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DERNIER DISCOURS PRONONCÉ PAR LE PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU Xe CONGRÈS INTERNATIONAL
D
U NOTARIAT LATIN

Dimanche 5 octobre 1958

 

Pour célébrer le dixième anniversaire de votre première rencontre vous avez décidé, Messieurs, de venir à Rome et d'y tenir le Ve Congrès de l'« Union Internationale du Notariat Latin ». Après Buenos Aires, Madrid, Paris et Rio de Janeiro, vous voici donc au centre même du monde latin, centre non point géographique, mais spirituel, où vos travaux trouveront un cadre approprié et une solennité inaccoutumée. Nous vous souhaitons une cordiale bienvenue et formons des vœux pour que vos réunions contribuent efficacement à réaliser les fins générales de votre groupement et celles que vous vous proposez dans ce Congrès.

Si la profession de notaire s'exerce de manière différente suivant les pays, on relève une distinction plus nettement marquée entre les régions de droit latin et les pays anglo-saxons. Dans ceux-ci en effet la fonction notariale consiste principalement à certifier l'identité du signataire des documents et, par conséquent, aucun titre d'étude spécial n'est requis pour l'exercer ; elle équivaut en somme aux fonctions du chancelier. Dans les nations de droit latin par contre, le notaire est chargé de traduire en forme légale la volonté contractuelle des parties et son intervention donne au contrat sa pleine valeur juridique et sa force exécutoire sans qu'il soit besoin d'aucune autre autorité pour le confirmer. La personnalité du notaire s'y trouve formée par une même tradition, soumise à des devoirs et des responsabilités similaires et présente des traits communs qui justifient amplement le caractère de votre Union. Vous entendez donner une impulsion soutenue à la collaboration internationale du notariat latin, intensifier les échanges culturels, faire connaître les normes théoriques et pratiques qui règlent l'exercice de la profession en chaque région et tendre ainsi à préparer leur unification. Votre premier Congrès de Buenos Aires entraina, avec la fondation de votre Union, la constitution d'un bureau permanent d'information et la fondation d'une « Revue internationale du Notariat » en deux éditions, espagnole et française.

Préoccupés de l'efficacité du document notarié dans les rapports internationaux, vous avez consacré à son étude une partie des travaux de votre Congrès et Nous savons que des relations soigneusement préparées vous permettront d'envisager tous les aspects intéressants de cette question. Vous reprenez aussi le sujet très délicat du secret professionnel du notaire et de ses collaborateurs et vous examinez l'adaptation de votre activité aux méthodes et procédés techniques modernes, en particulier pour ce qui concerne l'identification des parties et la rédaction graphique des actes et des copies.

Ces travaux, Nous en avons la certitude, contribueront à mettre davantage en relief l'importance de votre office dans l'établissement de relations juridiques saines et solides, base nécessaire d'une vie sociale pacifique. Ils dégageront mieux certains traits de la physionomie morale du notaire et le rôle que vous êtes appelés à jouer dans la société internationale en voie de construction. Nous n'ignorons pas qu'après l'instauration du Marché Commun Européen, vos associations nationales ont réagi d'une manière positive et indiqué les directions dans lesquelles devait s'engager votre effort pour répondre aux exigences des institutions nouvelles et en favoriser l'heureuse évolution.

Le prestige et l'autorité qui s'attachent à l'exercice d'une profession libérale supposent chez l'intéressé la présence de deux conditions: une compétence technique reconnue et une intégrité morale indiscutable. Ces qualités, le notaire devra les posséder surtout au moment où il devient l'intermédiaire officiel entre le particulier qui recourt à ses services et l'ordre juridique dont il se fait l'interprète. Il serait inexact de concevoir la fonction notariale comme une simple tâche de rédaction des documents qui présentent, sous une forme authentique, l'expression des déclarations des parties. Même si les découvertes modernes en fait d'enregistrement, de conservation et de reproduction de l'image et du son réduisaient un jour à une maigre portion le travail du notaire considéré comme « formateur du document », il aura toujours à intervenir et à déployer sa compétence professionnelle propre avant même la rédaction de l'acte puisqu'il doit alors procéder à l'identification des parties et à la recherche de leur volonté. Vous avez souligné combien dans la société moderne où les individus se déplacent sans cesse d'un endroit à l'autre et perdent ainsi la plupart de leurs attaches sociales autrefois si fortes, cette opération d'identification présente parfois de sérieuses difficultés. Les témoins requis par la loi peuvent n'avoir de l'intéressé qu'une connaissance superficielle et le notaire se voit alors contraint de recourir à des procédés empiriques de valeur contestable pour s'assurer de la qualité de son client.

Sar de l'identité des parties, il procédera ensuite à la recherche de leur volonté qu'il s'agit de fixer par écrit sous une formulation juridique adéquate. Or n'arrive-t-il pas fréquemment que les parties se présentent chez le notaire sans avoir une notion claire et ferme de ce qu'elles désirent, des motifs qui les poussent, des formes que leur acte doit revêtir pour être en accord avec la loi, des conséquences qui en découleront ? Le notaire s'efforcera donc de mettre en lumière tous ces éléments ; il relèvera ce qui, dans les désirs exprimés par les parties, ne coïncide pas avec les dispositions légales ou même les principes de la justice et de l'équité. Il sera ainsi le conseiller des parties et le dépositaire de leurs secrets. S'il exerce sa fonction au même endroit durant une longue période de temps il connaîtra de nombreuses situations individuelles ou familiales et l'expérience ainsi acquise renforcera son prestige et la valeur de ses conseils. Le notaire sait en outre qu'aucun énoncé juridique ne réussit à couvrir parfaitement les données d'un cas déterminé; que de fois n'est-il donc pas amené à suppléer à leur silence ou à leur ambigüité ! Parfois même il dépassera franchement la lettre de la loi pour en conserver mieux l'intention. Car les lois elles-mêmes ne sont pas un absolu ; elles cèdent le pas à la conscience droite et bien formée et l'on reconnait le véritable homme de loi, qu'il soit juge, avocat, notaire, à la compétence qu'il apporte dans l'interprétation des textes en vue du bien supérieur des individus et de la communauté.

