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EXHORTATION APOSTOLIQUE
POST-SYNODALE
CHRISTIFIDELES LAICI
DE SA SAINTETE LE PAPE
JEAN-PAUL II
SUR LA VOCATION
ET LA MISSION DES LAÏCS
DANS L'EGLISE ET DANS LE MONDE


Aux Evêques
Aux prêtres et aux diacres
Aux religieux et religieuses
A tous les fidèles laïcs

INTRODUCTION

1. LES FIDÈLES LAÏCS (Christifideles laici), dont la «vocation et la mission dans l'Eglise et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II» a été le thème de l'assemblée générale du Synode des Evêques en 1987, appartiennent au Peuple de Dieu, représenté par les ouvriers de la vigne, dont parle Saint Matthieu dans son Evangile: «Le royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine qui sortit au petit jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour toute la journée et il les envoya à sa vigne» (Mt 20, 1-2).

La parabole évangélique met sous nos yeux l'immense vigne du Seigneur, et la foule des personnes, hommes et femmes, qu'Il appelle et qu'Il envoie y travailler. La vigne, c'est le monde entier (cf. Mt 13, 38), qui doit être transformé selon le dessein de Dieu, en vue de l'avènement définitif du Royaume de Dieu.

Allez, vous aussi, à ma vigne

2. «Sorti vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit: "Allez, vous aussi, à ma vigne"» (Mt 20, 3-4).

L'appel du Seigneur Jésus ne cesse de se faire entendre depuis ce jour lointain de notre histoire: il s'adresse à tout homme venu en ce monde.

De nos jours, dans une effusion renouvelée de l'Esprit de la Pentecôte, arrivée avec le Concile Vatican II, l'Eglise a vu mûrir en elle un sentiment plus vif de son caractère missionnaire et, dans un mouvement d'obéissance généreuse, elle a de nouveau écouté la voix du Seigneur qui l'envoie dans le monde comme «le sacrement universel du salut»(1).

Allez, vous aussi. L'appel ne s'adresse pas seulement aux Pasteurs, aux prêtres, aux religieux et aux religieuses; il s'étend à tous: les fidèles laïcs, eux aussi, sont appelés personnellement par le Seigneur, de qui ils reçoivent une mission pour l'Eglise et pour le monde. Saint Grégoire le Grand le rappelle, lorsque, prêchant au peuple chrétien, il commente la parabole des ouvriers de la vigne: «Examinez donc un peu, mes frères, votre mode de vie, et vérifiez bien si déjà vous êtes des ouvriers du Seigneur. Que chacun juge ce qu'il fait et se rende compte s'il travaille dans la vigne du Seigneur»(2).

Fort de son inestimable patrimoine doctrinal, spirituel et pastoral, le Concile a écrit des pages vraiment merveilleuses sur la nature, la dignité, la spiritualité, la mission, la responsabilité des fidèles laïcs. Et les Pères conciliaires, en écho à l'appel du Christ, ont appelé tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, à travailler à sa vigne: «Le Saint Concile adjure avec force au nom du Seigneur tous les laïcs de répondre volontiers, avec élan et générosité, à l'appel du Christ qui, en ce moment même, les invite avec plus d'insistance, et à l'impulsion de l'Esprit Saint. Que les jeunes réalisent bien que cet appel s'adresse très particulièrement à eux, qu'ils le reçoivent avec joie et de grand coeur. C'est le Seigneur Lui-même qui, par le Concile, presse à nouveau tous les laïcs de s'unir plus intimement à Lui de jour en jour et de prendre à coeur ses intérêts comme leur propre affaire (cf. Ph 2, 5), de s'associer à sa mission de Sauveur; Il les envoie encore une fois en toute ville et en tout lieu où Il doit aller Lui-même (cf. Lc 10, 1)»(3).

Allez, vous aussi, à ma vigne. Ces paroles ont aussi résonné spirituellement pendant tout le déroulement du Synode des Evêques, qui s'est tenu à Rome du ler au 30 octobre 1987. Reprenant les pistes du Concile et éclairés par les expériences personnelles et communautaires de toute l'Eglise, les Pères, riches en outre de l'apport des Synodes précédents, ont étudié, de façon approfondie, «la vocation et la mission des laïcs dans l'Eglise et le monde, vingt ans après le Concile Vatican II».

Cette Assemblée comprenait des représentants qualifiés des fidèles laïcs, hommes et femmes, qui ont apporté une contribution précieuse aux travaux du Synode. L'homélie de clôture l'a explicitement reconnu: «Nous remercions le Seigneur de ce que, au cours de ce Synode, nous avons pu avoir non seulement la joie de la participation des laïcs (auditeurs et auditrices), mais plus encore de ce que le déroulement des discussions nous a permis d'entendre la voix des invités, les représentants du laïcat provenant de toutes les parties du monde, de différents pays. Cela nous a permis de profiter de leurs expériences, de leurs conseils et de leurs suggestions inspirés par leur amour pour la cause commune»(4).

Le regard fixé sur l'après-Concile, les Pères synodaux ont pu constater de quelle façon l'Esprit a continué de rajeunir l'Eglise, en suscitant en elle de nouvelles énergies de sainteté avec la participation de nombreux fidèles laïcs. Nous en trouvons un témoignage, entre autres, dans le nouveau style de collaboration entre prêtres, religieux et fidèles laïcs; dans la participation active à la liturgie, à l'annonce de la parole de Dieu, à la catéchèse; dans les multiples services et tâches confiés aux fidèles laïcs, qui les ont si bien assurés; dans la floraison vigoureuse de groupes, d'associations, de mouvements de spiritualité et d'engagement; dans la participation plus large et plus marquée des femmes à la vie de l'Eglise et au développement de la société.

Dans le même temps, le Synode ne manquait pas de noter que le chemin post-conciliaire des fidèles laïcs n'a pas été sans difficultés ni dangers. Dans le concret, on peut rappeler deux tentations auxquelles ils n'ont pas toujours su échapper: la tentation de se consacrer avec un si vif intérêt aux services et aux tâches d'Eglise, qu'ils en arrivent parfois à se désengager pratiquement de leurs responsabilités spécifiques au plan professionnel, social, économique, culturel et politique; et, en sens inverse, la tentation de légitimer l'injustifiable séparation entre la foi et la vie, entre l'accueil de l'Evangile et l'action concrète dans les domaines temporels et terrestres les plus divers.

Au cours de ses travaux, le Synode a fait sans cesse référence au Concile Vatican II, dont l'enseignement touchant le laïcat, à vingt ans de distance, a paru d'une actualité surprenante, et parfois d'une portée prophétique: un tel enseignement est capable d'éclairer et d'inspirer les réponses qui doivent être données aujourd'hui aux nouveaux problèmes. En vérité, le défi que les Pères synodaux ont relevé a été celui de bien tracer les routes précises afin que la splendide «théorie» sur le laïcat, formulée par le Concile, puisse devenir une authentique «pratique» ecclésiale. D'un autre côté, certains problèmes s'imposent par un certain caractère de «nouveauté»; au point qu'on peut les qualifier de post-conciliaires, au moins dans un sens chronologique: à ces problèmes, les Pères ont à juste titre réservé une attention toute spéciale au cours de leurs discussions et réflexions. Parmi ces problèmes, il faut mentionner ceux qui concernent les ministères et les services ecclésiaux confiés déjà ou qui seront à confier à des fidèles laïcs, la diffusion et la croissance de nouveaux «mouvements» à côté d'autres formes d'associations de laïcs, la place et le rôle de la femme autant dans l'Eglise que dans la société.

Au terme de leurs travaux menés avec zèle, compétence et générosité, les Pères du Synode m'ont manifesté leur désir et leur souhait qu'en temps opportun, je présente à l'Eglise universelle un document de conclusion sur le laïcat chrétien(5).

Cette Exhortation Apostolique Post-synodale veut donc faire ressortir toute la valeur des travaux du Synode, depuis les Lineamenta jusqu'à l'Instrumentum laboris, depuis la relation d'introduction jusqu'aux interventions de chacun des évêques et des laïcs et jusqu'au rapport de synthèse après la discussion en assemblée, depuis les discussions et les relations des «circuli minores» jusqu'aux «propositiones» et au Message final. Le présent document ne se situe donc pas en marge du Synode; il en constitue au contraire l'expression à la fois cohérente et fidèle; il est le fruit d'un travail collégial, dont la dernière étape a été la rédaction d'un exposé à laquelle ont contribué le Conseil du Secrétariat Général du Synode et le Secrétariat lui-même.

Susciter et alimenter une prise de conscience plus nette du don et de la responsabilité que tous les fidèles laïcs ont dans la communion et la mission de l'Eglise, tel est le but de notre Exhortation.

Les urgences actuelles du monde:
pourquoi donc restez-vous là,
toute la journée, à ne rien faire?

3. Le sens fondamental de ce Synode, et donc son fruit le plus précieux et désiré, c'est de porter les fidèles laïcs à écouter le Christ qui les appelle à travailler à sa vigne et à prendre une part très vive, consciente et responsable à la mission de l'Eglise, en ce moment magnifique et dramatique de l'histoire, dans l'imminence du troisième millénaire.

Des situations nouvelles, dans l'Eglise comme dans le monde, dans les réalités sociales, économiques, politiques et culturelles, exigent aujourd'hui, de façon toute particulière, l'action des fidèles laïcs. S'il a toujours été inadmissible de s'en désintéresser, présentement c'est plus répréhensible que jamais. Il n'est permis à personne de rester à ne rien faire.

Revenons à la lecture de la parabole évangélique: «Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit: "Pour quoi êtes-vous restés là, toute la journée, à ne rien faire?". Ils lui répondirent: "Parce que personne ne nous a embauchés". Il leur dit: "Allez, vous aussi, à ma vigne"» (Mt 20, 6-7).

Il n'y a pas de place pour l'inaction, lorsque tant de travail nous attend tous dans la vigne du Seigneur. Le «maître du domaine» répète avec plus d'insistance encore: «Allez, vous aussi, à ma vigne».

La voix du Seigneur résonne certainement en chaque chrétien, au plus profond de son être. Chacun, en effet, est configuré au Christ par la foi et les sacrements de l'initiation chrétienne, est inséré comme un membre vivant dans l'Eglise, et est sujet actif de sa mission de salut. La voix du Seigneur se transmet aussi à travers les événements de l'histoire de l'Eglise et de l'humanité, comme nous le rappele le Concile: «Mû par la foi, se sachant conduit par l'Esprit du Seigneur qui remplit l'univers, le Peuple de Dieu s'efforce de discerner dans les événements, les exigences et les aspirations de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l'homme, orientant ainsi l'esprit vers des solutions pleinement humaines»(6).

Il faut donc regarder en face ce monde qui est le nôtre, avec ses valeurs et ses problèmes, ses soucis et ses espoirs, ses conquêtes et ses échecs: un monde dont les conditions économiques, sociales, politiques et culturelles présentent des problèmes et des difficultés encore plus graves que celles décrites par le Concile dans la Constitution pastorale Gaudium et spes(7). De toute manière, c'est là la vigne, c'est là le terrain sur lequel les fidèles laïcs sont appelés à vivre leur mission. Jésus veut pour eux, comme pour tous ses disciples, qu'ils soient le sel de la terre et la lumière du monde (cf. Mt 5, 13-14).

Mais quel est donc le visage actuel de la «terre» et du «monde», dont les chrétiens doivent être le «sel» et la «lumière»?

Très grande est la diversité des situations et des façons de poser les problèmes dans le monde d'aujourd'hui, caractérisé en outre par un mouvement accéléré de mutation. C'est pourquoi il faut se garder absolument de généralisations et de simplifications abusives. Il est toutefois possible de noter certaines lignes de tendances qui se font jour dans la société actuelle. De même que dans le champ évangélique l'ivraie et le bon grain poussent simultanément, ainsi dans l'histoire, théâtre quotidien de la liberté humaine, se rencontrent côte à côte et parfois étroitement enlacés entre eux le bien et le mal, l'injustice et la justice, l'angoisse et l'espoir.

Sécularisme et besoin religieux

4. Comment ne pas penser à la diffusion persistante de l'indifférence religieuse et de l'athéisme sous ses formes les plus variées, en particulier sous la forme, aujourd'hui peut-être la plus répandue, du sécularisme? Enivré des conquêtes prodigieuses d'un développement scientifico-technique que rien n'arrête, et surtout envoûté par la tentation la plus ancienne et toujours nouvelle, celle de vouloir se faire l'égal de Dieu (cf. Gn 3, 5) grâce à l'usage d'une liberté sans frein, l'homme se coupe de ses racines religieuses les plus profondes: il oublie Dieu, il estime que Dieu n'a aucun sens dans son existence, il le rejette pour se prosterner en adoration devant les «idoles» les plus variées.

Ce sécularisme actuel est en vérité un phénomène très grave: il ne touche pas seulement les individus, mais en quelque façon des communautés entières, comme déjà le notait le Concile: «Des multitudes sans cesse plus denses s'éloignent en pratique de la religion»(8). Moi même je l'ai répété souvent: le phénomène de la sécularisation frappe les peuples qui sont chrétiens de vieille date, et ce phénomène réclame, sans plus de retard, une nouvelle évangélisation.

Et pourtant, l'aspiration et le besoin de la religion ne peuvent mourir totalement. La conscience de chaque homme, quand il a le courage d'affronter les questions les plus graves de l'existence humaine, en particulier la question du sens de la vie, de la souffrance et de la mort, ne peut pas hésiter à faire sienne cette parole de vérité que proclamait Saint Augustin: «Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en Toi»(9). C'est ainsi que le monde actuel porte témoignage, sous des formes toujours plus vastes et plus vives, de l'ouverture à une vision spirituelle et transcendante de la vie, du réveil de la recherche religieuse, du retour au sens du sacré et à la prière, de l'exigence de la liberté d'invoquer le Nom du Seigneur.

La personne humaine: sa dignité piétinée et exaltée

5. Pensons encore aux nombreuses violations infligées aujourd'hui à la dignité de la personne humaine. Quand il n'est pas reconnu et aimé dans sa dignité d'image vivante de Dieu (cf. Gn 1, 26), l'être humain est exposé aux formes les plus humiliantes et aberrantes d'«instrumentalisation», qui le rendent misérablement esclave du plus fort. Et ce «plus fort» peut prendre des figures diverses: idéologie, pouvoir économique, systèmes politiques inhumains, technocratie scientifique, invasion des «mass-media». Une fois encore, nous nous trouvons ici en face d'une foule de personnes, qui sont nos frères et soeurs, dont les droits fondamentaux sont violés, parfois en conséquence de l'excessive tolérance ou même de l'injustice patente de certaines lois civiles: le droit à la vie et à l'intégrité du corps, le droit à un toit et au travail, le droit à la famille et à la procréation responsable, le droit à la participation à la vie publique et politique, le droit à la liberté de conscience et de profession de sa foi religieuse.

Qui peut dénombrer les enfants qui n'ont pas vu le jour, parce que tués dans le sein de leur mère, les enfants abandonnés, ou maltraités par les parents eux-mêmes, les enfants qui grandissent privés d'affection et d'éducation? En certains pays, des populations entières n'ont ni maison ni travail, et manquent des moyens indispensables pour mener une existence digne d'êtres humains. De terribles îlots de pauvreté et de misère, physique et morale à la fois, sont désormais fixés au pourtour des métropoles et frappent mortellement des groupes humains entiers.

Mais le caractère sacré de la personne ne saurait être réduit à néant, encore qu'il soit trop souvent méprisé et violé: son fondement inébranlable, c'est le Dieu Créateur et Père; aussi le caractère sacré de la personne continue-t-il de s'imposer encore et toujours.

De là procède la diffusion toujours plus vaste comme aussi l'affirmation toujours plus forte du sens de la dignité personnelle de tout être humain. Un courant bienfaisant désormais parcourt et envahit tous les peuples de la terre, qui ont pris davantage conscience de la dignité de l'homme: l'homme n'est absolument pas une «chose» ou un «objet» qu'on peut utiliser, mais il est toujours et uniquement un «sujet» doué de conscience et de liberté, appelé à vivre de façon responsable dans la société et dans l'histoire, ordonné à des valeurs spirituelles et religieuses.

On a affirmé que notre temps est le temps des «humanismes»: quelques-uns de ces humanismes, d'inspiration athée et séculière, en viennent paradoxalement à amoindrir et anéantir l'homme; d'autres humanismes, au contraire, l'exaltent jusqu'à déboucher sur des formes de véritable idolâtrie; d'autres, enfin, reconnaissent, conformément à la vérité, la grandeur et la misère de l'homme, et ils mettent en évidence, soutiennent et favorisent sa dignité totale.

Un signe et un résultat de ces courants humanistes peuvent se reconnaître dans le besoin grandissant de participation. C'est là, de toute évidence, un des traits distinctifs de l'humanité actuelle, un véritable «signe des temps» qui mûrit en divers domaines et diverses directions: en ce qui concerne surtout les femmes et le monde des jeunes, en direction de la vie familiale et scolaire, mais aussi dans le monde culturel, économique, social et politique. Jouer un rôle, être en quelque façon créateur d'une nouvelle culture humaniste, est une exigence, tout à la fois universelle et individuelle(10).

Conflictualité et paix

6. Nous ne pouvons pas, enfin, oublier un autre phénomène qui marque l'humanité moderne: plus qu'à aucun autre moment de son histoire, l'humanité est aujourd'hui frappée et ébranlée par la conflictualité. Il s'agit d'un phénomène aux formes multiples, qui se distingue du pluralisme légitime des mentalités et des initiatives, et qui se manifeste dans une néfaste opposition des personnes, des groupes, des catégories, des nations et des blocs de nations. Cette opposition prend les formes de la violence, du terrorisme, de la guerre. Une fois encore, mais dans des proportions énormément amplifiées, certaines portions de l'humanité d'aujourd'hui, parce qu'elles veulent faire montre de leur «toute-puissance», renouvellent la folle expérience de la construction de la «tour de Babel» (cf. Gn 11, 1-9); or, cette expérience engendre la confusion, la lutte, la désintégration et l'oppression. La famille humaine est par là bouleversée et déchirée de façon dramatique.

En contrepartie, se manifeste avec une vigueur irrépressible l'aspiration de chaque homme et des peuples au bien inestimable de la paix dans la justice. La béatitude «Bienheureux les artisans de paix» (Mt 5, 9) trouve chez les hommes de notre temps un écho nouveau et bien significatif: pour l'avènement de la paix et de la justice, aujourd'hui, des générations entières vivent, souffrent et travaillent. La participation croissante des personnes et des groupes à la vie de la société est le chemin qu'on prend aujourd'hui de plus en plus pour que la paix se transforme de désir en une réalité. Sur ce chemin, nous rencontrons grand nombre de fidèles laïcs engagés avec générosité sur le terrain social ou politique, sous les formes les plus variées, que ce soit dans les institutions, ou comme coopérateurs bénévoles et en service auprès des plus humbles.

Jesus-Christ, espérance de l'humanité

7. Tel est l'immense chantier qui s'offre aux yeux de ceux que le «Maître du domaine» envoie travailler à sa vigne.

Sur ce chantier, l'Eglise est présente et agissante, l'Eglise, c'est-à-dire nous tous, pasteurs et fidèles, prêtres, religieux et laïcs. Les situations que nous venons d'évoquer touchent l'Eglise: par ces situations, l'Eglise se trouve en partie conditionnée; cependant elle n'en est pas écrasée, encore moins terrassée, parce que l'Esprit Saint, qui est l'âme de l'Eglise, la soutient dans sa mission.

L'Eglise n'ignore pas que tous les efforts soutenus par l'humanité en vue de la communion et de la participation, en dépit des difficultés, des ralentissements, des contradictions de tout genre, provoqués par les limites de l'homme, par le péché et par le Mauvais, obtiennent une réponse parfaite dans l'intervention de Jésus-Christ, Rédempteur de l'homme et du monde.

L'Eglise sait parfaitement qu'elle a été envoyée par Lui comme «le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain»(11).

En dépit de toute chose, par conséquent, l'humanité peut espérer, doit espérer: Evangile vivant et personnel, Jésus-Christ Lui-même est la «Nouvelle» toute neuve, porteuse de joie, que l'Eglise chaque jour nous annonce et dont elle porte témoignage à tous les hommes.

Dans la transmission de cette annonce et dans la présentation de ce témoignage, les fidèles laïcs occupent une place originale et irremplaçable: par eux, l'Eglise du Christ est présente dans les secteurs les plus variés du monde, comme signe et source d'espérance et d'amour.

CHAPITRE I

JE SUIS LA VIGNE,
VOUS ETES LES SARMENTS

La dignité des fidèles laïcs
dans l'Eglise-Mystère

Le mystère de la vigne

8. L'image de la vigne est utilisée dans la Bible de multiple façon et avec diverses significations: en particulier, elle sert à exprimer le mystère du Peuple de Dieu. Dans cette perspective plus intérieure, les fidèles laïcs ne sont pas simplement les ouvriers qui travaillent à la vigne, mais ils sont une partie même de la vigne: «Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments» (Jn 15, 5), dit Jésus.

Déjà dans l'Ancien Testament, les prophètes, quand ils veulent parler du peuple élu, recourent à l'image de la vigne. Israël est la vigne de Dieu, l'ouvrage du Seigneur, la joie de son coeur: «Je t'avais plantée comme une vigne de choix» (Jr 2, 21); «Ta mère ressemblait à une vigne plantée au bord de l'eau. Elle était féconde et feuillue grâce à l'abondance de l'eau» (Ez 19, 10); «Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité...» (Is 5, 1-2).

Jésus reprend le symbole de la vigne, et Il l'emploie pour révéler certains aspects du Royaume de Dieu: «Un homme planta une vigne, il l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir, et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage» (Mc 12, 1; cf. Mt 21, 28 et suiv.).

L'évangéliste Jean nous invite à aller encore plus profond et il nous introduit à la découverte du mystère de la vigne: elle est le symbole et la figure non seulement du peuple de Dieu, mais de Jésus Lui-même. Lui, Jésus, est le cep de vigne, et nous, les disciples, nous en sommes les sarments; Lui est la «vraie vigne», à laquelle, pour vivre, sont unis les sarments (cf. Jn 15, 1 et suiv.).

Le Concile Vatican II, reprenant les différentes images bibliques qui éclairent le mystère de l'Eglise, propose de nouveau l'image de la vigne et des sarments: «La vigne véritable, c'est le Christ; c'est Lui qui donne vie et fécondité aux rameaux que nous sommes: par l'Eglise nous demeurons en Lui, sans qui nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 1-5)»(12). C'est l'Eglise elle-même, donc, qui est le vignoble évangélique.

Elle est mystère parce que l'amour et la vie du Père, du Fils et de l'Esprit Saint sont le don absolument gratuit offert à tous ceux qui sont nés de l'eau et de l'Esprit (cf. Jn 3, 5), appelés à vivre la communion même de Dieu, à la manifester et à la communiquer dans l'histoire (mission): «En ce jour, dit Jésus, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous» (Jn 14, 20).

Désormais, c'est seulement à l'intérieur du mystère de l'Eglise comme mystère de communion que se révèle «l'identité» des fidèles laïcs, leur dignité originelle. Et c'est seulement à l'intérieur de cette dignité que peuvent se définir leur vocation et leur mission dans l'Eglise et dans le monde.

Qui sont les fidèles laïcs?

9. Les Pères du Synode ont très justement noté la nécessité de déterminer et de proposer une description positive de la vocation et de la mission des fidèles laïcs, grâce à une étude approfondie de la doctrine du Concile Vatican II, à la lumière des plus récents documents du Magistère et de l'expérience de la vie de l'Eglise, elle-même guidée par l'Esprit Saint(13).

Pour répondre à la question «qui sont les fidèles laïcs?», le Concile a refusé la solution facile d'une définition négative et s'est ouvert à une vision nettement positive; il a manifesté son intention fondamentale en affirmant la pleine appartenance des fidèles laïcs à l'Eglise et à son mystère, et le caractère particulier de leur vocation, dont le propre est, d'une manière particulière, de «chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu»(14). «Sous le nom de laïcs _ ainsi s'exprime la Constitution Lumen gentium _ on entend ici l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre sacré et de l'état religieux reconnu par l'Eglise, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au Peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l'Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien»(15).

Déjà Pie XII affirmait: «Les fidèles, et plus précisément les laïcs, se trouvent sur la ligne la plus avancée de la vie de l'Eglise; par eux, l'Eglise est le principe vital de la société humaine. C'est pourquoi, eux surtout, doivent avoir une conscience toujours plus claire, non seulement d'appartenir à l'Eglise, mais d'être l'Eglise, c'est-à-dire la communauté des fidèles sur la terre, sous la conduite du Chef commun, le Pape, et des Evêques en communion avec lui. Ils sont l'Eglise»(16).

Conformément à l'image biblique de la vigne, les fidèles laïcs, comme tous les membres de l'Eglise, sont des sarments, branchés sur le Christ, qui est Lui, la vraie vigne, et c'est par Lui qu'ils sont rendus vivants et donneurs de vie.

L'insertion dans le Christ au moyen de la foi et des sacrements de l'initiation chrétienne est la racine première qui crée la nouvelle condition du chrétien dans le mystère de l'Eglise, qui constitue sa «physionomie» la plus profonde, qui est à la base de toutes les vocations et du dynamisme de la vie chrétienne des fidèles laïcs: en Jésus-Christ mort et ressuscité, le baptisé devient une «créature nouvelle» (Ga 6, 15; 2 Co 5, 17), une créature purifiée du péché et vivifiée par la grâce.

Ainsi donc, ce n'est que par l'exploitation des mystérieuses richesses que Dieu donne aux chrétiens dans le baptême qu'on peut dessiner la «figure» du fidèle laïc.

Le Baptême et la nouveauté chrétienne

10. Il n'est pas excessif de dire que la vie entière du fidèle laïc a pour but de le porter à connaître la radicale nouveauté chrétienne qui découle du Baptême, sacrement de la foi, pour qu'il puisse en vivre les obligations selon la vocation que Dieu lui a fixée. Pour dessiner la «figure» du fidèle laïc, examinons de façon plus directe et explicite, entre autres, les aspects fondamentaux suivants: Le Baptême nous fait naître à la vie d'enfants de Dieu; il nous unit à Jésus-Christ et à son Corps qui est l'Eglise; il nous confère l'onction dans l'Esprit Saint en faisant de nous des temples spirituels.

Enfants de Dieu dans le Fils unique

11. Souvenons-nous des paroles de Jésus à Nicodème: «Oui, vraiment, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, on ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu» (Jn 3, 5). Le baptême est donc une nouvelle naissance, c'est une régénération.

C'est précisément en pensant à cet aspect du don du baptême que l'apôtre Pierre entonne ce chant: «Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur; dans sa grande miséricorde, Il nous a fait renaître, grâce à la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, pour une vivante espérance, pour l'héritage qui ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement» (1 P 1, 3-4). Et il donne le nom de chrétien à ceux que Dieu «a fait renaître, non pas d'une semence périssable, mais d'une semence impérissable: sa parole vivante qui demeure» (1 P 1, 23).

Par le baptême chrétien nous devenons fils ou filles de Dieu, dans son Fils unique, Jésus-Christ. Au sortir des eaux des fonts baptismaux,chaque chrétien entend à nouveau la voix qui fut entendue un jour sur les rives du Jourdain: «Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur» (Lc 3, 22), et il comprend ainsi qu'il a été associé au Fils bien-aimé, en devenant fils adoptif (cf. Ga 4, 4-7) et frère du Christ. Ainsi se réalise dans l'histoire de chaque homme l'éternel dessein de Dieu: «Ceux qu'Il connaissait par avance, Il les a aussi destinés à être l'image de son Fils, pour faire de ce Fils l'aîné d'une multitude de frères» (Rm 8, 29).

C'est l'Esprit Saint qui fait que les baptisés sont fils ou filles de Dieu et en même temps membres du Corps du Christ. Saint Paul le rappelle aux chrétiens de Corinthe: «Nous avons tous été baptisés dans l'unique Esprit, pour former un seul corps» (1 Co 12, 13), de sorte que l'Apôtre peut dire à ses fidèles laïcs: «Vous êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps» (1 Co 12, 27); «et voici la preuve que vous êtes des fils: envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos coeurs» (Ga 4, 6; cf. Rm 8, 15-16).

Un seul corps dans le Christ

12. Régénérés comme «fils dans le Fils», les baptisés sont inséparablement «membres du Christ et membres du corps de l'Eglise», comme nous l'enseigne le Concile de Florence(17).

Le Baptême signifie et produit une incorporation mystique mais réelle au Corps crucifié et glorieux de Jésus. Par le moyen du sacrement, Jésus unit le baptisé à sa mort pour l'unir à sa résurrection (cf. Rm 6, 3-5), le dépouille du «vieil homme» et le revêt de «l'homme nouveau», c'est-à-dire de Lui-même: «Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ _ proclame l'apôtre Paul _ vous vous êtes revêtus du Christ» (Ga 3, 27; cf. Ep 4, 22-24; Col 3, 9-10). De là découle que «tout en étant nombreux, nous formons un seul corps dans le Christ» (Rm 12, 5).

