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MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA JOURNÉE MONDIALE DE L'ALIMENTATION  2017

 

Au professeur José Graziano da Silva directeur général de la FAO

Monsieur,

1. Le fait que la FAO ait voulu consacrer la journée mondiale de l’alimentation de ce jour au thème :  «Le climat change. L’alimentation et l’agriculture aussi», nous porte à considérer la lutte contre la faim comme un objectif encore plus difficile à atteindre, en présence d’un phénomène complexe comme les changements climatiques. Dans la logique de l’affrontement des défis que la nature lance à l’homme et que l’homme lance à la nature (cf. Enc. Laudato si’, n. 25), je me permets de soumettre quelques réflexions à la considération de la FAO, de ses Etats-membres et de ceux qui participent à son action.

A quoi est dû l’actuel changement climatique? Nous devons nous interroger sur nos responsabilités individuelles et collectives sans avoir recours à des sophismes faciles qui se cachent derrière des statistiques ou des prévisions discordantes. Il ne s’agit pas d’abandonner les données scientifiques dont nous avons plus que jamais besoin, mais d’aller au-delà de la seule lecture du phénomène ou de la comptabilisation de ses multiples effets.

Notre condition de personnes nécessairement en relation et notre responsabilité de gardiens de la création et de son ordre nous imposent de remonter aux sources des changements en acte et d’aller à la racine. Nous devons avant tout admettre que les divers effets négatifs sur le climat découlent des comportements quotidiens de personnes, communautés, peuples et Etats. Si nous avons conscience de cela, la seule évaluation en termes éthiques et moraux ne suffit pas. Il est nécessaire d’agir sur le plan politique et donc d’opérer les choix nécessaires, de décourager ou de promouvoir des comportements et styles de vie, au bénéfice des nouvelles générations et de celles qui viendront. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons préserver la planète.

Les interventions à mettre en œuvre doivent être planifiées de façon adéquate et ne peuvent être le fruit de l’émotion ou des raisons d’un moment. Il est important de les programmer. Dans ce travail, les institutions appelées à œuvrer ensemble jouent un rôle essentiel, à partir du moment où l’action des individus, bien que nécessaire, ne devient efficace que si elle est encadrée dans un réseau fait de personnes, d’institutions publiques et privées, d’appareils nationaux et internationaux. Mais ce réseau ne peut pas rester anonyme, ce réseau a le nom de fraternité et doit agir sur la base de sa solidarité fondamentale.

2. Ceux qui sont engagés dans le travail des champs, de l’élevage, de la petite pêche, des forêts, ou qui vivent dans les zones rurales, confrontés de façon directe aux changements climatiques, font l’expérience que, si le climat change, leur vie aussi change. Sur leur quotidien s’abattent des situations difficiles, parfois dramatiques, l’avenir devient toujours plus incertain et ainsi mûrit l’idée d’abandonner maisons et liens d’affection. Un sentiment d’abandon prévaut, le sentiment de se sentir oubliés par les institutions, privés des apports qui peuvent découler de la technique et même de la juste considération de la part de nous tous qui bénéficions de leur travail.

Nous pouvons apprendre de la sagesse des communautés rurales un style de vie qui peut aider à se défendre de la logique de la consommation et de la production à tout prix, une logique qui, se recouvrant de bonnes justifications, comme l’augmentation de la population, ne vise en réalité qu’à l’augmentation des profits. Dans le secteur dans lequel œuvre la FAO, croît le nombre de ceux qui pensent désormais être tout-puissants et pouvoir négliger les cycles des saisons ou modifier de façon impropre les différentes espèces animales et végétales, en faisant perdre cette diversité qui, si elle existe dans la nature, signifie qu’elle a — et qu’elle doit avoir — son rôle. Produire des labels de qualité qui, en laboratoire, donnent d’excellents résultats, peut être avantageux pour certains, mais avoir des effets désastreux pour d’autres. Et le principe de précaution ne suffit pas parce que, bien souvent, il se limite à ne pas permettre de faire quelque chose, alors qu’il faut agir avec équilibre et honnêteté. Sélectionner de façon génétique une qualité de plante peut donner des résultats impressionnants du point de vue quantitatif, mais avons-nous tenu compte des terrains qui perdront leur capacité de produire, des éleveurs qui n’auront plus de pâturages pour leur bétail et de toutes les ressources en eau qui deviendront inutilisables? Et surtout, nous sommes-nous demandé si et dans quelle mesure nous contribuons à modifier le climat?