S'il remplit adéquatement sa tâche, le notaire réussira à prévenir les conflits d'intérêt ; l'acte rédigé témoignera sans obscurité de la volonté des parties, pleinement informées de leurs droits et de leurs devoirs. Si, par la faute délibérée des contractants, un litige surgit ensuite, il n'en sera que plus facile pour le juge de préciser les obligations de chacun. On peut dire même que le notaire s'efforce de rendre inutile le recours à l'autorité judiciaire : avant elle, il applique le droit en aidant ses clients à en comprendre la portée, en les invitant à y conformer leurs intentions; mieux encore, en leur inspirant outre le respect au pouvoir civil, le désir sincère de la justice. Car, vous le savez par expérience et l'adage latin « summum ius, summa iniuria » le rappelle avec audace, quiconque s'emploie à poursuivre son sans ménagements, à pousser ses revendications jusqu'à l'extrême limite de la légalité a déjà, en réalité, franchi les bornes de la justice ; il a perdu cette disposition d'âme qui cherche, avant tout le reste, la concorde et la paix sociale et accepte, pour la sauvegarder, de subir quelque dommage matériel. Dans un discours récent aux huissiers et officiers judiciaires, Nous avons fait allusion à la propension au litige, illustrée avec verve par nombre d'auteurs dramatiques depuis l'antiquité, à ce besoin exagéré de recourir au juge pour trancher des différends réels ou imaginaires. La seule prétention de ne vouloir jamais rien céder de son droit, dénature le caractère de l'ordre juridique. L'accord des parties en effet, avant d'être un écrit, un texte dont une exégèse raffinée s'efforce d'exploiter les faiblesses, est d'abord union des volontés, rencontre de deux intentions en vue d'une collaboration féconde. L'établissement du contrat ou la fixation par écrit d'une volonté permet de mieux prévoir et de déterminer les charges acceptées ou d'assurer plus stablement certains effets souhaités. Il y a toujours un certain compromis, un effort pour maintenir la balance égale entre les obligations de chacun et les avantages auxquels elles ouvrent l'accès. Mais il arrive fréquemment, malgré la rectitude d'intention des parties, que l'équilibre voulu ne puisse se réaliser, que l'une d'elles supporte des charges plus lourdes ou retire moins de profit que l'autre. Si, à ce moment, malgré l'absence d'injustice formelle, chacun prétend ne considérer que son intérêt exclusif et perd le sens de l'utilité commune qui était d'abord poursuivie, le conflit devient inévitable. Il appartient donc au notaire, quand il prête son assistance à la rédaction d'un acte, de mettre en valeur la volonté profonde qui doit présider à tout contrat, c'est-à-dire celle de promouvoir un bien positif qui appartient également aux contractants et concerne aussi, dans une large mesure, la société dont ils font partie. Les multiples précautions qu'ils prendront eux- mêmes et celles que la loi leur impose n'ont d'autre but que d'assurer cette bonne volonté initiale et de la défendre envers autrui et envers elle-même nullement de donner appui à des revendications acharnées qui vont à l'encontre du véritable esprit de justice.

Il est clair que la pratique notariale, sincèrement désireuse de servir la bonne harmonie des relations entre les hommes et de répondre aux situations nouvelles issues de l'évolution des structures sociales, peut contribuer notablement au progrès du droit privé. Les techniques modernes vous apporteront une aide matérielle, vous procureront de sérieux gains de temps, vous déchargeront de besognes fastidieuses. Elles ne remplaceront jamais la science véritable du droit et la conscience professionnelle attentive à faire triompher dans les relations juridiques des particuliers la préoccupation du bien commun au delà des normes contractuelles, qui restent le moyen destiné à faciliter l'obtention d'une fin plus haute. Cette attitude même ne pourra se maintenir avec constance que si elle s'appuie sur l'amour sincère d'autrui dont l'Évangile renferme la doctrine et l'exemple vivant. Ici, plus de limites, puisque cette charité venue de Dieu va jusqu'à renoncer aux biens de ce monde, aux attachements humains et à la vie propre. Elle ne rend pas inutiles les contrats et les engagements écrits ; elle les suppose même comme une sauvegarde et un précieux adjuvant de la faiblesse humaine. Mais elle ne veut point qu'ils soient soustraits à ses appels.

Nous sommes convaincus, Messieurs, que rien ne vous aidera davantage à développer le sens de la justice parmi les hommes que l'estime et la pratique de la charité authentique, objet des enseignements du Divin Maître et fruit de son œuvre de Rédemption. Le même idéal qui inspire votre activité quotidienne au profit des particuliers dirigera les travaux que vous avez entrepris sur le plan international. Qui ne voit le prix de la contribution que vous apporterez ainsi à la consolidation de cette communauté plus large et au maintien de la paix désirée par tous les hommes de bonne volonté ? L'Église qui travaille de toutes ses forces au même but ne peut que s'en réjouir.

Aussi en vous renouvelant Nos souhaits de réussite, Nous implorons sur vous-mêmes et sur vos familles les faveurs du Tout-Puissant dont Notre paternelle Bénédiction apostolique vous sera le gage.


* Discours et Messages-radio de S. S. Pie XII, XX,
Vingtième année de Pontificat, 2 mars - 9 octobre 1958, pp. 431-435
Typographie Polyglotte Vaticane

 



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