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LETTRE DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII
AUX SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX
DES ORDRES ET INSTITUTS RELIGIEUX*

A Nos chers Fils les Supérieurs des Ordres et Instituts Religieux. 

 

Chers Fils, salut et Bénédiction Apostolique.

En tout temps, les familles religieuses ont reçu de ce Siège apostolique des témoignages particuliers de sollicitude affectueuse et prévoyante, soit quand elles jouissaient des bienfaits de la paix, soit surtout dans les jours de dures épreuves comme ceux que vous traversez en ce moment.

Les graves attaques qui, dans quelques pays, ont été récemment dirigées contre les ordres et les instituts soumis à votre autorité, Nous causent une douleur profonde. La Sainte Eglise en gémit, parce qu'elle se sent tout à la fois blessée au vif dans ses droits et sérieusement entravée dans son action qui, pour se déployer librement, a besoin du concours des deux clergés, séculier et régulier; en vérité, qui touche à ses prêtres, la touche à la prunelle de l’œil. Pour Notre part, vous le savez, Nous avons essayé de tous les moyens pour détourner de vous une persécution si indigne, en même temps que pour épargner à ces pays des malheurs aussi grands qu'immérités. C'est pourquoi dans plusieurs occasions, Nous avons plaidé votre cause de tout Notre pouvoir, au nom de la religion, de la justice et de la civilisation. Mais nous espérions en vain que Nos remontrances seraient entendues. Voici, en effet, que dans ces jours-ci, chez une nation singulièrement féconde en vocations religieuses, que Nous avions toujours entourée de soins très particuliers, les pouvoirs publics ont approuvé et promulgué des lois d'exception à propos desquelles Nous avions, il y a peu de mois, élevé la voix dans l'espérance de les conjurer.

Nous souvenant de nos devoirs sacrés et suivant l'exemple de Nos illustres prédécesseurs, Nous réprouvons hautement de telles lois parce qu'elles sont contraires au droit naturel et évangélique, confirmé par une tradition constante, de s'associer pour mener un genre de vie non seulement honnête en lui-même, mais particulièrement saint ; contraires également au droit absolu que l'Eglise a de fonder des instituts religieux exclusivement soumis à son autorité, pour l'aider dans l'accomplissement de sa mission divine, tout en produisant les plus grands bienfaits d'ordre religieux et civil, à l'avantage particulier de cette très noble nation elle-même.

Et maintenant Nous Nous sentons intérieurement poussé à vous ouvrir Notre cœur paternel, dans le désir de vous donner et de recevoir de vous quelque consolation sainte, et en même temps pour vous adresser des enseignements opportuns, afin que, demeurant plus fermes encore dans l'épreuve, vous en recueilliez des mérites abondants devant Dieu et devant les hommes.

Parmi les nombreux motifs de courage qui naissent de la foi, rappelez-vous, chers fils, cette parole solennelle de Jésus-Christ : Vous serez heureux lors qu'on vous maudira et qu'on vous persécutera et qu'on mentira de toute manière contre vous à cause de moi (Matth. 5, II). Reproches, calomnies, vexations fondront sur vous à cause de moi : alors vous serez heureux. On a beau, en effet, multiplier contre vous les prétextes d'accusation pour vous abaisser : la triste réalité n'en éclate pas moins à tous les yeux. La véritable raison de vous poursuivre, c'est la haine capitale du monde contre la Cité de Dieu qui est l'Eglise catholique. La véritable intention, c'est de chasser, si c'est possible, de la société, l'action restauratrice du Christ, si universellement bienfaisante et salutaire. Personne n'ignore que les religieux de l'un et de l'autre sexe forment une élite dans la Cité de Dieu ; que ce sont eux qui représentent particulièrement l'esprit et la mortification de Jésus-Christ ; eux qui, par l'observation des conseils évangéliques tendent à porter les vertus chrétiennes au comble de la perfection ; eux qui de bien des manières, secondent puissamment l'action de l'Eglise. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui, comme dans d'autres temps, sous d'autres formes iniques, la Cité du mondes insurge contre eux, surtout les hommes qui, par des pactes sacrilèges, sont plus étroitement liés et plus servilement soumis au Prince du monde lui-même.

