscients de porter leurs trésors en des vases d’argile (Cfr. 2 Cor. 4, 7), les époux chrétiens s’efforcent-ils, avec une humble ferveur, de traduire dans leur vie conjugale les recommandations de l’apôtre Paul: «vos corps sont membres du Christ . . . . temples de l’Esprit-Saint . . .; glorifiez donc Dieu dans votre corps» (1 Cor. 6, 13-20). «Mariés dans le Seigneur», les époux ne peuvent dès lors s’unir qu’au nom du Christ à qui ils appartiennent et pour qui ils doivent travailler comme ses membres actifs. Ils ne peuvent donc disposer de leur corps, notamment en tant qu’il est principe de génération, que dans l’esprit et pour l’œuvre du Christ, puisqu’ils sont membres du Christ.

10. «Collaborateurs libres et responsables du Créateur» (Humanae vitae, 1), les époux chrétiens voient leur fécondité charnelle acquérir par là une noblesse nouvelle. L’élan qui les pousse à s’unir est porteur de vie, et permet à Dieu de se donner des enfants. Devenus père et mère, les époux découvrent avec émerveillement, aux fonts-baptismaux, que leur enfant est dès lors enfant de Dieu, «rené de l’eau et de l’Esprit» (Io. 3, 5), et qu’il leur est confié pour qu’ils veillent certes sur sa croissance physique et morale, mais aussi sur l’éclosion et l’épanouissement en lui de «l’homme nouveau» (Eph. 4, 24). Cet enfant n’est plus seulement ce qu’ils voient, mais tout autant ce qu’ils croient, «une infinité de mystère et d’amour qui nous éblouirait si nous le voyions face à face» (Emmanuel Mounier à sa femme Paulette, le 20 mars 1940, dans Œ uvres, t. IV, Paris, Seuil 1963, p. 662). Aussi l’éducation devient-elle véritable service du Christ, selon sa parole même: «ce que vous faites à l’un de ces tout-petits, c’est à moi que vous le faites» (Matth. 25, 40). Et s’il arrive que l’adolescent se ferme à l’action éducative des parents, ceux-ci participent alors douloureusement, en leur chair même, à la passion du Christ devant les refus de l’homme.

11. Chers parents, Dieu ne vous a pas confié une tâche si importante (Cfr. Gravissimum educationis) sans vous faire un don prodigieux, son amour de père. A travers les parents qui aiment leur enfant en qui vit le Christ, c’est l’amour du Père qui s’épanche en son Fils bien-aimé (Cfr. 1 Io. 4, 7-11). A travers leur autorité, c’est son autorité qui s’exerce. A travers leur dévouement, sa providence de «Père, de qui toute paternité tire son nom, au ciel et sur la terre» (Cfr. Eph. 3, 15). Aussi bien le petit baptisé, à travers l’amour de ses parents, fait-il la découverte de l’amour paternel de Dieu, et, nous dit le Concile, «la première expérience de l’Eglise» (Gravissimum educationis, 3). Sans doute n’en prendra-t-il conscience qu’en grandissant, mais déjà l’amour divin, à travers la tendresse de son père et de sa mère, fait éclore et s’épanouir en lui son être de fils de Dieu. C’est dire quelle est la splendeur de votre vocation, que saint Thomas rapproche justement du ministère sacerdotal: «Certains propagent et maintiennent la vie spirituelle par un ministère uniquement spirituel: c’est l’affaire du sacrement de l’ordre; d’autres le font par un ministère à la fois corporel et spirituel: ce que réalise le sacrement de mariage, qui unit l’homme et la femme pour qu’ils engendrent une descendance et l’élèvent en vue du culte de Dieu» (Contra Gentiles IV, 58, trad. Bernier-Kerouanton, Paris, Lethielleux 1957, p. 313). Les foyers qui connaissent la dure épreuve de ne pas avoir d’enfants sont appelés cependant eux aussi à coopérer à la croissance du peuple de Dieu, de multiples manières.

12. Nous voudrions seulement ce matin attirer votre attention sur l’hospitalité qui est une forme éminente de la mission apostolique du foyer. La recommandation de saint Paul aux Romains: «Pratiquez l’hospitalité avec empressement» (12, 13), n’est-ce pas d’abord aux foyers qu’elle s’adresse, et lui-même ne pensait-il pas, en la formulant, à l’hospitalité du foyer d’Aquila et Priscille dont il avait été le premier bénéficiaire, et qui par suite devait accueillir l’assemblée chrétienne? (Cfr. Act. 18, 2-3; Rom. 16, 3-4; 1 Cor. 16, 19) En nos temps, si durs pour beaucoup, quelle grâce d’être accueillis «en cette petite Eglise, selon le mot de saint Jean Chrysostome (Homélie 20 sur Ephésiens 5, 22-24, 6; PG 62, 135-140), d’entrer dans sa tendresse, de découvrir sa maternité, d’expérimenter sa miséricorde, tant il est vrai qu’un foyer chrétien est « le visage riant et doux de l’Eglise» (Expression d’un foyer des Equipes Notre-Dame citée par H. Caffarel, dans l’Anneau d’Or, 111-112; Le mariage, ce grand sacrement, Paris, Feu nouveau 1963, p. 282). C’est un apostolat irremplaçable qu’il vous appartient de remplir généreusement, un apostolat du foyer pour lequel la formation des fiancés, l’aide aux jeunes ménages, le secours aux foyers en détresse constituent des domaines privilégiés. Vous soutenant l’un l’autre, de quelles tâches n’êtes-vous pas capables dans l’Eglise et dans la Cité? Nous vous y appelons avec une grande confiance et beaucoup d’espérance : «la famille chrétienne proclame à haute voix la puissance actuelle du Royaume de Dieu et l’espérance de la vie bienheureuse. Ainsi, par son exemple et par son Témoignage, elle convainc le monde de péché et illumine les hommes en quête de vérité» (Lumen gentium, 35).

