Index   Back Top Print

[ FR ]

DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX CONGRESSISTES DE L'ASSOCIATION
CATHOLIQUE INTERNATIONALE DES ŒUVRES
POUR LA PROTECTION DE LA JEUNESSE*

Mardi 28 septembre 1948

S'il Nous plaît, en vous accueillant ici, très chères filles, de louer une fois de plus l'utilité, la beauté et les fruits précieux de votre œuvre, ainsi que ses incessants progrès, Nous éprouvons une joie toute particulière à rendre témoignage au courage de celles qui s'y dévouent sans compter. Du courage, il vous en faut, et beaucoup, pour affronter, avec leurs difficultés, dans leur ampleur, leur variété, leur gravité, tous les problèmes qui se posent ; il vous en faut pour pourvoir, dans la mesure humaine du possible, aux moyens de préservation, de guérison, de réhabilitation; il vous en faut pour triompher des hostilités, du scepticisme, de l'inertie, de l'indifférence et les transformer, s'il se peut, en intérêt, en zèle, en concours convaincu et efficace.

Le danger est partout, le mal est étendu et profond. Il l'est d'autant plus que, trop souvent, on n'y croit guère qu'après la douloureuse, humiliante et, en apparence, humainement irréparable chute. Ignorance, faiblesse, inexpérience, légèreté, sensibilité excessive, imagination désordonnée font double ravage : elles rendent cette chute à la fois plus redoutable et moins redoutée. Sous le prétexte que, dans le passé. la jeune fille, élevée comme en serre, entourée de soins inquiets, jalousement cloîtrée dans son ingénuité, risquait d'être victime de la surprise dès son premier contact avec le monde et avec la liberté ; celle d'aujourd'hui se donne maintes fois l'illusion qu'une éducation et une conduite tout opposées la rendront forte, aguerrie, immunisée, alerte à la défense ou à la riposte. Elle prend pour personnalité et pour vigueur ce qui n'est, au fond, que sans-gêne, imprudence ou même effronterie. Elle ne veut pas se convaincre que la permanente familiarité avec l'autre sexe, la parité d'occupations et d'allure contenues un temps dans les limites de la stricte morale, l'exposent à franchir tôt ou tard ces limites. En dépit de sa désinvolture et, parfois même, de sa mentalité masculine, la jeune fille qualifiée de « moderne » garde, bon gré mal gré, les caractères innés, indélébiles de son sexe, son imagination, sa sensibilité, sa tendance sinon à la vanité puérile, du moins, assez souvent, à la coquetterie plus périlleuse. Elle se laisse prendre au piège, quand elle ne s'y jette pas d'elle-même tête baissée. Elle a l'illusion de l'expérience et se croit, de ce chef, supérieure aux jeunes filles des générations passées. Sous des dehors plus avertis, elle est souvent, en réalité, moins solidement instruite ; son expérience est superficielle, suffisante pour ternir sa délicatesse et sa fraîcheur, insuffisante pour la tenir en garde contre les roueries et les hypocrisies des séducteurs. Son expérience est aussi surtout négative et elle ne lui découvre ni la grandeur, ni la beauté, ni les saines et robustes joies du rôle qui la réclame dans la famille et dans la société. Illusion de solidité et de force, illusion d'expérience et de prudence, l'une et l'autre sont l'aliment d'une présomption, à laquelle la nature, même bien guidée, n'est que trop portée. Elle croit pouvoir impunément tout lire, tout voir, tout essayer, tout goûter.

À seulement entendre ou deviner un conseil, elle se cabre. Le simple soupçon d'une « protection » la révolte. Protection, cela signifie à ses yeux humiliation et asservissement. Elle ne se doute pas du besoin qu'elle en a pour la sauvegarde de sa dignité féminine et de sa noble fierté, pour son affranchissement de toutes les séductions, tromperies, flatteries, dont elle est inconsciemment la dupe et l'esclave.

