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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
AU KENYA, EN OUGANDA ET EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

(25-30 NOVEMBRE 2015)

VISITE À L'OFFICE DES NATIONS UNIES À NAIROBI (U.N.O.N.)

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Kenya
Jeudi 26 novembre 2015

[Multimédia]


 

Je voudrais remercier pour l’aimable invitation et pour les paroles de bienvenue de Madame Sahle-Work Zewde, Directrice Générale de l’Office des Nations Unies à Nairobi, ainsi que de Monsieur Achim Steiner, Directeur Exécutif du programme des Nations pour l’Environnement, et de Monsieur Joan Clos, Directeur Exécutif du Programme ONU – Habitat. Je profite de l’occasion pour saluer tout le personnel et tous ceux qui collaborent avec les institutions ici présentes.

En route vers cette salle, j’ai été invité à planter un arbre dans le parc du Centre des Nations Unies. J’ai accepté d’accomplir ce geste symbolique et simple, chargé de sens dans beaucoup de cultures.

Planter un arbre, c’est d’abord une invitation à continuer de lutter contre des phénomènes tels que la déforestation et la désertification. Cela nous rappelle l’importance de protéger et d’administrer de façon responsable ces « poumons de la planète pleins de biodiversité [comme nous  pouvons bien l’apprécier dans ce continent avec] le bassin du fleuve Congo », lieu important « pour toute la planète et pour l’avenir de l’humanité ». C’est pourquoi, elle est toujours appréciée et encouragée, « la tâche des organismes internationaux et des organisations de la société civile qui sensibilisent les populations et coopèrent de façon critique, en utilisant aussi des mécanismes de pressions légitimes, pour que chaque gouvernement accomplisse son propre et intransférable devoir de préserver l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays, sans se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou internationaux » (Laudato Si’, n. 38).

En outre, planter un arbre nous invite à continuer d’avoir confiance, d’espérer et surtout de consentir à des efforts pour inverser toutes les situations d’injustice et de détérioration dont nous souffrons aujourd’hui.

Dans quelques jours, commencera à Paris une importante rencontre sur le changement climatique, où la communauté internationale, en tant que telle, se confrontera de nouveau à cette problématique. Ce serait triste et j’ose le dire, catastrophique, que les intérêts particuliers l’emportent sur le bien commun et conduisent à manipuler l’information pour protéger leurs projets.

Dans ce contexte international, où nous sommes devant une alternative que nous ne pouvons pas ignorer – améliorer ou détruire l’environnement –, chaque initiative, petite ou grande, individuelle ou collective, prise pour sauvegarder la création indique le chemin sûr de cette « créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain » (Ibid., n. 211).

« Le climat est un bien commun, de tous et pour tous ; […]

le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité » (Ibid., nn. 23-25), dont la réponse « doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés » (Ibid., n. 93). Car « l’abus et la destruction de l’environnement sont en même temps accompagnés par un processus implacable d’exclusion » (Discours à l’ONU, 25 septembre 2015).

La COP21 est un pas important dans le processus de développement d’un nouveau système énergétique, qui dépende le moins possible des combustions fossiles, vise l’efficacité énergétique et se structure grâce à l’utilisation d’énergie au contenu en carbone réduit ou nul. Nous sommes face au grand engagement politique et économique qui consiste à reconsidérer et à corriger les dysfonctionnements et les distorsions du modèle de développement actuel.

L’Accord de Paris peut envoyer un signal clair dans cette direction, à condition que, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à l’Assemblée Générale de l’ONU, nous évitions la « tentation de tomber dans un nominalisme de déclarations à effet tranquillisant sur les consciences. Nous devons veiller à ce que nos institutions soient réellement efficaces » (Ibid.). C’est pourquoi j’espère que la COP21 débouchera sur la conclusion d’un accord global et ‘‘transformateur’’ fondé sur les principes de solidarité, de justice, d’équité et de participation, et qui oriente vers la réalisation de trois objectifs, à la fois complexes et interdépendants : l’allègement de l’impact du changement climatique, la lutte contre la pauvreté et le respect de la dignité humaine.

Malgré de nombreuses difficultés, s’affirme la « tendance à concevoir la planète comme une patrie, et l’humanité comme un peuple qui habite une maison commune » (Laudato Si’, n. 164). Aucun pays « ne peut agir en marge d'une responsabilité commune. Si nous voulons réellement un changement positif, nous devons humblement assumer notre interdépendance» (Discours aux mouvements populaires, 9 juillet 2015). Le problème naît lorsque nous croyons qu’interdépendance est synonyme d’imposition ou de soumission de quelques-uns aux intérêts des autres. Du plus faible au plus fort.