13. Chers fils et chères filles, vous en êtes bien convaincus, c’est en vivant les grâces du sacrement de mariage que vous cheminez «d’un amour inlassable et généreux» (ibid., 41) vers cette sainteté à laquelle nous sommes tous appelés par grâce (Cfr. Matth. 5, 48; 1 Thess. 4, 3; Eph. 1, 4), et non point par exigence arbitraire, mais par amour d’un Père qui veut le plein épanouissement et le bonheur total de ses enfants. Au reste, pour y parvenir, vous n’êtes point livrés à vous-mêmes, puisque le Christ et l’Esprit-Saint, «ces deux mains de Dieu», selon l’expression de saint Irénée, sans cesse travaillent pour vous (Cfr. Adversus Haereses IV, 28, 4; PG 7, 1, 200). Ne vous laissez donc pas dérouter par les tentations, les difficultés, les épreuves qui surgissent sur le chemin, sans crainte d’aller, quand il le faut, à contre-courant de ce que l’on pense et dit dans un monde aux comportements paganisés. Saint Paul nous en prévient: «Ne vous conformez pas à ce monde, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit» (Rom. 12, 2). Ne vous découragez pas non plus, à l’heure des défaillances: notre Dieu est un Père plein de tendresse et de bonté, rempli de sollicitude et débordant d’amour pour ses enfants à qui il arrive de peiner dans leur marche. Et l’Eglise est une mère qui entend vous aider à vivre à pleine vie cet idéal du mariage chrétien dont elle vous rappelle, avec la beauté, toutes les exigences.

14. Chers fils, aumôniers des Equipes Notre-Dame, vous le savez par une longue et riche expérience: votre célibat consacré vous rend particulièrement disponibles, pour être auprès des foyers, dans leur cheminement vers la sainteté, les témoins agissants de l’amour du Seigneur dans l’Eglise. Au fil des jours, vous les aidez à «marcher dans la lumière» (Cfr. I Io. 1, 7), à penser juste, c’est-à-dire à apprécier leur conduite dans la vérité; à vouloir juste, c’est-à-dire à orienter, en hommes responsables, leur volonté vers le bien; à agir juste, c’est-àdire à mettre progressivement leur vie, à travers les aléas de l’existence, à l’unisson de cet idéal du mariage chrétien qu’ils poursuivent généreusement. Qui ne le sait? Ce n’est que peu à peu que l’être humain arrive à hiérarchiser et intégrer ses tendances multiples jusqu’à les ordonner harmonieusement en cette vertu de chasteté conjugale, où le couple trouve son plein épanouissement humain et chrétien. Cette oeuvre de libération, car t’en est une, est le fruit de la vraie liberté des enfants de Dieu, dont la conscience demande à la fois à être respectée, éduquée et formée, dans un climat de confiance et non d’angoisse, où les lois morales, loin d’avoir la froideur inhumaine d’une objectivité abstraite, sont là pour guider le couple dans son cheminement. Quand les époux s’efforcent en effet, patiemment et humblement, sans se laisser décourager par les échecs, de vivre en vérité les exigences profondes d’un amour sanctifié que les règles morales sont là pour leur rappeler, celles-ci ne sont plus rejetées comme une entrave, mais reconnues comme un puissant secours.

15. Le cheminement des époux, comme toute vie humaine, connaît bien des étapes, et les phases difficiles et douloureuses - vous l’éprouvez au fil des ans - y ont aussi leur place. Mais il faut le dire hautement: jamais l’angoisse ni la peur ne devraient se trouver chez des âmes de bonne volonté, car enfin, l’évangile n’est-il pas une bonne nouvelle aussi pour les foyers, et un message qui, s’il est exigeant, n’en est pas moins profondément libérateur? Prendre conscience que l’on n’a pas encore conquis sa liberté intérieure, que l’on est encore soumis à l’impulsion de ses tendances, se découvrir quasi incapable de respecter, dans l’instant, la loi morale, en un domaine aussi fondamental, suscite naturellement une réaction de détresse. Mais c’est le moment décisif où le Chrétien, dans son désarroi, au lieu de s’abandonner à la révolte stérile et destructrice, accède, dans l’humilité, à la découverte bouleversante de l’homme devant Dieu, un pécheur devant l’amour du Christ Sauveur.

