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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
AU PANAMÁ À L'OCCASION DE LA
XXXIVe JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE
(23-28 JANVIER 2019)

CONFÉRENCE DE PRESSE DU SAINT-PÈRE
DANS L'AVION DE RETOUR DU PANAMA

Vol papal
Dimanche 27 janvier 2019

[Multimédia]


 

Gisotti:

Bonsoir!

Saint-Père, nous avons encore dans la tête le cri « La juventud del Papa », « La juventud de Jesucristo », comme l’a dit également Mgr Ulloa [archevêque de Panama]. Cette grande joie, intense, de ces journées qui ont donné tant d’énergie. Et je crois que nous avons tous vu sur votre visage, ainsi que sur les visages des jeunes, la joie de cette rencontre. J’ai apporté ici quelque chose qu’un grand nombre de journalistes, je pense presque tous, connaissent : ce ne sera pas un document qui entre dans le magistère du Pape, mais c’est un document auquel je sais que vous tenez beaucoup. C’est une chanson qu’a écrite une jeune fille du Honduras, Martha Avila, dont je vous ai fait parvenir l’image hier. Cette chanson est en pratique une chanson contre le harcèlement, et cela a été un peu le thème d’une rencontre avec Scholas Occurrentes. Cela pour dire que l’élément de la douleur de ces jeunes a également été présent, de même que celui de la joie que nous avons vue en tant d’occasions. Je voudrais vous transmettre uniquement une image qui m’a beaucoup marqué : Saint-Père, quand vous passiez en papamobile, je voyais beaucoup de jeunes qui, après vous avoir salué, s’embrassaient, ne serait-ce qu’un instant. Cela m’a touché : le partage de la joie, c’est-à-dire des jeunes qui s’embrassaient après vous avoir vu ne serait-ce qu’un instant. Cela est sans doute quelque chose qui est une leçon pour nous adultes. Les jeunes, quand ils sont heureux, partagent la joie, ils ne la gardent pas pour eux : cela est quelque chose que je voulais partager avec vous et avec les journalistes.

Saint-Père, vous avez eu également – parmi les nombreuses surprises que vous nous avez réservées ces jours-ci – une rencontre avec l’Unicef, précisément au cours des derniers moments avant le départ, à la Nonciature.

Je ne sais pas si avant de donner la parole aux journalistes avec leurs questions, vous voulez également adresser quelques paroles de salut...

Pape François:

Bonsoir, et bon repos, parce qu’il est certain que tout le monde est fatigué, après ce voyage si intense. Merci pour votre travail ! Pour moi aussi, il y a eu des choses que je n’imaginais pas, des surprises, comme celle que Gisotti a dite, cette jeune fille de seize ans, victime de harcèlement, qui a chanté avec une très belle voix et c’est elle qui a écrit cette chanson. Et la rencontre aussi, avant de sortir de la Nonciature, avec des personnes de l’Unicef d’Amérique centrale, avec des témoignages de deux jeunes, puis de celes qui travaillent : j’ai entendu des choses qui touchent le cœur. Cela a été un voyage intense. A vous la parole.

Gisotti:

Un voyage qui a eu beaucoup de voyages à l’intérieur, donc je vous prie de vous en tenir au thème de ce grand voyage qui a représenté le monde à travers les jeunes qui étaient présents. Bien sûr, je donne la parole d’abord à la presse locale, à Panama : Edwin Cabrera Uribe de Radiopanamá. Il vous adressera deux questions au nom de tout le groupe des journalistes panaméens. Merci, Edwin.

Edwin Cabrera Uribe :

Saint-Père, avant tout, merci beaucoup, au nom de mes six collègues et en mon nom, en tant que Panaméens. Ce que vous nous avez offert est grand, très grand. Ma question : Saint-Père, aujourd’hui, vous avez parlé aux bénévoles en leur disant qu’ils ont vécu une mission, une mission. Vous leur avez dit : « A présent, vous savez comment bat le cœur quand on vit une mission ». La question est : et la mission du Pape François à Panama ? Qu’est-ce qui vous a frappé ? Qu’est-ce qui vous a ému ? Le Pape François a-t-il accompli sa mission aux JMJ d’Amérique centrale ? Parce qu’elle s’est déroulée au Panama, mais depuis la Pologne, on a dit qu’elle était d’Amérique centrale. Et sur la route, nous avons une mission en suspens avec le Nicaragua, n’est-ce pas ?