Pour comble, elle est désarmée devant le péril. Pieuse peut-être — du moins elle croit l'être à sa manière, parce qu'elle fréquente, routinière ou superstitieuse, parfois sans y rien comprendre, un minimum de fonctions religieuses, dont elle ne discerne point l'essentiel et l'accessoire, parce qu'elle s'approche, machinale ou — à Dieu ne plaise — indigne, des sacrements. Elle n'a de religion et de piété qu'un simple vernis de prétendue dévotion sans substance, sans profondeur, sans doctrine. Sceptique à l'égard de l'enseignement autorisé de l'Église, elle croit aveuglément ce que lui débitent du dogme, de la morale, de la discipline, ses théologiens improvisés, compagnes ou compagnons de bureau ou d'atelier ! Et c'est, en bien des cas, dans ces conditions qu'elle affronte tranquillement la vie ! Comme vite elle cédera ! D'abord une imprudence, dont elle rit, le cœur léger, puis une concession, dont elle n'a point scrupule, enfin la chute — dira-t-on la première, préparée qu'elle est par de tels préludes ?

Parfois, hélas ! sans qu'on s'en soit aperçu, sans qu'elle y ait pris garde ou se soit alarmée, le cœur est déjà gâté par tant de capitulations, tant de fautes secrètes, avant que la catastrophe ne révèle au dehors la déchéance qui, pourtant, date de loin. Il est comme ces fruits magnifiques, que le ver ronge au dedans et dont on ne connaît la corruption qu'au moment de les ouvrir pour en savourer la délicatesse. Ainsi le scandale, le jour où il éclate, entraînant après lui le déshonneur humain, ne fait que révéler le mal profond, bien plus ancien, et laisse apparaître, derrière la brillante mais trompeuse façade que s'écroule, la pourriture qu'elle avait jusque là masquée. Il faudrait maintenant, pour le guérir, presque un miracle.

Plus souvent, grâces à Dieu ! le cœur de la jeune fille n'est pas ainsi gâté. Il n'est encore qu'affaibli, souillé, dangereusement malade, mortellement blessé peut-être, mais il ne se complaît pas dans son péché et dans son abjection. Elle en gémit, elle alterne les défaillances et les relèvements, les consentements et les repentirs, elle se débat encore — de plus en plus mollement, il est vrai — avant de s'abandonner tout à fait à la tentation décisive. Mais, si elle vient à y succomber, la voilà terrassée par le découragement et l'abattement, mauvais conseillers. Que vienne alors à lui manquer l'appui, le soutien affectueux et fort, cette « protection » repoussée naguère comme humiliante, elle consomme, dans son désarroi, sa ruine spirituelle, ou bien elle s'affole et, dans son affolement, elle cache son crime par un crime nouveau, pour, du moins, sauver les apparences, ou enfin, se libérant de toute retenue, elle renonce définitivement à un relèvement qui lui semble impossible, elle se livre à la servitude, à l'esclavage de l'infâme exploitation : beaucoup de « professionnelles du vice » n'ont pas commencé autrement. Pauvre enfant ! comme elle avait besoin de protection pour se garder, quand il était encore temps ; comme elle en a besoin maintenant, pour se soutenir, pour se relever, pour se réhabiliter dans une vie nouvelle ! Et voilà la tâche, la sainte, mais lourde et difficile tâche, que vous avez voulu assumer dans votre chrétienne et surnaturelle charité.

La connaissance que vous avez de l'étendue et de la profondeur du fléau, de la variété et de la perfidie ou de la violence des tentations, vous fait assez comprendre que le soin individuel de chacune de ces jeunes filles -- bien nécessaire, certes ! — ne saurait suffire. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'une pauvre brebis sur cent, égarée par malheur, tandis que les quatre-vingt-dix-neuf autres seraient restées fidèles et demeureraient à l'abri dans le bercail ! Il s'agit du troupeau lui-même, dont le pasteur voit trop souvent son action entravée par la malice du démon et des hommes, ses brebis dispersées, errantes à la merci de tout venant.