Un dialogue sincère et ouvert est nécessaire, avec la coopération responsable de tous : autorités politiques, communauté scientifique, entreprises et société civile. Les exemples positifs ne manquent pas qui nous démontrent comment une vraie collaboration entre la politique, la science et l’économie est capable d’obtenir d’importants résultats.

Nous sommes conscients, cependant, que les « êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer » (Laudato Si’, n. 205). Cette profonde prise de conscience nous conduit à espérer que, si l’humanité de la période post-industrielle pourrait laisser le souvenir de l’une des plus irresponsables de l’histoire, « l’humanité du début du XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités » (Ibid., n. 165). Pour cela, il est nécessaire de mettre au service des peuples l’économie et la politique où « l'être humain, en harmonie avec la nature, structure tout le système de production et de distribution pour que les capacités et les nécessités de chacun trouvent une place appropriée dans l'être social » (Discours aux mouvements populaires, 9 juillet 2015). Il ne s’agit pas d’une utopie chimérique, au contraire, il s’agit d’une perspective réaliste qui place la personne humaine et sa dignité comme point de départ et vers laquelle tout doit confluer (cf. Ibid.)

Le changement de direction dont nous avons besoin, il n’est pas possible de le réaliser sans un engagement substantiel à travers l’éducation et la formation. Rien ne sera possible si les solutions politiques et techniques ne sont accompagnées d’un processus d’éducation qui promeuve de nouveaux styles de vie. Un nouveau type de culture. Cela exige une formation destinée à susciter chez les enfants, les femmes et les hommes, les jeunes et les adultes, l’assimilation d’une culture de protection ; la protection de soi-même, la protection de l’autre, la protection de l’environnement ; en lieu et place de la culture de détérioration et de rejet. Le rejet de soi, de l’autre, de l’environnement. La promotion de la « conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous […] permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. [C’est] un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération » (Laudato Si’, n. 202), qu’il est encore temps de promouvoir.

Ils sont nombreux les visages, les histoires, les conséquences évidentes chez des milliers de personnes que la culture de la détérioration et du rejet a conduit à sacrifier aux idoles du gain et de la consommation.  Nous devons nous protéger d’un triste signe de la « ‘‘mondialisation de l’indifférence’’, qui nous fait lentement nous ‘‘habituer’’ à la souffrance de l’autre, comme si elle était normale» ( Message pour la Journée Mondiale de l’Alimentation, 16 octobre 2013), ou pire encore, qui nous conduit à la résignation face aux formes extrêmes et scandaleuses de ‘‘rejet’’ et d’exclusion sociale, comme sont les nouvelles formes d’esclavage, le trafic des personnes, le travail forcé, la prostitution, le trafic d’organes. « L’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est tragique ; ces migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les conventions internationales et ils portent le poids de leurs vies à la dérive, sans aucune protection légale » (Laudato Si’, n. 25). Ce sont de nombreuses vies, de nombreuses histoires, de nombreux rêves qui se noient dans notre présent. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à cela. Nous n’en avons pas le droit.

Parallèlement à la négligence de l’environnement, depuis un certain temps, nous sommes témoins d’un rapide processus d’urbanisation qui, malheureusement, conduit souvent à une «croissance démesurée et désordonnée de beaucoup de villes qui sont devenues insalubres [et] inefficaces » (Ibid., n. 44). Et ce sont aussi des endroits où se répandent des symptômes préoccupants d’une tragique rupture des liens d’intégration et de communion sociale, qui conduit à l’« augmentation de la violence et [à] l’émergence de nouvelles formes d’agressivité sociale, [au] narcotrafic et [à] la consommation croissante de drogues chez les plus jeunes, [à] la perte d’identité » (ibid. n. 46), au déracinement et à l’anonymat social (cf. ibid. n. 149).

Je voudrais exprimer mon encouragement à tous ceux qui, au niveau local et international, travaillent pour que le processus d’urbanisation devienne un instrument efficace en vue du développement et de l’intégration, afin de garantir pour tous, et surtout aux personnes qui vivent dans les quartiers marginaux, des conditions de vie dignes, garantissant les droits fondamentaux à une terre, à un toit et au travail. Il est nécessaire de promouvoir des initiatives de planification urbaine et de protection des espaces publics qui aillent dans ce sens et prévoient la participation des habitants, essayant de combattre les nombreuses inégalités et les poches de pauvreté urbaine, non seulement économiques, mais aussi et surtout sociales et environnementales. La prochaine Conférence Habitat-III, prévue à Quito en octobre 2016, pourrait être un moment important pour identifier les façons de répondre à ces problématiques.