Pape François :

Ma mission au cours d’une Journée de la jeunesse est la mission de Pierre, c’est-à-dire confirmer dans la foi et cela non pas à travers des consignes “froides” ou obligatoires, mais en laissant mon cœur être touché et en répondant à ce qui se passe là. Je ne conçois pas, parce que je le vis ainsi, je ne conçois pas, il est difficile pour moi de penser que quelqu’un puisse accomplir une mission uniquement avec la tête. Pour accomplir une mission, il faut sentir, et quand tu sens, tu es frappé. La vie te frappe, les problèmes te frappent... A l’aéroport, je saluais le président et ils ont amené un enfant noir, sympathique, tout petit. Et ils m’ont dit: “Voyez, cet enfant était en train de traverser la frontière de la Colombie, sa mère est morte, il est seul. Il a cinq ans. Il vient d’Afrique, mais nous ne savons pas encore de quel pays parce qu’il ne parle ni l’anglais, ni le portugais, ni le français. Il ne parle que la langue de sa tribu. Nous l’avons un peu adopté”. Un enfant très vif, il se comportait sans problème. Mais le drame d’un enfant abandonné par la vie, parce que sa mère est morte et un policier l’a confié aux autorités afin qu’elles s’en occupent. Cela te frappe, et ainsi, la mission commence à s’incarner, elle te fait dire quelque chose, elle te fait caresser. Ce n’est pas une chose sur laquelle on raisonne. La mission t’implique toujours. Du moins elle m’implique moi. C’est peut-être parce que je suis «Italien » et cela est en moi et me touche. Je dis toujours aux jeunes : ce que vous faites dans la vie, vous devez le faire en marchant, et avec les trois langages : celui de la tête, celui du cœur, et celui des mains. Et les trois langages harmonisés, de façon à ce que vous pensiez ce que vous sentez et ce que vous faites, que vous sentiez ce que vous pensez et ce que vous faites, et que vous fassiez ce que vous sentez et ce que vous pensez. Je ne sais pas faire un bilan de la mission. Avec tout cela, je vais devant le Seigneur pour prier, parfois, je m’endors devant le Seigneur, mais en apportant toutes ces choses que j’ai vécues dans la mission et je lui demande qu’il les confirme dans la foi à travers moi. Voilà comment je conçois la mission du Pape et comment je la vis. Il y a des cas, par exemple, où sont apparues des difficultés de type dogmatique, et je ne me suis pas senti la force de répondre uniquement avec la raison, il me vient spontanément d’agir d’une autre façon.

Edwin Cabrera Uribe:

En général, la JMJ a-t-elle répondu à vos attentes?

Pape François:

Evidemment, le thermomètre pour voir si un voyage a répondu aux attentes est la fatigue, et je suis épuisé !

Edwin Cabrera Uribe:

Et enfin, Saint-Père, un problème commun dans toute l’Amérique centrale, y compris le Panama et une bonne partie de l’Amérique latine : les grossesses des petites filles, des jeunes filles. Rien qu’à Panama, il y en a eu dix mille l’année dernière, et en Amérique centrale, c’est la même chose. Les détracteurs de l’Eglise catholique accusent l’Eglise parce qu’elle s’oppose à l’éducation sexuelle dans les écoles. L’Eglise catholique gère beaucoup d’écoles et d’universités en Amérique latine. Je voudrais connaître l’opinion du Pape François sur le thème de l’éducation sexuelle.