Il est clair qu'ils considèrent la dissolution et l'extinction des Ordres religieux comme une manœuvre habile pour réaliser leur dessein préconçu de pousser les nations catholiques dans la voie de l'apostasie et de la rupture avec Jésus-Christ. Mais s'il en est ainsi, on peut dire de vous en toute vérité : Vous êtes heureux, parce que vous n'êtes haïs et poursuivis qu'à cause du genre de vie que vous avez librement choisi par attachement pour le Christ.

Si vous suiviez les maximes et les volontés du monde, il ne vous inquiéterait pas et vous comblerait même de ses faveurs. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, mais parce que vous marchez dans des voies opposées aux siennes, vous êtes exposés aux insultes et à là guerre. A cause de cela, le monde vous hait (Ioann. XV, 19). Le Christ lui-même vous l'a prédit. Aussi vous regarde-t-il avec d'autant plus de complaisance et de prédilection qu'il vous voit plus conformes à lui-même quand vous souffrez pour la justice. Et vous, participant aux souffrances du Christ, réjouissez-vous (I Petr. IV, 13). Aspirez au courage de ces héros qui s'en allaient joyeux à la vue de l'assemblée, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir pour Jésus-Christ (Act. V, 41).

A cette gloire qui vient du témoignage de votre conscience (II Cor. I, 12), se joignent, sans que vous les recherchiez, les bénédictions de tous les honnêtes gens. Tous ceux qui s'intéressent vraiment à la paix et à la prospérité du pays, estiment qu'il n'y a pas de citoyens plus honnêtes, plus dévoués et plus utiles à leur patrie que les membres des Congrégations religieuses ; et ils tremblent à la pensée de perdre, en vous perdant, tant de biens précieux qui tiennent à votre existence. C'est une multitude d'indigents, de délaissés, de malheureux au profit desquels vous avez fondé et vous soutenez toutes sortes d'établissements avec une intelligence et une charité admirables. Ce sont les pères de famille qui vous ont confié leurs fils et qui, jusqu'à présent comptaient sur vous pour leur donner l'éducation morale et religieuse, cette éducation saine, vigoureuse et féconde en fortes vertus, qui ne fut jamais plus nécessaire qu'à notre époque ! Ce sont les prêtres qui trouvent en vous d'excellents auxiliaires de leur important et laborieux ministère. Ce sont les hommes de tout rang qui, par ce temps de perversion, trouvent des directions utiles et des encouragements au bien dans vos conseils autorisés par l'intégrité de votre vie.

Ce sont surtout les pasteurs sacrés qui vous honorent de leur confiance, qui vous considèrent comme les instituteurs expérimentés du jeune clergé, et reconnaissent en vous ces vrais amis de leurs frères et du peuple (II Machab. XV, 14), qui offrent pour eux à la clémence divine des prières et des expiations incessantes.

Mais personne ne peut apprécier les mérites insignes des ordres religieux avec plus de justice que Nous, qui, du haut de ce siège, devons veiller aux besoins de l'Eglise universelle.

Déjà, dans d'autres actes, Nous en avons fait une mention particulière. Qu'il nous suffise en ce moment de louer la grande ardeur avec laquelle ils suivent non seulement les directions, mais les moindres désirs du Vicaire de Jésus-Christ, entreprenant toutes les oeuvres d'utilité chrétienne et sociale qu'il leur indique, s'en allant sur les plages les plus inhospitalières, bravant toutes les souffrances et la mort elle-même, comme plusieurs l'ont glorieusement prouvé dans la dernière révolution de Chine.

