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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
À LA CONGRÉGATION POUR LES RELIGIEUX
ET LES INSTITUTS SÉCULIERS

Jeudi 19 octobre 1972

 

Chers Fils et chères Filles,

Laissez-nous d’abord vous exprimer la joie et l’émotion que Nous éprouvons à vous recevoir. Vous portez avec Nous l’honneur et le poids d’une grande responsabilité: celle de l’orientation, de l’authenticité, de la vie religieuse aujourd’hui. Au-delà de vos personnes, Nous évoquons ces milliers d’hommes et de femmes qui consacrent leur vie à suivre le Christ dans la pratique des conseils évangéliques. Ils représentent pour Nous, pour l’Eglise entière, une immense espérance.

Vous avez répondu à l’appel de notre Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers, afin de faire le point, durant ces quelques jours, de «l’aggiornamento» que le Concile et vos chapitres ont suscité et mis en œuvre, notamment sur le plan de la prière et de la vie commune. Vous avez cherché comment surmonter les tensions qui se font jour - et qui sont sans doute inévitables - au sein de vos diverses congrégations, comment vivre, dans un certain pluralisme, l’unité profonde dont doivent témoigner les disciples du Christ. Nous nous félicitons de cette collaboration avec le Dicastère chargé de veiller et de présider à la solution de ces problèmes, et en ce sens, de vous servir. Nous souhaitons qu’une telle collaboration soit de plus en plus fréquente, confiante et fructueuse.

Il n’est pas question pour Nous, dans le cadre de cette brève rencontre, de reprendre l’ensemble des questions que pose le renouveau adapté de la vie religieuse. Nous vous avons livré l’an dernier, dans notre Exhortation Apostolique «Evangelica testificatio», nos soucis et nos espoirs à ce sujet. Au nom du Seigneur, Nous avons dégagé les critères de discernement susceptibles de vous guider sur ce chemin exigeant, mais combien fascinant, d’une vie plus évangélique. Nous vous prions de garder devant les yeux, de méditer, ces divers éléments de la vie religieuse que Nous avons mis en lumière, sans en négliger aucun. Ce matin, Nous voulons seulement raviver en vous l’«esprit religieux» qui doit marquer vos personnes et vos communautés, ainsi que votre adhésion positive à l’Eglise.

Oui, vous avez choisi de vivre votre vocation baptismale dans le cadre particulier de la vie religieuse; ou plutôt, vous avez accepté de servir le Seigneur de cette façon radicale qui correspond profondément à un appel évangélique, qui a fait ses preuves dans l’Eglise depuis des siècles, et que celle-ci a authentifiée comme un témoignage hors pair et indispensable des béatitudes. Nous vous le disons sans ambages: soyez conséquents avec vous-mêmes, montrez-vous fidèles à votre vocation, ne laissez pas se dissoudre, en théorie comme en pratique, ce caractère essentiel de la vie religieuse, qui est votre lot. La plupart des chrétiens sont appelés à affirmer leur foi et à exercer leur charité comme laïcs, avec toutes les responsabilités temporelles qui leur incombent, et leur témoignage est essentiel, Nous l’avons souvent souligné; certains le font aujourd’hui, avec l’appui et selon les exigences d’un Institut séculier, et Nous avons récemment encore loué cette nouvelle initiative. Mais les uns et les autres ont précisément besoin de votre fidélité à votre vocation spécifique de religieux et de religieuses. Elle comporte, vous le savez, outre la profession des vœux de chasteté consacrée, de pauvreté et d’obéissance, une vie commune vécue dans une fraternité intégrale. Elle requiert une ascèse particulière qui vous fait remonter librement et joyeusement aux biens de ce monde, comme signe de votre attachement au Seigneur Jésus aimé pour lui même, pardessus tout et jusqu’à la Croix. Elle se manifeste dans une obéissance qui vous rend foncièrement disponibles à la volonté de notre Père des cieux, à travers les appels concrets de l’Eglise et de vos supérieurs, comme le Christ a vécu l’obéissance à son Père à travers les servitudes de son incarnation (Cfr. JACQUES GUILLET, Jésus-Christ hier et aujourd’hui, Desclée de Brouwer 1963, pp. 109-125). Bref, vous devez tendre à la perfection évangélique (Cfr. Matth. 5, 48) de manière à être en permanence les signes vivants de la transcendance du Royaume de Dieu.

Certes ce signe ne sera pas toujours compris, non seulement du «monde» au sens où l’entend saint Jean, mais même des hommes de bonne volonté, voire de vos frères et sœurs chrétiens. Et vous en souffrirez. Car ce monde, non seulement subit l’attrait - et parfois l’esclavage - de l’avoir, du pouvoir et de la chair, mais il est devenu hypersensible à la requête de l’épanouissement personnel, dans le cadre d’une autonomie complète. Votre vie peut revêtir à ses yeux quelque chose de mystérieux, d’étrange, voire, selon certains, d’inhumain. Et pourtant, vous le savez, vous, ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu (Cfr. 1 Cor. 1 , 25-27). D’ailleurs, le vrai scandale ne serait-il pas de percevoir que, sous prétexte d’adaptation, vous renoncez à ces exigences de prière, d’humilité, de pauvreté, de partage, de pureté, de simplicité, de service désintéressé que le Christ a demandées à ses disciples?

Entendons-nous bien: la forme de vie religieuse ne doit pas faire fi des talents naturels ni des charismes personnels; elle doit servir la vocation de chaque personne. Et c’est une lourde charge pour vous, supérieurs, de veiller à ce que chacun de vos frères et sœurs s’y épanouisse, soit traité avec égard, y soit reconnu et aimé, et puisse apporter à sa communauté et au monde le meilleur de lui-même. Mais on ne saurait oublier le paradoxe de l’Evangile, que vous avez, plus que d’autres, la mission de réaliser pleinement: «Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera» (Matth 16, 25). Soyez-en bien convaincus : cet amour du Seigneur, vécu jusqu’au renoncement de vous-mêmes, ne saurait demeurer sans fruit. En vous apportant une joie profonde et l’espérance de la vie éternelle, il frayera mystérieusement aux âmes le chemin vers le Dieu d’amour. Oui, en ce sens, ne craignez pas d’être pleinement religieux.

Nous abordons brièvement le deuxième thème de notre entretien. Un tel amour de Dieu ravivé dans une prière intime et stimulé par la vie fraternelle ne saurait vous éloigner, bien au contraire, du souci missionnaire qui vous anime aujourd’hui et qui Nous réjouit vivement. Que vous meniez une vie contemplative ou directement apostolique, l’amour de l’Eglise sera au cœur de vos préoccupations. Evidemment, vous adhérerez sans réserve à la foi véritable qu’elle professe; vous accueillerez avec confiance les orientations qu’elle précise, les décisions qu’elle prend, dans les divers domaines, pour le bien de tous: en cette heure, ce témoignage de fidélité de l’ensemble des religieux unis au Siège de Pierre Nous paraît capital. Regardez l’histoire: il fut toujours déterminant aux époques où l’Eglise entreprit ses grandes réformes. Mais vous partagerez aussi, selon le charisme propre de votre Institut, sa volonté de rejoindre en vérité de monde, nouveau à tant d’égards; il ne s’agit pas de vous conformer à lui, mais de l’accueillir, de le comprendre et de l’aimer jusqu’au point de lui annoncer Jésus-Christ, avec la patience évangélique et selon les moyens adaptés à son entendement. Or, dans chacun de vos diocèses, de vos régions, de vos pays, les Evêques sont chargés, avec les conseils presbytéraux et pastoraux, de discerner les besoins prioritaires, d’orienter les efforts pastoraux, de les coordonner. Chaque Institut doit bien préciser son identité personnelle, pour s’insérer dans ce service avec sa vocation propre: il n’est pas question d’absorber cette richesse de vos charismes multiformes, traditionnels, dans un regroupement autoritaire ou un nivellement appauvrissant. Néanmoins, chacun doit participer, en toute disponibilité, à la mission de l’Eglise, en harmonie avec l’apostolat exercé dans l’ensemble du peuple de Dieu, sous la responsabilité de la Hiérarchie. Vous vous souviendrez toujours que l’«exemption» elle-même regarde surtout les structures internes de vos congrégations (Cfr. Evangelica testificatio, 50): elle ne doit jamais faire obstacle à la réalisation d’une communion intime, profonde, cordiale, de sentiments et d’action, avec vos Evêques.

Chers Fils et chères Filles, Nous pensions à vous ces jours-ci en célébrant la messe en l’honneur de saint Luc. Vous êtes de ces disciples que le Seigneur envoie aujourd’hui devant lui. Nous prions le Maître de la moisson de vous adjoindre de nombreux compagnons et compagnes, d’une fidélité éprouvée. Et déjà, il Nous semble que le moment est venu d’une reprise en profondeur de la vie religieuse. Allez donc par le monde entier. Portez-y la paix du Christ. Annoncez sa bonne nouvelle, par votre propre vie consacrée: «C’est le Royaume de Dieu qui vient jusqu’à vous» (Luc. 10, 9). Avec Marie, tournez-vous vers le Seigneur, dans l’action de grâces et avec une parfaite disponibilité. Et Nous, de grand cœur, Nous vous bénissons.

                                   



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