Pape François:

Je pense qu’il faut donner une éducation sexuelle dans les écoles. Le sexe est un don de Dieu, ce n’est pas un monstre, c’est le don de Dieu pour aimer. Si certains l’utilisent pour gagner de l’argent ou pour exploiter l’autre, c’est un autre problème. Il faut offrir une éducation sexuelle objective, telle qu’elle est, sans colonisations idéologiques. Parce que si, dans les écoles, on donne une éducation sexuelle imprégnée de colonisations idéologiques, on détruit la personne. Le sexe comme don de Dieu doit être éduqué, sans rigidité, éduquer vient d’« e-ducere », tirer le meilleur de la personne et l’accompagner sur le chemin. Le problème est chez les responsables de l’éducation, tant au niveau national qu’au niveau local ou dans chaque unité scolaire : quels enseignants se trouvent pour cela, quels livres… J’en ai vu de toutes sortes. Il y a des choses qui font mûrir et d’autres qui font du mal. Je crois que cela... Je ne sais pas si c’est objectif ou pas, qu’il n’y ait pas d’éducation sexuelle au Panama, et je dis cela sans entrer dans les problèmes politiques du Panama. Il faut donner une éducation sexuelle aux enfants. L’idéal est que cela commence à la maison, avec les parents. Cela n’est pas toujours possible en raison de toutes les situations familiales, ou parce qu’ils ne savent pas comment le faire. L’école y remédie, et elle doit le faire, sinon il reste un vide qui est rempli par n’importe quelle idéologie.

Gisotti:

Saint-Père, a présent Javier Brocal, de Romereports, vous posera une question:

Javier Martínez-Brocal:

Santo Padre, quería primero darLe la enhorabuena porque ha marcado el record, en cuatro días se ha hecho panameño, han bastado solo cuatro días para llenarse el corazón de Panamá, y luego, le quería hacer una pregunta. [il continue en italien]

Saint-Père, je voudrais d’abord vous donner une bonne nouvelle: vous avez atteint un record, parce que en quatre jours – il a suffi de quatre jours seulement pour conquérir le cœur de Panama. Je voudrais vous poser une question. Je le fais en italien, parce qu’à partir de maintenant, les réponses seront en italien. Ces jours-ci, vous avez parlé avec beaucoup de personnes ; vous aurez également parlé des jeunes qui s’éloignent de l’Eglise ou qui ont des difficultés. Selon vous, quelles difficultés rencontrent les jeunes, quelles sont les raisons qui les éloignent de l’Eglise? Merci.

Pape François:

Il y en a beaucoup. Certaines sont personnelles, mais plus généralement, je crois que la première est le manque de témoignage des chrétiens, des prêtres et des évêques. Je ne dis pas des Papes parce que c’est trop [rires], mais eux aussi. Le manque de témoignage. Si un pasteur fait l’entrepreneur ou l’organisateur d’un plan pastoral, s’il n’est pas proche des gens, ce pasteur ne donne pas un témoignage de pasteur ; le pasteur doit être avec les gens, pasteur et troupeau, disons dans ces termes. Le pasteur doit être devant le troupeau, pour indiquer le chemin ; au milieu du troupeau pour sentir l’odeur des gens et comprendre ce que sentent les gens, ce dont ils ont besoin, comment iils sentent ; et derrière le troupeau pour veiller sur l’arrière-garde. Mais si un pasteur ne vit pas avec passion, les gens se sentent abandonnés ou éprouvent un certain sentiment de mépris. Ils se sentent orphelins, et là où il y a des orphelins... J’ai souligné les pasteurs, mais aussi les chrétiens, les catholiques hypocrites, qui vont à la Messe tous les dimanches et qui ne paient pas le treizième mois, ils te paient au noir, ils exploitent les gens, et puis ils vont aux Caraïbes, non seulement « al papers » [pour les affaires], mais pour prendre leurs vacances, avec l’exploitation des gens…. « Non, moi je suis catholique, je vais à la Messe tous les dimanches ». Mais si tu fais cela, tu donnes un contre-témoignage. C’est à mon avis ce qui éloigne le plus les gens de l’Eglise. Les laïcs aussi, tous... Je dirais : ne dis pas que tu es catholique si tu ne donnes pas un témoignage ; dis : j’ai reçu une éducation catholique, mais je suis tiède, je suis mondain, pardonnez-moi, ne me regardez pas comme un modèle. Voilà ce qu’il faut dire. J’ai peur des catholiques qui se croient parfaits, mais l’histoire se répète : la même chose arrivait à Jésus avec les docteurs de la loi, qui priaient en disant : « Je te remercie, Seigneur, parce que je ne suis pas comme ce pauvre pécheur ». Cela ne va pas. C’est un manque de témoignage. Il y a d’autres motifs, des difficultés personnelles, parfois. Mais généralement, c’est cela.