Nous retrouvons, dans les paroles de Paul, l'écho fidèle de l'enseignement de Jésus Lui-même: Il nous a, en effet, révélé la mystérieuse unité de ses disciples avec Lui et entre eux, la présentant comme l'image et le prolongement de cette secrète communion qui lie le Père au Fils et le Fils au Père dans le lien d'amour de l'Esprit (cf. Jn 17, 21 ). C'est de cette même unité que parle Jésus en utilisant l'image de la vigne et des sarments: «Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments» (Jn 15, 5), une image qui met en lumière non seulement l'intimité profonde des disciples avec Jésus, mais aussi la communion de vie des disciples entre eux: tous, sarments de l'unique Vigne.

Temples vivants de l'Esprit Saint

13. A l'aide d'une autre image, celle d'un édifice, l'apôtre Pierre définit les baptisés comme des «pierre vivantes» fondées sur le Christ, qui est Lui la «pierre angulaire»; et ils sont destinés à la «construction d'un édifice spirituel» (1 P 2, 5 et suiv.). Cette image nous introduit à un autre aspect de la nouveauté du baptême que le Concile Vatican II présente en ces termes: «Les baptisés, en effet, par la régénération et l'onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle»(18).

L'Esprit Saint «oint» le baptisé, Il imprime sur lui un sceau indélébile (cf. 2 Co 1, 21. 22), et Il le constitue temple spirituel, c'est-à-dire qu'Il le remplit de la sainte présence de Dieu grâce à l'union et à la conformité avec Jésus-Christ.

Fort de cette «onction» spirituelle, le chrétien peut, à sa manière, répéter les paroles de Jésus: «L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'Il m'a consacré par l'onction; Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers leur libération et aux aveugles le retour de la vue, remettre en liberté les opprimés et proclamer une année de grâce du Seigneur» (Lc 4, 18-19; cf. Is 61, 1-2). Ainsi, par l'effusion du Baptême et de la Confirmation, le baptisé participe à la mission même du Christ Jésus, le Messie Sauveur.

Participants a la fonction sacerdotale, prophétique et royale de Jésus-Christ

14. S'adressant aux baptisés comme à des «enfants qui viennent de naître», l'apôtre Pierre écrit: «Approchez-vous de Lui: Il est la pierre vivante, que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu'il en connaît la valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus ... Oui, c'est vous qui êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu; vous êtes donc chargés d'annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ...» (1 P 2, 4-5. 9).

C'est là un nouvel aspect de la grâce et de la dignité du baptême: les fidèles laïcs participent, pour leur part, à la triple fonction de Jésus-Christ: sacerdotale, prophétique et royale. C'est un aspect qui, certes, n'a jamais été négligé par la tradition vivante de l'Eglise, comme on le voit, par exemple, dans l'explication du Psaume 26 que nous présente Saint Augustin: «David reçut l'onction royale. En ce temps-là, il n'y avait à la recevoir que le roi et le prêtre. Ces deux personnes préfiguraient le futur roi-prêtre unique, le Christ (le mot «Christ» vient de «chrisma», qui signifie «onction»). Et notre chef n'a pas été seul à recevoir l'onction, mais nous aussi, qui sommes son corps, nous l'avons reçue avec Lui ... Voilà pourquoi l'onction est donnée à tous les chrétiens, alors que dans l'Ancien Testament elle n'était le fait que de deux personnes seulement. Que nous soyons le corps du Christ, cela ressort clairement du fait que nous avons tous reçu l'onction et qu'en Lui nous sommes oints (christi) et Christ, parce que, d'une certaine manière, la tête et le corps forment le Christ dans son intégrité»(19).

Dans le sillage du Concile Vatican II(20), dès le début de mon service pastoral, j'ai tenu à exalter la dignité sacerdotale, prophétique et royale de tout le Peuple de Dieu: «Celui qui est né de la Vierge Marie _ disais-je _ le fils du charpentier, à ce qu'on croyait, le Fils du Dieu vivant, comme le proclamait Pierre, est venu pour faire de nous tous "un royaume de prêtres". Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère de ce pouvoir et aussi le fait que la mission du Christ, Prêtre, Prophète-Maître, Roi, se poursuit dans l'Eglise. Tous, le Peuple de Dieu tout entier, participent à cette triple mission»(21).

Par cette Exhortation, nous voulons inviter encore une fois les fidèles laïcs à relire, à méditer et à assimiler avec intelligence et amour l'enseignement si fécond et si riche du Concile qui touche à leur participation à la triple fonction du Christ(22). Voici à présent une brève synthèse des éléments essentiels de cet enseignement.

Les fidèles laïcs participent à l'office sacerdotal, par lequel Jésus s'est offert Lui-même sur la Croix et continue encore à s'offrir dans la célébration de l'Eucharistie à la gloire du Père pour le salut de l'humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l'offrande d'eux-mêmes et de toutes leurs activités (cf. Rm 12, 1-2). Parlant des fidèles laïcs, le Concile déclare: «Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d'esprit et de corps, s'ils sont vécus dans l'Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu'elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1 P 2, 5); et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l'oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C'est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d'adoration»(23).

La participation à l'office prophétique du Christ «qui proclame, par le témoignage de sa vie et la vertu de sa parole, le royaume du Père»(24), habilite et engage les fidèles laïcs à recevoir l'Evangile dans la foi, et à l'annoncer par la parole et par les actes, sans hésiter à dénoncer courageusement le mal. Unis au Christ, «le grand prophète» (Lc 7, 16), et constitués dans l'Esprit «témoins» du Christ ressuscité, les fidèles laïcs sont rendus participants autant au sens de la foi surnaturelle de l'Eglise qui «ne peut se tromper dans la foi»(25) qu'à la grâce de la parole (cf. Ac 2, 17-18; Ap 19, 10); ils sont au surplus appelés à faire briller la nouveauté et la force de l'Evangile dans leur vie quotidienne, familiale et sociale, comme aussi à exprimer, avec patience et courage, dans les difficultés de l'époque présente leur espérance de la gloire «même à travers les structures de la vie du siècle»(26).

Par leur appartenance au Christ, Seigneur et Roi de l'Univers, les fidèles laïcs participent à son office royal, et sont appelés par Lui au service du Royaume de Dieu et à sa diffusion dans l'histoire. Ils vivent la royauté chrétienne tout d'abord par le combat spirituel qu'ils mènent pour détruire en eux le règne du péché (cf. Rm 6, 12) et ensuite par le don d'eux-mêmes pour servir, dans la charité et dans la justice, Jésus Lui-même, présent en tous ses frères, surtout dans les plus petits (cf. Mt 25, 40).

Mais les fidèles laïcs sont appelés en particulier à redonner à la création toute sa valeur originelle. En liant la création au bien véritable de l'homme par une activité soutenue par la vie de la grâce, ils participent à l'exercice du pouvoir par lequel Jésus Ressuscité attire à Lui toutes les choses et les soumet, en même temps qu'Il se soumet Lui-même, au Père, de sorte que Dieu soit tout en tous (cf. Jn 12, 32; 1 Co 15, 28).

La participation des laïcs à la triple fonction de Jésus Prêtre, Prophète et Roi, trouve d'abord sa racine dans l'onction du Baptême, puis son développement dans la Confirmation et son achèvement et son soutien dans l'Eucharistie. C'est une participation qui est donnée, il est vrai, à chaque fidèle laïc, mais en tant qu'ils forment l'unique Corps du Christ: en effet, Jésus enrichit de ses dons l'Eglise elle-même parce que l'Eglise est son Corps et son Epouse. Ainsi c'est en tant que membre de l'Eglise que chacun participe à la triple fonction du Christ, comme l'enseigne clairement l'apôtre Pierre; il appelle, en effet, les baptisés «la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu» (1 P 2, 9). Et c'est justement parce qu'elle découle de la communion ecclésiale, que cette participation des fidèles laïcs à la triple fonction du Christ exige d'être vécue et réalisée dans la communion et pour la croissance de cette communion même. Saint Augustin écrit: «De même que nous nous appelons tous chrétiens (christiani) en raison de l'onction (chrisma) mystique, de même nous nous appelons tous prêtres, parce que nous sommes membres de l'unique Prêtre»(27).

Les fidèles laïcs et le caractère séculier

15. La nouveauté chrétienne est le fondement et le titre de l'égalité de tous ceux qui sont les baptisés dans le Christ, de tous les membres du Peuple de Dieu: «Commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ; commune la grâce d'adoption filiale; commune la vocation à la perfection; il n'y a qu'un salut, une espérance, une charité sans division»(28). En vertu de cette dignité baptismale commune, le fidèle laïc est co-responsable, avec tous les ministres ordonnés et avec les religieux et les religieuses, de la mission de l'Eglise.

Mais cette dignité baptismale commune revêt chez le fidèle laïc une modalité qui le distingue, sans toutefois l'en séparer, du prêtre, du religieux, de la religieuse. Le Concile Vatican II a indiqué que cette modalité se trouve dans le caractère séculier: «Le caractère séculier est le caractère propre et particulier des laïcs»(29).

Pour saisir de façon complète, adaptée et spécifique, la condition ecclésiale du fidèle laïc, il faut approfondir la portée théologique du caractère séculier, à la lumière du dessein salvifique de Dieu et du mystère de l'Eglise.

Comme l'affirme Paul VI, l'Eglise «a une authentique dimension séculière, inhérente à sa nature intime et à sa mission, dont la racine plonge dans le mystère du Verbe Incarné, et qui s'est réalisée sous des formes diverses pour ses membres»(30).

L'Eglise, en effet, vit dans ce monde, même si elle n'est pas de ce monde (cf. Jn 17, 16), et elle est envoyée pour continuer l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ; cette oeuvre, «qui concerne essentiellement le salut des hommes, embrasse aussi le renouvellement de tout l'ordre temporel»(31).

Il est certain que tous les membres de l'Eglise participent à sa dimension séculière; mais cela de façons diverses. En particulier la participation des fidèles laïcs a une modalité de réalisation et de fonction, qui, selon le Concile, leur est «propre et particulière»: c'est cette modalité que l'on désigne du nom de «caractère séculier»(32).

Dans le concret, le Concile parle de la condition des fidèles laïcs en la désignant, avant tout, comme le lieu où leur est adressé l'appel de Dieu: «C'est là qu'ils sont appelés»(33). Il s'agit ici d'un «lieu» présenté en termes dynamiques: les fidèles laïcs «vivent au milieu du siècle, c'est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs et travaux du monde, dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale dont leur existence est comme tissée»(34). Ce sont des personnes qui vivent une vie normale dans le monde, étudient, travaillent, créent des rapports amicaux, sociaux, professionnels, culturels. Le Concile ne considère pas simplement leur condition comme un cadre extérieur et un environnement, mais bien comme une réalité destinée à trouver en Jésus-Christ la plénitude de son sens(35). Il va même jusqu'à affirmer que «le Verbe Incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette solidarité... Il a sanctifié les liens humains, notamment ceux de la famille, source de la vie sociale. Il s'est volontairement soumis aux lois de sa patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de sa région»(36).

Le «monde» devient ainsi le milieu et le moyen de la vocation chrétienne des fidèles laïcs, parce qu'il est lui-même destiné à glorifier Dieu le Père dans le Christ. Le Concile peut dès lors indiquer le sens propre et particulier de l'appel de Dieu qui s'adresse aux fidèles laïcs. Ils ne sont pas invités à abandonner la position qu'ils occupent dans le monde. Le baptême, en effet, ne les retire pas du monde (comme le souligne l'apôtre Paul: «Que chacun, mes frères, reste devant Dieu dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé» [1 Co 7, 24]); mais il leur confie une vocation qui concerne justement leur situation dans le monde: les fidèles laïcs, en effet, sont «appelés par Dieu à travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d espérance et de charité»(37). Ainsi, l'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement théologique et ecclésiale. Dans leur situation au milieu du monde, en effet, Dieu manifeste son dessein et leur communique leur vocation particulière de «chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu»(38).

C'est précisément dans cette optique que les Pères du Synode ont déclaré: «Le caractère séculier du fidèle laïc n'est donc pas à définir seulement dans un sens sociologique, mais surtout en un sens théologique. Le caractère séculier doit s'entendre à la lumière de l'acte créateur et rédempteur de Dieu, qui a confié le monde aux hommes et aux femmes, pour qu'ils participent à l'oeuvre de la création, qu'ils libèrent la création elle-même de l'influence du péché et qu'ils se sanctifient dans le mariage ou dans le célibat, dans la famille, dans la profession et dans les différentes activités sociales»(39).

La condition ecclésiale des fidèles laïcs est définie dans sa racine à partir de la nouveauté chrétienne et caractérisée par son caractère séculier(40).

Les images évangéliques du sel, de la lumière et du levain, bien qu'elles s'adressent indistinctement à tous les disciples de Jésus, s'appliquent de façon toute spéciale aux fidèles laïcs. Ce sont des images merveilleusement significatives, parce qu'elles traduisent non seulement l'insertion profonde et la participation totale des fidèles laïcs sur la terre, dans le monde, dans la communauté humaine, mais surtout la nouveauté et l'originalité d'une insertion et d'une participation destinées à la diffusion de l'Evangile qui sauve.

Appelés a la sainteté

16. La dignité des fidèles laïcs se révèle à nous dans sa plénitude si nous examinons la vocation première et fondamentale que le Père offre en Jésus-Christ par l'intermédiaire de l'Esprit à chacun d'eux: la vocation à la sainteté, c'est-à-dire à la perfection de la charité. Le saint est le témoignage le plus éclatant de la dignité conférée au disciple du Christ.

Sur la vocation universelle à la sainteté, le Concile Vatican II s'est exprimé en termes lumineux. On peut affirmer que c'est l'orientation principale qui a été fixée pour les fils et les filles de l'Eglise, par ce Concile voulu pour le renouvellement évangélique de la vie chrétienne(41). Cette orientation n'est pas une simple exhortation morale, mais une excigence incontournable du mystère de l'Eglise: l'Eglise est la Vigne choisie, par le moyen de laquelle les sarments vivent et grandissent de la sève même du Christ, sainte et sanctifiante; elle est le Corps mystique dont les membres participent à la même vie de sainteté que la tête, qui est le Christ; elle est l'Epouse aimée du Seigneur Jésus, qui s'est livré pour la sanctifier (cf. Ep 5, 25 et suiv.). L'Esprit Saint qui sanctifia la nature humaine de Jésus dans le sein virginal de Marie (cf. Lc 1, 35) est le même Esprit qui demeure et opère dans l'Eglise pour lui communiquer la sainteté du Fils de Dieu fait homme.

Il est aujourd'hui plus urgent que jamais que tous les chrétiens reprennent le chemin du renouveau évangélique, recevant avec générosité l'invitation de l'Apôtre à «être saints dans toute la conduite» (1 P 1, 15). Le Synode extraordinaire de 1985, vingt ans après la clôture du Concile, a fort à propos insisté sur cette urgence: «Etant donné que l'Eglise dans le Christ est mystère, elle doit être considérée comme un signe et un instrument de sainteté. Les saints et les saintes ont toujours été source et origine de renouvellement dans les moments les plus difficiles de l'histoire de l'Eglise. Aujourd'hui nous avons un besoin très grand de saints; nous devons en demander au Seigneur avec insistance»(42).

Tous, dans l'Eglise, précisément parce qu'ils sont ses membres, reçoivent et donc partagent la vocation commune à la sainteté. De plein droit, et sans aucune différence avec les autres membres de l'Eglise, les fidèles laïcs sont appelés à la sainteté: «L'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang»(43); «Tous les fidèles du Christ sont donc invités et obligés à poursuivre la sainteté et la perfection de leur état»(44).

La vocation à la sainteté plonge ses racines dans le Baptême et elle est réactivée par les autres sacrements; principalement par l'Eucharistie: revêtus de Jésus-Christ et abreuvés de son Esprit, les chrétiens sont «saints», et sont, de ce fait, habilités et engagés à manifester la sainteté de leur être dans la sainteté de tout leur agir. L'apôtre Paul ne se lasse pas d'engager tous les chrétiens à vivre «comme il convient à des saints» (Ep 5, 3).

La vie selon l'Esprit, dont le fruit est la sanctification (Rm 6, 22; cf. Ga 5, 22), suscite en tous les baptisés et en chacun d'eux le désir et l'exigence de suivre et d'imiter Jésus-Christ, en accueillant ses Béatitudes, en écoutant et méditant la parole de Dieu, en participant de façon consciente et active à la vie liturgique et sacramentelle de l'Eglise, en s'adonnant à la prière individuelle, familiale et communautaire, en s'ouvrant à la faim et à la soif de justice, en pratiquant le commandement de l'amour dans toutes les circonstances de la vie et dans le service auprès de leurs frères, spécialement de ceux qui sont humbles, pauvres et souffrants.

Se sanctifier dans le monde

17. La vocation des fidèles laïcs à la sainteté exige que la vie selon l'Esprit s'exprime de façon particulière dans leur insertion dans les réalités temporelles et dans leur participation aux activités terrestres. C'est encore l'Apôtre qui nous y engage: «Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en offrant par Lui votre action de grâce à Dieu le Père» (Col 3, 17). Appliquant les paroles de l'Apôtre aux fidèles laïcs, le Concile affirme de façon très ferme: «Ni le soin de leur famille, ni les affaires temporelles ne doivent être étrangers à leur spiritualité»(45). Après eux, les Pèrès du Synode ont déclaré: «L'unité de la vie des fidèles laïcs est d'une importance extrême: ils doivent, en effet, se sanctifier dans la vie ordinaire, professionnelle et sociale. Afin qu'ils puissent répondre à leur vocation, les fidèles laïcs doivent donc considérer leur vie quotidienne comme une occasion d'union à Dieu et d'accomplissement de sa volonté, comme aussi de service envers les autres hommes, en les portant jusqu'à la communion avec Dieu dans le Christ»(46).

La vocation à la sainteté doit être perçue et vécue par les fidèles laïcs, moins sous un aspect d'obligation exigeante et incontournable, que comme un signe lumineux de l'amour infini du Père qui les a régénérés à sa vie de sainteté. Une pareille vocation, dans ces conditions, doit se définir comme un élément essentiel et indissociable de la nouvelle vie baptismale, et par conséquent comme un élément constitutif de leur dignité. En même temps, la vocation à la sainteté est intimement liée à la mission et à la responsabilité qui sont confiées aux fidèles laïcs dans l'Eglise et dans le monde. En effet, la sainteté vécue, tout en provenant de la participation à la vie de sainteté de l'Eglise, représente aussi par elle-même une première et fondamentale contribution à l'édification de l'Eglise en tant que «Communion des Saints». Devant les yeux éclairés par la foi s'ouvre un spectacle merveilleux: celui de tant de fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, précisément dans leur vie et leur activité de chaque jour, souvent inaperçus ou parfois incompris, méconnus des grands de la terre mais regardés avec amour par le Père, sont des ouvriers qui travaillent inlassablement dans la Vigne du Seigneur, des artisans humbles et grands à la fois _ assurément par la puissance de la grâce de Dieu _ de la croissance du Royaume de Dieu au cours de l'histoire.

La sainteté est ensuite, il faut le reconnaître, une base essentielle et une condition absolument irremplaçable pour l'accomplissement de la mission de salut de l'Eglise. C'est la sainteté de l'Eglise qui est la source secrète et la mesure infaillible de son activité apostolique et de son élan missionnaire. C'est seulement dans la mesure où l'Eglise, Epouse du Christ, se laisse aimer de Lui, et L'aime en retour, qu'elle devient Mère féconde dans l'Esprit.

Revenons à l'image biblique: la naissance et l'expansion des sarments dépendent de leur insertion dans la vigne: «De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s'il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15, 4-5).

Tout naturellement il faut rappeler ici la proclamation solennelle de fidèles laïcs, hommes et femmes, au rang de bienheureux et de saints, qui a été faite durant le temps du Synode. Le peuple de Dieu tout entier, les fidèles laïcs en particulier, peut trouver en eux de nouveaux modèles de sainteté et de nouveaux témoins de vertus héroïques, pratiquées dans des conditions communes et ordinaires de la vie. Comme l'ont affirmé les Pères du Synode: «Les Eglises locales et surtout celles qu'on appelle les jeunes Eglises doivent discerner attentivement parmi leurs propres membres les hommes et les femmes qui ont donné dans de telles conditions (les conditions quotidiennes du monde et de l'état conjugal) le témoignage de la sainteté et qui peuvent servir d'exemple aux autres, afin que, si le cas se présente, ils soient proposés pour la béatification et la canonisation»(47).

Au terme de ces réflexions, destinées à définir la condition ecclésiale du fidèle laïc, nous revient à la mémoire la célèbre interpellation de Saint Léon le Grand: «Reconnais, ô Chrétien, ta dignité»(48). C'est ce que dit aussi Saint Maxime, évêque de Turin, en s'adressant à ceux qui avaient reçu le baptême: «Considérez l'honneur qui vous est fait dans ce mystère!»(49). Tous les baptisés sont invités à écouter une fois encore les paroles de Saint Augustin: «Réjouissons-nous et remercions: nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ ... Soyez dans la stupeur et la joie: nous sommes devenus Christ!»(50).

La dignité de chrétien, source de l'égalité de tous les membres de l'Eglise, garantit et promeut l'esprit de communion et de fraternité, et, en même temps, elle devient la source secrète et puissante du dynamisme apostolique et missionnaire des fidèles laïcs. C'est une dignité exigeante, la dignité des ouvriers appelés par le Seigneur à travailler à sa vigne: «A tous les laïcs _ lisons-nous dans les Actes du Concile _ incombe la noble charge de travailler à ce que le dessein divin de salut parvienne de plus en plus à tous les hommes de tous les temps et de toute la terre»(51).

CHAPITRE II

TOUS SARMENTS DE L'UNIQUE VIGNE
La participation des fidèles laïcs
à la vie de l'Eglise-Communion

Le mystère de l'Eglise-Communion

18. Ecoutons de nouveau les paroles de Jésus: «Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron ... Demeurez en moi, comme moi en vous» (Jn 15, 1-4).

Par ces simples paroles nous est révélée la communion mystérieuse qui lie en une parfaite unité le Seigneur et ses disciples, le Christ et les baptisés: une communion vivante et vivifiante, par laquelle les chrétiens ne s'appartiennent pas à eux-mêmes, mais sont la propriété du Christ, comme les sarments unis à la vigne.

La communion des chrétiens avec Jésus a pour modèle, source et fin la communion même du Fils avec le Père dans le don de l'Esprit Saint: unis au Fils dans le lien d'amour de l'Esprit, les chrétiens sont unis au Père.

Jésus continue: «Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments» (Jn 15, 5). De la communion des chrétiens avec le Christ découle la communion des chrétiens entre eux; tous sont les sarments de la Vigne unique, qui est le Christ. En cette communion fraternelle le Seigneur Jésus présente le reflet merveilleux et la participation mystérieuse à la vie intime d'amour du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. Pour cette communion, Jésus prie: «Que tous, ils soient un, comme Toi, Père, Tu es en moi, et moi en Toi. Qu'ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que Tu m'as envoyé» (Jn 17, 21).

Cette communion est le mystère même de l'Eglise, comme le rappelle le Concile Vatican II, par le mot bien connu de Saint Cyprien: «L'Eglise universelle apparaît comme "un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint"»(52). Ce mystère de l'Eglise-Communion nous est rappelé au début de la célébration eucharistique, quand le prêtre nous accueille par le salut de l'apôtre Paul: «Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit Saint soient avec vous tous» (2 Co 13, 13).

Après avoir dessiné la «figure» des fidèles laïcs en exprimant leur dignité, il nous faut à présent réfléchir sur leur mission et leur responsabilité dans l'Eglise et dans le monde: mais cela ne peut se comprendre valablement que dans le contexte vivant de l'Eglise-Communion.

Le Concile et l'ecclésiologie de communion

19. Telle est effectivement l'idée centrale que l'Eglise a remise en lumière pour se définir elle-même dans le Concile Vatican II, comme nous l'a rappelé le Synode extraordinaire de 1985, qui s'est tenu vingt ans après le Concile: «L'ecclésiologie de communion est l'idée centrale et fondamentale des documents du Concile. La koinonia-communion, fondée sur la Sainte Ecriture, est mise à l'honneur dans l'Eglise primitive, et dans les Eglises orientales jusqu'à nos jours. Voilà pourquoi le Concile Vatican II a travaillé intensément afin que l'Eglise soit plus clairement conçue comme une communion et que ce concept soit traduit concrètement dans la vie. Que signifie donc ce mot complexe de "communion"? Il s'agit fondamentalement de la communion avec Dieu par l'intermédiaire de Jésus-Christ, dans l'Esprit Saint. Cette communion s'obtient par la parole de Dieu et par les sacrements. Le Baptême est la porte et le fondement de la communion dans l'Eglise. L'Eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne (cf. LG 11). La communion au Corps eucharistique du Christ signifie et produit, en d'autres termes édifie, l'intime communion de tous les fidèles dans le Corps du Christ qui est l'Eglise (1 Co 10, 16)»(53).

Au lendemain du Concile, Paul VI s'adressait aux fidèles en ces termes: «L'Eglise est une communion. Que signifie ici ce mot communion? Je vous renvoie au passage du catéchisme qui parle de la communion des Saints. Eglise veut dire communion des Saints. Et communion des Saints signifie une double participation vitale: l'incorporation des chrétiens à la vie du Christ, et la circulation de la même charité dans toute la communauté des fidèles, en ce monde et en l'autre. Union au Christ et dans le Christ; et union entre les chrétiens dans l'Eglise»(54).

Les images bibliques, par lesquelles le Concile a voulu nous introduire à la contemplation du mystère de l'Eglise, mettent en lumière la réalité de l'Eglise-Communion dans son indivisible dimension de communion des chrétiens avec le Christ et de communion des chrétiens entre eux. Ces images sont celles de la bergerie, du troupeau, de la vigne, de l'édifice spirituel, de la cité sainte(55). C'est surtout l'image du corps, présentée par l'apôtre Paul, dont la doctrine toujours vivante et attirante anime de nombreuses pages du Concile(56). S'inspirant de toute l'histoire du salut, le Concile présente aussi l'Eglise comme Peuple de Dieu: «Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel; Il a voulu au contraire faire d'eux un peuple qui Le connaîtrait selon la vérité et Le servirait dans la sainteté»(57). Dès les premières lignes, la Constitution Lumen gentium résume admirablement cette doctrine: «L'Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain»(58).

La réalité de l'Eglise-Communion est, dès lors, partie intégrante, bien mieux, elle représente le contenu central du «Mystère», c'est à-dire du dessein divin du salut de l'humanité. Voilà pourquoi la communion ecclésiale ne peut se traduire parfaitement si on n'y voit qu'une réalité simplement sociologique et psychologique. L'Eglise-Communion est le peuple «nouveau», le peuple «messianique», le peuple qui «a pour chef le Christ ... La condition de ce peuple, c'est la dignité et la liberté des enfants de Dieu ... Sa loi c'est le commandement nouveau d'aimer comme le Christ Lui-même nous a aimés ... Sa destinée enfin, c'est le Royaume de Dieu ... et ce peuple est constitué par le Christ en une communion de vie, de charité et de vérité»(59). Les liens qui unissent les membres du nouveau Peuple entre eux _ et d'abord avec le Christ _ ne sont Pas ceux de la «chair» et du «sang», mais bien ceux de l'esprit, plus précisément ceux de l'Esprit Saint, que reçoivent tous les baptisés (cf. Jl 3, 1).

En effet cet Esprit qui de toute éternité est le lien de la Trinité, une et indivise, cet Esprit qui «dans la plénitude des temps» (Ga 4, 4) unit indissolublement la chair humaine au Fils de Dieu, ce même Esprit est au cours des générations chrétiennes la source ininterrompue et inépuisable de la communion dans l'Eglise et de l'Eglise.

Une communion organique:
diversité et complémentarité

20. La communion ecclésiale se présente, pour être plus précis, comme une communion «organique», analogue à celle d'un corps vivant et agissant: elle se caractérise, en effet, par la présence simultanée de la diversité et de la complémentarité des vocations et conditions de vie, des ministères, des charismes et des responsabilités. Grâce à cette diversité et complémentarité, chacun des fidèles laïcs se trouve en relation avec le corps tout entier et, au corps, il apporte sa propre contribution.

Sur la communion organique du Corps mystique du Christ, l'apôtre Paul insiste de façon toute particulière; écoutons ici, une fois encore, son enseignement si riche, dans la synthèse que le Concile en a tracée: Jésus-Christ, lisons-nous dans la Constitution Lumen gentium, «en communiquant son Esprit à ses frères, qu'Il rassemblait de toutes les nations, a fait d'eux, mystiquement, comme son Corps. Dans ce Corps, la vie du Christ se répand chez les croyants... Comme tous les membres du corps humain, malgré leur multiplicité, ne forment cependant qu'un seul corps, ainsi les fidèles dans le Christ (cf. 1 Co 12, 12). Dans le travail d'édification du Corps du Christ, règne également une diversité de membres et de fonctions. Unique est l'Esprit, qui distribue ses dons variés pour le bien de l'Eglise à la mesure de ses richesses et des exigences des services (cf. 1 Co 12, 1-11). Parmi ces dons, la grâce accordée aux Apôtres tient la première place: l'Esprit Lui-même soumet à leur autorité jusqu'aux bénéficiaires des charismes (cf. 1 Co 14). Le même Esprit, qui est par lui-même principe d'unité dans le corps où s'exerce sa vertu et où Il réalise la connexion intérieure des membres, produit et stimule entre les fidèles la charité. Aussi un membre ne peut souffrir sans que tous les membres souffrent avec lui; un membre est-il à l'honneur? Tous les membres se réjouissent avec lui (cf. 1 Co 12, 26)»(60).

C'est toujours le même et unique Esprit qui est le principe dynamique de la variété et de l'unité dans l'Eglise et de l'Eglise. Relisons la Constitution Lumen gentium: «Pour que nous puissions nous renouveler en Lui (le Christ) incessamment (cf. Ep 4, 23), Il nous a donné Son Esprit qui, présent identique à lui-même dans le chef et dans les membres, vivifie le corps entier, l'unifie et le meut, si bien que son action a pu être comparée par les saints Pères à la fonction que remplit dans le corps humain l'âme, principe de vie»(61). Dans un autre texte, particulièrement dense et précieux pour saisir «l'organicité» propre de la communion ecclésiale même sous l'aspect de croissance incessante vers la communion parfaite, le Concile écrit: «L'Esprit habite dans l'Eglise et dans le coeur des fidèles comme dans un temple (cf. 1 Co 3, 16; 6, 19), en eux Il prie et atteste leur condition de fils de Dieu par adoption (cf. Ga 4, 6; Rm 8, 15-16. 26). Cette Eglise qu'Il introduit dans la vérité toute entière (cf. Jn 16, 13) et à laquelle Il assure l'unité dans la communion et le service, Il la bâtit et la dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques, Il l'orne de ses fruits (cf. Ep 4, 11-12; 1 Co 12, 4; Ga 5, 22). Par la vertu de l'Evangile, Il rageunit l'Eglise et Il la renouvelle sans cesse, l'acheminant à l'union parfaite avec son Epoux. L'Esprit et l'Epouse, en effet, disent au Seigneur Jésus: Viens! (cf. Ap 22, 17)»(62).

La communion ecclésiale est donc un don, un grand don de l'Esprit Saint; les fidèles sont invités à le recevoir avec reconnaissance et, en même temps, à vivre avec un grand sentiment de responsabilité. Cela se réalise concrètement par leur participation à la vie et à la mission de l'Eglise, au service de qui les fidèles laïcs mettent leurs ministères et leurs charismes variés et complémentaires.

Le fidèle laïc «n'a pas le droit de se renfermer sur lui-même, en s'isolant spirituellement de la communauté, mais il doit vivre en un partage continuel avec les autres, dans un sens très vif de fraternité, dans la joie d'une égale dignité et dans l'intention de faire fructifier avec les autres l'immense trésor reçu en héritage. L'Esprit du Seigneur lui donne à lui, comme aux autres, des charismes multiples, Il l'appelle à divers ministères et diverses charges, Il lui rappelle, comme Il le rappelle aux autres pour leur rapport avec lui, que ce qui le distingue, ce n'est pas un supplément de dignité, mais une habilitation spéciale et complémentaire au service ... C'est ainsi que les charismes, les ministères, les charges et les services du fidèle laïc existent dans la comunion. Ce sont là des richesses complémentaires pour le bien de tous, sous la sage conduite des Pasteurs»(63).

Les ministères et les charismes,
dons de l'Esprit à l'Eglise

21. Le Concile Vatican II présente les ministères et les charismes comme des dons de l'Esprit Saint pour l'édification du Corps du Christ et pour la mission en vue du salut du monde(64). L'Eglise, en effet, est dirigée et guidée par l'Esprit Saint, qui distribue des dons variés, hiérarchiques et charismatiques, à tous les baptisés, en les appelant à être, chacun à sa façon, actifs et co-responsables.

Considérons maintenant les ministères et les charismes en examinant leurs rapports avec les fidèles laïcs et la participation de ceux-ci à la vie de l'Eglise-Communion.

Ministères, offices et fonctions

Les ministères présents et opérants dans l'Eglise sont tous, quoique sous des modalités diverses, une participation au ministère de Jésus Christ, le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10, 11), le serviteur humble et totalement sacrifié pour le salut de tous (cf. Mc 10, 45). Paul est extrêmement explicite sur la constitution ministérielle des Eglises apostoliques. Dans sa première lettre aux Corinthiens, il écrit: «Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l'Eglise, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui sont chargés d'enseigner ...» (1 Co 12, 28). Dans la Lettre aux Ephésiens, nous lisons: «Chacun de nous a reçu le don de la grâce comme le Christ nous l'a partagée ... Et les dons qu'Il a faits aux hommes, ce sont d'abord les apôtres, puis les prophètes et les missionnaires de l'Evangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le Corps du Christ. Au terme, nous parviendrons tous ensemble à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ» (Ep 4, 7. 11-13; cf. Rm 12, 4-8). Comme il ressort de ces textes et d'autres du Nouveau Testament, les ministères, comme aussi les dons et les tâches ecclésiales, sont multiples et variés.

Les ministères dérivant de l'Ordre

22. Dans l'Eglise nous rencontrons, en premier lieu, les ministères ordonnés, c'est-à-dire les ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre. Le Seigneur Jésus, en effet, choisit et établit les Apôtres _ «germes du Nouvel Israël et en même temps origine de la hiérarchie sacrée»(65) _ avec le mandat de Lui susciter des disciples dans toutes les nations (cf. Mt 28, 19), de former et de diriger le peuple sacerdotal. La mission des Apôtres, que le Seigneur Jésus continue de confier aux pasteurs de son peuple, est un vrai service, que la Sainte Ecriture désigne d'un terme significatif: «diakonia», c'est-à-dire service, ministère. Les ministres reçoivent du Christ ressuscité le charisme de l'Esprit Saint, dans la succession apostolique ininterrompue, au moyen du sacrement de l'Ordre: de Lui, ils reçoivent l'autorité et le pouvoir sacré pour servir l'Eglise, agissant alors «in persona Christi Capitis» («au nom du Christ-Tête en personne»(66), et pour la rassembler dans l'Esprit Saint par le moyen de l'Evangile et des Sacrements.

Les ministères ordonnés sont une grâce immense pour la vie et pour la mission de l'Eglise entière, avant même de l'être pour telle ou telle personne en particulier. Ils sont la réalisation et la manifestation d'une participation au sacerdoce du Christ, différente, par sa nature et non simplement par son degré, de la participation donnée par le Baptême et par la Confirmation à tous les fidèles. D'autre part, le sacerdoce ministériel, comme l'a rappelé le Concile Vatican II, a sa finalité essentielle dans le sacerdoce royal de tous les fidèles et est orienté vers celui-ci(67).

Voilà pourquoi, en vue d'assurer et de faire grandir la communion dans l'Eglise, en particulier en ce qui regarde les ministères divers et complémentaires, les pasteurs doivent avoir la conviction la plus ferme que leur ministère est ordonné au service de tout le peuple de Dieu (cf. Hb 5, 1), et les fidèles laïcs, à leur tour, doivent reconnaître que le sacerdoce ministériel est absolument nécessaire pour leur vie dans l'Eglise et pour leur participation à sa mission(68).

Ministères, offices et fonctions des laïcs

23. La mission salvifique de l'Eglise dans le monde est réalisée non seulement par les ministres qui ont reçu le sacrement de l'Ordre, mais aussi par tous les fidèles laïcs: ceux-ci, en effet, en vertu de leur condition de baptisés et de leur vocation spécifique, participent, dans la mesure propre à chacun, à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ.

Les pasteurs, en conséquence, doivent reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement sacramentel dans le Baptême, dans la Confirmation, et de plus, pour beaucoup d'entre eux, dans le Mariage.

En outre, lorsque la nécessité ou l'utilité de l'Eglise l'exigent, les pasteurs peuvent, selon les normes établies par le droit universel, confier aux fidèles laïcs certains offices et certaines fonctions qui, tout en étant liés à leur propre ministère de pasteurs, n'exigent pas cependant le caractère de l'Ordre. Le Code de Droit Canon prescrit: «Là où les nécessités de l'Eglise le conseillent, et à défaut de ministres sacrés, des laïcs peuvent, même sans être lecteurs ou acolytes, remplir en suppléance telle ou telle de leurs fonctions: ministère de la parole, présidence des prières liturgiques, administration du Baptême, distribution de la Sainte Communion, suivant les normes du droit»(69). Il faut remarquer toutefois que l'exercice d'une telle fonction ne fait pas du fidèle laïc un pasteur: en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n'est par l'activité en elle-même, mais l'ordination sacramentelle. Seul le sacrement de l'Ordre confère au ministre ordonné une participation particulière à la fonction du Christ Chef et Pasteur et à son sacerdoce éternel(70). La fonction exercée en tant que suppléant tire sa légitimité formellement et immédiatement de la délégation officielle reçue des pasteurs et, dans l'exercice concret de cette fonction, le suppléant est soumis à la direction de l'autorité ecclésiastique(71).

La récente Assemblée synodale a présenté un panorama vaste et significatif de la situation ecclésiale en ce qui concerne les ministères, offices et fonctions des baptisés. Les Pères ont vivement manifesté leur estime pour la très importante collaboration apostolique que les fidèles laïcs, hommes et femmes, apportent à la vie de l'Eglise, par leurs charismes et par toute leur activité en faveur de l'évangélisation, de la sanctification et de l'animation chrétienne des réalités temporelles. En même temps, on a beaucoup apprécié leur dévouement habituel dans les communautés ecclésiales et leur généreuse disponibilité à pratiquer des suppléances dans des situations graves ou des besoins chroniques(72).

A la suite du renouveau liturgique promu par le Concile, les fidèles laïcs eux-mêmes, ayant pris plus nettement conscience des tâches qui leur reviennent dans l'assemblée liturgique et dans sa préparation, se sont rendus largement disponibles pour leur célébration: la célébration liturgique, en effet, est une action sacrée de toute l'assemblée et non pas du seul clergé. Il est donc tout naturel que les actes qui ne sont pas propres aux ministres ordonnés soient exécutés par les fidèles laïcs(73). Une fois réalisée la participation effective des fidèles laïcs dans l'action liturgique, on en est venu ensuite spontanément à admettre aussi leur participation à l'annonce de la Parole de Dieu et à la charge pastorale(74).

Dans cette même Assemblée synodale cependant, à côté de jugements positifs, les critiques n'ont pas manqué. Elles ont porté sur l'usage indiscriminé du terme «ministère», sur la confusion et le nivellement pratiqué entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel, sur la non application des lois et des normes ecclésiastiques, l'interprétation arbitraire du concept de «suppléance», la tendance à la «cléricalisation» des fidèles laïcs et le risque de créer en fait une structure ecclésiale de service parallèle à celle qui est fondée sur le sacrement de l'Ordre.

Pour remédier, comme il se doit, à ces dangers, les Pères synodaux ont insisté sur la nécessité d'exprimer clairement, en fixant, au besoin, une terminologie plus précise(75), autant l'unité de la mission de l'Eglise, à laquelle participent tous les baptisés, que la diversité substantielle du ministère des pasteurs, qui est fondé sur le sacrement de l'Ordre, diversité par rapport aux autres ministères, offices et fonctions ecclésiales, fondées elles sur les sacrements du Baptême et de la Confirmation.

Il est alors nécessaire, en premier lieu, que les pasteurs, en reconnaissant et en conférant aux fidèles laïcs les divers ministères, offices et fonctions, mettent le plus grand soin à les instruire de la racine baptismale de ces tâches. Il est nécessaire, ensuite, que les pasteurs veillent à éviter un recours facile et abusif aux présumées «situations de nécessité» ou de «sup pléance nécessaire», là où, objectivement, ce n'est pas le cas, ou bien là où il est possible d'y obvier par une programmation pastorale plus rationnelle.

Les différents offices et fonctions que les fidèles laïcs peuvent légitimement exercer, dans la liturgie, dans la transmission de la foi et dans les structures pastorales de l'Eglise, devront l'être en conformité avec leur vocation laïque spécifique, différente de celle des ministères sacrés. En ce sens, l'exhortation Evangelii nuntiandi, qui a eu des conséquences si grandes et si bienfaisantes pour l'éveil d'une collaboration diversifiée des fidèles laïcs à la vie et à la mission évangélique de l'Eglise, cette exhortation rappelle que «le champ propre de l'activité évangélisatrice des laïcs, c'est le monde, vaste et compliqué, de la politique, de la réalité sociale, de l'économie; comme aussi celui de la culture, de la science et des arts, de la vie internationale, des instruments de communication sociale; et encore d'autres réalités particulièrement ouvertes à l'évangélisation, comme celle de l'amour, de la famille, de l'éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. Plus il y aura de laïcs pénétrés d'esprit évangélique, responsables de ces réalités et explicitement engagés en ces réalités, compétents dans le travail de leur développement et conscients de l'obligation qui leur incombe de développer toute leur capacité chrétienne souvent jusque là tenue cachée et étouffée, alors plus ces réalités, sans rien perdre ni sacrifier de leur coefficient humain, mais révélant une dimension transcendante souvent ignorée, se trouveront au service de l'édification du Royaume de Dieu, et donc du Salut en Jésus-Christ»(76).

Pendant les travaux du Synode, les Pères ont étudié avec grande attention le Lectorat et l'Acolytat. Autrefois, dans l'Eglise latine, ils n'étaient que les étapes spirituelles de l'itinéraire vers les ministères ordonnés; le Motu proprio de Paul VI Ministeria quaedam (15 août 1972) leur a conféré un certain degré d'autonomie et de stabilité et la possibilité d'être donnés aussi aux fidèles laïcs, mais aux hommes seulement. C'est dans ce même sens que s'exprime le Code de Droit Canon(77). Les Pères ont exprimé le désir que «le "Motu proprio" Ministeria quaedam soit revu, en tenant compte de l'usage des Eglises locales et surtout en précisant les critères selon lesquels doivent être choisis les candidats à chaque ministère»(78).

En ce sens, une Commission spéciale a été constituée, qui a pour but non seulement de répondre à ce désir explicite des Pères synodaux, mais aussi et surtout d'étudier, de manière approfondie, les divers problèmes théologiques, liturgiques, juridiques et pastoraux soulevés par l'abondante floraison actuelle des ministères confiés aux fidèles laïcs.

En attendant que la Commission ait conclu son étude, pour que la pratique ecclésiale des ministères confiés aux fidèles soit ordonnée et fructueuse, toutes les Eglises particulières devront respecter fidèlement les principes théologiques rappelés plus haut, en particulier la différence essentielle entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun et, en conséquence, la différence entre les ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre et les ministères qui dérivent des sacrements de Baptême et de Confirmation.

Les charismes

24. Le Saint Esprit, en confiant à l'Eglise-Communion les différents ministères, l'enrichit d'autres dons et impulsions particulières, appelés charismes. Ceux-ci peuvent prendre les formes les plus diverses, soit comme expression de la liberté absolue de l'Esprit qui les accorde, soit comme réponse aux multiples exigences de l'histoire de l'Eglise. La description et la classification que nous fournissent de ces dons les textes du Nouveau Testament sont un signe de leur grande variété: «Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit, en vue du bien. A celui-ci est donné, grâce à l'Esprit, le langage de la sagesse de Dieu; à un autre, toujours par l'Esprit, le langage de la connaissance de Dieu; un autre reçoit, dans l'Esprit, le don de la foi; un autre encore, des pouvoirs de guérison dans l'unique Esprit; un autre peut faire des miracles; un autre est un prophète, un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l'Esprit; l'un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses, l'autre le don de les interpréter» (1 Co 12, 7-10; cf. 1 Co 12, 4-6. 28-31; Rm 12, 6-8; 1 P 4, 10-11).

Extraordinaires ou simples et humbles, les charismes sont des grâces de l'Esprit Saint qui ont, directement ou indirectement, une utilité ecclésiale, ordonnés qu'ils sont à l'édification de l'Eglise, au bien des hommes et aux besoins du monde.

De nos jours également, nous pouvons voir s'épanouir divers charismes parmi les fidèles laïcs, hommes et femmes. Ils sont donnés à une personne déterminée, mais ils peuvent être partagés par d'autres, de sorte qu'ils se maintiennent à travers le temps comme un héritage vivant et précieux, qui engendre une affinité spirituelle particulière entre de nombreuses personnes. C'est précisément au sujet de l'apostolat des laïcs que le Concile Vatican II écrit: «Pour l'exercice de cet apostolat, le Saint Esprit qui sanctifie le peuple de Dieu par les sacrements et le ministère accorde en outre aux fidèles des dons particuliers (cf. 1 Co 12, 7), les "répartissant à chacun comme Il l'entend" (cf. 1 Co 12, 11), pour que tous et "chacun selon la grâce reçue, se mettant au service des autres, soient eux-mêmes de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu" (1 P 4, 10), en vue de l'édification du Corps tout entier dans la charité (cf. Ep 4, 16)»(79).

Selon la logique du dynamisme généreux qui les a fait jaillir, les dons du Saint Esprit exigent de tous ceux qui les ont reçus qu'ils les exercent pour la croissance de toute l'Eglise, comme nous le rappelle le Concile(80).

Les charismes sont à accueillir avec reconnaissance par celui qui les reçoit, mais aussi par tous les membres de l'Eglise. Ils sont, en effet, une merveilleuse richesse de grâce pour la vitalité apostolique et pour la sainteté de tout le Corps du Christ; pourvu cependant qu'il s'agisse de dons qui proviennent véritablement de l'Esprit Saint et qu'ils soient exercés de façon pleinement conforme aux impulsions authentiques de ce même Esprit. C'est dans ce sens qu'apparaît toujours plus nécessaire le discernement des charismes. En réalité, comme l'ont déclaré les Pères du Synode, «l'action de l'Esprit Saint, qui souffle où il veut, n'est pas toujours facile à distinguer ni à recevoir. Nous savons que Dieu agit en tous les fidèles chrétiens et nous avons bien conscience des bienfaits qui procèdent des charismes à la fois en faveur de chacun et pour toute la communauté chrétienne. Toutefois, nous avons également conscience de la puissance du péché et de ses efforts pour semer le trouble et la confusion dans la vie des fidèles et des communautés»(81).

Voilà pourquoi aucun charisme ne dispense de la référence et de la soumission aux Pasteurs de l'Eglise. De façon très claire le Concile écrit: «C'est à ceux qui ont la charge de l'Eglise de porter un jugement sur l'authenticité de ces dons et sur leur usage bien entendu. C'est à eux qu'il convient spécialement, non pas d'éteindre l'Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5, 12. 19-21)»(82), afin que tous les charismes coopèrent, dans leur diversité et leur complémentarité, au bien commun(83).

La participation des fidèles laïcs à la vie de l'Eglise

25. Les fidèles laïcs participent à la vie de l'Eglise non seulement en exerçant leurs ministères et leurs charismes, mais de bien d'autres façons encore.

Cette participation trouve son expression primordiale et nécessaire dans la vie et la mission des Eglises particulières, les Diocèses, où «est vraiment présente et agissante l'Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique»(84).

Eglises particulières et Eglise universelle

Pour une juste participation à la vie de l'Eglise, il est de toute urgence que les fidèles laïcs aient une vision claire et précise de l'Eglise particulière dans sa relation avec l'Eglise universelle. L'Eglise particulière n'est pas le fruit d'une fragmentation de l'Eglise universelle, pas plus que l'Eglise universelle n'est simplement la somme des Eglises particulières; ce qui les unit entre elles, au contraire, c'est un lien vivant, essentiel et permanent, en tant que l'Eglise universelle existe et se manifeste dans les Eglises particulières. C'est pourquoi le Concile affirme que les Eglises particulières «sont formées à l'image de l'Eglise universelle, c'est en elles et à partir d'elles qu'existe l'Eglise Catholique, une et unique»(85).

Le Concile encore stimule les fidèles laïcs à vivre activement leur appartenance à l'Eglise particulière, tout en assumant une inspiration toujours plus «catholique». «Les laïcs développeront sans cesse le sens du diocèse _ lisons-nous dans le Décret sur l'apostolat des laïcs _ dont la paroisse est comme une cellule; ils seront toujours prompts à l'invitation de leur pasteur à participer aux initiatives du diocèse. De plus, pour répondre aux nécessités des villes et des régions rurales, ils ne borneront pas leur coopération aux limites de la paroisse ou du diocèse, mais ils s'efforceront de l'élargir au plan interparoissial, interdiocésain, national et international: d'autant plus que l'accroissement constant des migrations de population, la multiplication des liens mutuels, la facilité des communications ne permettent plus à une partie de la société de demeurer repliée sur elle-même. Les laïcs se préoccuperont donc des exigences du Peuple de Dieu répandu sur toute la terre»(86).

Le dernier Synode a demandé, dans ce même ordre d'idées, que l'on favorise la création de conseils pastoraux diocésains, auxquels on puisse recourir en cas de besoin. Il s'agit ici, en réalité, de la principale forme de collaboration et de dialogue, et en même temps de discernement, sur le plan diocésain. La participation des fidèles laïcs à ces Conseils pourra élargir le recours aux consultations et ainsi le principe de la collaboration_ qui en certains cas peut s'étendre à la prise de décisions _ sera appliqué de manière plus étendue et plus ferme(87).

La participation des fidèles laïcs aux synodes diocésains et aux conciles particuliers, provinciaux ou pléniers, est prévue par le Code de Droit Canon(88); elle pourra favoriser la communion et aider la mission ecclésiale de l'Eglise particulière, autant dans ses propres limites qu'en relation avec les autres Eglises particulières de la province ecclésiastique ou de la conférence épiscopale.

Les conférences épiscopales sont invitées à étudier le moyen le plus pratique pour développer, sur le plan national ou régional, la consultation et la collaboration des fidèles laïcs, hommes et femmes, de façon à bien prendre conscience des problèmes communs et à manifester la communion ecclésiale de tous(89).

La paroisse

26. Tout en ayant une dimension universelle, la communion ecclésiale trouve son expression la plus immédiate et la plus visible dans la paroisse: celle-ci est le dernier degré de la localisation de l'Eglise; c'est, en un certain sens, l'Eglise elle-même qui vit au milieu des maisons de ses fils et de ses filles(90).

Nous devons tous redécouvrir, dans la foi, le vrai visage de la paroisse, c'est-à-dire le «mystère» même de l'Eglise présente et agissante en elle. Si parfois elle n'est pas riche de personnes et de moyens, si même elle est parfois dispersée sur des territoires immenses, ou indiscernable au milieu de quartiers modernes populeux et confus, la paroisse n'est pas, en premier lieu, une structure, un territoire, un édifice; c'est avant tout «la famille de Dieu, fraternité qui n'a qu'une âme»(91). C'est «une maison de famille, fraternelle et accueillante»(92); c'est «la communauté des fidèles»(93). En définitive, la paroisse est fondée sur une réalité théologique, car c'est une communauté eucharistique(94). Cela signifie que c'est une communauté apte à célébrer l'Eucharistie, en qui se trouvent la racine vivante de sa constitution et de sa croissance et le lien sacramentel de son être en pleine communion avec toute l'Eglise. Cette aptitude se fonde sur le fait que la paroisse est une communauté de foi et une communauté organique, c'est-à-dire constituée par des ministres ordonnées et par les autres chrétiens, sous la responsabilité d'un curé qui, représentant l'Evêque du diocèse(95), est le lien hiérarchique avec toute l'Eglise particulière.

Il est certain que le travail de l'Eglise, à notre époque, est immense; pour l'accomplir, la paroisse ne peut évidemment pas suffire à elle seule. C'est pourquoi le Code de Droit Canon prévoit des formes de collaboration entre paroisses dans un même district(96) et il recommande à l'Evêque le soin de toutes les catégories de fidèles, même celles qui ne sont pas touchées par les soins de la pastorale ordinaire(97). Beaucoup de lieux de rencontre, en effet, et divers modes de présence et d'action sont nécessaires pour porter la parole et la grâce de l'Evangile dans les conditions de vie si variées des hommes d'aujourd'hui; beaucoup d'autres modes de rayonnement spirituel et d'apostolat du milieu, dans le domaine culrel, social, éducatif, professionnel, etc., ne peuvent avoir la paroisse pour centre ou point de départ. Et pourtant, aujourd'hui encore, la paroisse vit une époque nouvelle et prometteuse. Paul VI, au début de son Pontificat, s'adressant au clergé romain, déclarait: «Nous croyons bien simplement que cette structure antique et vénérable qu'est la paroisse a une mission indispensable d'une grande actualité; c'est elle qui doit créer la première communauté du peuple chrétien; c'est elle qui doit l'initier à l'expression normale de la vie liturgique et le rassembler dans la célébration de la liturgie; c'est à elle qu'il revient de conserver et de raviver la foi dans les foules d'aujourd'hui; c'est elle encore qui doit leur fournir l'enseignement de la doctrine salvifique du Christ; à elle encore de pratiquer avec coeur et dévouement l'humble charité des oeuvres bonnes et fraternelles»(98).

Les Pères du Synode ont étudié très attentivement la situation actuelle de beaucoup de paroisses, et ont demandé qu'elles se renouvellent plus résolument: «Beaucoup de paroisses, tant dans les régions urbaines qu'en pays de mission, ne peuvent fonctionner avec plein succès par suite du manque de moyens matériels ou de ministres ordonnés, ou encore en raison des conditions spéciales de vie de certains chrétiens (comme, par exemple, les exilés et les immigrés). Pour que toutes ces paroisses soient de vraies communautés chrétiennes, les autorités locales doivent favoriser: a) l'adaptation des structures paroissiales avec la grande souplesse accordée par le Droit Canon, surtout en favorisant la participation des laïcs aux responsabilités pastorales; b) les petites communautés ecclésiales de base, que l'on appelle aussi communautés de vie, où les fidèles puissent se communiquer mutuellement la Parole de Dieu et s'exprimer dans le service de l'amour; ces communautés sont d'authentiques expressions de la communion ecclésiale et des centres d'évangélisation, en communion avec leurs Pasteurs»(99). Pour le renouveau des paroisses et pour mieux assurer leur efficacité opératoire, on devra favoriser des formes de coopération, mêmes institutionelles, entre les différentes paroisses d'un même territoire.

Engagement apostolique dans la paroisse

27. Voyons maintenant de plus près la communion et la participation des fidèles laïcs à la vie de la paroisse. Il faut ici rappeler à l'attention de tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, une parole si vraie, si pleine de sens et stimulante, du Concile: «Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire que, sans elle, l'apostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet»(100). C'est là une affirmation fondamentale, qui doit, de toute évidence, être comprise à la lumière de «l'ecclésiologie de communion»: parce qu'ils sont divers et complémentaires, les ministères et les charismes sont tous nécessaires à la croissance de l'Eglise, chacun selon sa propre modalité.

Les fidèles laïcs doivent être toujours plus convaincus du sens que prend leur engagement apostolique dans leur paroisse. C'est encore le Concile qui le souligne avec raison: «La paroisse offre un exemple remarquable d'apostolat communautaire, car elle rassemble dans l'unité toutes les diversités humaines qui se trouvent en elle et elle les insère dans l'universalité de l'Eglise. Que les laïcs prennent l'habitude de travailler dans la paroisse en étroite union avec leurs prêtres, d'apporter à la communauté ecclésiale leurs propres problèmes, ceux du monde et les questions qui concernent le salut des hommes, pour les examiner et les résoudre en tenant compte de l'avis de tous. Selon leurs possibilités, ils apporteront leur concours à toute entreprise apostolique et missionnaire de leur famille ecclésiale»(101).

L'allusion du Concile à l'examen et à la solution des problèmes pastoraux «avec le concours de tous» doit trouver son développement adéquat et bien structuré dans la mise en valeur la plus sincère, la plus large et la plus ferme des conseils pastoraux paroissiaux, sur lesquels les Pères du Synode ont à juste titre nettement insisté(102).

Dans la situation actuelle, les fidèles laïcs peuvent et doivent faire énormément pour la croissance d'une authentique communion ecclésiale à l'intérieur de leurs paroisses et pour éveiller l'élan missionnaire vers les incroyants et aussi vers ceux, parmi les croyants, qui ont abandonné ou laissé s'affaiblir la pratique de la vie chrétienne.

Si la paroisse est l'Eglise implantée au milieu des maisons des hommes, elle vit et agit insérée profondément dans la société humaine et intimement solidaire de ses aspirations et de ses drames. Bien souvent le contexte social, surtout en certains pays et certains milieux, subit les secousses violentes des forces de désagrégation et de déshumanisation: l'homme est égaré et désorienté, mais dans son coeur subsiste toujours plus le désir de pouvoir expérimenter et cultiver des rapports plus fraternels et plus humains. La réponse à ce désir, la paroisse peut la fournir si, grâce à la participation active des fidèles laïcs, elle reste fidèle à sa vocation et mission originelles: être dans le monde le «lieu» de la communion des croyants, et tout à la fois le «signe» et l'«instrument» de la vocation de tous à la communion; en un mot, la paroisse doit être la maison ouverte à tous, et au service de tous, ou, comme se plaisait à dire Jean XXIII, la fontaine du village à laquelle tout le monde vient étancher sa soif.

Formes de participation des fidèles laïcs dans la vie de l'Eglise

28. Les fidèles laïcs, unis aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, forment l'unique Peuple de Dieu, l'unique Corps du Christ.

Etre «membre» de l'Eglise, cela n'empêche pas chaque chrétien d'être un «être unique et irremplaçable»; tout au contraire cela donne son sens le plus profond à l'unicité irremplaçable de chacun, en tant que celle-ci est source de diversité et de richesse pour l'Eglise entière. C'est en ce sens que Dieu en Jésus-Christ appelle chacun de nous par son nom propre, qui ne peut prêter à confusion. L'appel du Seigneur: «Allez vous aussi à ma vigne» s'adresse à chacun personnellement et signifie: «Viens, toi aussi, à ma vigne!».

C'est ainsi que chacun de nous, dans son unicité irremplaçable, s'offre pour la croissance de la communion ecclésiale, par son être et par son agir, tout comme, par ailleurs, il reçoit et assimile, d'une façon qui lui est propre, la richesse de l'Eglise entière. C'est cela la «Communion des Saints» que nous affirmons dans le Credo: le bien de tous devient le bien de chacun et le bien de chacun devient le bien de tous. «Dans la Sainte Eglise _ écrit Saint Grégoire le Grand _ chacun est le soutien des autres et les autres sont le soutien de chacun»(103).

Formes personnelles de participation

Il est absolument nécessaire que chaque fidèle laïc ait toujours vive conscience d'être un «membre de l'Eglise», à qui est confiée une tâche originale, irremplaçable et qu'il ne peut déléguer, une tâche à remplir pour le bien de tous. Dans cette perspective, prend tout son sens l'affirmation du Concile sur la nécessité absolue de l'apostolat de chaque personne: «L'apostolat que chacun doit exercer personnellement et qui découle toujours d'une vie vraiment chrétienne (cf. Jn 4, 14) est le principe et la condition de tout apostolat des laïcs, même collectif, et rien ne peut le remplacer. Cet apostolat individuel est toujours et partout fécond, il est en certaines circonstances le seul adapté et le seul possible. Tous les laïcs y sont appelés et en ont le devoir, quelle que soit leur condition, même s'ils n'ont pas l'occasion ou la possibilité de collaborer dans des mouvements»(104).

L'apostolat personnel renferme de grandes richesses qui demandent à être découvertes pour une intensification du dynamisme missionnaire de chaque fidèle laïc. Grâce à cette forme d'apostolat, le rayonnement de l'Evangile peut s'exercer d'une façon très capillaire, en atteignant tous les lieux et les milieux avec qui est en contact la vie quotidienne et concrète des laïcs. Il s'agit, au surplus, d'un rayonnement constant, parce que lié à la cohérence continuelle de la vie personnelle avec la foi, et en même temps d'un rayonnement particulièrement incisif, parce que, dans un partage total des conditions de vie, de travail, des difficultés et des espérances de leurs frères, les fidèles laïcs peuvent atteindre le coeur de leurs voisins, de leurs amis, de leurs collègues, et l'ouvrir à l'horizon total, au sens plénier de l'existence: la communion avec Dieu et entre les hommes.

Formes collectives de participation

29. La communion ecclésiale, déjà présente et opérante dans l'action de chaque personne, trouve une expression spécifique dans l'action en commun des fidèles laïcs, c'est-à-dire une action solidaire menée dans une participation responsable à la vie et à la mission de l'Eglise.

Ces derniers temps, le phénomène d'association entre laïcs a pris des formes particulièrement variées et une grande vitalité. Si, dans l'histoire de l'Eglise, les associations de fidèles ont constitué une ligne continue, comme en témoignent jusqu'à nos jours les diverses confréries, les tiers-ordres et les fraternités, dans les temps modernes, ce phénomène a pris un essor spécial; on a vu naître et se répandre différentes formes de groupements: associations, groupes, communautés, mouvements. On peut parler d'une nouvelle saison d'association des fidèles laïcs. En effet, «à côté des groupements traditionnels, et parfois à leurs racines mêmes, ont germé des mouvements et groupements nouveaux, dotés d'une physionomie et d'une finalité spécifiques: tant sont grandes la richesse et la variété des ressources de l'Esprit Saint, dans le tissu ecclésial, tant sont grandes également la capacité d'initiative et la générosité de notre laïcat»(105).

Ces groupements de laïcs apparaissent souvent très différents les uns des autres en divers aspects, comme leur forme extérieure, les cheminements et les méthodes d'éducation, et les champs d'action. On y découvre cependant les lignes d'une convergence large et profonde dans la finalité qui les inspire: celle de participer de façon responsable à la mission de l'Eglise, qui est de porter l'Evangile du Christ comme source d'espérance pour l'homme et de renouveau pour la société.

Que des fidèles laïcs se regroupent pour des motifs spirituels et apostoliques, cela découle de plusieurs sources et correspond à des exigences diverses: c'est l'expression, en effet, de la nature sociale de la personne, et la réponse à un besoin d'efficacité plus vaste et plus mordante. En réalité, l'incidence «culturelle», source et aiguillon mais aussi fruit et signe de toute autre transformation du milieu et de la société, ne peut s'obtenir que par le travail non pas tant d'individus isolés que d'un «sujet social», c'est-à-dire d'un groupe, d'une communauté, d'une association, d'un mouvement. C'est surtout vrai dans le contexte d'une société pluraliste et fractionnée _ comme elle l'est aujourd'hui en tant de pays du monde _ et aussi en face de problèmes devenus excessivement complexes et difficiles. Par ailleurs, surtout lorsqu'il s'agit d'un monde sécularisé, les différentes formes de regroupement peuvent représenter pour beaucoup de gens une aide précieuse en vue d'une vie chrétienne fidèle aux exigences de l'Evangile et pour un engagement missionnaire et apostolique.

Au-delà de ces motifs, la raison la plus profonde qui justifie et exige le regroupement des fidèles laïcs est d'ordre théologique: c'est une raison ecclésiologique, comme le reconnaît ouvertement le Concile Vatican II, qui voit dans l'apostolat associé un «signe de la communion et de l'unité de l'Eglise dans le Christ»(106).

C'est un «signe» qui doit se manifester dans les rapports de «communion» autant à l'intérieur qu'à l'extérieur des diverses formes d'associations, dans le contexte très large de la communauté chrétienne. C'est précisément la raison ecclésiologique dont nous parlions plus haut qui explique, d'une part, le «droit» d'association propre aux fidèles laïcs et, d'autre part, la nécessité de «critères» de discernement pour vérifier l'authenticité ecclésiale des formes d'association.

Il faut avant tout reconnaître la liberté d'association des fidèles laïcs dans l'Eglise. Cette liberté est à proprement parler un droit véritable, qui ne dérive pas d'une sorte de «concession» de l'autorité, mais qui découle du Baptême, qui, en tant que sacrement, appelle les fidèles laïcs à participer activement à la communion et à la mission de l'Eglise. Sur ce point, le Concile parle clairement: «Le lien nécessaire avec l'autorité ecclésiastique étant assuré, les laïcs ont le droit de fonder des associations, de les diriger, et d'adhérer à celles qui existent»(107). Et le Code de Droit Canon affirme: «Les fidèles ont le droit de fonder et de diriger librement des associations de charité ou de piété, ou qui se proposent de travailler à l'extension de la vocation chrétienne dans le monde; ils ont aussi le droit de tenir des réunions afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins»(108).

Il s'agit ici d'une liberté reconnue et garantie par l'autorité ecclésiastique et qui doit s'exercer toujours et uniquement dans la communion de l'Eglise; en ce sens, le droit des fidèles laïcs à se réunir est essentiellement lié à la vie de communion et à la mission de l'Eglise elle-même.

Critères d'ecclésialité pour les associations de laïcs

30. C'est toujours dans cette perspective de la communion et de la mission de l'Eglise, et non pas en opposition avec la liberté d'association, qu'il faut comprendre la nécessité de critères bien clairs et précis de discernement et de reconnaissance des associations de laïcs, qu'on nomme aussi «critères d'ecclésialité».

Comme critères fondamentaux pour le discernement de toute association de fidèles laïcs dans l'Eglise on peut retenir, en les prenant ensemble, les critères suivants:

_ Le primat donné à la vocation de tout chrétien à la sainteté, manifesté «par les fruits de grâce que l'Esprit produit dans les fidèles»(109), comme croissance vers la plénitude de la vie chrétienne et la perfection de la charité(110).

En ce sens toute association de fidèles laïcs est appelée à être toujours davantage un moyen de sanctification dans l'Eglise, un moyen qui favorise et encourage «une union plus intime entre la vie concrète de leurs membres et leur foi»(111).

_ L'engagement à professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l'Eglise et sur l'homme, en conformité avec l'enseignement de l'Eglise, qui l'interprète de façon authentique. Toute association de fidèles laïcs devra donc être un lieu d'annonce et de proposition de la foi et d'éducation à cette même foi dans son contenu intégral.

_ Le témoignage d'une communion solide et forte dans sa conviction, en relation filiale avec le Pape, centre perpétuel et visible de l'unité de l'Eglise universelle(112), et avec l'Evêque, «principe visible et fondement de l'unité»(113) de l'Eglise particulière, et dans «l'estime mutuelle de toutes les formes apostoliques de l'Eglise»(114).

La communion avec le Pape et avec l'Evêque doit s'exprimer dans une disponibilité loyale à recevoir leurs enseignements doctrinaux et leurs directives pastorales. La communion ecclésiale exige, de plus, la reconnaissance du légitime pluralisme des fidèles laïcs dans l'Eglise et, en même temps, la disponibilité à une mutuelle collaboration.

_ L'accord et la coopération avec le but apostolique de l'Eglise, qui est «l'évangélisation et la sanctification des hommes, et la formation chrétienne de leur conscience, afin qu'ils soient en mesure de pénétrer de l'esprit de l'Evangile les diverses communautés et les divers milieux»(115).

Dans cette perspective, à toutes les formes d'association des fidèles laïcs et à chacune d'elles on demande qu'elles soient animées d'un élan missionnaire qui en fasse des instruments toujours plus actifs d'une nouvelle évangélisation.

_ L'engagement à être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de l'homme, conformément à la doctrine sociale de l'Eglise.

En ce sens, les associations de fidèles laïcs doivent devenir des courants vivants de participation et de solidarité pour créer des conditions plus justes et plus fraternelles à l'intérieur de la société.

Les critères fondamentaux que nous venons d'exposer trouvent une vérification dans les fruits concrets qui accompagnent la vie et les oeuvres des diverses formes associatives, en particulier le goût renouvelé pour la prière, la contemplation, la vie liturgique et sacramentelle; l'aide à la prise de conscience des vocations au mariage chrétien, au sacerdoce ministériel, à la vie consacrée; la disponibilité à prendre part aux programmes et aux activités de l'Eglise tant sur le plan national que sur le plan international; l'engagement dans la catéchèse et la capacité pédagogique pour la formation des chrétiens; l'impulsion à assurer une présence chrétienne dans les différents milieux de la vie sociale; la création et l'animation d'oeuvres caritatives, culturelles et spirituelles; l'esprit de détachement et de pauvreté évangélique en vue d'une plus généreuse charité envers tous; la conversion à la vie chrétienne ou le retour à la communion de baptisés «lointains».

Le service des Pasteurs pour la communion

31. Même dans le cas où certaines formes d'associations éprouvent de bien compréhensibles difficultés et où de nouvelles formes tendent à s'imposer, les Pasteurs de l'Eglise ne peuvent pas renoncer à l'exercice de leur autorité, non seulement pour le bien de l'Eglise, mais aussi pour le bien des associations de laïcs elles-mêmes. Il faut donc qu'ils doublent leur oeuvre de discernement d'un effort pour guider et surtout pour encourager la croissance des associations de fidèles laïcs dans la communion et la mission de l'Eglise.

Il est extrêmement opportun que certaines associations nouvelles et certains mouvements nouveaux, étant donné leur diffusion souvent nationale et même internationale, reçoivent une reconnaissance officielle, une approbation explicite de l'autorité ecclésiastique compétente. C'est dans ce sens déjà que le Concile affirmait: «Les liens de l'apostolat des laïcs avec la hiérarchie peuvent revêtir des modalités différentes selon la diversité des formes et des buts de cet apostolat... Certaines formes de l'apostolat des laïcs sont reconnues explicitement par la hiérarchie sous une forme ou sous une autre. En outre, eu égard aux exigences du bien commun de l'Eglise, l'autorité ecclésiastique peut choisir et promouvoir d'une façon spéciale certaines associations et institutions apostoliques, visant directement un but spirituel, et assumer à leur égard une responsabilité particulière»(116).

Parmi les diverses formes d'apostolat des laïcs qui ont un rapport particulier avec la Hiérarchie, les Pères du Synode ont rappelé explicitement divers mouvements et associations d'Action catholique, dans lesquels «les laïcs s'associent librement d'une manière organique et stable, sous l'impulsion de l'Esprit Saint, en communion avec l'Evêque et avec les prêtres, pour pouvoir travailler, de la manière la plus propre à leur vocation et avec une méthode particulière, à l'expansion de toute la communauté chrétienne, aux projets pastoraux et à l'animation évangélique de tous les milieux de vie, avec fidélité et zèle»(117).

Le Conseil Pontifical des Laïcs est chargé de préparer un tableau des associations qui reçoivent l'approbation officielle du Saint-Siège et de définir, avec le Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens, les conditions auxquelles peut être approuvée une association oecuménique où il y aurait une majorité catholique et une minorité non catholique; il doit aussi déterminer les cas où il est impossible de porter un jugement positif(118).

Tous, Pasteurs et fidèles, nous sommes tenus de favoriser et d'entretenir sans cesse l'existence de liens et de rapports fraternels d'estime, de cordialité, de collaboration entre les différentes formes d'associations de laïcs. C'est de cette façon seulement que la richesse des dons et des charismes que le Seigneur nous offre peut porter sa contribution féconde et ordonnée à l'édification de la maison commune: «Pour l'édification solidaire de la maison commune, il faut, en outre, que l'on renonce à tout esprit d'antagonisme et de contestation; qu'on rivalise plutôt dans l'estime mutuelle (cf. Rm 12, 10), dans le souci de se manifester affection et volonté de collaboration, avec la patience, la clairvoyance, la disponibilité au sacrifice que tout cela peut comporter» (119).

Revenons encore une fois aux paroles de Jésus: «Je suis la vigne et vous êtes les sarments» (Jn 15, 5), pour rendre grâce à Dieu du grand don de la communion ecclésiale, reflet dans le temps de l'éternelle et ineffable communion d'amour du Dieu Unique et Trinitaire. La conscience du don doit être accompagnée d'un sens très fort de responsabilité: en effet c'est un don qui, comme le talent évangélique, exige d'être transformé en une vie de communion croissante.

Etre responsable du don de la communion signifie, avant tout, être engagé à vaincre toute tentation de division et d'opposition, qui menace la vie et l'engagement apostolique des chrétiens. Le cri de douleur et de déception de l'apôtre Paul _ «J'entends que chacun de vous dit: "moi je suis à Paul, et moi à Apollos, et moi à Céphas, et moi au Christ"; le Christ est-il divisé?» (1 Co 1, 12-13) _ continue à retentir comme un reproche face aux «déchirements du corps du Christ». Par contre, que résonnent comme un appel persuasif les autres paroles de l'Apôtre: «Je vous en prie, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, ayez tous le même langage; qu'il n'y ait point parmi vous de divisions; soyez étroitement unis dans le même esprit et dans la même pensée» (1 Co 1, 10).

Ainsi la vie de communion ecclésiale devient un signe pour le monde et une force d'attraction qui conduit à croire au Christ: «Comme toi, Père, Tu es en moi et moi en Toi, qu'eux aussi soient en nous un seul être, afin que le monde croie que Tu m'as envoyé» (Jn 17, 21). De cette manière, la communion s'ouvre à la mission, elle se fait elle-même mission.

CHAPITRE III

JE VOUS AI ETABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET QUE VOUS PORTIEZ DU FRUIT
La co-responsabilité des fidèles laïcs dans l'Eglise-Mission

Communion missionnaire

32. Reprenons l'image biblique de la vigne et des sarments. Elle nous introduit de façon immédiate et naturelle à la considération de la fécondité et de la vie. Enracinés dans la vigne, vivifiés par elle, les sarments sont appelés à porter du fruit: «Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit» (Jn 15, 5). Porter du fruit est une exigence essentielle de la vie chrétienne et ecclésiale. Celui qui ne porte pas de fruit ne reste pas dans la communion: «Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, (mon Père) l'enlève» (Jn 15, 2).

La communion avec Jésus, d'où découle la communion des chrétiens entre eux, est absolument indispensable pour porter du fruit: «En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15, 5) Et la communion avec les autres est le fruit le plus beau que les sarments peuvent porter: c'est, en effet, un don du Christ et de son Esprit.

Or, la communion engendre la communion et se présente essentiellement comme communion missionnaire .Jésus, en effet, dit à ses disciples: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous donniez du fruit et que votre fruit demeure» (Jn 15, 16).

La communion et la mission sont profondément unies entre elles, elles se compénètrent et s'impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission: la communion est missionnaire et la mission est pour la communion. C'est toujours le même et identique Esprit qui appelle et unit l'Eglise et qui l'envoie prêcher l'Evangile «jusqu'aux extrémités de la terre» (Ac 1, 8). De son côté, l'Eglise sait que la communion, reçue en don, a une destination universelle. Ainsi donc, l'Eglise se sent débitrice, envers l'humanité entière et envers chaque homme, du don reçu de l'Esprit Saint, qui répand dans le coeur des croyants la charité de Jésus-Christ, force de cohésion interne et tout à la fois d'expansion au dehors. La mission de l'Eglise dérive de sa nature même, telle que le Christ l'a voulue: celle d'être «le signe et le moyen... de l'unité de tout le genre humain»(120). Cette mission a pour but de faire connaître et de faire vivre par tous la «nouvelle» communion qui, par le Fils de Dieu fait homme, est entrée dans l'histoire du monde. C'est en ce sens que le témoignage de l'évangéliste Jean définit de façon désormais irrévocable le terme «béatifiant» vers lequel tend l'entière mission de l'Eglise: «Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Et nous, nous sommes en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ» (1 Jn 1, 3).

Or, dans le contexte de la mission de l'Eglise, le Seigneur confie aux fidèles laïcs, en communion avec tous les autres membres du Peuple de Dieu, une grande part de responsabilité. Les Pères du Concile Vatican II en avaient bien conscience: «Les pasteurs savent bien l'importance de la contribution des laïcs au bien de l'Eglise entière. Ils savent qu'ils n'ont pas été eux-mêmes institués par le Christ pour assumer à eux seuls tout l'ensemble de la mission salutaire de l'Eglise à l'égard du monde, leur tâche magnifique consistant à remplir leur mission de pasteurs à l'égard des fidèles et à reconnaître les ministères et les grâces propres à ceux-ci d'une manière telle que tout le monde à sa façon et dans l'unité apporte son concours à l'oeuvre commune»(121). Leur conviction a été reprise ensuite,avec une clarté et une vigueur nouvelles, dans tous les travaux du Synode.

Annoncer l'Evangile

33. Les fidèles laïcs, précisément parce qu'ils sont membres de l'Eglise, ont la vocation et la mission d'annoncer l'Evangile: à cette activité ils sont habilités et engagés par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les dons du Saint Esprit.

Nous lisons déjà dans un texte clair et dense du Concile Vatican II: «Participant à la fonction du Christ, prêtre, prophète et roi, les laïcs ont leur part active dans la vie et l'action de l'Eglise ... Nourris par leur participation active à la vie liturgique de leur communauté, ils s'emploient avec zèle à ses oeuvres apostoliques; ils acheminent vers l'Eglise des hommes qui en étaient peut-être fort éloignés; ils collaborent avec ardeur à la diffusion de la parole de Dieu, particulièrement par les catéchismes; en apportant leur compétence, ils rendent plus efficace le ministère auprès des âmes, de même que l'administration des biens de l'Eglise»(122).

Or c'est dans l'évangélisation que se concentre et se déploie toute la mission de l'Eglise, dont le chemin historique se déroule sous la grâce et le commandement de Jésus-Christ: «Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création» (Mc 16, 15). «Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde» (Mt 28, 20). «Evangéliser _ écrit Paul VI _ c'est la grâce et la vocation propre de l'Eglise, son identité la plus profonde»(123).

Par le moyen de l'évangélisation, l'Eglise se construit et se forme comme communauté de foi; plus précisément, comme communauté d'une foi confessée dans l'adhésion à la Parole de Dieu, célébrée dans les sacrements, vécue dans la charité, qui est comme l'âme de l'existence morale chrétienne. En effet, la «bonne nouvelle» tend à éveiller dans le coeur et dans la vie de l'homme la conversion et l'attachement personnel à Jésus-Christ, Sauveur et Seigneur; elle dispose au Baptême et à l'Eucharistie et elle se renforce dans la résolution et la réalisation de la vie nouvelle selon l'Esprit.

Il est bien certain que le commandement de Jésus _ «Allez et prêchez l'Evangile» _ garde toujours vivante sa valeur et s'impose avec une urgence qui ne faiblit pas. Toutefois la situation actuelle, non seulement du monde mais aussi de tant de secteurs de l'Eglise, exige absolument que la parole du Christ reçoive une obéissance plus prompte et généreuse. Chaque disciple est appelé personnellement; aucun ne peut refuser de donner sa réponse personnelle: «Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile» (1 Co 9, 16).

L'heure est venue d'entreprendre une nouvelle évangélisation

34. Des pays et des nations entières où la religion et la vie chrétienne étaient autrefois on ne peut plus florissantes et capables de faire naître des communautés de foi vivante et active sont maintenant mises à dure épreuve et parfois sont même radicalement transformées, par la diffusion incessante de l'indifférence religieuse, de la sécularisation et de l'athéisme. Il s'agit en particulier des pays et des nations de ce qu'on appelle le Premier Monde, où le bien-être économique et la course à la consommation, même s'ils côtoient des situations effrayantes de pauvreté et de misère, inspirent et alimentent une vie vécue «comme si Dieu n'existait pas». Actuellement l'indifférence religieuse et l'absence totale de signification qu'on attribue à Dieu, en face des problèmes graves de la vie, ne sont pas moins préoccupantes ni délétères que l'athéisme déclaré. La foi chrétienne, même lorsqu'elle survit en certaines de ses manifestations traditionnelles et rituelles, tend à être arrachée des moments les plus importants de l'existence, comme les moments de la naissance, de la souffrance et de la mort. De là vient que se posent forcément des questions et des énigmes terribles; elles restent sans réponse, et l'homme d'aujourd'hui se trouve exposé à la déception désespérée ou à la tentation de détruire la vie humaine elle-même, qui pose de tels problèmes.

En d'autres pays ou nations, au contraire, on conserve encore beaucoup de traditions très vivantes de piété et de sentiment chrétien; mais ce patrimoine moral et spirituel risque aussi de disparaître sous la poussée de nombreuses influences, surtout celles de la sécularisation et de la diffusion des sectes. Seule une nouvelle évangélisation peut garantir la croissance d'une foi claire et profonde, capable de faire de ces traditions une force de réelle liberté.

Assurément il est urgent partout de refaire le tissu chrétien de la société humaine. Mais la condition est que se refasse le tissu chrétien des communautés ecclésiales elles-mêmes qui vivent dans ces pays et ces nations.

Les fidèles laïcs sont donc aujourd'hui, en vertu de leur participation à la fonction prophétique du Christ, pleinement engagés dans cette tâche de l'Eglise. A eux, en particulier, il revient de témoigner que la foi constitue la seule réponse pleinement valable, que tous, plus ou moins consciemment, entrevoient et appellent, aux problèmes et aux espoirs que la vie suscite en chaque homme et en toute société. Cela sera possible si les fidèles laïcs savent surmonter en eux-mêmes la rupture entre l'Evangile et la vie, en sachant créer dans leur activité de chaque jour, en famille, au travail, en société, l'unité d'une vie qui trouve dans l'Evangile inspiration et force de pleine réalisation.

A tous les hommes d'aujourd'hui, je répète, une fois encore, le cri passionné par lequel j'ai ouvert mon service pastoral: «N'ayez pas peur, ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ! A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques comme les systèmes politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur! Le Christ sait "ce qu'il y a dans l'homme". Seul Lui le sait. Aujourd'hui, bien souvent, l'homme ne sait pas ce qu'il porte au-dedans de lui-même, dans l'intime de son âme, dans les profondeurs de son coeur. De là vient que bien souvent il est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est envahi par le doute, qui se change en désespoir. Permettez _ je vous en prie, je vous implore en toute humilité et confiance _ permettez au Christ de parler à l'homme. Seul Lui a des paroles de vie, oui, de vie éternelle»(124).

Ouvrir toutes grandes les portes au Christ, l'accueillir dans l'espace de sa propre existence humaine ne comporte aucune menace pour l'homme; bien au contraire, c'est le seul chemin à parcourir si l'on veut reconnaître l'homme dans sa vérité totale et l'exalter dans ses valeurs.

La synthèse vitale que les fidèles laïcs sauront opérer entre l'Evangile et les devoirs quotidiens de la vie sera le témoignage le plus beau et le plus convaincant pour montrer que ce n'est pas la peur, mais la recherche du Christ et l'attachement à sa personne qui sont le facteur déterminant pour que l'homme vive et grandisse, et pour que naissent de nouveaux modèles de vie plus conformes à la dignité humaine.

L'homme est aimé de Dieu! Telle est l'annonce si simple et si bouleversante que l'Eglise doit donner à l'homme. La parole et la vie de chaque chrétien peuvent et doivent faire retentir ce message: Dieu t'aime. Le Christ est venu pour toi, pour toi le Christ est «le Chemin, la Vérité et la Vie!» (Jn 14, 6).

Cette nouvelle évangélisation, qui s'adresse non seulement à chacune des personnes, mais aussi à des groupes entiers de populations dans la diversité de leurs situations, de leurs milieux, de leurs cultures, est destinée à la formation de communions ecclésiales mûres, c'est-à-dire où la foi répand et réalise tout son sens originel d'adhésion à la personne du Christ et à son Evangile, de rencontre et de communion sacramentelle avec Lui, d'existence vécue dans la charité et le service.

Les fidèles laïcs ont leur rôle à jouer dans la formation de ces communautés ecclésiales, non seulement par une participation active et responsable à la vie communautaire, et donc par leur témoignage irremplaçable, mais aussi par l'élan et l'action missionnaires en direction de tous ceux qui n'ont pas encore la foi ou qui ne vivent pas selon la foi reçue au Baptême.

En faveur des nouvelies générations, les fidèles laïcs ont à apporter une contribution précieuse, plus nécessaire que jamais, par un effort systématique de catéchèse. Les Pères du Synode ont manifesté leur gratitude pour le travail des catéchistes, reconnaissant qu'ils ont «une tâche de grande valeur dans l'animation des communautés ecclésiales»(125). Il va de soi que les parents chrétiens sont les premiers catéchistes, irremplaçables, de leurs enfants, habilités qu'ils sont à cette tâche par le sacrement du Mariage. Mais nous devons tous, en même temps, être convaincus du «droit» qui est celui de tout baptisé d'être instruit, éduqué, accompagné dans la foi et dans la vie chrétienne.

Allez dans le monde entier

35. L'Eglise, qui observe et vit l'urgence actuelle d'une nouvelle évangélisation, ne peut esquiver la mission permanente qui est celle de porter l'Evangile à tous ceux qui _ et ils sont des millions et des millions d'hommes et de femmes _ ne connaissent pas encore le Christ Rédempteur de l'homme. C'est là la tâche la plus spécifiquement missionnaire que Jésus a confiée et de nouveau confie chaque jour à Son Eglise.

Le travail des fidèles laïcs, qui par ailleurs n'a jamais fait défaut dans ce domaine, se révèle aujourd'hui toujours plus nécessaire et de plus grand prix. En fait, l'ordre du Seigneur _ «Allez dans le monde entier» _ continue à trouver beaucoup de laïcs généreux, prêts à quitter leur milieu de vie, leur travail, leur province, et leur patrie, pour se rendre, au moins pour une période déterminée, en pays de mission. Même des couples chrétiens, à l'exemple d'Aquila et de Priscille (cf. Ac 18; Rm 16, 3 et suiv.), offrent un témoignage réconfortant d'amour passionné du Christ et de l'Eglise par leur présence active dans des pays de mission. Autre présence missionnaire authentique, celle de chrétiens qui, vivant pour des motifs divers dans des pays ou des milieux où l'Eglise n'est pas encore établie, témoignent de leur propre foi.

Mais le problème missionnaire se présente de nos jours à l'Eglise avec une ampleur et une gravité telles que seule une prise en charge vraiment solidaire des responsabilités de la part de tous les membres de l'Eglise, individuellement ou en groupe, peut donner l'espoir d'une réponse plus efficace.

L'invitation que le Concile Vatican II a adressée aux Eglises particulières garde toute sa valeur; elle demande même aujourd'hui un accueil plus étendu et plus décidé: «L'Eglise particulière, étant tenue de représenter le plus parfaitement possible l'Eglise universelle, doit savoir nettement qu'elle a été envoyée aussi ceux qui ne croient pas au Christ» (126).

L'Eglise doit faire aujourd'hui un grand pas en avant dans l'évangélisation, elle doit entrer dans une nouvelle étape historique de son dynamisme missionnaire. En un monde où ont été éliminées les distances et qui se fait plus petit, les communautés ecclésiales doivent s'unir entre elles, échanger leurs énergies et leurs moyens, s'engager ensemble dans l'unique et commune mission d'annoncer et de vivre l'Evangile. «Les Eglises qu'on appelle jeunes Eglises _ ont déclaré les Pères du Synode _ ont besoin de la force des Eglises anciennes, et en même temps celles-ci ont besoin du témoignage et de la poussée des jeunes Eglises, de sorte que chacune de ces Eglises puise aux richesses des autres»(127).

Au cours de cette nouvelle étape, la formation non seulement d'un clergé local mais aussi d'un laïcat mûr et responsable se pose dans les jeunes Eglises comme élément essentiel et inéluctable de l'implantation de l'Eglise(128). Et ainsi les communautés évangélisées s'élancent elles-mêmes vers de nouveaux pays du monde pour répondre à leur tour à la mission d'annoncer l'Evangile du Christ et d'en porter témoignage.

Par l'exemple de leur vie et par leur action, les fidèles laïcs peuvent améliorer les rapports entre les adeptes des différentes religions, comme l'ont noté fort à propos les Pères du Synode: «Aujourd'hui l'Eglise vit partout au milieu d'hommes pratiquant des religions différentes ... Tous les fidèles, spécialement les laïcs qui vivent au milieu de peuples d'autres religions, que ce soit leur pays d'origine ou un pays où ils ont émigré, ces laïcs devront être pour les habitants de ces pays un signe du Seigneur et de son Eglise, d'une façon adaptée aux circonstances de vie de chaque pays. Le dialogue entre les religions est de toute première importance parce qu'il conduit à l'amour et au respect réciproque; il efface ou tout au moins atténue les préjugés entre les adeptes des diverses religions et promeut l'unité et l'amitié entre les peuples»(129).

Pour l'évangélisation des peuples, il faut avant tout des apôtres. A cette fin, nous devons tous, à commencer par les familles chrétiennes, percevoir la responsabilité qui est la nôtre de favoriser l'essor et la maturation de vocations spécifiquement missionnaires, sacerdotales, religieuses ou laïques, en usant de tous les moyens favorables, sans jamais négliger le moyen privilégié qu'est la prière, selon la parole même du Seigneur Jésus: «La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson» (Mt 9, 37-38).

Vivre l'Evangile en servant les personnes et la société

36. En recevant et en annonçant l'Evangile dans la force de l'Esprit, l'Eglise devient une communauté évangélisée et évangélisante, et par là elle se fait la servante des hommes. En son sein, les fidèles laïcs participent à la mission de servir la personne et la société. Il est certain que l'Eglise a comme fin suprême le Royaume de Dieu, dont «elle constitue sur terre le germe et le commencement»(130), elle est donc totalement consacrée à la glorification du Père. Mais le Royaume est source de complète libération et de salut total pour les hommes: l'Eglise avance donc avec les hommes et vit dans une solidarité totale et intime avec leur histoire.

Ayant reçu la charge de manifester au monde le mystère de Dieu qui resplendit en Jésus-Christ, l'Eglise, en même temps, révèle l'homme à l'homme lui-même; elle lui enseigne le sens de son existence, elle l'introduit dans la vérité totale sur lui-même et sur son destin(131). Dans cette perspective, l'Eglise est appelée, en vertu même de sa mission évangélisatrice, à servir l'homme. Ce service s'enracine tout d'abord dans le fait prodigieux et bouleversant que, «par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme»(132).

C'est pourquoi l'homme «est la première route que l'Eglise doit suivre pour l'accomplissement de sa mission: il est la première route fondamentale de l'Eglise, route tracée par le Christ, route qui passe à travers le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption»(133).

C'est précisément dans ce sens qu'à plusieurs reprises et avec une clarté et une force particulières, le Concile Vatican II s'est exprimé dans ses divers documents. Relisons le texte singulièrement éclairant de la Constitution Gaudium et spes: «L'Eglise, en poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne communique pas seulement à l'homme la vie divine; elle répand aussi, et d'une certaine façon sur le monde entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en guérissant et en élevant la dignité de la personne humaine, en affermissant la cohésion de la société et en procurant à l'activité quotidienne des hommes un sens plus profond, la pénétrant d'une signification plus haute. Ainsi, par chacun de ses membres comme par toute la communauté qu'elle forme, l'Eglise croit pouvoir largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire»(134).

Dans cette contribution apportée à la famille des hommes, dont l'Eglise porte la responsabilité, une place spéciale revient aux fidèles laïcs, en raison de leur «caractère séculier» qui les engage, selon des modalités propres et irremplaçables, «dans l'animation chrétienne de l'ordre temporel».

Promouvoir la dignité de la personne

37. Découvrir et faire découvrir la dignité inviolable de toute personne humaine constitue une tâche essentielle et même, en un certain sens, la tâche centrale et unifiante du service que l'Eglise, et en elle les fidèles laïcs, est appelée à rendre à la famille des hommes.

Parmi toutes les créatures terrestres, seul l'homme est une «personne, sujet conscient et libre», et, pour cela, «centre et sommet» de tout ce qui existe sur la terre(135).

Sa dignité de personne est le bien le plus précieux que l'homme possède, grâce à quoi il dépasse en valeur tout le monde matériel. La parole de Jésus _ «Que sert à l'homme de gagner le monde entier, s'il se porte tort à lui-même?» (Mc 8, 36) _ implique une affirmation anthropologique lumineuse et stimulante: l'homme ne vaut pas par ce qu'il «a» _ même s'il possédait le monde entier! _ mais par ce qu'il «est».Les biens du monde ne comptent pas autant que le bien de la personne, le bien qui est la personne même.

La dignité de la personne se manifeste dans tout son éclat quand on en considère l'origine et la destinée: créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, et racheté par le Sang très précieux du Christ, l'homme est appelé à être «fils dans le Fils» et temple vivant de l'Esprit, et destiné à l'éternelle vie de communion béatifiante avec Dieu. Pour ces raisons, toute violation de la dignité personnelle de l'être humain crie vengeance en présence de Dieu et devient une offense au Créateur de l'homme.

En vertu de sa dignité personnelle, l'être humain est toujours une valeur en lui-même et pour lui-même, et il doit être considéré et traité comme tel; jamais il ne peut être considéré et traité comme un objet dont on se sert, un instrument, une chose.

La dignité personnelle constitue le fondement de l'égalité de tous les hommes entre eux. De là la nécessité absolue de refuser toutes les formes, si diverses, de discrimination, qui, hélas! continuent à diviser et à humilier la famille humaine, discriminations raciales, économiques, sociales, culturelles, politiques, géographiques, etc. Toute discrimination constitue une injustice absolument intolérable, non pas tant en raison des tensions et des conflits qu'elle peut engendrer dans le tissu social qu'en raison du déshonneur infligé à la dignité de la personne: et non seulement à la dignité de qui est victime de l'injustice, mais, davantage encore, de qui la commet.

Base de l'égalité de tous les hommes entre eux, la dignité de la personne est aussi le fondement de la participation et de la solidarité des hommes entre eux: le dialogue et la communion s'enracinent finalement en ce que les hommes «sont», plus encore qu'en ce que les hommes «ont».

La dignité personnelle est une propriété indestructible de tout être humain. Il est fondamental de noter toute la force explosive de cette affirmation qui se base sur l'unicité irremplaçable de toute personne. Il en découle que l'individu résiste de façon absolument irréductible à toute tentative d'écrasement ou d'anéantissement dans l'anonymat de la collectivité, de l'institution, de la structure, du système. La personne, dans son individualité, n'est pas un numéro, elle n'est pas un anneau dans une chaîne, ni un engrenage dans un système. L'affirmation la plus radicale et la plus exaltante de la valeur de tout être humain a été établie par le Fils de Dieu lorsqu'Il s'est incarné dans le sein d'une femme. De cela le Noël chrétien continue à nous parler(136).

Respecter le droit inviolable à la vie

38. La reconnaissance effective de la dignité personnelle de tout être humain exige le respect, la défense et la promotion des droits de la personne humaine. Il s'agit de droits naturels, universels et inviolables: personne, ni l'individu, ni le groupe, ni l'autorité, ni l'Etat, ne peut les modifier, encore moins les supprimer, parce que ces droits procèdent de Dieu Lui-même.

Or l'inviolabilité de la personne, reflet de l'absolue inviolabilité de Dieu Lui-même, trouve son expression première et fondamentale dans l'inviolabilité de la vie humaine. Il est juste, assurément, de parler des droits de l'homme _ comme, par exemple, le droit à la santé, au logement, au travail, à la famille, à la culture _ mais c'est propager l'erreur et l'illusion que d'en parler, comme on le fait souvent, sans défendre avec la plus grande vigueur le droit à la vie, comme droit premier, origine et condition de tous les autres droits de la personne.

L'Eglise ne s'est jamais avouée vaincue en face de toutes les violations que le droit à la vie, droit précisément de tout être humain, a subies et continue à subir de la part des particuliers ou des autorités elles-mêmes. Le sujet de ce droit c'est l'être humain, à tout moment de son développement, depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle; et en toutes les conditions, en santé ou en maladie, en état de perfection physique ou de handicap, de richesse ou de misère. Le Concile Vatican II le proclame très haut: «Tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur»(137).

Or si chacun a la mission et la responsabilité de reconnaître la dignité personnelle de tout être humain et de défendre son droit à la vie, certains fidèles laïcs sont appelés à le faire à un titre particulier: les parents, les éducateurs, le personnel médical et infirmier, et tous ceux qui assument le pouvoir économique et politique.

En accueillant avec amour et générosité toute vie humaine, surtout si elle est faible et malade, l'Eglise vit aujourd'hui un moment capital de sa mission, d'autant plus nécessaire que s'affirme davantage une «culture de mort». En effet «l'Eglise croit fermement que la vie humaine, même faible et souffrante, est toujours un magnifique don du Dieu de bonté. Contre le pessimisme et l'égoïsme qui obscurcissent le monde, l'Eglise prend parti pour la vie, et dans chaque vie humaine elle sait découvrir la splendeur de ce "Oui", de cet "Amen" qu'est le Christ (cf. 2 Co 1, 19; Ap 3, 14). Au "non" qui envahit et attriste l'homme et le monde, elle oppose ce "oui" vivant, défendant ainsi l'homme et le monde contre ceux qui menacent la vie et lui portent atteinte»(138). Il revient aux fidèles laïcs qui sont plus directement, par vocation ou par profession, responsables de l'accueil de la vie, de rendre concret et efficace le «Oui» de l'Eglise à la vie humaine.

Aux frontières de la vie humaine, de nouvelles possibilités et responsabilités se sont largement ouvertes grâce à l'énorme développement des sciences biologiques et médicales, qui va de pair avec les progrès étonnants de la technologie: l'homme est en mesure aujourd'hui non seulement «d'observer» mais aussi de «manipuler»la vie humaine dès sa première origine et dans les premiers stades de son développement.

La conscience morale de l'humanité ne peut rester étrangère ni indifférente devant les pas de géant réalisés par un pouvoir technologique qui conquiert une emprise toujours plus vaste et plus profonde sur les dynamismes qui président à la procréation et aux premières phases du développement de la personne humaine. Jamais peut-être autant qu'aujourd'hui et qu'en ce domaine la Sagesse ne s'est révélée la seule ancre de salut, pour que l'homme, dans la recherche scientifique et dans la recherche appliquée, puisse agir toujours avec intelligence et amour, ce qui veut dire en respectant, ou mieux encore, en vénérant l'inviolable dignité personnelle de tout être humain, dès le premier moment de son existence. C'est ce qui se réalise lorsque, avec des moyens licites, la science et la technique s'engagent dans la défense de la vie et dans le soin des maladies dès le commencement, se refusant au contraire _ au nom de la dignité même de la recherche _ aux interventions qui altéreraient le patrimoine génétique de l'individu et de la race humaine(139).

Les fidèles laïcs qui se trouvent, à des titres et à des plans divers, engagés dans la science et la technique, comme aussi ceux qui ont une responsabilité médicale, sociale, législative ou économique, doivent avec courage accepter «les défis» lancés par les nouveaux problèmes de la bioéthique. Comme l'ont affirmé les Pères du Synode: «Les chrétiens doivent exercer leur responsabilité comme maîtres de la science et de la technologie et non pas comme leurs esclaves ... Dans la perspective des "défis" moraux qui vont être provoqués par la formidable puissance technologique nouvelle et qui mettent en péril non seulement les droits fondamentaux des hommes, mais jusqu'à l'essence biologique de l'espèce humaine, il est de la plus haute importance que les laïcs chrétiens _ avec l'aide de l'Eglise entière _ assument la charge de rappeler la culture aux principes d'un authentique humanisme, afin que la promotion et la défense des droits de l'homme puissent trouver un fondement dynamique et solide dans son essence même, cette essence que la prédication évangélique a révélée aux hommes»(140).

Aujourd'hui, la plus grande vigilance s'impose à tous de façon urgente devant le phénomène de la concentration du pouvoir, et en premier lieu, du pouvoir technologique. Cette concentration, en effet, tend à manipuler non seulement l'essence biologique, mais encore l'intérieur même de la conscience des hommes, et leurs modes de vie, et aggrave ainsi la discrimination et la marginalisation de peuples entiers.

Libres d'invoquer le Nom du Seigneur

39. Le respect de la dignité de la personne, qui comporte la défense et la promotion des droits de l'homme, exige que soit reconnue la dimension religieuse de l'homme. Ce n'est pas là une exigence simplement «confessionnelle», mais bien une exigence qui trouve sa racine indestructible dans la réalité même de l'homme. Le rapport avec Dieu, en effet, est un élément constitutif de l'«être» et de l'«existence» de l'homme: c'est en Dieu qu'il «nous est donné de vivre, de nous mouvoir et d'exister» (Ac 17, 28). Si tous n'admettent pas cette vérité, tous ceux qui en sont pénétrés ont le droit au respect de leur foi et des choix de vie, individuelle ou communautaire, qui en dérivent. C'est cela le droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse; le reconnaître effectivement, c'est l'un des biens les plus nobles et l'un des devoirs les plus graves de chaque peuple, s'il veut vraiment assurer le bien de la personne et de la société: «La liberté religieuse, exigence indestructible de la dignité de tout homme, est une pierre angulaire de l'édifice des droits de l'homme, et donc un facteur irremplaçable du bien de la personne et de toute la société, comme elle l'est de l'épanouissement personnel de chacun. Il en découle que la liberté pour les individus et les communautés de professer et de pratiquer sa religion est un élément essentiel de la cohabitation pacifique des hommes ... Le droit civil et social à la liberté religieuse, parce qu'il touche à la sphère la plus intime de l'esprit, se manifeste comme le point de référence et, en un certain sens, devient la mesure des autres droits fondamentaux»(141).

Le Synode n'a pas oublié les nombreux frères et soeurs qui ne jouissent pas encore de ce droit, et qui doivent affronter tant de difficultés, de marginalisations, de souffrances, de persécutions et parfois la mort, à cause de la confession de leur foi. Le plus grand nombre d'entre eux sont des frères et des soeurs qui appartiennent au laïcat chrétien. L'annonce de l'Evangile et le témoignage d'une vie chrétienne dans la souffrance et dans le martyre constituent le sommet de l'apostolat des disciples du Christ, tout comme l'amour du Seigneur Jésus jusqu'au don de sa propre vie constitue une source extraordinairement féconde pour l'édification de l'Eglise. La vigne mystique témoigne ainsi de sa vigueur, comme le notait Saint Augustin: «Cette vigne, comme l'avaient annoncé les Prophètes et le Seigneur Lui-même, répandait sur le monde entier ses sarments chargés de fruits et devenait d'autant plus vigoureuse qu'elle était davantage arrosée du sang abondant des martyrs»(142).

L'Eglise tout entière est profondément reconnaissante pour cet exemple et pour ce don: en ces chrétiens si généreux, elle trouve un motif de renouveler son élan de vie sainte et apostolique. C'est dans ce sens que les Pères du Synode ont estimé qu'il était de leur devoir spécialement «de remercier les laïcs qui vivent en infatigables témoins de la foi, fidèlement unis au Siège Apostolique, en dépit des restrictions imposées à leur liberté et de la privation où ils sont de ministres sacrés. Ils mettent tout en jeu, jusqu'à leur vie. Ainsi les laïcs fournissent le témoignage d'une caractéristique essentielle de l'Eglise, à savoir: l'Eglise de Dieu naît de la grâce de Dieu, et nous en voyons la manifestation la plus sublime dans le martyre»(143).

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici sur le respect de la dignité de la personne et sur la reconnaissance des droits de l'homme concerne bien sûr la responsabilité de chaque chrétien, de chaque homme. Mais il nous faut noter aussitôt que ce problème a une dimension mondiale: c'est, en effet, une question qui touche des groupes humains entiers, et même des peuples entiers, qui sont violemment frappés dans leurs droits fondamentaux. Ces formes d'inégalité dans le développement entre les différents Mondes sont très nettement dénoncées dans la récente Encyclique Sollicitudo rei socialis.

Le respect de la personne humaine dépasse l'exigence d'une morale individuelle et elle s'établit comme un critère de base, comme le pilier fondamental, pour ainsi dire, en vue de la structuration de la société elle-même, étant donné que la société tout entière a comme finalité la personne.

Ainsi donc, c'est en liaison étroite avec la responsabilité de servir la personne que se situe la responsabilité de servir la société. On peut définir globalement de cette manière la mission d'animation chrétienne de l'ordre temporel que les fidèles sont appelés à remplir selon leurs modalités propres et spécifiques.

La famille, premier espace de l'engagement social

40. La personne humaine a dans sa structure naturelle une dimension sociale, car, au plus profond d'elle-même, elle est appelée à vivre en communion avec les autres, et à se donner aux autres: «Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent mutuellement comme des frères»(144). Ainsi la société, fruit et signe du caractère social de l'homme, manifeste sa pleine réalité lorsqu'elle est une communauté de personnes.

Il existe une interdépendance et une réciprocité entre personne et société: tout ce qui se fait en faveur de la personne est fait au service de la société, et tout ce qui se fait pour la société tourne aussi au bien de la personne. C'est pourquoi l'engagement apostolique des fidèles laïcs dans l'ordre temporel prend toujours et inséparablement le sens d'un service rendu à la personne individuelle, dans son unicité irremplaçable, et le sens d'un service rendu à tous les hommes.

L'expression première et originelle de la dimension sociale de la personne, c'est le couple et la famille: «Mais Dieu n'a pas créé l'homme solitaire: dès l'origine, "Il les créa homme et femme" (Gn 1, 27). Cette société de l'homme et de la femme est l'expression première de la communion des personnes»(145). Jésus a eu soin de restituer au couple toute sa dignité et à la famille sa solidité (cf. Mt 19, 3-9); Saint Paul a montré le rapport profond du mariage avec le mystère du Christ et de l'Eglise (cf. Ep 5, 22 et 6, 4; Col 3, 18-21; 1 P 3, 1-7).

Le couple et la famille constituent le premier espace pour l'engagement social des fidèles laïcs. C'est un engagement qui ne peut être assumé de façon valable que dans la conviction de la valeur unique et irremplaçable de la famille pour le développement de la société et de l'Eglise elle-même.

Berceau de la vie et de l'amour, dans lequel l'homme «naît» et «grandit», la famille est la cellule fondamentale de la société. A cette communauté, il faut réserver une sollicitude privilégiée, chaque fois surtout que l'égoïsme humain, les campagnes contre la natalité, et aussi les conditions de pauvreté et de misère physique, culturelle et morale, et encore la mentalité de recherche du plaisir et de course à la consommation, tarissent les sources de la vie, pendant que les idéologies et différents systèmes, ainsi que des formes d'absence d'intérêt et de manque d'affection, s'attaquent à la fonction éducative propre à la famille.

Dans ces conditions, il est urgent de déployer une activité vaste, profonde et systématique, soutenue non seulement par la culture mais encore par des moyens économiques et des institutions législatives, dans le but d'assurer à la famille sa place de lieu premier d'«humanisation» de la personne et de la société.

L'engagement apostolique des fidèles laïcs envers la famille est avant tout de rendre celleci consciente de son identité, qui est d'être le premier noyau social de base, et aussi de son rôle original dans la société, afin qu'elle devienne elle-même toujours davantage la protagoniste active et responsable de sa propre croissance et de sa propre participation à la vie sociale. De cette façon, la famille pourra et devra exiger de tous, et d'abord des autorités publiques, le respect de ses droits qui, en sauvant la famille, sauvent la société elle-même.

Ce que tous peuvent lire dans l'Exhortation Familiaris consortio au sujet de la participation de la famille au développement de la société(146) et ce que le Saint-Siège, à l'invitation du Synode des Evêques en 1980, a formulé dans la «Charte des Droits de la Famille» constitue un programme d'action complet et organique pour tous les fidèles laïcs qui, à des titres divers, sont intéressés à la promotion des valeurs et des exigences de la famille: un programme dont la réalisation est à mener avec d'autant plus de promptitude et de décision que se font plus graves les menaces contre la stabilité et la fécondité de la famille et que plus lourde et plus systématique se révèle la tendance à marginaliser la famille et à annihiler son importance sociale.

L'expérience le montre, la civilisation et la solidité des peuples dépendent surtout de la qualité humaine de leurs familles. De là vient que l'engagement apostolique envers la famille a une valeur sociale incomparable. L'Eglise en est profondément convaincue; elle sait bien que «l'avenir de l'humanité passe par la famille»(147).

La charité, âme et soutien de la solidarité

41. Le service de la société s'exprime et se réalise de manières très variées: depuis celles qui sont libres et informelles jusqu'à celles qui ont un caractère institutionnel, depuis le secours porté aux personnes en particulier à celui qui va à des groupes divers et à des communautés de personnes.

L'Eglise entière comme telle est directement appelée au service de la charité: «La Sainte Eglise en joignant l'agapè à la Cène eucharistique se manifestait tout entière réunie autour du Christ par le lien de la charité; ainsi en tout temps elle se fait reconnaître à ce signe d'amour; tout en se réjouissant des initiatives d'autrui, elle tient aux oeuvres charitables comme à une partie de sa mission propre et comme à un droit inaliénable. C'est pourquoi la miséricorde envers les pauvres et les faibles, les oeuvres dites de charité et de secours mutuel pour le soulagement de toutes les souffrances humaines sont en particulier honneur»(148). La charité envers le prochain, sous les formes anciennes et toujours nouvelles des oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, représente le contenu le plus immédiat, le plus commun et le plus habituel de l'animation chrétienne de l'ordre temporel, qui constitue l'engagement spécifique des fidèles laïcs.

Par leur charité envers le prochain les fidèles laïcs vivent et manifestent leur participation à la royauté de Jésus-Christ, c'est-à-dire au pouvoir du Fils de l'homme qui «n'est pas venu pour être servi, mais pour servir» (Mc 10, 45): ils vivent et manifestent cette royauté de la façon la plus simple, à la portée de tous et toujours, et tout à la fois de la façon la plus exaltante, parce que la charité est le don le plus élevé que l'Esprit offre pour l'édification de l'Eglise (cf. 1 Co 13, 13) et pour le bien de l'humanité: La charité, en effet, anime et soutient une solidarité active, très attentive à la totalité des besoins de l'être humain.

Une pareille charité, pratiquée non pas seulement par des particuliers, mais aussi solidairement par des groupes et des communautés, est et sera toujours nécessaire: rien ni personne ne pourra en tenir lieu, pas même les nombreuses institutions et les initiatives publiques, qui cependant s'efforcent de répondre aux besoins _ souvent graves et étendus aujourd'hui _ d'une population. Paradoxalement, cette charité se fait plus nécessaire du fait que les institutions, qui deviennent compliquées dans leur organisation et prétendent gérer tout domaine disponible, finissent par être neutralisées par un fonctionnarisme impersonnel, une bureaucratie exagérée, des intérêts privés excessifs, un désintéressement facile et généralisé.

C'est justement dans ce contexte que continuent à surgir et à se répandre, en particulier dans les sociétés organisées, différentes formes de bénévolat, qui s'expriment en une multitude de services et d'oeuvres. Bien vécu dans sa vérité de service désintéressé en faveur des personnes, spécialement des plus nécessiteuses et des plus négligées par les services sociaux eux-mêmes, le bénévolat doit être considéré comme une expression importante d'apostolat où les fidèles laïcs, hommes et femmes, ont un rôle de premier plan.

Destinataires et participants de la vie politique

42. La charité qui aime et qui sert la personne ne doit pas se séparer de la justice: l'une et l'autre, chacune à sa manière, exigent la reconnaissance totale et effective des droits de la personne, à laquelle est ordonnée la société avec toutes ses structures et ses institutions(149). Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel, dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la «politique», à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises: tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique; cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique.

A l'inverse, la parole du Concile Vatican II est des plus significatives: «L'Eglise tient en grande considération et estime l'activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assument les charges pour le service de tous»(150).

Une politique pour la personne et pour la société trouve son critère fondamental dans la poursuite du bien commun, en tant que bien de tous les hommes et bien de tout homme, bien offert et garanti à l'accueil libre et responsable des personnes, individuellement ou en association: «La communauté politique existe pour le bien commun; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification, et c'est de lui qu'elle tire l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprend l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement»(151).

Au surplus, une politique pour la personne et pour la société prend comme orientation constante la défense et la promotion de la justice, comprise comme une «vertu» à laquelle il faut former tout le monde, et comme une «force» morale qui soutient ceux qui s'efforcent de favoriser les droits et les devoirs de tous et de chacun sur la base de la dignité personnelle de l'être humain.

L'exercice du pouvoir politique doit se baser sur l'esprit de service qui, joint à la compétence et à l'efficacité nécessaires, est indispensable pour rendre «transparente» et «propre» l'activité des hommes politiques, comme du reste le peuple l'exige fort justement. Cela requiert la lutte ouverte et la victoire contre certaines tentations, comme le recours à des manoeuvres déloyales, au mensonge, le détournement des fonds publics au profit de quelques-uns ou à des fins de «clientélisme», l'usage de procédés équivoques et illicites pour conquérir, maintenir et élargir le pouvoir à tout prix.

Les fidèles laïcs engagés dans la politique doivent sans le moindre doute respecter l'autonomie des réalités terrestres, à comprendre dans le sens où la définit la Constitution Gaudium et spes: «... Il est d'une haute importance que l'on ait une vue juste des rapports entre la communauté politique et l'Eglise; et que l'on distingue nettement entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu'ils mènent au nom de l'Eglise, en union avec leurs pasteurs. L'Eglise, qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine»(152). En même temps _ et ceci est ressenti comme une urgence et une responsabilité _ les fidèles laïcs doivent porter témoignage des valeurs humaines et évangéliques qui sont intimement liées avec l'activité politique elle-même, comme la liberté et la justice, la solidarité, le dévouement fidèle et désintéressé au bien de tous, le style de vie simple, l'amour préférentiel pour les pauvres et les plus petits. Cela exige que les fidèles laïcs trouvent toujours plus d'élan spirituel grâce à une participation réelle à la vie de l'Eglise et qu'ils soient éclairés par sa doctrine sociale. En cette tâche, ils pourront être accompagnés et aidés par les communautés chrétiennes et leurs pasteurs(153).

Le style et le moyen pour réaliser une politique qui veuille viser un véritable développement humain, c'est la solidarité: cette solidarité requiert la participation active et responsable de tous à la vie politique, de la part de chaque citoyen et des groupements les plus variés, depuis les syndicats jusqu'aux partis; ensemble, tous et chacun, nous sommes à la fois destinataires et participants actifs de la politique. En de telles coordonnées, comme je l'ai écrit dans l'Encyclique Sollicitudo rei socialis, la solidarité «n'est pas un sentiment de vague compassion ou d'attendrissement superficiel devant les maux de tant de personnes, proches ou lointaines. Tout au contraire, c'est la détermination ferme et persévérante d'un engagement pour le bien commun, en d'autres termes pour le bien de tous et de chacun, afin que tous nous soyons vraiment responsables de tous»(154).