Non pas la précaution, donc, mais la sagesse! Celle que les paysans, les pêcheurs et les éleveurs conservent dans la mémoire de générations et qui est aujourd’hui raillée et oubliée par un modèle de production qui sert l’avantage exclusif de groupes restreints et d’une portion exiguë de la population mondiale. Souvenons-nous qu’il s’agit d’un modèle qui, en dépit de toute sa science, permet qu’environ huit cents millions de personnes souffrent encore de la faim.

3. La question a ses effets directs sur les urgences que chaque jour, les institutions intergouvernementales comme la FAO sont appelées à affronter et à gérer, bien conscientes que les changements climatiques n’appartiennent pas exclusivement à la sphère de la météorologie. Comment oublier que le climat contribue aussi à rendre la mobilité humaine irrépressible? Les données les plus récentes nous disent que les migrants climatiques sont de plus en plus nombreux et vont grossir les rangs de cette caravane des derniers, des exclus, de ceux auxquels est niée la possibilité d’avoir un rôle dans la grande famille humaine. Un rôle qui ne peut être concédé par un Etat ou par un statut, mais qui appartient à tous les êtres humains en tant que personnes, avec leur dignité et leurs droits.

Il ne suffit plus d’être impressionnés et de s’émouvoir face à qui, sous toutes les latitudes, demande son pain quotidien. Des choix et des actions sont nécessaires. Souvent, également en tant qu’Église catholique, nous avons rappelé que les niveaux de production mondiale permettent d’assurer une alimentation pour tous, pourvu qu’il existe une distribution équitable. Mais pouvons-nous encore continuer sur cette ligne, si les logiques du marché suivent ensuite d’autres voies, allant jusqu’à faire des produits agricoles une marchandise quelconque, à utiliser toujours plus la nourriture à des fins non alimentaires ou à détruire des aliments pour la seule raison qu’ils constituent un excès par rapport au profit et non par rapport aux besoins? En effet, nous savons que le mécanisme de la distribution demeure théorique si ceux qui ont faim n’ont pas un accès effectif aux aliments, s’ils continuent de dépendre de contributions extérieures plus ou moins conditionnées, s’il ne se crée pas un rapport correct entre le besoin et la consommation et, non moins important, si l’on n’élimine pas le gaspillage et que l’on ne réduit pas les pertes de nourriture.

Nous sommes tous appelés à coopérer à ce changement de direction :  responsables politiques, producteurs, travailleurs de la terre, de la pêche et des forêts, ainsi que chaque citoyen. Certes, chacun selon ses diverses responsabilités, mais tous dans le même rôle de constructeurs d’un ordre interne aux nations et d’un ordre international qui ne permettent plus que le développement soit l’apanage d’un petit nombre ni que les biens de la création soient le patrimoine des puissants. Les possibilités ne manquent pas et les exemples positifs, les bonnes pratiques, mettent à notre disposition des expériences qui peuvent être parcourues, partagées et diffusées.

4. La volonté d’œuvrer ne peut dépendre des avantages qui peuvent en découler, mais c’est une exigence liée aux besoins qui se manifestent dans la vie des personnes et de toute la famille humaine. Des besoins matériels et spirituels, mais quoi qu’il en soit réels, qui ne sont pas le fruit des choix de quelques-uns, de modes du moment ou de modèles de vie qui font de la personne un objet, de la vie humaine un instrument, y compris d’expérimentation, et de la production d’aliments une simple affaire économique à laquelle sacrifier jusqu’à la nourriture disponible, destinée par nature à faire en sorte que chacun puisse avoir chaque jour des aliments suffisants et sains.

Nous sommes désormais proches de la nouvelle étape qui, à Marrakech, appellera les Etats-membres de la Convention sur les changements climatiques à mettre en œuvre ces engagements. Je pense interpréter le désir de nombreuses personnes en souhaitant que les objectifs établis par l’accord de Paris ne demeurent pas de belles paroles, mais se transforment en décisions courageuses, capables de faire de la solidarité non seulement une vertu, mais aussi un modèle opérationnel en économie, et de la fraternité non plus une aspiration, mais un critère de la gouvernance interne et internationale.

Monsieur le directeur général, telles sont les quelques réflexions que je désire vous faire parvenir en ce moment où se font vives les préoccupations, les inquiétudes et les tensions causées aussi par une question climatique qui est de plus en plus présente dans notre quotidien et qui pèse sur les conditions de vie, avant tout d’un grand nombre de nos frères et sœurs parmi les plus vulnérables et marginalisés. Que le Tout-puissant bénisse vos efforts au service de l’humanité tout entière.

Du Vatican, le 14 octobre 2016

FRANÇOIS



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