Gisotti:

Saint-Père, à présent, Caroline Pigozzi, de “Paris Match” vous posera une question.

Pape François:

Avant tout je veux la remercier. Elle a contacté le père Benoist de Sinety, il a concélébré avec moi... C’est un brave homme... et aussi les deux cents jeunes venus de Paris.

Caroline Pigozzi:

Il est très heureux, et il a une autre lettre pour vous, Sainteté, que je vous donnerai la semaine prochaine, parce qu’il doit l’écrire...

Papa Francesco:

Très bien. Merci de m’avoir donné ce livre [Benoist de Sinety, Il faut que des voix s’élèvent. Accueil des migrants, un appel au courage, Paris 2018).

Caroline Pigozzi:

Quoi qu’il en soit, Saint-Père, nous avons vu pendant quatre jours tous ces jeunes prier très intensément. On peut imaginer que parmi tous ces jeunes, certains veuillent entrer dans la vie religieuse, on peut également penser qu’un certain nombre ont la vocation. Peut-être certains d’entre eux hésitent, en pensant que c’est un chemin difficile sans pouvoir se marier. Est-il possible de penser que dans l’Eglise catholique, en suivant le rite oriental, vous permettrez à des hommes mariés de devenir prêtres ?

Pape François:

Dans l’Eglise catholique, dans le rite oriental, ils peuvent le faire, et on choisit l’option célibataire ou en tant que marié – avant le diaconat.

Caroline Pigozzi:

Mais à présent, avec l’Eglise catholique de rite latin, peut-on penser que vous verrez cette décision ?

Pape François:

De rite latin... il me vient à l’esprit une phrase de Paul VI : « Je préfère donner ma vie plutôt que de changer la loi sur le célibat ». Elle m’est venue à l’esprit et je tiens à la dire parce que c’est une phrase courageuse, à une époque plus difficile que celle-ci, 1968-1970... Personnellement, je pense que le célibat est un don pour l’Eglise et je ne suis pas d’accord pour permettre le célibat comme option, non. Il resterait quelques possibilités dans des lieux très éloignés – je pense aux îles du Pacifique... Mais c’est une chose à laquelle réfléchir lorsqu’il y a une nécessité pastorale, là, le pasteur doit penser aux fidèles. Il y a un livre du père Lobinger [l’évêque Fritz Lobinger, Preti per domani, Emi, 2009], intéressant, c’est une chose débattue parmi les théologiens mais ce n’est pas ma décision. Ma décision est : non au célibat optionnel avant le diaconat. C’est quelque chose qui vient de moi, c’est personnel, mais je ne le ferai pas, c’est clair. Suis-je quelqu’un de « fermé » ? Peut-être, mais je ne me sens pas de me présenter devant Dieu avec cette décision. En revenant au père Lobinger, il a dit : « l’Eglise fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Eglise ». Mais là où il n’y a pas d’Eucharistie dans les communautés – pensez, Caroline, aux îles du Pacifique...

Caroline Pigozzi:

… En Amazonie, aussi...