Si, parmi les plus chers souvenirs de Notre long pontificat, Nous comptons d'avoir élevé par Notre Autorité un grand nombre de serviteurs de Dieu aux honneurs des autels, ce souvenir nous est d'autant plus doux qu'ils appartiennent en majorité aux Instituts réguliers à titre de fondateurs ou de simples religieux.

Nous voulons rappeler encore pour votre consolation que, parmi les hommes du monde, distingués par leur situation et par leurs connaissances des nécessités sociales, il ne manque pas d'esprits droits et impartiaux, qui se lèvent pour louer vos oeuvres, pour défendre votre droit inviolable de citoyens et votre liberté encore plus inviolable de catholiques. Certes, il suffit de n'être pas aveuglé par la passion pour voir combien c'est montrer peu de prévoyance et de noblesse que de frapper des hommes qui, sans rien espérer et sans rien demander pour eux-mêmes, se dépensent tout entiers au service de la société. Que l'on considère seulement avec quel zèle ils s'appliquent à développer chez les enfants du peuple les germes de bonté naturelle qui autrement seraient étouffés, à leur détriment et au détriment d'autrui. Semences précieuses que, la grâce aidant, les religieux cultivent patiemment et assidûment, préservent de toute atteinte mortelle et conduisent à maturité. C'est ainsi que, sous leur influence, s'épanouissent, comme des fruits magnifiques, l'amour éclairé de la vérité, l'honnêteté, le sentiment du devoir, la fermeté du caractère et la générosité dans le sacrifice. Et quoi de plus propre à assurer l'ordre et la prospérité des Etats ?

Cependant, chers fils, puisque la malignité du monde vous poursuit au point de prétendre faire oeuvre utile et louable en foulant aux pieds, dans vos personnes, les droits les plus sacrés, et qu'elle croit ainsi rendre hommage à Dieu (Ioann. XVI, 2), adorez avec une humilité confiante les desseins de Dieu. S'il laisse parfois le droit succomber sous la violence, il ne le permet que dans des vues supérieures de plus grand bien ; de plus, c'est sa coutume de secourir efficacement et par des voies imprévues ceux qui souffrent pour lui et se confient à lui.

S'il place des obstacles et des contradictions sur la route de ceux qui professent par état la perfection chrétienne, c'est afin d'éprouver et de fortifier leur vertu ; c'est plus particulièrement pour affermir et retremper leurs âmes exposées à s'affaiblir dans une longue paix.

Tâchez donc de correspondre à ces vues paternelles de Dieu. Adonnez-vous avec un redoublement d'ardeur à une vie de foi, de prière et d’œuvres saintes. Faites régner parmi vous la discipline régulière, l'union fraternelle des cœurs, l'obéissance humble et empressée, l'austérité du détachement et l'ardeur pieuse pour la louange divine. Que vos pensées soient hautes, vos résolutions généreuses et votre zèle infatigable pour la gloire de Dieu et l'extension de son règne! Puisque, par le malheur des temps, vous vous trouvez ou déjà frappés ou menacés par des lois funestes de dispersion, vous reconnaîtrez que les circonstances vous imposent le devoir dedéfendre avec plus de zèle que jamais l'intégrité de votre esprit religieux contre le contact dissipant du monde, et de vous tenir toujours prêts et aguerris contre toute épreuve.

Sur ce point, Nous vous rappelons que diverses instructions ont été adressées aux Réguliers par ce Siège apostolique, et que d'autres prescriptions sont émanées des supérieurs eux-mêmes. Il faut que les unes et les autres gardent leur pleine vigueur et soient observées en conscience.