Eh ! oui, le pasteur est paralysé. Avons-Nous à vous faire le bilan et le tableau de toutes les campagnes entreprises et menées avec une satanique persévérance, pour empêcher ou réduire le plus possible l'influence et la part de la religion chrétienne dans l'instruction et l'éducation, pour neutraliser les remèdes préventifs ou curatifs indispensables à une adolescence qui, grandie souvent dans une atmosphère contaminée, n'offre à la contagion qu'un tempérament surnaturel déjà débilité ou tristement prédisposé à la subir ? Le pasteur est frappé, frappé à mort dans le cœur de la jeunesse trop encline à accueillir les calomnies, les insinuations malveillantes ou perfides, les satires, qui tuent plus ou moins rapidement la confiance qu'on avait dans le prêtre, dans l'Église, dans le Christ lui-même.

C'est pourquoi vous avez compris que contre ce mal, social, permanent, chronique, il fallait agir en grand et prendre les grands moyens. Mais alors, c'est tout un monde d'œuvres à créer, à soutenir, dans le labeur incessant. Et vous n'avez pas reculé ; soyez-en louées. Notre encouragement ne vous manquera jamais, ni le secours de Dieu, dont Notre bénédiction vous est le gage.

Agir en grand, qu'est-ce à dire ? sinon que la multiplicité, la variété, l'ampleur des œuvres doit répondre à toutes les formes du danger et de la misère, à toutes les situations, à tous les besoins et légitimes aspirations d'ordre corporel, spirituel, surnaturel, que l'urgence d'une action concrète, immédiate, ne doit pas faire oublier la nécessité capitale d'une action plus générale et plus profonde, pas plus que l'usage des médicaments spécifiques ne doit, quelle que soit l'urgence, faire négliger le soin majeur de la régénération d'un tempérament, du relèvement d'un organisme. Quiconque pense à cela sérieusement serait effrayé par le programme gigantesque qui s'impose, s'il n'était convaincu de la puissance illimitée d'un véritable amour de charité chrétienne assisté par la grâce souveraine de Dieu et si sa conviction n'était confirmée par la constatation de ce que vous réalisez.

Procurer la sécurité morale de la jeune fille grâce à des centres d'accueil, à des foyers, à des hôtels, pensions et restaurants irréprochables, grâce à des secrétariats, à des services de placement et d'orientation, à des permanences dans les gares et les ports maritimes ou aéronautiques : toutes choses excellentes et de première urgence. Encore faut-il que toutes ces institutions ne rappellent point trop par leur laideur, leur austérité, leur mesquine indigence et parcimonie, ces abris et refuges du temps de guerre, où l'on ne se résignait à entrer que sous la menace et par la peur des bombes. Il faut, au contraire, que la jeune fille y trouve, sans luxe, le confort, le charme, l'intimité expansive, les joyeux divertissements d'une vraie vie de famille, qui puisse faire concurrence à tant d'attractions dangereuses ou coupables. Il faut qu'elle y trouve, même si elle ne le cherchait pas spontanément, l'aliment de sa culture intellectuelle, artistique, sociale spirituelle, qu'elle ait à sa disposition bibliothèques, conférences, enseignement non seulement moral et religieux, mais encore domestique, pratique, qui la mette en mesure de se préparer pour l'avenir une vie honnête, sainte, heureuse.

Ce n'est pas tout. À notre époque, il ne saurait être question de se cantonner dans une action locale ou régionale, ni même nationale. Il faut que tous vos centres particuliers, si parfaitement organisés et équipés qu'on les suppose, deviennent autant de mailles d'un immense réseau qui puisse enserrer l'univers tout entier. Est-il donc nécessaire de faire tout et si grand, vous dira-t-on ? mieux vaudrait modérer votre ambition et vous contenter de réalisations plus modestes. Soit ! mais alors, combien de jeunes filles seront assez sérieuses, assez prudentes pour préférer vos offres aux séductions d'un monde de folies, de jouissances, de satisfactions capiteuses pour la sensualité et la vanité ?

Oui, pour aborder et surtout pour soutenir, promouvoir et faire progresser une entreprise de pareille envergure, il faut beaucoup de zèle, beaucoup d'intelligence et de savoir-faire, beaucoup d'amour. Cela ne suffit pas. Selon l'ordre courant de la Providence, vous avez besoin de vous assurer des concours dévoués suffisants pour vous permettre de réaliser et de développer votre plan, et voilà, disions-Nous en commençant, qui exige encore de vous une autre forme de courage.