Pape François:

… Peut-être là-bas, dans beaucoup d’endroits... Lobinger demande : qui fait l’Eucharistie ? Dans ces communautés, les « directeurs », disons les organisateurs de ces communautés, sont des diacres ou des sœurs ou des laïcs. Et Lobinger dit : on pourrait ordonner un homme âgé, marié – c’est sa thèse – on pourrait ordonner un homme âgé marié, mais qu’il exerce seulement le munus sanctificandi, c’est-à-dire qu’il célèbre la Messe, qu’il administre le sacrement de réconciliation et qu’il donne l’onction des malades. L’ordination sacerdotale donne les trois munera: regendi – gouverner, le pasteur - ; docendi - enseigner – et sanctificandi. Cela vient avec l’ordination. L’évêque ne donnerait que l’autorisation pour le munus sanctificandi : c’est la thèse. Le livre est intéressant. Cela peut peut-être aider à répondre au problème. Je crois que le thème doit être ouvert en ce sens pour les lieux où il y a un problème pastoral à cause du manque de prêtres. Je ne dis pas qu’il faut le faire, je n’y ai pas réfléchi, je n’ai pas suffisamment prié sur ce point. Mais les théologiens en discutent, il faut qu’ils étudient. Un exemple est le père Lobinger... Lui était un fidei donum, en Afrique du sud... Il est déjà âgé. Je donne cet exemple pour souligner les points où on doit le faire. Je parlais avec un official de la Secrétairerie d’Etat, un évêque qui a dû travailler dans un pays communiste au début de la révolution ; quand ils ont vu comment évoluait cette révolution – dans les années 50 plus ou moins – les évêques ont ordonné en cachette des paysans, bons, religieux. Et puis une fois passée la crise, trente ans plus tard, cela a été résolu. Et il me disait l’émotion qu’il avait eue quand, lors d’une concélébration, il voyait ces paysans avec des mains de paysan, revêtir leur aube pour concélébrer avec les évêques. Cela s’est produit dans l’histoire de l’Eglise. C’est une chose pour laquelle il faut étudier, réfléchir à nouveau, et prier.

Caroline Pigozzi:

… il y a ces protestants qui sont devenus catholiques…

Pape François:

Oui, vous me parlez de ce qu'avait fait le Pape Benoît, c'est vrai. J'avais oublié cela: “Anglicanorum coetibus”, les prêtres anglicans qui sont devenus catholiques et poursuivent leur vie [conjugale], comme s'ils étaient orientaux. Je me souviens, lors d'une audience du mercredi, j'en ai vu beaucoup, avec leur petit col, et beaucoup de femmes les accompagnaient avec des enfants que les prêtres tenaient par la main…, et ils m’ont expliqué ce qu'était cette situation. C’est vrai: merci de me l'avoir rappelé.

Gisotti:

Lena Klimkeit, de la Dpa, pose à présent une question.

Lena Klimkeit:

Saint-Père, pendant la Via Crucis, vendredi, un jeune a prononcé des paroles très fortes sur l'avortement; je veux les répéter à présent : “Il y a une tombe qui crie au ciel et qui dénonce la terrible cruauté de l’humanité, c'est la tombe qui s'ouvre dans le ventre des mères dont on arrache une vie innocente. Que Dieu nous accorde de défendre la vie avec fermeté et de faire que les lois qui tuent la vie soient annulées pour toujours”. C'est une position très radicale, selon moi. Je me demande, et je voudrais vous demander, si cette position reflète également la souffrance des femmes dans cette situation et si elle correspond à votre message de miséricorde.

Pape François:

Le message de la miséricorde est pour tous, y compris pour la personne humaine qui est en gestation. Il est pour tous. Après cet échec, il y a la pure miséricorde. Mais une miséricorde difficile, parce que le problème n’est pas d'accorder le pardon, mais d’accompagner une femme qui a pris conscience qu’elle a avorté. Ce sont des drames terribles. Une fois j'ai entendu un médecin qui parlait d'une théorie selon laquelle – je ne me rappelle plus très bien... – une cellule du fœtus qui vient d'être conçu va dans la moelle épinière de la mère et il reste là également une mémoire physique. C'est une théorie, mais pour dire: quand une femme pense à ce qu'elle a fait... Je te dis la vérité: il faut être dans le confessionnal, là tu dois donner la consolation, ne rien punir. Et c’est pour cela que j’ai accordé à tous les prêtres la faculté d’absoudre [le péché]de l’avortement par miséricorde, car très souvent – même toujours – elles doivent rencontrer leur enfant. Très souvent, quand elles pleurent et qu’elles ont cette angoisse, je leur conseille ceci: “Ton enfant est au ciel, parle avec lui, chante-lui la berceuse que tu n’as pas pu lui chanter”. Et là, se trouve un chemin de réconciliation de la maman avec son enfant. Avec Dieu, il est déjà là: c'est le pardon de Dieu. Dieu pardonne toujours. Mais la miséricorde est également le fait qu'elle [la femme] doit élaborer cela. Le drame de l’avortement. Pour bien le comprendre, il faut être dans un confessionnal. C'est terrible.

Gisotti:

Merci Saint-Père. La prochaine question est de Valentina Alazraki de Televisa. Si je me souviens bien, elle est presque à son 150° voyage apostolique…

Valentina Alazraki:

Pape François, à Panama, vous avez dit que vous étiez très proche des Vénézuéliens et vous avez demandé une solution juste et pacifique, dans le respect des droits humains de tous. Les Vénézuéliens veulent comprendre un peu mieux ce que cela signifie, ils attendent votre parole, ils veulent savoir si cette solution passe à travers la reconnaissance de Juan Guaidó qui a été soutenu par de nombreux pays, d’autres demandent des élections à court terme, des élections libres pour que les gens puissent voter. Ils sentent que vous êtes un Pape latino-américain et veulent sentir votre soutien, votre aide et votre conseil. Merci.

Pape François:

En ce moment, je soutiens tout le peuple du Venezuela parce qu’il souffre, ceux qui sont d’un côté et ceux qui sont de l’autre. Si je commençais à dire: “Ecoutez ces pays, écoutez ces autres pays qui disent cela…”, je jouerais un rôle que je ne connais pas, ce serait une imprudence pastorale de ma part et je ferais des dégâts. Les paroles [que j'ai prononcées aujourd'hui] je les ai pensées et repensées. Et je crois qu'à travers celles-ci j'ai exprimé ma proximité, ce que je sens. Je souffre pour ce qui se passe au Vénézuéla en ce moment et c'est pour cela que j'ai demandé qu'ils se mettent d'accord…, une solution juste et pacifique. Ce qui me fait peur c'est l'effusion du sang. Et je demande de la grandeur dans l'aide de la part de ceux qui peuvent aider à résoudre le problème. Le problème de la violence me terrorise… Après tous les efforts faits en Colombie, pensez à ce qui s'est passé à l'Ecole des cadets l'autre jour, une chose terrifiante. Le sang n'est pas une solution. C'est pourquoi je dois être… je n'aime pas le mot “équilibré”, je dois être un pasteur, pour tous. Et s'il y a besoin d'aide, d'un commun accord, qu'ils le demandent. Voilà la route. Merci.

Gisotti:

Merci Saint-Père. C'est le tour de Junno Arocho Esteves di Catholic News Service.

Junno Arocho Esteves:

Bonsoir, Sainteté. Au cours de votre déjeuner avec un groupe de jeunes pèlerins, une jeune fille américaine nous a raconté qu'elle vous avait parlé de la douleur et de l'indignation de nombreux catholiques, en particulier aux Etats-Unis, à cause de la crise des abus. De nombreux catholiques américains prient pour l'Eglise, mais beaucoup se sentent trahis, abattus, après les récentes nouvelles d'abus et de leur couverture par certains évêques, et ils ont perdu confiance en eux. Sainteté, quelles sont vos attentes ou vos espérances pour la rencontre de février, afin que l'Eglise puisse recommencer à reconstruire la confiance entre les fidèle et leurs évêques?

Pape François:

C'est astucieux! Vous avez commencé par le voyage et vous êtes arrivé là… Tous mes compliments! Merci de la question. L’idée de la rencontre est née au C9 [le Conseil des cardinaux], parce que là nous avons vu que certains évêques ne comprenaient pas bien ou ne savaient pas quoi faire, ou faisaient une bonne chose et une autre qui n'allait pas. Et nous avons senti la responsabilité de donner une “catéchèse” sur ce problème aux conférences épiscopales. C'est pour cela que l’on appelle les présidents [à la rencontre de février prochain]. Une catéchèse afin que, tout d'abord, on prenne conscience du drame: ce que signifie un petit garçon abusé, une petite fille abusée. Je reçois régulièrement des personnes abusées. Je me souviens de l'une d'elles: quarante ans sans pouvoir prier. C'est terrible, la souffrance, c'est terrible. Donc, premièrement, qu'ils prennent conscience de cela. Deuxièmement: qu'ils sachent ce qu'il faut faire, la procédure. Parce que parfois l'évêque ne sait pas quoi faire, car c'est quelque chose qui s'est beaucoup développé, et [la connaissance de ce qu'il faut faire] n'est pas arrivée partout, disons-le ainsi. Et ensuite, que l'on fasse des programmes, généraux, mais qu'ils arrivent à toutes les conférences épiscopales: que doit faire l'évêque; que doit faire l'archevêque métropolitain; que doit faire le président de la conférence épiscopale. Mais que ce soit clair, de manière telle qu'il y ait – disons-le en termes un peu juridiques – des protocoles qui soient clairs. C'est la chose principale. Mais avant ce qu'il faut faire, vient ce que j'ai dit auparavant : prendre conscience. Ensuite [pendant la rencontre de février] on priera ; il y aura quelques témoignages pour aider à prendre conscience, et ensuite plusieurs liturgies pénitentielles pour demander pardon pour toute l'Eglise. On est en train de bien travailler à la préparation de cet événement. Je me permets de dire que j'ai perçu une attente un peu disproportionnée: il faut dégonfler les attentes, [en les ramenant] à ces points que je viens d'expliquer. Car le problème des abus continuera, c'est un problème humain, mais humain qui existe partout! J'ai lu des statistiques l'autre jour, une de ces statistiques qui disent: 50% des cas a été dénoncé, sur ces 50%, 20% a été écouté – et le total diminue –, et cela finissait ainsi: 5% a été condamné. C'est terrible, terrible. C'est un drame humain dont nous devons prendre conscience. Et nous, en résolvant le problème dans l'Eglise, en prenant conscience, nous aiderons à le résoudre également dans la société, dans les familles, où la honte fait tout cacher. Mais nous devons tout d'abord prendre conscience, avoir bien à l'esprit les protocoles, et aller de l'avant. Voilà ce qu'il en est. Et… tous mes compliments!

Gisotti:

je ne sais pas s'il y a du temps pour une autre question… Peut-être brièvement: Manuela Tulli dell’Ansa. Il faut qu'elle soit rapide parce que – précisément – on va servir le dîner. Merci Manuela.

Manuela Tulli:

Bonsoir Saint-Père. Au cours de cette JMJ, vous avez dit qu'il est absurde et irresponsable de considérer les migrants comme les porteurs du mal social. En Italie, les nouvelles politiques sur les migrants ont conduit à la fermeture du CARA de Castelnuovo di Porto, que vous connaissez bien. C'était une expérience où l'on voyait des germes d'intégration, les enfants allaient à l'école, et à présent elles risquent – ces personnes – un déracinement. Vous aviez précisément choisi de célébrer avec elles le Jeudi Saint 2016. Je voudrais vous demander ce que vous éprouvez par rapport à cette décision de fermer le CARA de Castelnuovo di Porto, là où vous avez célébré le Jeudi Saint 2016. A présent, le risque est celui d'une dispersion de cette expérience, avec les enfants qui…

Pape François:

