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MESSE DE MINUIT

HOMÉLIE DU PAPE PAUL VI*

Noël, 25 décembre 1969

 

Noël: la rencontre avec le Christ.

Cette célébration nocturne revêt un caractère symbolique. Elle est le symbole de l’homme qui marche dans la nuit et qui cherche. Il cherche une lumière, il cherche sa propre direction, il cherche la rencontre avec un Homme qui lui est nécessaire, un Homme qu’il lui faut absolument trouver.

Cela signifie que le sens profond de cette cérémonie inaccoutumée est, avant tout autre, une prise de conscience de nous-même. Qui sommes-nous ? Nous sommes des êtres humains qui marchons dans les ténèbres. Oui, si notre vie, sous tant d’aspects, est pleine de lumière: lumière de la pensée, de la science, de l’histoire et de l’expérience, lumière du progrès moderne, à un autre point de vue plus important et décisif, et qui nous concerne nous-mêmes, comme notre existence personnelle et notre destin -, cette même vie est dans l’obscurité. C’est l’obscurité du doute, qui semble tout envahir comme une nuit totale, l’obscurité de notre solitude intérieure, l’obscurité qui règne jusque sur le monde dans lequel nous vivons,. et que nous connaissons bien, mais qui devient toujours plus mystérieux à mesure qu’il se manifeste: qu’est-il réellement? Que signifie-t-il, au fond? Que vaut-il, en fine de compte? Voilà quelles sont nos ténèbres. Il y aurait de quoi gémir et désespérer si nous n’étions soutenus par une prodigieuse énergie intérieure qui nous pousse à poursuivre notre recherche, et par une joyeuse espérance qui, cette nuit, envahit et exalte nos esprits : l’espoir de trouver ce que nous cherchons, de trouver, disions-nous, l’Homme nécessaire, l’Homme qui sait tout sur nous-mêmes (cfr. Io. 2, 25), l’Homme qui peut nous sauver.

Dans notre recherche, nous ne sommes d’ailleurs pas dépourvus d’une certaine lumière qui éclaire nos pas et qui, cette nuit, nous a guidés jusqu’ici. C’est la lumière de la raison naturelle; c’est la lumière des traditions religieuses dans ce qu’elles ont de vrai et d’honnête; c’est surtout la lumière de notre tradition chrétienne, la lumière de notre éducation religieuse, la lumière de notre expérience spirituelle. Nous connaissons l’histoire de l’Evangile. Nous avons foi dans le Christ, sur le témoignage de cette voix prophétique séculaire qui s’appelle l’Eglise. Cette nuit est celle de la foi. Et qu’est-ce que la foi? La foi, c’est la rencontre avec le Christ, la foi, c’est l’accueil du Christ. Nous entendons résonner dans notre mêmoire une parole fatidique inscrite au frontispice du récit messianique, l’Evangile de saint Jean: «II est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu» (Io. 1, 11). Ce fut une rencontre manquée. Et il est important de noter que lui aussi, le Christ, est à la recherche, à la recherche de l’humanité. Qu’il est long, le chemin qu’il a dû parcourir pour arriver jusqu’à nous! D’où vient-il? Il a dû franchir des abîmes démesurés, des dis tances infinies : «il descendit du ciel, et il a pris chair». Verbe ineffable de Dieu et Dieu lui-même, il s’est fait homme, pour se mettre à notre portée et rendre possible cette rencontre. Seul un amour sans limite, un amour divin, a pu imaginer et réaliser un tel plan. Et tel est le plan de notre religion: oui, c’est une rencontre, une communion. Mais il nous faut encore nous demander: comment se réalise cette venue du Christ jusqu’à nous, cet accueil que nous lui réservons? La réponse est toujours la même: cela se réalise dans la foi. Lui, Dieu, vient à nous revêtu de la nature humaine; et il viendra pour nous, longtemps après le moment historique de l’Evangile, caché sous le signe, à la fois révélateur et mystérieux, du sacrement. L’acceptons-nous? Croyons-nous?