La solidarité politique doit aujourd'hui se réaliser à la hauteur d'une ligne d'horizon qui, dépassant chaque nation ou chaque bloc de nations, se présente avec des dimensions proprement continentales ou mondiales.

Le fruit de l'activité politique solidaire, si désiré de tous, mais jusqu'ici toujours loin de son point de maturité, c'est la paix. Les fidèles laïcs ne peuvent rester indifférents, étrangers ou paresseux devant tout ce qui est négation et compromission de la paix: violence et guerre, torture et terrorisme, camps de concentration, militarisation de la politique, course aux armements, menace nucléaire. Au contraire, en tant que disciples de Jésus-Christ, «Prince de la paix» (Is 9, 5) et «notre Paix» (Ep 2, 14), les fidèles laïcs doivent assumer la tâche d'être des «artisans de paix» (Mt 5, 9), autant par la conversion du coeur que par l'action en faveur de la vérité, de la liberté, de la justice et de la charité, qui sont les fondements inaliénables de la paix(155).

En collaborant avec tous ceux qui cherchent vraiment la paix et en utilisant les organismes spécifiques et les institutions nationales et internationales, les fidèles laïcs doivent promouvoir une oeuvre éducative capillaire, destinée à vaincre la culture dominatrice de l'égoïsme, de la haine, de la vengeance et de l'inimitié, et à développer la culture de la solidarité à tous les niveaux. Cette solidarité, en effet, «est le chemin de la paix et du développement» (156).Dans cette perspective, les Pères du Synode ont invité les chrétiens à repousser les formes inacceptables de violence, et à promouvoir des attitudes de dialogue et de paix, et aussi à s'engager pour instaurer un ordre social et international juste(157).

Situer l'homme au centre de la vie économico-sociale

43. Le service pour la société de la part des fidèles laïcs trouve un point d'action essentiel dans la question économico-sociale, dont la clé nous est fournie par l'organisation du travail.

La gravité actuelle de ces problèmes, saisie dans le panorama du développement et selon la proposition de solution offerte par la doctrine sociale de l'Eglise, a été rappelée récemment par l'Encyclique Sollicitudo rei socialis; je désire vivement vous y renvoyer tous, en particulier les fidèles laïcs.

Parmi les point forts de la doctrine sociale de l'Eglise se trouve le principe de la destination universelle des biens: les biens de la terre sont, dans le dessein de Dieu, offerts à tous les hommes et à chaque homme comme un moyen pour le développement d'une vie authentiquement humaine. Au service de cette destination, se place la propriété privée qui, précisément à cette fin, possède une fonction sociale intrinsèque. Concrètement, le travail de l'homme et de la femme représente l'instrument le plus commun et le plus immédiat du développement de la vie économique, instrument qui constitue à la fois un droit et un devoir pour chaque personne humaine.

Tout cela rentre de façon particulière dans la mission des fidèles laïcs. La fin et le critère de leur présence et de leur action sont formulés en termes généraux par le Concile Vatican II: «Dans la vie économico-sociale aussi, il faut honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société. C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale»(158).

Dans le contexte des transformations qui se produisent dans le monde du travail et de l'économie et le bouleversent, que les fidèles laïcs soient parmi les premiers à s'employer à la solution des problèmes très graves du chômage croissant, qu'ils luttent pour venir à bout des nombreuses injustices qui découlent d'organisations incorrectes du travail, qu'ils s'efforcent de faire du lieu de travail un lieu où vit une communauté de personnes respectées dans leur particularité et dans leur droit à la participation, qu'ils tâchent de développer de nouvelles solidarités entre ceux qui participent au travail commun, de susciter de nouvelles formes d'entreprises et de provoquer une révision des systèmes de commerce, de finance et d'échanges technologiques.

Dans ce but, les fidèles laïcs doivent remplir leur tâche avec compétence professionnelle, avec honnêteté humaine, avec esprit chrétien, comme moyen de leur propre sanctification(159), selon l'invitation qui nous est adressée par le Concile: «Par son travail, l'homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s'associe à ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à l'achèvement de la création divine. Bien plus, par l'hommage de son travail à Dieu, nous tenons que l'homme est associé à l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ qui a donné au travail une dignité éminente en oeuvrant de ses propres mains à Nazareth»(160).

En rapport avec la vie économico-sociale et le travail, aujourd'hui se pose, et de façon toujours plus aiguë, la question dite de «l'écologie». Assurément, l'homme a reçu de Dieu la tâche de «dominer» les choses créées et de «cultiver le jardin» du monde; mais cette tâche, l'homme doit s'en acquitter dans le respect de l'image divine qu'il a reçue, et donc avec intelligence et amour: il doit se sentir responsable des dons que Dieu lui a prodigués et lui prodigue sans cesse. L'homme dispose d'un don qui doit passer _ si possible, amélioré _ aux générations futures, qui sont, elles aussi, les destinataires des dons du Seigneur: «La domination accordée par le Créateur à l'homme ... n'est pas un pouvoir absolu, et l'on ne peut parler de liberté "d'user et d'abuser", ou de disposer des choses comme on l'entend. La limitation imposée symboliquement par l'interdiction de "manger le fruit de l'arbre" (cf. Gn 2, 16-17), montre avec suffisamment de clarté que, dans le cadre de la nature visible, ... nous sommes soumis à des lois non seulement biologiques mais aussi morales, que l'on ne peut transgresser impunément. Une juste conception du développement ne peut faire abstraction de ces considérations _ relatives à l'usage des éléments de la nature, au renouvellement des ressources et aux conséquences d'une industrialisation désordonnée _; elles proposent encore une fois à notre conscience la dimension morale qui doit marquer le développement»(161).

Evangéliser la culture et les cultures de l'homme

44. Le service de la personne et de la société humaine se traduit et se réalise à travers la création et la transmission de la culture, qui, surtout de nos jours, constitue l'une des tâches les plus graves de la cohabitation des hommes et de l'évolution sociale. A la lumière du Concile, nous entendons par «culture» «tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps; s'efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le travail; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie civile, grâce au progrès des moeurs et des institutions; traduit, communique et conserve enfin dans ses oeuvres, au cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme, afin qu'elles servent au progrès d'un grand nombre et même de tout le genre humain»(162). En ce sens, la culture doit être considérée comme le bien commun de chaque peuple, l'expression de sa dignité, de sa liberté et de sa créativité, le témoignage de son cheminement historique. En particulier, c'est seulement à l'intérieur et par le moyen de la culture que la foi chrétienne devient historique et créatrice d'histoire.

En face d'une culture qui se présente comme détachée non seulement de la foi chrétienne mais même des valeurs humaines(163), comme aussi devant une certaine culture scientifique et technologique impuissante à fournir une réponse à la demande de vérité et de bien qui brûle dans le coeur des hommes, l'Eglise a pleinement conscience qu'il est urgent, du point de vue pastoral, de réserver à la culture une attention toute particulière.

C'est pourquoi l'Eglise demande aux fidèles laïcs dêtre présents, guidés par le courage et la créativité intellectuelle, dans les postes privilégiés de la culture, comme le sont le monde de l'école et de l'université, les centres de la recherche scientifique et technique, les lieux de la création artistique et de la réflexion humaniste. Cette présence a pour but non seulement de reconnaître et éventuellement de purifier les éléments de la culture existante, en les soumettant à une sage critique, mais aussi à accroître leur valeur, grâce aux richesses originales de l'Evangile et de la foi chrétienne. Ce que le Concile Vatican II écrit au sujet du rapport entre l'Evangile et la culture correspond à un fait historique constant et constitue en même temps un idéal d'action d'une actualité et d'une urgence particulières; c'est un programme important proposé à la responsabilité pastorale de toute l'Eglise, et par là à la responsabilité spécifique des fidèles laïcs: «La Bonne Nouvelle du Christ rénove constamment la vie et la culture de l'homme déchu; elle combat et écarte les erreurs et les maux qui proviennent de la séduction permanente du péché. Elle ne cesse de purifier et d'élever la moralité des peuples. Par les richesses d'en-haut, elle féconde comme de l'intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à chaque peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et les restaure dans le Christ. Ainsi l'Eglise, en remplissant sa propre mission, concourt déjà, par là même, à l'oeuvre civilisatrice et elle y pousse; son action, même liturgique, contribue à former la liberté intérieure de l'homme»(164).

Il est utile de réentendre ici certaines expressions particulièrement significatives de l'Exhortation Evangelii nuntiandi de Paul VI: «L'Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu'elle proclame (cf. Rm 1, 16; 1 Co 1, 18; 2, 4), elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent, la vie et le milieu concret qui sont les leurs. Des zones d'humanité se transforment: pour l'Eglise il ne s'agit pas seulement de prêcher l'Evangile dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives, mais aussi d'atteindre et comme de bouleverser par la force de l'Evangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les centres d'intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l'humanité, lorsqu'elles sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. Nous pourrions exprimer tout cela en disant: il importe d'évangéliser _ non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines _ la culture et les cultures de l'homme ... La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d'autres époques. Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d'une généreuse évangélisation de la culture, plus exactement des cultures»(165).

La voie actuellement la plus favorable pour la création et la transmission de la culture, ce sont les instruments de communication sociale (166). Le monde des mass-media, à la suite du développement accéléré des inventions, et de leur influence tout à la fois planétaire et capillaire sur la formation de la mentalité et des moeurs, représente une nouvelle frontière de la mission de l'Eglise. En particulier, la responsabilité professionnelle des fidèles laïcs en ce domaine, qu'elle s'exerce à titre personnel ou à travers des initiatives et des institutions communautaires, doit être reconnue dans toute sa valeur et soutenue par des ressources matérielles, intellectuelles et pastorales mieux adaptées.

Concernant l'utilisation des instruments de communication, qu'il s'agisse de la production des programmes ou de leur réception, il est urgent d'exercer, d'une part, une activité éducative du sens critique, animé par la passion de la vérité, et, d'autre part, une action visant à défendre la liberté et le respect de la dignité de la personne, et à favoriser la culture authentique des peuples, par un refus ferme et courageux de toute forme de monopolisation et de manipulation.

La responsabilité apostolique des fidèles laïcs ne s'arrête pas à ce seul travail de défense: sur toutes les routes du monde, même sur les grandes routes de la presse, du cinéma, de la radio, de la télévision, du théâtre, doit être annoncé l'Evangile qui nous sauve.

CHAPITRE IV

LES OUVRIERS DE LA VIGNE DU SEIGNEUR
Excellents administrateurs de la grâce multiforme de Dieu

La variété des vocations

45. Selon la parabole évangélique, le «maître du domaine» appelle les ouvriers à sa vigne aux différentes heures de la journée: certains au lever du jour, d'autres vers neuf heures du matin, d'autres encore vers midi et vers trois heures, les derniers vers cinq heures (cf. Mt 20, 1 et suiv.). En commentant cette page de l'Evangile, Saint Grégoire le Grand interprète les différentes heures de l'appel, en les rapprochant des ages de la vie: «On peut appliquer la diversité des heures _ dit-il _ aux divers âges de l'homme. Le matin peut certainement représenter, selon notre interprétation, l'enfance. La troisième heure ensuite peut représenter l'adolescence: le soleil se déplace vers le haut du ciel, ce qui signifie que l'ardeur de l'âge augmente. La sixième heure, c'est la jeunesse: le soleil se trouve comme au milieu du ciel, en cet âge, disons, où se renforce la plénitude de la vigueur. La vieillesse représente la neuvième heure, parce que, de même que le soleil décline de son point le plus haut, cet âge aussi commence à perdre l'ardeur de la jeunesse. La onzième heure indique ceux qui sont avancés en âge... Les ouvriers donc sont appelés à la vigne à des heures différentes, comme pour signifier que l'un est appelé à la sainteté au moment de son enfance, un autre dans sa jeunesse, un autre dans son âge mûr, et un autre à un âge plus avancé»(167).

Nous pouvons reprendre le commentaire de Saint Grégoire le Grand et l'étendre encore plus à la variété extraordinaire des personnes présentes dans l'Eglise, qui sont, toutes et chacune, appelées à travailler pour l'avénement du Royaume de Dieu, selon la diversité des vocations et des situations, des charismes et des ministères. C'est une variété liée, non pas seulement à l'âge, mais aussi à la différence du sexe et à la diversité des qualités, comme aussi aux vocations et aux conditions de vie: c'est une variété qui rend plus vive et plus concrète la richesse de l'Eglise.

Jeunes, enfants, personnes âgées

Les jeunes, espoir de l'Eglise

46. Le Synode a voulu réserver une attention particulière aux jeunes. Et très justement. En beaucoup de pays du monde, ils représentent la moitié de la population totale, et, souvent, la moitié en chiffre du peuple de Dieu lui-même qui vit dans ces pays. Sous cet aspect, les jeunes forment déjà une force exceptionnelle et sont un grand défi pour l'avenir de l'Eglise. Dans les jeunes, en effet, l'Eglise lit la voie à suivre vers l'avenir qui l'attend, et elle trouve là l'image et le rappel de cette jeunesse joyeuse dont l'esprit du Christ l'enrichit sans cesse. C'est dans ce sens que le Concile a défini les jeunes «l'espérance de l'Eglise»(168).

Dans la Lettre aux jeunes gens et jeunes filles du monde, le 31 mars 1985, nous lisons: «L'Eglise regarde les jeunes; mieux, l'Eglise, d'une manière spéciale, se regarde elle-même dans les jeunes, en vous tous et en même temps en chacun et chacune de vous. Il en fut ainsi dès les débuts, dès les temps apostoliques. Les paroles de Saint Jean dans sa Première Lettre peuvent en être une preuve spéciale: "Je vous l'écris, jeunes gens: Vous avez vaincu le Mauvais. Je vous l'ai écrit, petits enfants: Vous connaissez le Père ... Je vous l'ai écrit à vous, jeunes gens: Vous êtes forts, la parole de Dieu demeure en vous" (1 Jn 2, 13 et suiv.). Dans notre génération, au terme du second millénaire après Jésus-Christ, l'Eglise elle aussi se regarde dans les jeunes»(169).

Les jeunes gens ne doivent pas être regardés simplement comme l'objet de la sollicitude pastorale de l'Eglise: ils sont en fait, et ils doivent être encouragés à «devenir des sujets actifs, qui prennent part à l'évangélisation et à la rénovation sociale»(170). La jeunesse est le temps d'une découverte particulièrement intense du propre «moi» et du propre «projet de vie»; c'est le temps d'une croissance qui doit se réaliser «en sagesse, âge et grâce devant Dieu et devant les hommes» (Lc 2, 52).

Comme l'ont dit les Pères du Synode: «La sensibilité des jeunes perçoit profondément les valeurs de la justice, de la non violence et de la paix. Leur coeur est ouvert à la fraternité, à l'amitié et à la solidarité. Ils se mobilisent au maximum en faveur des causes qui regardent la qualité de la vie et la conservation de la nature. Mais ils sont aussi chargés d'inquiétudes, de déceptions, d'angoisses et de peurs du monde, en plus des tentations propres à leur état»(171).

L'Eglise doit revivre l'amour de prédilection dont Jésus a donné témoignage au jeune homme: «Posant alors son regard sur lui, Jésus se mit à l'aimer» (Mc 10, 21). Voilà pourquoi l'Eglise inlassablement annonce Jésus-Christ; elle proclame son Evangile comme l'unique et surabondante réponse aux aspirations les plus radicales des jeunes, comme une proposition exaltante d'adhésion personnelle: «viens et suis-moi» (Mc 10, 21), qui comporte le partage de l'amour filial de Jésus pour le Père et la participation à sa mission de salut pour l'humanité.

L'Eglise a tant de choses à dire aux jeunes et les jeunes ont tant de choses à dire à l'Eglise. Ce dialogue réciproque, qu'il faut mener avec une grande cordialité, dans la clarté, avec courage, favorisera la rencontre des générations et des échanges entre elles, il sera une source de richesse et de jeunesse pour l'Eglise et pour la société civile. Dans son message aux jeunes, le Concile déclare: «L'Eglise vous regarde avec confiance et avec amour ... Elle est la vraie jeunesse du monde ... Regardez-la et vous retrouverez en elle le visage du Christ»(172).

Les enfants et le Royaume des cieux

47. Les enfants sont, assurément, le terme de l'amour délicat et généreux du Seigneur Jésus: c'est à eux qu'il réserve sa bénédiction et, qui plus est, qu'il assure le Royaume des Cieux (cf. Mt 19, 13-15; Mc 10, 14). En particulier, Jésus exalte le rôle actif que les petits jouent dans le Royaume de Dieu: ils sont le symbole éloquent et l'image splendide des conditions morales et spirituelles qui sont essentielles pour entrer dans le Royaume de Dieu et pour vivre une vie de confiance totale au Seigneur: «En vérité, je vous le dis, si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, c'est celui-là qui est le plus grand dans le Royaume des cieux. Et celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon Nom, c'est moi qu'il accueille» (Mt 18, 3-5; cf. Lc 9, 48).

Les enfants nous rappellent que la fécondité missionnaire de l'Eglise a sa racine vivifiante non pas dans les moyens ou les mérites humains, mais dans le don absolument gratuit de Dieu. La vie d'innocence et de grâce des enfants, mais aussi les souffrances qu'on leur inflige injustement, deviennent, en vertu de la Croix du Christ, une source d'enrichissement spirituel pour eux et pour l'Eglise entière: de cela, tous, nous devons avoir une conscience très vive et pleine de gratitude.

Il faut reconnaître, au surplus, qu'à l'âge de l'enfance s'ouvrent de précieuses possibilités d'action, autant pour l'édification de l'Eglise que pour l'humanisation de la société. Tout ce qu'affirme le Concile quand il parle de la présence bénéfique des enfants à l'intérieur de la famille, «Eglise domestique» _ «Membres vivants de la famille, les enfants concourent, à leur manière, à la sanctification des parents»(173) _ peut se dire aussi des petits enfants par rapport à l'Eglise particulière et universelle. Déjà Jean Gerson, théologien et éducateur du xvème siècle, le notait en ces termes: «Les enfants et les jeunes sont loin d'être une part négligeable de l'Eglise»(174).

Les personnes âgées et le don de la sagesse

48. Aux personnes âgées, que souvent, bien à tort, on considère comme des êtres inutiles, quand ce n'est pas comme un poids insupportable, je rappelle que l'Eglise demande et attend d'elles qu'elles poursuivent leur mission apostolique et missionnaire, mission qui non seulement est une tâche possible et un devoir, même à cet âge, mais qui, à cet âge précisément, prend une forme spécifique et originale.

La Bible nous présente l'homme âgé comme le symbole de la personne riche de sagesse et de crainte de Dieu (cf. Si 25, 4-6). En ce sens, le «don» de l'homme âgé pourrait se définir comme celui d'être, dans l'Eglise et la société, le témoin de la tradition de foi (cf. Ps 44, 2; Ex 12, 26-27), le maître de vie (cf. Si 6, 34; 8, 11-12), l'artisan de charité.

De nos jours l'accroissement du nombre des personnes âgées en différents pays du monde et le départ anticipé à la retraite ouvrent de nouveaux espaces au travail apostolique des personnes âgées: c'est là une tâche à assumer avec courage, en surmontant résolument la tentation de se replier nostalgiquement sur un passé qui ne reviendra plus et de se refuser à un engagement présent, à cause des difficultés rencontrées dans un monde sans cesse nouveau; il s'agit, au contraire, de prendre sans cesse une conscience plus claire de son rôle personnel dans l'Eglise et dans la société, car ce rôle ne connaît pas d'arrêt provoqué par l'âge, mais ne fait que prendre des aspects nouveaux. Comme le chante le psalmiste: «Dans la vieillesse, ils portent encore du fruit, ils restent pleins de sève et de verdeur, proclamant la droiture du Seigneur» (Ps 92, 15-16). Je répète ce que j'ai dit au cours de la célébration pour le Jubilé des Personnes âgées: «L'entrée dans le troisième âge doit être regardée comme un privilège: non seulement parce que tout le monde n'a pas la chance d'atteindre cette étape, mais aussi et surtout parce que c'est le temps où il est concrètement possible de mieux examiner le passé, de mieux connaître et de vivre plus intensément le mystère pascal, de devenir un exemple dans l'Eglise pour le peuple de Dieu tout entier... Malgré la complexité des problèmes à résoudre, la diminution progressive des forces, malgré les insuffisances des organismes sociaux, les lenteurs de la législation officielle, les incompréhensions d'une société égoïste, vous n'êtes pas et vous ne devez pas vous croire en marge de la vie de l'Eglise, ni éléments passifs d'un monde en excès de vitesse, mais sujets actifs d'une période humainement et spirituellement féconde de l'existence humaine. Vous avez encore une mission à remplir, une contribution à apporter. Selon le dessein de Dieu, chaque être humain est une vie en croissance, depuis la première étincelle de son existence jusqu'à son dernier soupir»(175).

Femmes et hommes

49. Les Pères du Synode ont porté une attention spéciale à la condition et au rôle de la femme, dans une double intention: reconnaître eux-mêmes et inviter chacun, une fois de plus, à reconnaître l'indispensable contribution de la femme à l'édification de l'Eglise et au développement de la société; procéder, en outre, à une analyse plus spécifique de la participation de la femme à la vie et à la mission de l'Eglise.

En faisant référence à Jean XXIII, qui voyait un signe des temps dans la conscience que la femme avait de sa propre dignité et dans l'entrée des femmes dans la vie publique(176), les Pères du Synode ont affirmé à plusieurs reprises et avec vigueur, en face des formes les plus variées de discrimination et de marginalisation auxquelles est soumise la femme du seul fait qu'elle est femme, l'urgence de défendre et de promouvoir la dignité personnelle de la femme, et donc son égalité avec l'homme.

Si telle est, dans l'Eglise et dans la société, la tâche de tous, c'est, en particulier, celle des femmes elles-mêmes; elles doivent se sentir engagées comme protagonistes au premier rang. Il y a encore tant d'efforts à faire, en de nombreuses parties du monde et en divers milieux, pour que soit détruite la mentalité injuste et délétère qui considère l'être humain comme une chose, une marchandise, un instrument mis au service de l'intérêt égoïste et de la recherche du plaisir, d'autant plus que, de pareille mentalité, c'est la femme qui est la première victime. La reconnaissance franche et nette de la dignité personnelle de la femme constitue le premier pas à faire pour promouvoir sa pleine participation tant à la vie de l'Eglise qu'à la vie sociale et publique. Il faut que soit apportée une réponse plus résolue à la demande qui a été faite par l'Exhortation Apostolique Familiaris consortio au sujet des nombreuses discriminations dont les femmes sont victimes: «Je demande donc à tous de s'engager dans une action pastorale spécifique plus vigoureuse et plus incisive afin que ces discriminations soient définitivement éliminées et que l'on arrive à une pleine estime de l'image de Dieu qui resplendit en tout être humain sans aucune exception»(177). Dans le même ordre d'idées, les Pères synodaux ont affirmé: «L'Eglise, dans l'expression de sa mission, doit s'opposer avec fermeté à toutes les formes de discrimination et d'abus dont les femmes sont victimes»(178). Et encore: «La dignité de la femme, gravement blessée dans l'opinion publique, doit être retrouvée, grâce au respect réel des droits de la personne humaine et à la mise en pratique de la doctrine de l'Eglise»(179).

Pour ce qui regarde, en particulier, la participation active et responsable à la vie et à la mission de l'Eglise, il faut noter que déjà le Concile Vatican II a été explicite dans son invitation: «Comme, de nos jours, les femmes ont une part de plus en plus active dans toute la vie de la société, il est très important que grandisse aussi leur participation dans les divers secteurs de l'apostolat de l'Eglise»(180).

La prise de conscience des dons et des responsabilités particulières de la femme, ainsi que de sa vocation spéciale, a grandi et s'est approfondie dans cette période de l'après-Concile; cette prise de conscience trouve son inspiration la plus originale dans l'Evangile et dans l'histoire de l'Eglise. Pour qui a la foi, en effet, l'Evangile, c'est-à-dire la parole et l'exemple de Jésus-Christ, reste le point de référence nécessaire et déterminant, un point de référence on ne peut plus fécond et rénovateur dans le moment historique que nous vivons.

Sans être appelées à l'apostolat propre aux Douze, et donc au sacerdoce ministériel, beaucoup de femmes accompagnent Jésus dans son ministère et assistent le groupe des Apôtres (cf. Lc 8, 2-3); elles sont présentes près de la Croix (cf. Lc 23, 49); elles assistent à la sépulture de Jésus (cf. Lc 23, 55) et le matin de Pâques elles recoivent et transmettent l'annonce de la Résurrection (cf. Lc 24, 1-10); elles prient avec les Apôtres au Cénacle dans l'attente de la Pentecôte (cf. Ac 1, 14).

Dans le sillage de l'Evangile, l'Eglise des origines se détache de la culture du temps et invite la femme à des tâches liées à l'évangélisation. Dans ses Lettres, l'apôtre Paul cite par leur nom un certain nombre de femmes en raison de leurs fonctions diverses à l'intérieur et au service des premières communautés ecclésiales (cf. Rm 16, 1-15; Ph 4, 2-3; Col 4, 15; 1 Co 11, 5; 1 Tm 5, 16). «Si le témoignage des Apôtres fonde l'Eglise _ a dit Paul VI _ celui des femmes contribue grandement à nourrir la foi des communautés chrétiennes»(181).

De même qu'aux origines, ainsi également dans le développement qui a suivi, l'Eglise a toujours connu _ avec, évidemment, des différences d'aspect et d'accents _ des femmes qui ont rempli un rôle parfois décisif et assumé des tâches de valeur considérable pour l'Eglise elle-même. C'est là une histoire d'activité immense, le plus souvent humble et discrète, mais qui n'en a pas moins été décisive pour la croissance et pour la sainteté de l'Eglise. Il faut que cette histoire se poursuive, bien mieux, qu'elle s'élargisse et s'intensifle, allant de pair avec la prise de conscience élargie et universalisée de la dignité personnelle de la femme et de sa vocation, et, d'autre part, avec l'urgence d'une «nouvelle évangélisation» et d'une plus vaste «humanisation» des relations sociales.

Reprenant la consigne du Concile Vatican II qui reflète le message de l'Evangile et aussi l'histoire de l'Eglise, les Pères du Synode ont, entre autres choses, formulé cette «recommandation» précise: «Il faut que l'Eglise, par sa vie et par sa mission, reconnaisse tous les dons des femmes et des hommes et les traduise dans la pratique»(182). Et encore: «Ce Synode proclame que l'Eglise exige la reconnaissance et l'emploi de tous ces dons, de ces expériences et aptitudes des hommes et des femmes pour que sa mission soit plus efficace (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, 72)»(183).

Fondements anthropologiques et théologiques

50. Si l'on veut assurer aux femmes la place à laquelle elles ont droit dans l'Eglise et dans la société, une condition s'impose: l'étude sérieuse et approfondie des fondements anthropologiques de la condition masculine et féminine, visant à préciser l'identité personnelle propre de la femme dans sa relation de diversité et de complémentarité réciproque avec l'homme, et cela, non seulement pour ce qui regarde les rôles à jouer et les fonctions à assurer, mais aussi et plus profondément pour ce qui regarde la structure de la personne et sa signification. Les Pères du Synode ont ressenti vivement cette exigence en affirmant que «les fondements anthropologiques et théologiques ont besoin d'études approfondies en vue de la solution des problèmes relatifs au vrai sens et à la dignité des deux sexes»(184).

En s'engageant dans une réflexion sur les fondements anthropologiques et théologiques de la condition féminine, l'Eglise assure sa présence dans le processus historique des divers mouvements de promotion de la femme et, pénétrant jusqu'aux racines de l'être personnel de la femme, elle y apporte sa contribution la plus précieuse. Mais avant tout et plus fortement encore, l'Eglise entend, de cette façon, obéir à Dieu qui, en créant l'homme «à son image», «les créa homme et femme» (Gn 1, 27); elle entend accueillir l'appel de Dieu à connaître, à admirer et à vivre son dessein de Créateur. C'est un dessein qui «au commencement» a été imprimé de façon indélébile dans l'être même de la personne humaine _ homme et femme _ et, par conséquent, dans ses structures signifiantes et dans ses profonds dynamismes. Et justement, ce dessein, plein de sagesse et d'amour, demande à être exploré dans toute sa richesse qui, à partir du «commencement», s'est progressivement manifestée et réalisée tout au long de l'histoire du salut, et a atteint son sommet dans la «plénitude du temps», lorsque «Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme» (Ga 4, 4). Cette «plénitude» continue dans l'histoire: la lecture du dessein de Dieu se poursuit et doit se poursuivre sans cesse dans la foi de l'Eglise, grâce aussi à la vie de tant de femmes chrétiennes. L'apport offert par les différentes sciences humaines et les diverses cultures n'est pas à négliger; grâce à un discernement éclairé, cet apport pourra aider à recevoir et à préciser les valeurs et les exigences qui appartiennent à l'essence durable de la femme, ainsi que celles qui sont liées à l'évolution historique des cultures. Comme nous le rappelle le Concile Vatican II: «L'Eglise affirme que, sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd'hui et à jamais (cf. He 13, 8)»(185).