L'obstacle le plus redoutable, peut-être, à votre action n'est pas l'hostilité déclarée des ennemis de Dieu et des âmes, ni celle des libertins qui se voient arracher leurs proies, ni celle plus ignominieuse encore des trafiquants qui s'enrichissent sans vergogne de ce qu'on appelle avec une horrible mais rigoureuse exactitude « la traite des blanches ». Cette hostilité, malgré son infamie, est, somme toute, encore assez compréhensible. Mais ce qui est plus étrange, vu la valeur de l'enjeu, c'est qu'il vous faille vaincre l'indifférence, l'insouciance, l'ironie même de gens qui se croient chrétiens corrects, catholiques convaincus et pratiquants. Leur dessiller les yeux, leur faire prendre conscience de la gravité du mal et de leur propre responsabilité, éveiller leur intérêt, gagner leur sympathie, obtenir leur concours sous quelque forme que ce soit, n'est pas la partie la moins importante ni la moins ardue de votre tâche.

Nous ne pouvons évidemment pas recenser ici toutes les erreurs, les préventions, les sophismes de ces catholiques négatifs. Il Nous suffira donc de dire d'un mot la cause foncière de leur aberration : elle vient surtout de leur profonde ignorance et de leurs grossières confusions en matière de doctrine et de morale, même dans l'ordre purement naturel, a fortiori dans celui de la foi. Aussi, du jour où les chrétiens et les chrétiennes verront dans leur religion autre chose qu'un code de lois arbitraires sujettes à évoluer avec le temps, avec l'opinion ou le caprice, avec la mode, qu'ils y verront autre chose qu'un rituel de formalités vides de sens et de substance. Du jour où ils seront pénétrés de la croyance à l'existence, à la majesté de Dieu et à sa justice, du jour où ils sauront reconnaître autrement qu'en paroles oiseuses la dignité naturelle de toute créature humaine, sans distinction de sexe et de condition, plus encore sa destination par l'adoption à la vie surnaturelle, à une vie vraiment divine, du jour où ils goûteront la saveur de ces grandes leçons de l'Apôtre : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ?... Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été achetés à grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (Co 6, 15 : 19-20) : de ce jour-là, disons-Nous, le chrétien, la chrétienne, dépouillant tout égoïsme, tout pharisaïsme, songera que la dignité de cette jeune fille qui passe, insouciante, étourdie, n'est pas moindre que la sienne, mais que son cœur est si fragile qu'un rien peut le briser à jamais, son âme si délicate qu'un rien peut. en ternir pour jamais la pureté. Du jour enfin où tout chrétien, toute chrétienne sincère considèrera le rôle social de l'homme et de la femme, qui est de perpétuer la société humaine, de maintenir en vie et de faire croître ici-bas le corps mystique du Christ, de former, membre à membre, l'éternelle cité des élus, alors, prenant au sérieux leur responsabilité, ils ne se contenteront pas de respecter pour leur propre compte la jeune fille en péril, ils voudront à tout prix la sauver, ils comprendront la sainteté de vos efforts, ils vous apporteront leur concours.

Tel est Notre vœu, très chères filles, comme il est le vôtre. À qui recourrons-nous pour qu'il se réalise, vers qui lèverons-nous le regard sinon vers Celle, dont le regard très pur s'abaisse vers ce pauvre monde, l'enveloppant, le baignant dans une atmosphère de pureté, mais de pureté ardente et miséricordieuse ? Il s'abaisse, ce regard virginal et maternel, sur toutes ces pauvres enfants, nuançant l'expression de sa tendresse selon leur situation et leurs besoins, souriant sur les unes, inquiet sur les autres, humide de larmes ou chargé de reproche, mais plus suppliant que sévère. Avec quelle complaisance il se repose sur vous et sur votre œuvre providentielle, œuvre de préservation, de salut, de rédemption. Par Marie Immaculée descendront sur vous en abondance les bénédictions du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en gage desquelles Nous vous donnons à vous, à toutes vos protégées, à tous ceux qui collaborent avec vous, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, X,
Dixième année de pontificat, 2 mars 1948 - 1er mars 1949, pp. 225-231
Typographie polyglotte vaticane



Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana