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DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION «PROVENCE-MÉDITERRANÉE»
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi 5 mai 1977

 

Chers Frères dans le Christ,

La joie que Nous éprouvons à vous recevoir s’accompagne de sentiments de vénération pour les Eglises dont vous êtes les Pasteurs. L’implantation précoce de la foi chrétienne dans les villes gallo-romaines de Marseille et d’Arles, le rayonnement du monachisme à partir de Saint Victor ou de Lérins, le séjour des Papes en Avignon, et tant d’autres faits religieux ont fortement lié l’histoire de votre région Provence-Méditerranée à celle de l’Eglise. Certes, bien d’autres évolutions ou des bouleversements sociaux - Nous pensons au matérialisme pratique ou même à l’athéisme pénétrant, aux phénomènes des migrations et du tourisme – ont changé le visage de ces chrétientés d’hier. Mais si l’Eglise doit toujours repartir avec le souci des lendemains, grâce à l’Esprit novateur de Pâques et de Pentecôte, elle n’a point à renier son enracinement, ni son expérience historique, encore inscrite dans les lieux sacrés vénérables, dans les coutumes traditionnelles, dans la culture provençale, si profondément humaine, que vous évoquez, dans les cœurs aussi où demeure ancré un certain sentiment religieux populaire, difficile à évaluer. Il est bon de cultiver en nous-mêmes, dans le clergé et dans le peuple, la mémoire et la fierté de ces témoignages, d’en méditer le sens, d’en renouveler prudemment l’expression d’y puiser inspiration et raison d’espérer, pour aborder le nouveau champ apostolique avec la même vigueur que vos devanciers.

C’est d’abord à un ressourcement personnel, spirituel, que vous êtes appelés: cette visite «ad limina» peut le fortifier. Donnez la première place à la prière, une prière simple, proche des traditions locales, évangélique, ardente pour demander l’Esprit de Dieu qui seul fait fructifier l’œuvre de 1’Eglise. Renouvelez aussi en vous-mêmes le sens de la grandeur du ministère épiscopal qui vous a été confié dans la succession apostolique. Certes, «vos» forces peuvent vous paraître disproportionnées face à l’immense travail à accomplir, mais «votre» force s’appuie sur celle du Christ ressuscité qui vous envoie. Méditez souvent les exhortations lumineuses de l’Apôtre Paul à Timothée, à Tite. Continuez à bien observer les réalités pastorales, avec l’intelligence des besoins de notre temps. Prenez du recul: ne vous laissez pas absorber dans les méandres des situations immédiates. Retracez avec clarté, sûreté et fermeté, les grandes voies et les profondes exigences de l’évangélisation, celles de l’Eglise universelle, celles que vous avez rappelées récemment à Lourdes, dans votre lettre aux catholiques de France, qu’il s’agit de reprendre et d’appliquer. Vous insistez vous-mêmes à juste titre: «redonner l’assurance de la foi».

Croyez bien que Nous réalisons, par ailleurs, la multiplicité et la complexité de vos tâches pastorales actuelles. Mais, Nous le soulignons également, votre redoutable mission est simple: annoncer l’Evangile, et revigorer ou susciter, si possible en chaque cité, en chaque milieu, en chaque nouveau regroupement humain, une communauté de foi, de prière, de charité, qui soit missionnaire. C’était, vous le savez, la méthode de l’apôtre Paul.

Parmi les besoins traditionnels, c’est-à-dire ceux qui sont inhérents à toute communauté chrétienne, signalons d’abord le souci de vos collaborateurs immédiats, les prêtres. Nous avons parlé avec vos Confrères des autres régions des rapports à établir avec eux: proximité, confiance, encouragement, discernement. Nous apprécions votre désir de relancer plus hardiment l’appel des vocations: faites-en prendre conscience aux laïcs, faites-les prier pour cela. Et voyez comment assurer le mieux possible la formation des séminaristes, une formation spirituelle et théologique avant tout; vos maisons d’Avignon et de Marseille doivent préparer des hommes de Dieu et des apôtres. Quant au problème des vocations de jeunes ou même d’enfants, Nous souhaiterions qu’une grande attention lui soit accordée, car Dieu appelle parfois très tôt, et ces vocations sont étouffées si on ne les soutient pas avec bienveillance et discernement.

Nous sommes témoin, aussi, de vos méritants efforts et de vos préoccupations concernant la catéchèse des enfants. Certes, à elle seule, elle serait insuffisante, et vous craignez qu’elle ait trop peu de suite à l’âge adolescent ou adulte, dans le climat d’indifférence ou d’incroyance qui marque les jeunes de façon précoce. Mais ce serait une erreur de relâcher cet effort. L’enfant est capable d’entendre l’Evangile de façon privilégiée, d’y accorder sa vie, et souvent très généreusement; s’il n’a reçu aucun écho et n’a fait aucune expérience de ce message évangélique, exigeant et enthousiasmant, alors que son esprit et son cœur, s’ouvraient au monde, à l’amour filial des parents, à l’amitié, à l’action, pensez-vous que sa vie d’adulte intégrera facilement le dynamisme de la foi? La première empreinte demeure capitale, ou, pour mieux dire, le premier appel de la grâce, sera susceptible d’un réveil. Mais il est évident qu’il faut replacer cette pastorale dans un ensemble: y associer les parents, oui, ou plutôt inviter les parents à redécouvrir pour eux-mêmes la beauté, la profondeur, la vérité, la source d’espérance que représente la foi chrétienne. Vous constatez heureusement leur faim en ce domaine. Les familles, telles qu’elles sont, ne suffisent cependant pas: mettez beaucoup de soin à former, à leur service, des éducateurs spécialisés de la foi, car la catéchèse ne s’improvise pas; elle risquerait de tourner court, de s’en tenir à un message vague, pâle par rapport aux courants de pensée actuels de manquer de lien avec la prière ou la charité active, ou encore de ne susciter qu’un sentimentalisme éphémère, ou un moralisme humain coupé d’une perspective théologale. C’est dire qu’il faut assurer, même dans le tout jeune âge, une formation de qualité, dans un langage adapté certes, mais au contenu simple et précis: il s’agit de donner le goût de l’Evangile et le sens d’une vie en Eglise. On peut espérer qu’un tel appel retentira dans le cœur de l’adolescent et de l’adulte, à condition de les accompagner eux aussi et de les faire vivre avec de vrais témoins de la foi, accueillants et compréhensifs de la psychologie des jeunes d’aujourd’hui.

Parmi les moyens qui ont beaucoup d’influente, en plus de la catéchèse et de l’école, vous savez l’importance de la presse catholique.

Il est difficile de présenter aujourd’hui le message chrétien. Vous le savez et vous en êtes très justement préoccupés. Les moyens de communication sociale ont en effet tendance, dans les rubriques religieuses comme dans les autres, à choisir les informations qui feront choc, à souligner parfois tel fait mineur, à développer tel courant, en réalité peu significatif, sinon dans l’esprit du rédacteur et dans la volonté d’une minorité agissante qui veut peu à peu imposer tel projet. Et l’on dira que l’Eglise ne s’intéresse qu’à cela! Et surtout, on forgera peu à peu l’opinion dans un sens jugé irréversible, et cela est grave. Même sous couvert de publier des «libres opinions», il n’est pas rare de présenter telle ou telle thèse de manière que le lecteur non averti évoluera progressivement dans le sens désiré. Que pouvons-nous y faire? Au moins souhaiter que la presse et l’information catholiques, sans échapper aux pesanteurs professionnelles, tranchent par leur souci de donner une vision plus objective et d’apporter des éléments de formation du jugement. Evêques, vous devez susciter la préparation d’hommes compétents et équilibrés, insister sur les exigences de leur noble métier qui comporte un véritable pouvoir. Vous devez encourager les publications objectives, l’objectivité ne consistant d’ailleurs pas forcément à tout publier sur le même plan sans commentaire il y a une neutralité proclamée qui n’a de neutralité que le nom. La presse catholique doit comprendre qu’elle n’a pas seulement un rôle d’information, comme les autres, mais de formation, avec un amour réel de l’Eglise, et une loyauté vis-à-vis de la foi, de toute la foi. Nous vous encourageons, chers Frères, à donner à l’Eglise les meilleurs outils d’évangélisation, dans le domaine des moyens de communication sociale, écrits ou visuels. Nous apprécions d’ailleurs les efforts méritoires que vous faites pour présenter les problèmes de foi au grand public, et par exemple dans les bulletins diocésains dont Nous avons connaissance.

Parmi les besoins nouveaux, Nous tenons à Nous attarder sur une réalité caractéristique de vos diocèses. Vous le soulignez dans vos rapports: «grâce à son climat ensoleillé et à la beauté de ses sites, la Région Provence-Méditerranée exerce une attraction indéniable». Nous pensons au tourisme massif, continu et très diversifié: campings et résidences secondaires, festivals artistiques et voyages organisés, sports d’hiver et vacances estivales, modifient considérablement le visage et la densité des villes et des villages de votre région. Vous avez même parfois l’impression d’être écrasés par ce phénomène extraordinaire et à la limite insaisissable! Mais c’est un fait, et un fait qui ne fera que s’amplifier. Vous avez raison d’en prendre acte. La vocation de votre région est une vocation d’accueil. Votre mission est donc d’aller de plus en plus à la rencontre de ces habitants de passage, à la rencontre de cette nouvelle civilisation des loisirs. Vos rapports Nous disent vos efforts et vos réalisations face à ce phénomène irréversible. En vous félicitant, Nous vous encourageons à stimuler dans vos diocèses respectifs la pastorale du tourisme, qui ne doit pas être considérée comme un travail supplémentaire, épisodique, mais bien comme un élément de la pastorale habituelle. Nous avons noté avec satisfaction les diverses sessions de réflexion, qui se déroulent à Nice, sur une anthropologie chrétienne du loisir. Prêtres et laïcs y trouveront des lumières et des énergies pour passer d’une pastorale d’attente à une pastorale plus missionnaire. Nous comptons - avec vous - sur le dynamisme et sur le réalisme des laïcs, des religieuses et des pasteurs animés de l’Esprit Saint pour susciter - sans jamais négliger le rassemblement paroissial - de nouveaux lieux et nouveaux moyens d’évangélisation. Nous pensons, par exemple, au Centre «Culture et Foi» d’Avignon. Et Nous savons qu’un peu partout des espaces de silence et de prière sont ouverts, des hauts lieux artistiques et religieux sont remis en valeur, des équipes de chrétiens se rendent disponibles pour un travail d’approche et de dialogue, et même pour un témoignage directement missionnaire. Certes, il n’est pas toujours simple d’en trouver les animateurs. Mais que de personnes et de talents n’ont pas encore été sollicités pour une pastorale cohérente et persévérante du tourisme!

Dans vos diocèses et bien au delà, tant de prêtres et de chrétiens qualifiés pourraient conjuguer le temps de leurs légitimes vacances avec les immenses besoins des foules qui viennent quêter le bonheur ou refaire leur santé, et qui souffrent, plus qu’elles ne peuvent l’exprimer, du matérialisme pesant et angoissant de la civilisation moderne. Nous vous encourageons enfin à tenter davantage encore, tous ensemble et individuellement, le dialogue avec les instances responsables du tourisme surtout soucieuses de réussite économique. Dans le respect de leur compétence, vous pouvez et vous devez les sensibiliser à la réussite humanitaire du tourisme, qu’il s’agisse d’améliorer les loisirs ou d’aménager les conditions de vie de ceux qui travaillent à leur service. L’évangélisation ne peut se contenter de parer au plus pressé. Elle doit être globale, et toucher les centres vitaux de cette civilisation des loisirs.

Votre activité pastorale s’étend bien au-delà des problèmes évoqués. En d’autres circonstances, Nous avons Nous-mêmes parlé en faveur des immigrants: puissent-ils trouver toujours davantage, près de vos communautés chrétiennes, l’accueil bienveillant et l’entraide qui facilitent leur insertion et leurs propres responsabilités dans vos cités. Vous avez également le souci louable d’ouvrir vos Eglises, comme le Bienheureux Monseigneur de Mazenod, à la mission universelle; de participer aux efforts de développement . . .

A lire la description détaillée de vos rapports, c’est plutôt Nous qui apprenons de vous la valeur des efforts pastoraux entrepris, la pertinence de vos questions. Franchement, Nous vous félicitons de ce qui est mis en œuvre. Vous le faites en collaboration avec la Conférence épiscopale française, et comment en serait-il autrement quand le Président est des vôtres! Nous sommes très heureux de l’encourager dans ses lourdes tâches, en formant aussi des vœux pour le complet rétablissement de Monseigneur Gabriel Matagrin, Evêque de Grenoble et Vice-président de cette Conférence. Mais vous tenez aussi à resserrer votre collaboration locale, et vous avez raison, car vous avez des responsabilités particulières, et certains de vos diocèses ont une physionomie bien spécifique, qu’il suffise d’évoquer l’île de Corse.

En bref, comme le Bon Pasteur dont la liturgie nous parlait dimanche dernier, allez de l’avant, et veillez. Soyez d’une part soucieux d’accompagner chaque catégorie de fidèles, d’examiner chaque besoin, pour encourager ou redresser. Mais cherchez en même temps à entraîner l’ensemble, par des paroles hautes et claires, sur le chemin libérateur de la vérité, de la charité, de la sainteté. Courage, courage: c’est la parole de Jésus à ses disciples (Cfr. Io. 16, 33). Nous n’avons pas reçu un esprit de crainte, si nous sommes fidèles. Que le Seigneur coopère avec vous! (Cfr. Marc. 16, 20) Avec notre affectueuse Bénédiction Apostolique.

                    



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