Les fondements anthropologiques et théologiques de la dignité personnelle de la femme sont considérés dans la Lettre Apostolique sur la dignité et la vocation de la femme. Ce document, qui reprend, développe et spécifie les réflexions de la catéchèse du mercredi consacrée pendant une longue période à la «théologie du corps», veut être à la fois l'accomplissement d'une promesse formulée dans l'Encyclique Redemptoris Mater(186) et la réponse à la demande des Pères du Synode.

La lecture de la Lettre Mulieris dignitatem, du fait même de son caractère de méditation biblico-théologique, pourra être inspirante pour tous, hommes et femmes, et stimuler en particulier les représentants des sciences humaines et des disciplines théologiques à poursuivre leur étude critique, afin d'approfondir toujours mieux, sur la base de la dignité personnelle de l'homme et de la femme et de leur relation réciproque, les valeurs et les dons spécifiques de la féminité et de la masculinité, non seulement dans le domaine de la vie sociale, mais encore et surtout dans celui de l'existence chrétienne et ecclésiale.

La méditation sur les fondements anthropologiques et théologiques de la féminité doit éclairer et guider la réponse chrétienne à la demande que l'on pose si souvent, et parfois de façon si incisive, au sujet de «l'espace» que la femme peut et doit occuper dans l'Eglise et dans la société.

De la parole et de l'attitude du Christ, qui sont des normes pour l'Eglise, il ressort très clairement qu'aucune discrimination n'existe sur le plan du rapport avec le Christ, en qui «il n'y a plus l'homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus» (Ga 3, 28), et sur le plan de la participation à la vie et à la sainteté de l'Eglise, comme l'atteste merveilleusement la prophétie de Joël, réalisée par la Pentecôte: «Je répandrai mon Esprit sur toute chair et vos fils et filles prophétiseront» (Jl 3, 1; cf. Ac 2, 17 et suiv.). Comme on le lit dans la Lettre Apostolique sur la dignité et la vocation de la femme: «Tous deux _ la femme comme l'homme _ ... sont au même titre susceptibles de bénéficier de la vérité divine et de l'amour dans l'Esprit Saint. L'un et l'autre accueillent sa "venue" salvifique et sanctifiante»(187).

Mission dans l'Eglise et dans le monde

51. Quant à ce qui est de la participation à la mission apostolique de l'Eglise, il est certain qu'en vertu du Baptême et de la Confirmation, la femme _ comme l'homme _ participe à la triple fonction de Jésus-Christ, Prêtre, Prophète et Roi, et, par conséquent, est habilitée et engagée dans l'apostolat fondamental de l'Eglise: l'évangélisation. D'autre part, dans l'accomplissement précisément de cet apostolat, la femme est invitée à user de ses propres «dons»: avant tout, le don qui est sa dignité personnelle elle-même, le don de la parole, du témoignage de sa vie, et puis les dons liés à sa vocation féminine.

Dans la participation à la vie et à la mission de l'Eglise, la femme ne peut recevoir le sacrement de l'Ordre, et donc, ne peut remplir les fonctions propres du sacerdoce ministériel. C'est là une disposition que l'Eglise a toujours reconnue dans la volonté précise, totalement libre et souveraine, de Jésus-Christ qui a appelé des hommes seulement à être ses Apôtres(188); c'est une disposition qui peut s'éclairer par le rapport entre le Christ Epoux et l'Eglise son Epouse(189). Nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la sainteté. On doit, en fait, affirmer: «Même si l'Eglise possède une structure "hiérarchique", cette structure est cependant totalement ordonnée à la sainteté des membres du Christ»(190).

Mais, comme le disait déjà Paul VI, si «nous ne pouvons changer l'attitude de Notre Seigneur, ni l'appel qu'Il adresse aux femmes, nous pouvons tout de même reconnaître et promouvoir le rôle de la femme dans la mission évangélisatrice et dans la vie de la communauté chrétienne» (191).

Il est bien nécessaire que nous passions de la reconnaissance théorique de la présence active et responsable de la femme dans l'Eglise à sa réalisation pratique. C'est dans ce sens très précis qu'il faut lire cette Exhortation qui s'adresse aux fidèles laics, par la spécification voulue et répétée «hommes et femmes». Au surplus, le Code de Droit Canon contient de nombreuses dispositions sur la participation de la femme à la vie et à la mission de l'Eglise: ce sont des dispositions qui demandent à être connues plus largement, et, tout en respectant les différences des sensibilités culturelles et des nécessités pastorales,réalisées avec plus d'à-propos et de netteté.

Que l'on songe, par exemple, à la participation des femmes aux Conseils pastoraux diocésains et paroissiaux, comme également aux Synodes diocésains et aux Conciles particuliers. C'est en ce sens que les Pères du Synode ont écrit: «Que les femmes participent à la vie de l'Eglise sans aucune discrimination, même pour les consultations et l'élaboration de décisions»(192). Et encore: «Les femmes, qui ont déjà une une place importante dans la transmission de la foi et dans l'accomplissement de services de tout genre dans la vie de l'Eglise, doivent être associées à la préparation des documents pastoraux et des initiatives missionnaires; elles doivent être reconnues comme des coopératrices de la mission de l'Eglise dans la famille, dans la profession et dans la société civile»(193).

Dans le domaine plus spécial de l'évangélisation et de la catéchèse, il faut promouvoir plus vivement la tâche complémentaire qui est celle de la femme dans la transmission de la foi, non seulement dans la famille, mais aussi dans les lieux les plus divers de l'éducation et, de façon plus générale, partout où il s'agit d'accueillir la Parole de Dieu, sa compréhension et sa communication, y compris par le moyen de l'étude, de la recherche et de l'enseignement de la théologie.

A mesure que se développera son engagement dans le travail d'évangélisation, la femme sentira plus vivement le besoin d'être évangélisée. Ainsi, par les yeux illuminés de la foi (cf. Ep 1, 18), la femme pourra distinguer ce qui correspond vraiment à sa dignité personnelle et à sa vocation de tout ce qui, fût-ce sous le prétexte de «dignité» et au nom de la «liberté» et du «progrès», amène la femme à ne pas favoriser le renforcement des véritables valeurs, mais, au contraire, à se rendre responsable de la dégradation morale des personnes, des milieux et de la société. Opérer un pareil «discernement» est une urgence historique qu'on ne saurait repousser et, en même temps, c'est une possibilité et une exigence qui découlent de la participation de la femme chrétienne au ministère prophétique du Christ et de son Eglise. Le «discernement» dont parle à plusieurs reprises l'apôtre Paul n'est pas seulement appréciation des réalités et des événements à la lumière de la foi; il est aussi décision concrète et engagement actif, non seulement dans l'Eglise, mais encore dans la société humaine.

On peut affirmer que tous les problèmes de notre temps dont il était déjà question dans la seconde partie de la Constitution conciliaire Gaudium et spes _ problèmes que le temps écoulé depuis n'a aucunement résolus ni simplifiés _ exigent la présence active des femmes et, précisons-le, leur contribution typique et irremplaçable.

En particulier, deux grandes tâches confiées à la femme méritent d'être rappelées à l'attention de tous.

En premier lieu, celle de donner toute sa dignité à la vie d'épouse et de mère. De nouvelles possibilités se présentent à la femme aujourd'hui pour une compréhension et une réalisation plus riche des valeurs humaines et chrétiennes impliquées dans la vie conjugale et dans l'expérience de la maternité; l'homme lui-même _ mari et père _ peut être amené à se corriger des diverses formes d'absentéisme ou de présence épisodique ou insuffisante, mieux, à nouer des relations nouvelles et significatives de communion interpersonnelle, grâce, précisément, à l'intervention intelligente, amoureuse et ferme de la femme.

Une autre tâche est celle d'assurer la dimension morale de la culture, c'est-à-dire une dimension vraiment humaine, conforme à la dignité de l'homme dans sa vie personnelle et sociale. Le Concile Vatican II a, semble-t-il, fait le lien entre la dimension morale de la culture et la participation des laïcs à la mission royale du Christ: «Que les laïcs unissent leurs forces pour apporter aux institutions et aux conditions de vie dans le monde, quand elles provoquent au péché, les assainissements convenables, pour qu'elles deviennent toutes conformes aux règles de la justice et favorisent l'exercice des vertus au lieu d'y faire obstacle. En agissant ainsi, les laïcs imprégneront de valeur morale la culture et les oeuvres humaines»(194).

Dans la mesure où la femme participe activement et de façon responsable au fonctionnement des institutions, dont dépend la sauvegarde de la priorité qu'on doit donner aux valeurs humaines dans la vie des communautés politiques, les paroles du Concile que nous venons de citer définissent un champ d'apostolat important de la femme: dans toutes les dimensions de la vie de ces communautés, depuis la dimension socio-économique jusqu'à la dimension socio-politique, il faut respecter et promouvoir la dignité personnelle de la femme et sa vocation spécifique: dans le domaine non seulement individuel mais aussi communautaire, non seulement dans des formes laissées à la liberté responsable des personnes, mais encore dans les formes garanties par les lois civiles justes.

«Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je veux lui faire une aide qui lui soit assortie» (Gn 2, 18). A la femme Dieu Créateur a confié l'homme. Assurément l'homme a été confié a tout homme, mais d'une façon particulière il a été confié à la femme, parce que précisément la femme, grâce à l'expérience spéciale de sa maternité, semble dotée d'une sensibilité spécifique pour l'homme et pour ce qui constitue son véritable bien, à commencer par la valeur fondamentale de la vie. Qu'elles sont grandes, les possibilités et les responsabilités de la femme en ce domaine, en un temps où le développement de la science et de la technique n'est pas toujours inspiré et mesuré selon la véritable Sagesse, avec le risque inévitable de «déshumaniser» la vie humaine, surtout quand elle exigerait un amour plus intense et un accueil plus généreux!

Lorsqu'elle met ses dons au service de l'Eglise et de la société, la femme, tout à la fois, trouve son véritable épanouissement personnel _ sur lequel on insiste tant de nos jours _ et apporte sa contribution originale à la communion ecclésiale et au dynamisme apostolique du peuple de Dieu.

Dans la même perspective, il faut parler aussi de l'homme, et non seulement de la femme.

Co-présence et collaboration des hommes et des femmes

52. Au cours des réunions du Synode, plus d'une voix a exprimé la crainte qu'une insistance excessive sur la condition et le rôle des femmes puisse aboutir à un oubli inacceptable: l'oubli des hommes. Effectivement, en diverses situations ecclésiales, on a à déplorer l'absence ou la présence insuffisante des hommes, dont un certain nombre se soustrait à ses propres responsabilités ecclésiales, de sorte que, seules, des femmes s'emploient à y faire face: ainsi, par exemple, pour la participation à la prière liturgique à l'église, l'éducation et en particulier la catéchèse des enfants, la présence aux rencontres religieuses et culturelles, la collaboration aux initiatives de charité et aux entreprises missionnaires.

Un effort pastoral s'impose donc en vue d'obtenir la présence coordonnée des hommes et des femmes pour que soit rendue plus complète, plus harmonieuse et plus riche la participation des fidèles laïcs à la mission salvifique de l'Eglise.

La raison fondamentale qui exige et explique la présence coordonnée et la collaboration des hommes et des femmes n'est pas uniquement que cela assure, comme nous venons de le dire, un surcroît de signification et d'efficacité à l'action pastorale de l'Eglise; ni, moins encore, que cela correspond à un aspect sociologique de la convivialité humaine faite, naturellement, d'hommes et de femmes. C'est, tout d'abord, qu'ainsi se réalise le dessein originel du Créateur qui, «dès le commencement», a voulu que l'être humain soit «comme l'unité de deux» et qui a créé l'homme et la femme comme la première communauté de personnes, la racine de toute autre communauté, et, en même temps, comme un «signe» de cette communauté interpersonnelle d'amour qui constitue le mystère de la vie intime du Dieu Unique et Trinitaire.

C'est particulièrement pour cela que le mode le plus commun et le plus capillaire, et en même temps le plus fondamental, pour assurer cette présence coordonnée et harmonieuse des hommes et des femmes dans la vie et dans la mission de l'Eglise, c'est l'accomplissement des tâches et l'exercice des responsabilités du couple et de la famille chrétienne, dans lequel transparaît et se communique la variété des diverses formes d'amour et de vie: la forme conjugale, paternelle et maternelle, filiale et fraternelle. Comme le dit l'exhortation Familiaris consortio: «Si la famille chrétienne est une communauté dont les liens sont renouvelés par le Christ à travers la foi et les sacrements, sa participation à la mission de l'Eglise doit se réaliser d'une façon communautaire; c'est donc ensemble que les époux, en tant que couple, les parents et les enfants, en tant que famille, doivent vivre leur service de l'Eglise et du monde ... La famille chrétienne, par ailleurs, édifie le Royaume de Dieu dans l'histoire à travers les réalités quotidiennes qui concernent et qui caractérisent sa condition de vie: c'est dès lors dans l'amour conjugal et familial _ vécu dans sa richesse extraordinaire de valeurs et avec ses exigences de totalité, de fidélité et de fécondité _ que s'exprime et se réalise la participation de la famille chrétienne à la mission prophétique, sacerdotale et royale de Jésus-Christ et de son Eglise»(195).

En se plaçant dans cette perspective, les Pères du Synode ont rappelé le sens que doit assumer le sacrement de Mariage dans l'Eglise et dans la société pour éclairer et inspirer toutes les relations entre l'homme et la femme. C'est dans ce sens qu'ils ont soùligné «la nécessité urgente que chaque chrétien vive et annonce le message d'espoir contenu dans la relation entre l'homme et la femme. Le sacrement de Mariage qui consacre cette relation dans sa forme conjugale et la révèle comme signe de la relation du Christ avec son Eglise, contient un enseignement de grande importance pour la vie de l'Eglise; cet enseignement, par l'intermédiaire de l'Eglise, doit atteindre le monde d'aujourd'hui; toutes les relations entre l'homme et la femme doivent s'inspirer de cet enseignement. L'Eglise doit utiliser ces richesses encore plus largement»(196). Les mêmes Pères ont à juste titre relevé que «l'estime de la virginité et le respect de la maternité doivent tous deux être revalorisés»(197), afin, encore une fois, de favoriser le développement des vocations diverses et complémentaires dans le contexte vivant de la communion et au service de sa crissance incessante.

Malades et souffrants

53. L'homme est appelé à la joie, mais, chaque jour, il fait l'expérience de très nombreuses formes de souffrances et de douleurs. Aux hommes et aux femmes frappés de formes de souffrance et de douleur si variées, les Pères du Synode se sont adressés dans leur Message final en ces termes: «Vous, les abandonnés, vous qui êtes rebutés par notre société de consommation, malades, handicapés, pauvres, affamés, les émigrés, les exilés, les prisonniers, les chômeurs, les personnes âgées, les enfants abandonnés et les personnes seules, vous, victimes de la guerre et de toute sorte de violence, conséquences de notre société permissive: l'Eglise participe à votre souffrance qui vous conduit au Seigneur, qui vous associe à sa Passion rédemptrice, qui vous fait vivre à la lumière de sa Rédemption. Nous comptons sur vous pour enseigner au monde entier ce qu'est l'amour. Nous ferons tout notre possible pour que vous trouviez la place à laquelle vous avez droit dans la société et dans l'Eglise»(198).

Dans le contexte d'un monde sans frontières comme celui de la souffrance humaine, tournons nous vers tous ceux qui sont frappés par la maladie sous ses différentes formes: les malades, en effet, sont l'expression la plus fréquente et la plus commune de l'homme qui souffre.

A tous et à chacun s'adresse l'appel du Seigneur: Les malades eux aussi sont envoyés comme des ouvriers dans sa vigne. Le poids qui fatigue les membres du corps et ébranle la sérénité de l'âme, loin de les détourner d'aller travailler à la vigne, les invite à vivre leur vocation humaine et chrétienne et à participer à la croissance du Royaume de Dieu sous des modalités nouvelles et même plus précieuses. Les paroles de l'apôtre Paul doivent devenir leur programme et, tout d'abord, elles sont une lumière qui fait briller à leurs yeux le sens de grâce de leur situation elle-même: «Ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son Corps qui est l'Eglise» (Col 1, 24). C'est en faisant cette découverte que l'Apôtre est arrivé à la joie: «Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous» (Col 1, 24). Pareillement, beaucoup de malades peuvent devenir porteurs de «la joie de l'Esprit Saint au milieu de bien des épreuves» (1 Th 1, 6) et être témoins de la Résurrection de Jésus. Comme l'a exprimé un handicapé au cours de son intervention dans une séance du Synode, «il est très important de mettre en lumière le fait que les chrétiens qui vivent dans des situations de maladie, de souffrances, de vieillesse, sont invités par Dieu non pas seulement à unir leur propre douleur à la Passion du Christ, mais aussi à accueillir dès maintenant en eux-mêmes et à transmettre aux autres la force de renouveau et la joie du Christ ressuscité (cf. 2 Co 4, 10-11; 1 P 4, 13; Rm 8, 18 et suiv.)»(199).

L'Eglise, de son côté, comme on le lit dans la Lettre Apostolique Salvifici doloris, «elle qui naît du mystère de la rédemption dans la Croix du Christ, a le devoir de chercher à rencontrer l'homme d'une façon particulière sur le chemin de la souffrance. En cette rencontre, l'homme "devient le chemin de l'Eglise" et c'est là l'un des chemins les plus importants»(200). L'homme qui souffre est le chemin de l'Eglise, parce qu'il est, avant tout, le chemin du Christ Lui-même, bon Samaritain, qui «ne passe pas son chemin», mais qui «a compassion de lui ..., s'approche de lui ..., bande ses plaies ..., prend soin de lui» (Lc 10, 32-34).

La communauté chrétienne a transcrit, de siècle en siècle, dans l'immense multitude des personnes malades et souffrantes, la parabole du bon Samaritain, en révélant et en communiquant l'amour de guérison et de consolation du Christ. Cela s'est fait par le moyen du témoignage de la vie religieuse consacrée au service des malades et par l'engagement infatigable de toutes les personnes qui s'occupent des services de la santé. Aujourd'hui, même dans les hôpitaux et les maisons de soins catholiques, on voit s'accroître, jusqu'à devenir parfois totale et exclusive, la présence des fidèles laïcs, hommes et femmes: c'est justement eux, médecins, infirmiers et infirmières, tout le personnel de la santé et les aides bénévoles, qui sont appelés à être l'image vivante du Christ et de son Eglise dans l'amour envers les malades et les souffrants.

Action pastorale rénovée

54. Il faut que cet héritage si précieux que l'Eglise a reçu de Jésus-Christ, «médecin de la chair et de l'âme»(201), ne diminue pas, mais qu'il soit de plus en plus mis en valeur et enrichi grâce à une reprise et un nouvel élan de l'action pastorale pour et avec les malades et les personnes qui souffrent. Ce doit être une action capable de soutenir et de promouvoir attention, présence, écoute, dialogue, partage et assistance concrète apportés à la personne dans les moments où, par la maladie et la souffrance, est mise à rude épreuve non seulement sa confiance dans la vie mais aussi sa foi même en Dieu et en son amour de Père. Ce renouveau pastoral trouve son expression la plus signifiante dans la célébration sacramentelle avec et pour les malades, comme force dans la douleur et dans la faiblesse, comme espérance dans le désespoir, comme lieu de rencontre et de fête.

Un des objectifs fondamentaux de cette action pastorale renouvelée et intensifiée, qui ne peut pas ne pas englober, et de façon coordonnée, toutes les composantes de la communauté ecclésiale, c'est de considérer le malade, l'handicapé, la personne qui souffre, non pas simplement comme bénéficiaire de l'amour et du service offerts par l'Eglise, mais aussi comme sujet actif et responsable de l'oeuvre d'évangélisation et de salut.

Dans cette perspective, l'Eglise a la bonne nouvelle à publier à l'intérieur de la société et des cultures qui, ayant perdu le sens de la souffrance humaine, «censurent» tous les discours qui parlent de cette réalité de la vie. La bonne nouvelle, c'est l'annonce que souffrir peut avoir un sens positif pour l'homme et pour la société elle-même, étant donné que souffrir est orienté à devenir une forme de participation à la souffrance salvifique du Christ et à sa joie de ressuscité, que c'est donc une force de sanctification et d'édification de l'Eglise.

L'annonce de cette bonne nouvelle devient crédible lorsqu'elle n'est pas seulement un discours dit du bout des lèvres, mais passe à travers le témoignage de la vie, que ce soit celui de tous ceux qui prennent soin de la santé des malades, des handicapés et de ceux qui souffrent, mais aussi celui des malades eux-mêmes, rendus plus conscients et responsables de leur place et de leur tâche dans l'Eglise et pour l'Eglise.

Pour que la «civilisation de l'amour» puisse fleurir et porter du fruit dans le monde immense de la douleur humaine, il sera utile de relire et aussi de méditer à nouveau la Lettre Apostolique Salvifici doloris, dont nous rappelons ici la conclusion: «Il est donc nécessaire qu'au pied de la Croix du Calvaire se rassemblent en esprit tous ceux qui souffrent et qui croient au Christ, en particulier ceux qui souffrent à cause de leur foi en Lui, crucifié et ressuscité, afin que l'oblation de leurs souffrances hâte la réalisation de la prière du Sauveur Lui-même pour l'unité de tous. Que se rassemblent là aussi les hommes de bonne volonté, car sur la Croix se tient le "Rédempteur de l'homme", l'Homme de douleur qui a assumé en lui les souffrances physiques et morales des hommes de tous les temps, afin qu'ils puissent trouver dans l'amour le sens salvifique de leurs souffrances et des réponses fondées à toutes leurs interrogations. Avec Marie, Mère du Christ, qui se tenait au pied de la Croix, nous nous arrêtons près de toutes les croix de l'homme d'aujourd'hui. Nous invoquons tous les saints qui au cours des siècles ont participé spécialement aux souffrances du Christ. Nous leur demandons de nous soutenir. Et nous demandons à vous tous qui souffrez de nous aider. A vous précisément qui êtes faibles, nous demandons de devenir une source de force pour l'Eglise et pour l'humanité. Dans le terrible combat entre les forces du bien et du mal dont le monde contemporain nous offre le spectacle, que votre souffrance unie à la Croix du Christ soit victorieuse!»(202).

Etats de vie et vocations

55. Les ouvriers de la Vigne sont tous les membres du Peuple de Dieu: les prêtres, les religieux et les religieuses, les fidèles laïcs, tous ceux qui sont à la fois objet et sujet de la communion de l'Eglise et de la participation à sa mission de salut. Tous et chacun, nous travaillons à l'unique Vigne du Seigneur commune à tous, avec des charismes et des ministères divers et complémentaires.

Déjà sur le plan de l'être, avant même celui de l'agir, les chrétiens sont les sarments de l'unique vigne féconde, qui est le Christ; ils sont les membres vivants de l'unique Corps du Seigneur, édifié dans la force de l'Esprit. Sur le plan de l'être: cela ne veut pas dire seulement par la vie de grâce et de sainteté, qui est la première et la plus abondante source de la fécondité apostolique et missionnaire de notre Sainte Mère l'Eglise; cela signifie aussi par le moyen de la sainteté de vie qui caractérise les prêtres et les diacres, les religieux et les religieuses, les membres des instituts séculiers, les fidèles laïcs.

Dans l'Eglise-Communion, les états de vie sont si unis entre eux qu'ils sont ordonnés l'un à l'autre. Leur sens profond est le même, il est unique pour tous: celui d'être une façon de vivre l'égale dignité chrétienne et la vocation universelle à la sainteté dans la perfection de l'amour. Les modalités sont tout à la fois diverses et complémentaires, de sorte que chacune d'elles a sa physionomie originale et qu'on ne saurait confondre, et, en même temps, chacune se situe en relation avec les autres et à leur service.

Ainsi l'état de vie du fidèle laïc a comme trait spécifique son caractère séculier et il réalise un service ecclésial en attestant et en rappelant, à sa manière, aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, le sens que les réalités terrestres et temporelles possèdent dans le dessein salvifique de Dieu. A son tour, le sacerdoce ministériel représente la garantie permanente de la présence sacramentelle, dans la diversité des temps et des lieux, du Christ Rédempteur. L'état religieux témoigne du caractère eschatologique de l'Eglise ou, en d'autres termes, de sa tension vers le Royaume de Dieu, qui est préfiguré et en quelque sorte anticipé et déjà goûté par les voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.

Tous les états de vie, tant dans leur ensemble que chacun d'eux par rapport aux autres, sont au service de la croissance de l'Eglise; ce sont des modalités diverses qui s'unifient profondément dans le «mystère de communion» de l'Eglise et qui se coordonnent, avec un profond dynamisme, dans sa mission unique.

De cette façon, le mystère unique et identique de l'Eglise révèle et revit, dans la diversité des états de vie et dans la variété des vocations, l'infinie richesse du mystère du Christ. Comme se plaisent à le répéter les Pères, l'Eglise est comme un champ où l'on trouve une merveilleuse, une fascinante variété d'herbes, de plantes, de fleurs et de fruits. Saint Ambroise écrit: «Un champ produit beaucoup de fruits, mais le meilleur est celui qui produit des fruits et des fleurs. Or le champ de l'Eglise porte en abondance les uns et les autres. Ici, vous pouvez voir la virginité se mettre à fleurir, là, le veuvage manifester son austérité comme les forêts dans la plaine; ailleurs, la riche moisson des noces bénies par l'Eglise remplir les immenses greniers du monde d'une abondante récolte, et les pressoirs du Seigneur Jésus déborder comme des fruits d'une vigne florissante, fruits qui sont la richesse des noces chrétiennes»(203).

Les diverses vocations laïques

56. La riche variété de l'Eglise trouve sa dernière manifestation à l'intérieur de chacun des états de vie. Ainsi à l'intérieur de l'état de vie laïque se trouvent différentes «vocations», en d'autres termes, des chemins spirituels et apostoliques différents qui concernent chacun des fidèles laïcs. Dans le sillon d'une vocation laïque «commune», fleurissent des vocations laïques «particulières». A ce propos, nous pouvons mentionner ici l'expérience spirituelle qui a mûri récemment dans l'Eglise et a produit une floraison de différentes formes d'Instituts séculiers: aux fidèles laïcs, mais aussi aux prêtres eux-mêmes, s'est ouverte la possibilité de pratiquer les conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance par le moyen des voeux ou de promesses, en conservant pleinement leur condition propre de laïcs et de clercs(204). Comme l'ont noté les Pères du Synode: «L'Esprit suscite encore d'autres formes d'offrande de soi même auxquelles se consacrent des personnes qui restent entièrement dans la vie laïque»(205).

Nous pouvons conclure en relisant une belle page de Saint François de Sales, qui a tant promu la spiritualité des laïcs(206). Parlant de la «dévotion», c'est-à-dire de la perfection chrétienne ou de «la vie selon l'Esprit», il présente d'une manière simple et splendide la vocation de tous les chrétiens à la sainteté et, en même temps, la forme spécifique dans laquelle la réalise chaque chrétien: «Dieu commanda à la création, aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son genre (Gn 1, 11): ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier ... C'est une erreur, même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, ne peut être exercée en ces vocations-là; mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent en états séculiers... Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à vie parfaite»(207).

Se situant dans la même ligne, le Concile Vatican II écrit: «Cette spiritualité des laïcs doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun: vie conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie, activité professionnelle et sociale. Chacun doit donc développer sans cesse les qualités et les dons reçus et en particulier ceux qui sont adaptés à ses conditions de vie et se servir des dons personnels de l'Esprit Saint»(208).

Ce qui vaut des vocations spirituelles vaut aussi, et en un certain sens à plus forte raison, de l'infinie variété des modalités selon lesquelles tous les membres de l'Eglise, et chacun d'eux, sont des ouvriers qui travaillent dans la Vigne du Seigneur, édifiant le Corps mystique du Christ. En vérité, chacun est appelé personnellement, dans l'unicité de son histoire personnelle, à apporter sa propre contribution pour l'avènement du Royaume de Dieu. Aucun talent, fût-ce le plus petit, ne peut rester caché et inutilisé (cf. Mt 25, 24-27).

L'apôtre Pierre nous adresse cet avertissement: «Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes» (1 P 4, 10).