Oui, j'ai entendu parler de ce qui se passait en Italie, mais j'étais plongé dans cela [ce voyage], et je ne connais donc pas précisément la question, mais j'imagine. Il est vrai que le problème des migrants est un problème très complexe, très complexe. C'est un problème qui demande de la mémoire, c'est-à-dire qu'il faut se demander si son propre pays a été fait par des migrants. Nous, les Argentins, nous sommes tous des migrants. Les Etats-Unis: tous des migrants. Il faut avoir cette mémoire. Un évêque, un cardinal – je ne me souviens pas lequel – a écrit un très bel article sur le problème du “manque de mémoire”, il s'appelait ainsi. C'est un point. Ensuite, les paroles que j'utilise: accueillir, le cœur ouvert pour accueillir; accompagner; faire grandir et intégrer. Et je dis aussi: le gouvernant doit faire preuve de prudence, car la prudence est la vertu du gouvernant. Cela je l'ai dit ici, pendant le dernier vol, j'ai dit ces mots. Oui, c'est une équation difficile. Il me vient à l'esprit l'exemple suédois qui, dans les années soixante-dix, lors des dictatures – l’Opération Condor en Amérique latine -, avait reçu tant de migrants, beaucoup, beaucoup, mais tous intégrés. Je vois aussi ce que fait Sant’Egidio, par exemple: il intègre immédiatement. Mais l'année dernière les Suédois ont dit: “Arrêtez un peu, parce que nous ne pouvons pas finir le parcours”. Et cela est la prudence du gouvernant. Et c’est un problème de charité, d'amour, de solidarité, et je réaffirme que les pays les plus généreux en cela, à recevoir – en ce qui concerne les autres aspects ils n'ont pas tellement réussi à le faire – ont été l'Italie et la Grèce. La Turquie aussi, un peu. Mais la Grèce a été très généreuse. Et l'Italie très. Et quand je suis allé à Lampedusa, c'était au début, en 2013. Mais il est vrai qu'il faut penser de manière réaliste. Ensuite, il y a une autre chose dont il est important de tenir compte: une manière de résoudre le problème des migrations est d'aider les pays d'où ils proviennent. Les migrants viennent à cause de la faim ou de la guerre. Il faut investir là où la faim est présente, l’Europe est capable de le faire, de façon à les aider à grandir. Mais il y a toujours – en parlant de l'Afrique – cet imaginaire collectif que nous avons dans l'inconscient: l’Afrique doit être exploitée. C'est historique et fait du mal. Les migrants du Moyen-Orient ont trouvé d'autres voies de sortie; le Liban est une merveille de générosité: il accueille plus d'un million de Syriens. La Jordanie également: ils sont ouverts, et font ce qu'ils peuvent, en espérant réintégrer. La Turquie a elle aussi reçu des personnes. Et nous, en Italie, nous en avons reçus certaines. Mais c'est un problème complexe, dont on doit parler sans préjugés, en tenant compte de toutes ces choses qui me sont venues à l'esprit.

Gisotti:

Merci Saint-Père. Alors bon dîner, bon voyage, et dans une semaine nous nous reverrons pour un autre voyage très important [dans les Emirats arabes unis].

Pape François:

Je vous remercie beaucoup pour votre travail. Je voudrais seulement dire une chose sur Panama: j'ai éprouvé un sentiment nouveau. Je connais l'Amérique latine, mais pas Panama. Et ce mot m'est venu à l'esprit: Panama est une nation “noble”. J'ai trouvé de la noblesse. Cela je veux le dire. Puis je voudrais dire une autre chose, que j'ai dite quand je suis revenu de Colombie, en parlant de l'expérience de Cartagena et d'autres villes, une chose qu'en Europe nous ne voyons pas: quelle est la fierté, dans ce cas des Panaméens? Ils soulèvent leurs enfants et ils te disent: “Voilà ma victoire, voilà mon avenir, voilà ma fierté!”. Dans l'hiver démographique que nous vivons en Europe – en Italie sous zéro – cela doit nous faire réfléchir: quelle est ma fierté? Le tourisme, la villa, le petit chien, ou soulever un enfant? Merci! Priez pour moi, j'en ai besoin. Merci!

Gisotti:

Merci Saint-Père.

 

 



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