16. A partir de cette prise de conscience radicale, s’amorce tout le progrès de la vie morale, le couple se trouvant ainsi «évangélisé» en ses profondeurs, les époux découvrant «avec crainte et tremblement» (Phil. 2, 12), mais aussi avec une joie émerveillée, qu’en leur mariage, comme dans l’union du Christ et de l’Eglise, c’est le mystère pascal de mort et de résurrection qui s’accomplit. Au sein de la grande Eglise, cette petite église se connaît alors pour ce qu’elle est en vérité: une communauté faible et parfois pécheresse et pénitente, mais pardonnée, en marche vers la sainteté, «dans la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence» (Phil. 4, 7). Loin d’être pour autant à l’abri de toute défaillance - «que celui qui se flatte d’être débout prenne garde de tomber» (1 Cor. 10, 12) -, ni dispensés d’un effort persévérant, parfois en des conditions cruelles que seule la pensée de participer à la passion du Christ peut faire supporter (Cfr. Col. 1, 24), les époux savent du moins que les exigences de vie morale conjugale que l’Eglise leur rappelle ne sont pas des lois intolérables ni impraticables, mais un don de Dieu pour les aider à accéder, à travers et par delà leurs faiblesses, aux richesses d’un amour pleinement humain et chrétien. Dès lors, loin d’avoir l’angoissant sentiment de se trouver comme acculés à une impasse, et, suivant les cas, de s’enliser peut-être dans la sensualité en abandonnant toute pratique sacramentelle, voire en se révoltant contre une Eglise considérée comme inhumaine, ou de se raidir dans un impossible effort au prix de l’harmonie et de l’équilibre, voire de la survie du foyer, les époux s’ouvriront à l’espérance, dans la certitude que toutes les ressources de grâces de l’Eglise sont là pour les aider à s’acheminer vers la perfection de leur amour.

17. Telles sont les perspectives dans lesquelles les foyers chrétiens vivent, en plein monde, la bonne nouvelle du salut dans le Christ, et progressent vers la sainteté dans et par leur mariage, avec la lumière, la force, la joie du Sauveur. Telles sont aussi, du même coup, les orientations majeures de l’apostolat des Equipes Notre-Dame, à partir du témoignage de leur propre vie, dont la force de persuasion est si grande. Inquiet et fiévreux, notre monde oscille entre la peur et l’espoir, et nombre de jeunes abordent en titubant la route qui s’ouvre devant eux. Que ce soit pour vous un stimulant et un appel. Avec la force du Christ, vous pouvez, et donc vous devez réaliser de grandes choses. Méditez sa parole, recevez sa grâce dans la prière et dans les sacrements de pénitence et d’eucharistie, confortez-vous les uns les autres, en témoignant avec simplicité et discrétion de votre joie. Un homme et une femme qui s’aiment, un sourire d’enfant, la paix d’un foyer: prédication sans parole, mais si étonnamment persuasive, où tout homme peut déjà pressentir, comme par transparence, le reflet d’un autre amour, et son appel infini.

18. Chers fils, l’Eglise, dont vous êtes les cellules vivantes et agissantes, donne à travers vos foyers comme une preuve expérimentale de la puissance de l’amour sauveur, et porte ses fruits de sainteté. Foyers éprouvés, foyers heureux, foyers fidèles, vous préparez pour l’Eglise et le monde un nouveau printemps dont les premiers bourgeons déjà nous font tressaillir d’allégresse. En vous voyant, en rejoignant par la pensée les millions de foyers chrétiens répandus à travers le monde, nous sommes emplis d’une irrépressible espérance, et, au nom du Seigneur, Nous vous disons avec confiance : «Qu’ainsi brille votre lumière aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux» (Matth. 5, 16). En son nom, Nous appelons sur vous et sur vos enfants bien-aimés, sur tous les foyers des Equipes Notre-Dame, et leurs aumôniers, tout particulièrement sur le cher abbé Caffarel, l’abondance des divines grâces, en gage desquelles Nous vous donnons de grand coeur une large Bénédiction Apostolique.

Avant de vous donner la Bénédiction, Nous voudrions dire avec vous une prière, un Pater noster, que nous réciterons ensemble à toutes les intentions de votre Mouvement:
- pour tous les foyers des Equipes Notre-Dame, ainsi que pour les veufs et les veuves qui lui appartiennent également;
- pour leurs enfants, afin que Dieu les protège et suscite parmi eux des vocations;
- pour les foyers qui souffrent ou sont dans L’épreuve;
- enfin pour qu’un nombre toujours plus grand d’époux et d’épouses découvrent les richesses du mariage chrétien. Pater noster...

                             



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