Dans quelques jours, cette ville de Nairobi, abritera la 10ème Conférence Ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce. En 1971, face à un monde toujours plus interdépendant, et anticipant de quelques années la présente réalité de la globalisation, mon prédécesseur Paul VI réfléchissait sur la manière dont les relations commerciales entre les Etats pourraient être un élément fondamental pour le développement des peuples ou, au contraire, cause de misère et d’exclusion ( Cf. Paul VI, Populorum progressio, nn. 56-62). Même en reconnaissant tout l’effort réalisé dans ce domaine, il semble qu’on ne soit pas encore arrivé à un système commercial international équitable et totalement au service de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Les relations commerciales entre les Etats, une part indispensable des relations entre les peuples, peuvent tant servir à porter préjudice à l’environnement qu’à l’assainir et le rendre sûr pour les générations futures.

Je forme le vœu que les délibérations de la prochaine Conférence de Nairobi ne soient pas un simple équilibre des intérêts en conflit, mais un vrai service à la sauvegarde de la maison commune et au développement intégral des personnes, surtout des plus défavorisées. En particulier, je veux m’unir aux préoccupations de nombreuses réalités engagées dans la coopération au développement et dans l’assistance sanitaire – dont les congrégations religieuses qui aident les plus pauvres et exclus – préoccupations qui concernent les accords sur la propriété intellectuelle et l’accès aux médicaments ainsi qu’aux soins essentiels de santé. Les Traités de libre commerce régionaux sur la protection de la propriété intellectuelle, en particulier dans le domaine pharmaceutique et biotechnologique, non seulement ne doivent pas limiter les facultés déjà accordées aux Etats par les accords multilatéraux, mais, au contraire, devraient être un instrument pour assurer un minimum d’assistance sanitaire et d’accès aux traitements de base pour tous. Les discussions multilatérales, à leur tour, doivent donner aux pays les plus pauvres le temps, la flexibilité et les exceptions nécessaires à une adaptation ordonnée, et non traumatisante, aux normes commerciales. L’interdépendance et l’intégration des économies ne doivent pas provoquer le moindre préjudice aux systèmes de santé et de protection sociale existants ; au contraire, elles doivent favoriser leur création et leur fonctionnement. Certaines questions de santé, telles que l’élimination du paludisme et de la tuberculose, le traitement des maladies dites ‘‘orphelines’’ et les domaines négligés de la médecine tropicale, réclament une attention politique prioritaire, avant tout autre intérêt commercial ou politique.

L’Afrique offre au monde une beauté et une richesse naturelle qui nous conduisent à louer le Créateur. Ce patrimoine africain et de toute l’humanité est constamment menacé par un risque de destruction, en raison d’égoïsmes humains en tout genre et de l’abus de situations de pauvreté et d’exclusion. Dans le contexte des relations économiques entre les Etats et les peuples, on ne peut cesser de parler des trafics illégaux qui croissent dans un environnement de pauvreté, et qui, à leur tour, alimentent la pauvreté et l’exclusion. Le commerce illégal de diamants et de pierres précieuses, de métaux rares ou de valeur stratégique, du bois et de matériel biologique, ainsi que de produits d’origine animale, comme dans le cas du trafic d’ivoire et le massacre des éléphants qui lui est relatif, alimente l’instabilité politique, le crime organisé et le terrorisme. Cette situation est aussi un cri des hommes et de la terre qui doit être entendu par la Communauté internationale.

Lors de ma récente visite au siège de l’ONU à New York, j’ai pu exprimer le souhait et l’espérance que le travail des Nations Unies et de tous les développements multilatéraux puissent être le « gage d’un avenir sûr et heureux pour les futures générations. Et [il] le sera si les représentants des Etats savent laisser de côté des intérêts sectoriels et idéologiques, et chercher sincèrement le service du bien commun » (Discours à l’ONU, 25 septembre 2015).

Je renouvelle, un fois encore, le soutien de la communauté catholique, et le mien, consistant à continuer de prier et de collaborer pour que les résultats de la coopération régionale qui s’exprime aujourd’hui dans l’Union Africaine et par les nombreux accords africains de commerce, de coopération et de développement, soient mis en œuvre avec vigueur et en tenant toujours compte du bien commun des enfants de cette terre.

La bénédiction au Très-Haut soit avec tous et chacun d’entre vous ainsi qu’avec vos peuples. Merci !

 


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