CHAPITRE V

POUR QUE VOUS PORTIEZ DU FRUIT
La formation des fidèles laïcs

Acquérir toujours plus de maturité

57. L'image évangélique de la vigne et des sarments nous révèle un autre aspect fondamental de la vie et de la mission des fidèles laïcs: l'appel à grandir, et à murir sans cesse, à porter toujours plus de fruit.

Comme un vigneron diligent, le Père prend soin de sa vigne. La présence empressée de Dieu est ardemment implorée par Israël qui fait cette prière: «Dieu de l'univers, reviens! Du haut des cieux regarde et vois, visite cette vigne: protège-la, celle qu'a plantée ta main puissante» (Ps 80, 15-16). Jésus à son tour parle de l'oeuvre du Père: «Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l'enlève; tout sarment qui donne du fruit, Il le nettoie, pour qu'il en donne davantage» (Jn 15, 1-2).

La vitalité des sarments dépend de leur insertion dans la vigne, qui est Jésus-Christ: «Celui qui demeure en moi et en qui je demeure,celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15, 5).

L'homme est interpellé dans sa liberté par l'appel de Dieu à croître, à mûrir et à porter du fruit. Il ne peut pas ne pas répondre, il ne peut pas ne pas assumer sa responsabilité. Et c'est à cette responsabilité, effrayante et exaltante, que font allusion ces paroles de Jésus: «Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu'on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent» (Jn 15, 6).

En ce dialogue entre Dieu qui appelle et la personne interpellée dans sa responsabilité se situe la possibilité, et même la nécessité, d'une formation intégrale et permanente des fidèles laïcs, à laquelle les Pères du Synode ont consacré à juste titre une large part de leur travail. En particulier, après avoir décrit la formation chrétienne comme «un processus personnel continuel de maturation dans la foi et de ressemblance au Christ, selon la volonté du Père, sous la conduite de l'Esprit Saint», ils ont clairement affirmé que «la formation des fidèles laïcs doit se situer parmi les priorités du diocèse et trouver sa place dans les programmes d'action pastorale, de sorte que tous les efforts de la communauté (prêtres, laïcs, religieux) convergent à cette fin»(209).

Découvrir et vivre sa vocation et sa mission personnelles

58. La formation des fidèles laïcs a comme objectif fondamental la découverte toujours plus claire de leur vocation personnelle et la disponibilité toujours plus grande à la vivre dans l'accomplissement de leur propre mission.

Dieu m'appelle et Il m'envoie comme ouvrier à sa vigne; Il m'appelle et Il m'envoie travailler à l'avènement de son Règne dans l'histoire: cette vocation et cette mission personnelles définissent la dignité et la responsabilité de chaque fidèle laïc, et elles constituent la ligne de force de toute l'oeuvre de formation. Celle-ci a pour but d'aider à reconnaître avec joie et gratitude cette dignité et à faire face fidèlement et généreusement à cette responsabilité.

Dieu, en effet, a pensé à nous de toute éternité et Il nous a aimés comme des personnes uniques et irremplacables, appelant chacun de nous par son nom propre, comme le Bon Pasteur, qui «appelle ses brebis par leur nom» (Jn 10, 3). Mais le plan éternel de Dieu ne se révèle à chacun de nous que dans le développement historique de sa vie et de ses vicissitudes, et de ce fait, graduellement: en un certain sens, jour après iour.

Or, pour pouvoir découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, les conditions indispensables sont: l'écoute prompte et docile de la parole de Dieu, la prière fidèle et constante, la relation avec un guide spirituel sage et aimant, la lecture, dans la foi, des dons et des talents recus et, en même temps, des diverses situations sociales et historiques où l'on est place.

Dans la vie de chaque fidèle laïc, il y a, en outre, des moments particulièrement significatifs et décisifs pour discerner l'appel de Dieu et pour recevoir la mission qu'Il confie: parmi ces moments, il y a le temps de l'adolescence et de la jeunesse. Que personne cependant n'oublie que le Seigneur, comme le maître du domaine dans la parabole, appelle _ dans le sens qu'Il fait connaître sa sainte volonté de façon concrète et précise _ à toutes les heures de la vie; voilà pourquoi la vigilance, dans le sens d'attention empressée à la voix de Dieu, est une attitude fondamentale et constante du disciple.

Quoiqu'il en soit, il ne s'agit pas simplement de savoir ce que Dieu veut de nous, de chacun de nous, dans les différentes situations de la vie. Il faut faire ce que Dieu veut; c'est ce que nous rappelle la parole de Marie, la Mère de Dieu, s'adressant aux serviteurs à Cana: «Faites tout ce qu'il vous dira» (Jn 2, 5).

Et pour agir en toute fidélité à la volonté de Dieu, il faut en être capables, et s'en rendre toujours plus capables. Avec la grâce du Seigneur, assurément: Elle ne manque jamais, comme le dit Saint Léon le Grand: «Celui qui vous a donné la dignité, vous donnera la force!»(210). Mais aussi avec la coopération libre et responsable de chacun de nous.

Telle est la tâche merveilleuse et absorbante qui attend tous les fidèles laïcs, tous les chrétiens, sans aucun répit: connaître toujours plus les richesses de la foi et du Baptême et les vivre en une plénitude sans cesse croissante, comme nous y exhorte l'apôtre Pierre, qui parle de naissance et de croissance comme de deux étapes de la vie chrétienne: «Soyez semblables à des enfants nouveau-nés, soyez avides de la Parole, comme d'un lait pur qui vous fera grandir pour arriver au salut» (1 P 2, 2).

Une formation intégrale à vivre dans l'unité

59. La découverte et la réalisation de leur vocation et leur mission personnelles comportent, pour les fidèles laïcs, l'exigence d'une formation à la vie dans l'unité, dont ils portent la marque dans leur être même de membres de l'Eglise et de citoyens de la société humaine.

Dans leur existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles: d'un côté, la vie qu'on nomme «spirituelle» avec ses valeurs et ses exigences; et de l'autre, la vie dite «séculière», c'est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles. Le sarment greffé sur la vigne qui est le Christ donne ses fruits en tout secteur de l'activité et de l'existence. Tous les secteurs de la vie laïque, en effet, rentrent dans le dessein de Dieu, qui les veut comme le «lieu historique» de la révélation et de la réalisation de la charité de Jésus Christ à la gloire du Père et au service des frères. Toute activité, toute situation, tout engagement concret _ comme, par exemple, la compétence et la solidarité dans le travail, l'amour et le dévouement dans la famille et dans l'éducation des enfants, le service social et politique, la présentation de la vérité dans le monde de la culture _ tout cela est occasion providentielle pour «un exercice continuel de la foi, de l'espérance et de la charité»(211).

C'est à cette unité de vie que le Concile Vatican II a invité tous les fidèles laïcs en dénonçant avec force la gravité de la fracture entre la foi et la vie, entre l'Evangile et la Culture: «Le Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l'une et l'autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l'esprit de l'Evangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous mar chons vers la cité future, croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir plus pressant. Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à l'inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités terrestres, en agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse _ celle-ci se limitant alors pour eux à l'exercice du culte et à quelques obligations morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps»(212).

C'est pourquoi j'ai affirmé qu'une foi qui ne devient pas culture est une foi «qui n'est pas pleinement reçue, pas entièrement pensée, pas fidèlement vécue»(213).

Aspects de la formation

60. En cette synthèse de vie se situent les nombreux aspects coordonnés de la formation intégrale des fidèles laïcs.

Il n'est pas douteux que la formation spirituelle ne doive occuper une place privilégiée dans la vie de chacun, car chacun est appelé à grandir sans cesse dans l'intimité avec Jésus-Christ, dans la conformité à la volonté du Père,dans le dévouement à ses frères dans la charité et dans la justice. Le Concile écrit: «Cette vie d'intime union avec le Christ dans l'Eglise est alimentée par des nourritures spirituelles communes à tous les fidèles, en particulier par la participation active à la sainte Liturgie. Les laïcs doivent les employer de telle sorte que, remplissant parfaitement les obligations du monde dans les conditions ordinaires de l'existence, ils ne séparent pas l'union au Christ et leur vie, mais grandissent dans cette union en accomplissant leurs travaux selon la volonté de Dieu»(214).

La formation doctrinale des fidèles se révèle de nos jours de plus en plus urgente, du fait non seulement du dynamisme naturel d'approfondissement de la foi, mais aussi de la nécessité de «rendre raison de l'espérance» qui est en eux en face du monde et de ses problèmes graves et complexes. De là découle l'absolue nécessité d'une action systématique de catéchèse, adaptée à l'âge et aux diverses situations de vie, et d'une promotion chrétienne plus résolue de la culture, afin de répondre aux questions éternelles et aux problèmes nouveaux qui agitent l'homme et la société d'aujourd'hui.

Il est tout à fait indispensable, en particulier, que les fidèles laïcs, surtout ceux qui sont engagés de diverses façons sur le terrain social ou politique, aient une connaissance plus précise de la doctrine sociale de l'Eglise, comme les Pères synodaux l'ont demandé à plusieurs reprises dans leurs interventions. Parlant de la participation politique des fidèles laïcs, le Synode s'est exprimé en ces termes: «Pour que les laïcs puissent réaliser activement ce noble projet dans la politique ( à savoir le projet de faire reconnaître et apprécier les valeurs humaines et chrétiennes), il ne suffit pas de les exhorter, il faut leur offrir les moyens voulus pour former leur conscience sociale, spécialement dans la doctrine sociale de l'Eglise, qui renferme des principes de réflexion, des critères de jugement et des directives pour l'action (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, "Instruction sur Liberté chrétienne et libération", 72). Cette doctrine doit se trouver déjà dans le programme de base de la catéchèse et être expliquée dans des sessions spécialisées ainsi que dans les écoles et universités. Il convient de noter que la doctrine sociale de l'Eglise est dynamique, c'est-à-dire qu'elle s'adapte aux circonstances de temps et de lieux. Les pasteurs ont le droit et le devoir de proposer des principes de moralité en matière d'ordre social comme en d'autres domaines; tous les chrétiens doivent s'employer à la défense des droits de l'homme; mais l'engagement actif dans les partis politiques est réservé aux laïcs»(215).

Dans le contexte de la formation intégrale et unitaire des fidèles laïcs, le souci de cultiver les valeurs humaines doit avoir sa place; il est important pour l'action missionnaire et apostolique. C'est précisément en ce sens que le Concile a écrit: «(Les laïcs) estimeront beaucoup la compétence professionnelle, le sens familial et civique, et les vertus qui regardent la vie sociale telles que la probité, l'esprit de justice, la sincérité, la délicatesse, la force d'âme; sans elles il n'y a pas de vraie vie chrétienne»(216).

Collaborateurs de Dieu éducateur

61. Quels sont les lieux et les moyens de formation des fidèles? Quelles sont les personnes et les communautés appelées à remplir ce devoir de la formation intégrale et unitaire des laïcs?

De même que l'oeuvre de l'éducation de l'homme est intimement liée à la paternité et à la maternité, ainsi la formation chrétienne trouve sa racine et sa force en Dieu; Il est le Père qui aime et éduque ses enfants. Oui, Dieu est le premier et le grand éducateur de son Peuple, comme le dit l'étonnant passage du Chant de Moïse: «Au pays de la steppe, Il l'adopte, dans la solitude éclatante du désert. Il l'entoure, Il l'élève, Il le garde comme la prunelle de son oeil. Tel un vautour qui veille sur son nid, plane au-dessus de ses petits, Il déploie ses ailes et le prend, Il le soutient sur son pennage. Le Seigneur est seul pour le conduire, point de Dieu étranger avec lui» (Dt 32, 10-12; cf. 8, 5).

L'oeuvre éducative de Dieu se révèle et s'achève en Jésus, le Maître, et elle touche, par le dedans, le coeur de tout homme, grâce à la présence dynamique de l'Esprit. L'Eglise-mère est appelée à s'associer à cette oeuvre d'éducation divine, l'Eglise tant en elle-même que dans ses diverses articulations et expressions. C'est ainsi que les fidèles laïcs sont formés par l'Eglise et dans l'Eglise, dans une communion et collaboration réciproque de tous ses membres: prêtres, religieux et fidèles laïcs. C'est ainsi que la communauté ecclésiale tout entière, dans la variété de ses membres, reçoit la fécondité de l'Esprit et y apporte sa collaboration. C'est en ce sens que Méthode d'Olympe écrivait: «Les imparfaits ... sont portés et formés, comme dans le sein d'une mère, par ceux qui sont plus parfaits, afin qu'ils soient conçus et engendrés par la grandeur et la beauté de la vertu»(217); c'est ce qui se produisit pour Saint Paul, porté et introduit dans l'Eglise par les chrétiens formés (en la personne d'Ananie) et devenu ensuite à son tour parfait et père spirituel de tant de fils!

L'oeuvre éducative est avant tout le fait de l'Eglise universelle; le Pape y exerce son rôle de premier formateur des fidèles laïcs. A lui, parce que successeur de Pierre, revient le ministère de «confirmer dans la foi ses frères» en enseignant à tous les croyants les éléments essentiels de la vocation et de la mission chrétiennes et ecclésiales. Non seulement les paroles qu'il prononce lui-même, mais aussi celles que transmettent les documents des divers Dicastères du Saint-Siège demandent à être écoutées avec une docilité aimante par les fidèles laïcs.

L'Eglise Une et universelle est présente en chacune des diverses parties du monde, dans les Eglises particulières. En chacune d'elles, l'Evêque a une responsabilité personnelle par rapport aux fidèles laïcs; il doit les former par l'annonce de la parole, la célébration de l'Eucharistie et des sacrements, l'animation et la direction de leur vie chrétienne.

A l'intérieur de l'Eglise particulière ou diocèse, se situe et agit la paroisse, qui a un rôle essentiel dans la formation plus immédiate et personnelle des fidèles laïcs. En effet, ayant plus de facilité à atteindre chaque personne en particulier et chaque groupe, la paroisse est appelée à former ses membres à l'écoute de la Parole de Dieu, au dialogue liturgique et personnel avec Dieu, à la vie de charité fraternelle, et à faire percevoir d'une façon plus directe et concrète le sens de la communion ecclésiale et de la responsabilité missionnaire.

A l'intérieur encore de certaines paroisses, surtout de celles qui sont vastes et dispersées, les petites communautés ecclésiales présentes peuvent être de grande utilité dans la formation des chrétiens, en rendant plus capillaires et pénétrantes la conscience et l'expérience de la communion et de la mission ecclésiale. Une autre forme d'aide peut être offerte, comme l'ont déclaré les Pères synodaux, par une catéchèse post baptismale sous forme de catéchuménat, consistant à proposer de nouveau certains éléments du Rituel de l'Initiation Chrétienne des Adultes, de façon à faire accueillir et vivre les richesses immenses et extraordinaires du baptême reçu, ainsi que les responsabilités qui en découlent(218).

Dans la formation que les fidèles laïcs reçoivent dans leur diocèse ou dans leur paroisse, spécialement pour ce qui regarde le sens de la communion et de la mission, le soutien que s'apportent réciproquement les différents membres de l'Eglise est d'une importance particulière: c'est un soutien qui, tout à la fois, révèle et réalise le mystère de l'Eglise Mère et Educatrice. Les prêtres et les religieux doivent aider les fidèles laïcs dans leur formation. En ce sens, les Pères du Synode ont invité les prêtres et les candidats aux Ordres à «se préparer avec soin à être capables de favoriser la vocation et la mission des laïcs»(219). A leur tour, les fidèles laïcs eux-mêmes peuvent et doivent aider les prêtres et les religieux dans leur cheminement spirituel et pastoral.

Autres milieux d'éducation

62. La famille chrétienne, elle aussi, en tant qu'«Eglise domestique», constitue une école naturelle et fondamentale pour la formation de la foi: le père et la mère reçoivent du sacrement de Mariage la grâce et le ministère de l'éducation chrétienne de leurs enfants, devant lesquels ils portent témoignage et à qui ils transmettent à la fois les valeurs humaines et les valeurs religieuses. En apprenant les premiers mots, les enfants apprennent aussi à louer Dieu, qu'ils sentent près d'eux comme un Père plein d'amour et de prévenance; en apprenant les premiers gestes d'affection, les enfants apprennent aussi à s'ouvrir aux autres et à percevoir dans le don d'eux-mêmes le sens de la vie humaine. La vie quotidienne elle-même d'une famille authentiquement chrétienne constitue la première «expérience d'Eglise», destinée à trouver confirmation et développement dans l'insertion active et responsable des enfants dans une plus vaste communauté ecclésiale et dans la société civile. Plus les époux et les parents chrétiens grandiront dans la conscience que leur «Eglise domestique» participe à la vie et à la mission de l'Eglise universelle, plus aussi leurs enfants pourront être formés au «sens de l'Eglise» et comprendront la beauté qu'il y a à consacrer leur énergie au service du Royaume de Dieu.

Les écoles et les universités catholiques sont aussi des lieux importants de formation, et de même les centres de renouveau spirituel qui, aujourd'hui, vont se multipliant. Comme l'ont relevé les Pères du Synode, dans notre contexte actuel, social et historique, marqué par une profonde évolution culturelle, la participation des parents chrétiens à la vie de l'école est loin de suffire; il faut préparer des fidèles laïcs qui se consacrent à l'oeuvre d'éducation comme à une mission ecclésiale proprement dite; il faut constituer et développer des «communautés éducatives» formées à la fois de parents, d'enseignants, de prêtres, de religieux et religieuses, de représentants des jeunes. Et pour que l'école puisse exercer dignement sa fonction d'éducation, les fidèles laïcs doivent se sentir engagés à exiger de tous et à promouvoir en faveur de tous une véritable liberté d'éducation, y compris au moyen d'une législation civile adaptée(220).

Les Pères du Synode ont eu des paroles d'estime et d'encouragement à l'adresse de tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, avec un profond esprit civique et chrétien, assument une tâche éducative dans l'école et dans des instituts de formation. Ils ont, en outre, marqué l'urgente nécessité que les fidèles laïcs maîtres ou professeurs dans les diverses écoles, catholiques ou non, soient de vrais témoins de l'Evangile, par l'exemple de leur vie, leur compétence et leur conscience profesionnelle, l'inspiration chrétienne de leur enseignement, respectant toujours _ évidemment _ l'autonomie des différentes sciences et disciplines. Il est particulièrement important que la recherche scientifique et technique menée par des fidèles laïcs prenne comme critère le service de l'homme dans la totalité de ses valeurs et de ses exigences: à ces fidèles laïcs, l'Eglise confie le soin de rendre plus compréhensible à tous le lien intime qui existe entre la foi et la science, entre l'Evangile et la culture humaine(221).

«Ce Synode _ lisons-nous dans l'une des propositions _ fait appel au rôle prophétique des écoles et des universités catholiques et loue le dévouement des maîtres et des enseignants, actuellement en très grande partie laïcs, pour que, dans les maisons d'éducation catholique, ils puissent former des hommes et des femmes en qui s'incarne "le commandement nouveau". La présence simultanée de prêtres et de laïcs, et aussi de religieux et de religieuses, offre aux étudiants une vivante image de l'Eglise et facilite la connaissance de ses richesses (cf. Congrégation pour l'Education Catholique, "Le laïc éducateur, témoin de la foi dans les écoles")»(222).

Pareillement, les groupes, les associations et les mouvements ont leur place dans la formation des fidèles laïcs: ils ont, en effet, chacun avec leurs méthodes propres, la possibilité d'offrir une formation profondément ancrée dans l'expérience même de la vie apostolique; ils ont également l'occasion de compléter, de concrétiser et de spécifier la formation que leurs membres reçoivent d'autres maîtres ou d'autres communautés.

La formation réciproquement reçue et donnée par tous

63. La formation n'est pas le privilège de certains, mais bien un droit et un devoir pour tous. A ce sujet, les Pères synodaux ont demandé «que la possibilité de la formation soit offerte à tous, surtout aux pauvres, qui à leur tour peuvent être eux-mêmes des sources de formation pour tous»; et ils ont ajouté: «Pour la formation, qu'on emploie des moyens adaptés qui aideront les chrétiens à mieux réaliser leur pleine vocation humaine et chrétienne»(223).

Pour mettre en oeuvre une pastorale vraiment efficace, il est nécessaire de promouvoir, y compris en instituant des cours et des écoles spécialisées, la formation des formateurs. Former ceux qui, à leur tour, devront s'employer à la formation des fidèles laïcs, constitue une exigence première pour assurer la formation générale et capillaire de tout le Peuple de Dieu, de tous les fidèles laïcs.

Dans l'oeuvre de formation, il est nécessaire de consacrer une attention spéciale à la culture locale, selon l'invitation explicite du Synode: «La formation des chrétiens tiendra le plus grand compte de la culture humaine du lieu, qui contribue à la formation elle-même, et elle guidera dans le jugement des valeurs déjà contenues dans la culture traditionnelle et de celles qui se trouvent dans la culture moderne. Il faut donner l'attention requise aux différentes cultures qui peuvent coexister en un même peuple, en une même nation. L'Eglise, Mère et Maîtresse des peuples, s'efforcera de sauvegarder, le cas échéant, la culture des minorités qui vivent au milieu de grandes nations»(224).

Dans l'oeuvre de la formation, certaines convictions se révèlent particulièrement nécessaires et fécondes. La conviction, tout d'abord, qu'il n'y a pas de formation véritable et efficace si chacun n'assume pas et ne développe pas par lui-même la responsabilité de sa formation: toute formation, en effet, est essentiellement «auto-formation».

La conviction, ensuite, que chacun de nous est à la fois le terme et le principe de la formation: mieux nous nous formons, plus nous nous rendons capables de former les autres.

D'une importance singulière est la conscience que l'oeuvre de formation, qui, assurément, ne peut jamais se passer de recourir avec intelligence aux moyens et aux méthodes des sciences humaines, n'est cependant efficace que dans la mesure de la disponibilité à l'action de Dieu: seul le sarment qui ne craint pas de se laisser émonder par le vigneron porte davantage de fruit pour lui-même et pour les autres.

Appel et prière

64. En conclusion de ce document post-synodal, je me fais l'écho, une fois de plus, de l'invitation du «maître du domaine» dont parle l'Evangile: Allez, vous aussi, à ma vigne. On peut dire que le sens du Synode sur la vocation et la mission des laïcs réside justement en cet appel du Seigneur adressé à tous, et en particulier aux fidèles laïcs, hommes et femmes.

Les travaux du Synode ont constitué pour tous les participants une grande expérience spirituelle: celle d'une Eglise attentive, dans la lumière et la force de l'Esprit Saint, à discerner et à accueillir l'appel répété du Seigneur, en vue de proposer à nouveau au monde d'aujourd'hui le mystère de sa communion et le dynamisme de sa mission de salut, et cela en saisissant bien la place et le rôle spécifiques des fidèles laïcs. Le fruit du Synode, que cette Exhortation entend faire abonder le plus possible dans toutes les Eglises répandues dans le monde, naîtra de l'accueil effectif que l'appel recevra de la part de tout le Peuple de Dieu et, en lui, de la part des fidèles laïcs.

C'est pourquoi j'adresse, à tous et à chacun, une vive exhortation à ne jamais se lasser de maintenir éveillée, dans le coeur et dans la vie, la conscience ecclésiale, c'est-à-dire la conscience d'être membre de l'Eglise de Jésus-Christ et de participer à son mystère de communion et à son énergie apostolique et missionnaire.

Il est souverainement important que tous les chrétiens aient conscience de l'extraordinaire dignité qui leur a été donnée par le Baptême: par grâce, nous sommes appelés à être des enfants aimés du Père, membres incorporés à Jésus-Christ et à son Eglise, temples vivants et saints de l'Esprit. Ecoutons encore une fois, avec émotion et reconnaissance, les paroles de Jean l'Evangéliste: «Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés: Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes!» (1 Jn 3, 1).

Cette «nouveauté chrétienne» donnée aux membres de l'Eglise, qui constitue pour tous la base de la participation à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, et aussi de la vocation à la sainteté dans l'amour, s'exprime et se réalise dans les fidèles laïcs selon le «caractère séculier» qui leur est «propre et particulier».

La conscience ecclésiale comporte, avec le sens de la dignité chrétienne de tous, celui d'appartenir au mystère de l'Eglise-Communion: c'est là un aspect fondamental et décisif pour la vie et pour la mission de l'Eglise. Pour tous et pour chacun, la prière ardente de Jésus à la dernière Cène: «Qu'ils soient un!», doit devenir chaque jour un programme exigeant et inéluctable de vie et d'action.

Le sens vivant de la communion ecclésiale, don de l'Esprit qui sollicite notre réponse libre, aura comme fruit précieux la mise en valeur harmonieuse, dans l'Eglise «une et catholique», de la riche variété des vocations et des conditions de vie, des charismes, des ministères, des tâches et des responsabilités, comme aussi une collaboration plus convaincue et plus résolue des groupes, des associations et des mouvements de fidèles laïcs dans l'accomplissement solidaire de la commune mission de salut de l'Eglise ellemême. Cette communion est déjà en elle-même le premier grand signe de la présence du Christ Sauveur dans le monde; en même temps, elle favorise et elle stimule l'action apostolique directe et missionnaire de l'Eglise.

Au seuil du troisième millénaire, l'Eglise tout entière, pasteurs et fidèles, doit sentir plus fortement la responsabilité qu'elle a d'obéir au commandement du Christ: «Allez dans le monde entier et prêchez l'Evangile à toutes les créatures» (Mc 16, 15), et de prendre un nouvel élan missionnaire. A l'Eglise est confiée une entreprise de grande envergure, exigeante et magnifique: celle d'une nouvelle évangélísation, dont le monde d'aujourd'hui a un immense besoin. Les fidèles laïcs doivent se sentir partie prenante dans cette entreprise, appelés qu'ils sont à annoncer et à vivre l'Evangile, en servant la personne humaine et la société dans tout ce que l'une et l'autre présentent de valeurs et d'exigences.

Le Synode des Evêques, qui s'est déroulé au mois d'octobre de l'Année Mariale, a confié ses travaux, d'une façon toute particulière, à l'intercession de la Vierge Marie, Mère du Rédempteur. C'est à la même intercession que je confie maintenant le succès spirituel des fruits du Synode. Au terme de ce document post-synodal, je m'adresse à la Vierge, en union avec les Pères et les fidèles laïcs présents au Synode, et avec tous les autres membres du Peuple de Dieu. Mon appel se fait prière.

O Vierge très sainte,
Mère du Christ et Mère de l'Eglise,
avec joie et admiration,
nous nous unissons à ton Magnificat,
à ton chant d'amour reconnaissant.

Avec Toi, nous rendons grâce à Dieu,
dont «l'amour s'étend d'âge en âge»,
pour la splendide vocation
et pour la mission multiforme
des fidèles laïcs,
appelés par Dieu, chacun personnellement,
à vivre en communion d'amour
et de sainteté avec Lui
et à être unis fraternellement
dans la grande famille des enfants de Dieu,
envoyés aussi pour rayonner
la lumière du Christ
et communiquer le feu de l'Esprit
par leur vie évangélique
dans tous les secteurs
de la vie du monde.

Vierge du Magnificat,
remplis leurs coeurs
de reconnaissance et d'enthousiasme
pour cette vocation et cette mission.

Toi qui as été,
avec humilité et magnanimité,
«la servante du Seigneur»,
donne-nous la totale disponibilité
qui fut la tienne pour le service de Dieu
et le salut du monde.
Ouvre nos coeurs
aux immenses perspectives
du Règne de Dieu
et de l'annonce de l'Evangile
à toutes les créatures.

Ton coeur de Mère
se préoccupe sans cesse
des nombreux dangers,
des maux innombrables
qui écrasent les hommes et les femmes
de notre temps.
Mais il est attentif aussi
aux nombreuses initiatives
prises en vue du bien,
aux grandes aspirations vers les valeurs,
aux progrès accomplis
qui produisent des fruits abondants de salut.

Vierge courageuse,
inspire-nous la force d'âme
et la confiance en Dieu,
qui nous permettront de surmonter
tous les obstacles que nous rencontrons
dans l'accomplissement de notre mission.
Enseigne-nous à traiter les réalités du monde
avec un sens très vif
de responsabilité chrétienne
et dans la joyeuse espérance
de la venue du Règne de Dieu,
de nouveaux cieux et d'une terre nouvelle.

Toi qui, avec les Apôtres en prière,
te trouvais au Cénacle
dans l'attente de la venue
de l'Esprit de Pentecôte,
demande qu'Il se répande de nouveau
sur tous les fidèles laïcs, hommes et femmes,
pour qu'ils répondent pleinement
à leur vocation et à leur mission,
comme sarments de la vraie vigne,
appelés à porter beaucoup de fruit
pour la vie du monde.

Vierge Mère,
guide-nous et soutiens-nous
pour que nous vivions toujours
comme de véritables fils et filles
de l'Eglise de ton Fils,
et que nous puissions contribuer
à établir sur la terre
la civilisation de la vérité et de l'amour,
selon le désir de Dieu
et pour sa gloire.

Amen.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 30 Décembre, fête de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph, de l'an 1988, onzième de mon Pontificat.

 

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