Et maintenant, religieux de tout âge, jeunes ou vieux, levez les yeux vers vos illustres fondateurs ! Leurs maximes vous parlent, leurs statuts vous guident, leurs exemples vous précèdent ! Que votre application la plus douce et la plus sainte soit de les écouter, de les suivre, de les imiter ! C'est ainsi qu'ont agi un grand nombre de vos aînés dans les temps les plus durs. C'est ainsi qu'ils vous ont transmis un riche héritage de courage invincible et de vertus sublimes. Montrez-vous dignes de tels pères et de tels frères, afin que vous puissiez dire tous, en vous glorifiant justement : Nous sommes les fils et les frères des saints ! C'est ainsi que vous obtiendrez les plus grands avantages pour vous-mêmes, pour l'Eglise et la société. En vous efforçant d'atteindre le degré de sainteté auquel Dieu vous a appelés, vous remplirez les desseins de sa Providence sur vous et vous mériterez les récompenses surabondantes qu'il vous a promises. L'Eglise, cette mère si tendre, qui a comblé vos instituts de ses faveurs, obtiendra de vous, en échange, une coopération plus fidèle et plus efficace que jamais à sa mission de paix et de salut. La paix, le salut, voilà les deux besoins urgents de la société actuelle travaillée par tant de causes de corruption et d'affaiblissement. Pour la secouer, pour la ramener repentante aux pieds de ce très miséricordieux Rédempteur, il faut des hommes de vertu supérieure, de parole vive, de cœur apostolique, qui aient, en même temps, la puissance d'attirer les grâces célestes. Vous serez de ces hommes, Nous n'en doutons pas, et vous deviendrez ainsi les bienfaiteurs les plus opportuns et les plus insignes de la société.

Chers fils, la charité du Seigneur Nous inspire une dernière parole pour raffermir en vous les sentiments dont vous êtes animés envers tous ceux qui attaquent vos instituts et veulent entraver votre action.

Autant par conscience vous devez garder une attitude ferme et digne, autant par profession vous devez vous montrer toujours doux et indulgents, parce que c'est dans le religieux que doit particulièrement resplendir la perfection de cette vraie charité qui se laisse toucher par la commisération, mais qui ne connaît point la colère. Sans doute, à vous voir ainsi payés d’ingratitude, à vous voir ainsi repoussés, la nature s'attriste, mais, chers fils, que la foi vous réconforte par ses oracles ! Elle vous rappelle l'exhortation sublime : Triomphez du mal par le bien (Rom. XII, 21). Elle vous met sous les yeux l'incomparable magnanimité de l'Apôtre : On nous maudit et nous bénissons : on nous persécute et nous supportons ; on blasphème contre nous et nous bénissons (Cor. IV, 12-13.). Par-dessus tout, elle vous invite à répéter la supplication du bienfaiteur suprême du genre humain, Jésus, suspendu à la croix: Père, pardonnez-leur !

Donc, chers fils, fortifiez-vous dans le Seigneur (Eph. V, 10). Vous avez avec vous le Vicaire de Jésus-Christ, vous avez avec vous tout le monde catholique qui vous regarde avec affection, respect et reconnaissance.

Du haut du ciel vos glorieux pères, vos glorieux frères vous encouragent. Votre chef souverain, Jésus-Christ, vous ceint de sa force et vous couvre de sa vertu.

Fils bien-aimés, adressez-vous à son Cœur divin avec une confiance filiale et de ferventes prières. Vous y trouverez toute la force nécessaire pour vaincre les plus furieuses colères du monde. Il y a une parole qui retentit à travers les siècles, toujours vivante, toujours pleine de consolation : Ayez confiance, j'ai vaincu le monde (Ioann. XVI, 33).

Puissiez-vous trouver encore quelque consolation dans Notre bénédiction qu'en ce jour, consacré à la mémoire triomphante des princes des apôtres, Nous sommes heureux d'accorder dans toute sa plénitude à chacun de vous et à toutes et chacune de vos familles, qui nous sont très chères dans le Seigneur.

Donné à Rome près de Saint-Pierre, le 29 juin de l'année 1901, vingt-quatrième de Notre Pontificat.


 

LÉON XIII PAPE


*ASS, vol. XXXIII (1900-1901), pp. 716-722.



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