Notre prière, en cette heure décisive, est celle-là même, psychologiquement si exacte, des disciples du Seigneur dans l’Evangile: «Augmente en nous la foi» (Luc. 17, 5). Nous remarquons en effet que la foi, cette adhésion vitale au Dieu incarné dans le Christ Jésus, comporte des degrés: elle peut être inerte et passive, elle peut être douteuse et intermittente, elle peut être laborieuse et en recherche (cfr. Matth. 11, 3), elle peut ‘être engagée dans cet effort dialectique bien connu: l’intelligence à la recherche de la foi; ou la foi à la recherche de l’intelligence. Elle peut connaître le drame de ce personnage de l’Evangile qui nous représente tous: «Je crois, Seigneur; mais viens en aide à mon incrédulité» (Marc. 9, 23). Pour être authentique, pour être efficace, la foi doit être entière, vivante, personnelle. La rencontre avec le Christ doit s’achever dans un «oui», qui nous le révèle comme le Maître, comme le Sauveur, comme Lui-même s’est défini, et comme nous voulons le reconnaître en ce jour de Noël et, dans une certaine mesure, en faire l’expérience: «Je suis la Voie, la Vérité et la Vie» (Io. 14, 6).

A cet instant notre méditation s’interrompt et cesse d’être absorbée dans cette vision où nous a conduits la recherche de cette nuit: nous nous souvenons alors de la réalité, de l’autre réalité, extérieure et sensible, de la réalité concrète et expérimentale, dans laquelle se déroule effectivement notre vie naturelle. Il ne faudrait pas que cette méditation nous eût distrait, comme dans un songe, des conditions qui nous qualifient comme hommes de ce monde. Non, Messieurs. La foi, la vie chrétienne ne nous éloignent pas du contact normal avec l’expérience humaine qui nous est propre. Une telle affirmation mériterait un long discours: comment la vie surnaturelle du monde de la foi peut s’associer à la vie naturelle de notre milieu et de nos droits et devoirs personnels. Rien ne change apparemment. Mais c’est comme si la nuit était terminée et comme si la lumière du jour avait commencé à poindre, éclairant tout le cadre de notre cheminement dans le temps: toute chose, à la lumière de la foi, prend son vrai visage. «Tout ce qu’il y a de vrai, de digne, de juste, de beau, d’aimable, tout ce qui mérite l’estime . . . (cf. Philip., 4, 8) vient au grand jour. Tous les secteurs de la vie se définissent selon leur valeur propre; et au milieu de la scène - étonnante et dramatique, parfois douloureuse et mauvaise - du monde qui nous entoure et nous possède, l’homme, la personne humaine, se dresse et se découvre, souveraine et libre, dans une vérité nouvelle (cfr. Io. 8, 32). Ainsi s’exprime l’Evangile de l’Incarnation. «A tous ceux qui l’ont reçu (le Christ), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Io. 1, 12).

Voilà le miracle de Noël: la Naissance du Christ devient notre naissance. Le mystère de la Vie divine, jaillie du Christ, l’Homme-Dieu, se communique par voie de participation, non plus seulement par la foi, mais également par la grâce, à tous ceux qui l’auront accueilli, Lui le premier-né parmi nous tous, hommes devenus frères (cfr. Rom. 8, 29).

Et vous, Laïcs, qui vivez dans le siècle, qui revendiquez pour la sphère temporelle son autonomie; vous spécialement, Messieurs les Diplomates, qui représentez une puissance absolue dans son ordre, indépendante de toute autre autorité terrestre, fût-elle même celle de l’Eglise qui, elle, est au service de l’ordre surnaturel, ne craignez point pour votre souveraineté temporelle, car «non eripit mortalia, qui regna dat caelestia», il ne prend pas les royaumes de la terre, Celui qui donne le royaume du Ciel (Hymne de l’Epiphanie). Il n’est pas venu pour prendre, mais pour donner. Craignons et exultons en même temps: il est venu apporter un feu sur la terre, le feu de la charité. Et que désire-t-il, sinon que ce feu s’allume dans le monde (Luc. 12, 49): le feu de l’amour et de la paix.


*Insegnamenti di Paolo VI, vol. VII, p.813-816.

L’Osservatore Romano, 27-28.12.1969, p.3.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, 1970, n.1 p.12.

La Documentation catholique, 1970, n.1555 p. 53-54.

 



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