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MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II
À SŒUR JUANA ELIZONDO
POUR LE IV CENTENAIRE DE LA NAISSANCE
DE LA FONDATRICE DES FILLES DE LA CHARITÉ DE
SAINT-VINCENT-DE-PAUL, SAINTE LOUISE DE MARILLAC

 

À Sœur JUANA ELIZONDO
Supérieure générale
des Filles de la Charité
de Saint-Vincent-de-Paul

1. Le IV centenaire de la naissance de sainte Louise de Marillac donne à toute l’Église, et à la Compagnie des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul en particulier, l’occasion de faire mémoire de cette grande figure du XVII siècle français, afin de reconnaître leur dette à son égard et de puiser dans ses enseignements la matière d’une réflexion profonde et substantielle.

À une époque de déchirements politiques qui atteignirent même sa vie familiale, Louise sut venir au secours des pauvres les plus touchés par la misère. À l’exemple de son directeur, Monsieur Vincent, elle voyait en eux ses “maîtres”. Elle ira jusqu’à donner ce conseil à l’une de ses Filles: “Pour l’amour de Dieu, ma chère Sœur, pratiquez une grande douceur envers les pauvres et tout le monde; et essayez de contenter autant de paroles que d’actions; et cela vous sera facile si vous conservez une grande estime de votre prochain; des riches, parce qu’ils sont au-dessus de vous; des pauvres, parce qu’ils sont vos maîtres”. C’est ainsi que mon prédécesseur le Pape Jean XXIII l’a proclamée patronne de toutes les personnes qui se donnent aux œuvres sociales chrétiennes.

À l’époque de leur fondation, les Filles de la Charité étaient ainsi décrites par saint Vincent de Paul: “Elles auront pour monastère la maison des pauvres malades, pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église de la paroisse, pour cloître les rues de la ville ou une salle d’hôpital, pour clôture l’obéissance, pour grille la crainte de Dieu, pour voile la sainte modestie”. La vie communautaire qu’elles menaient reste un modèle pour les personnes données à Dieu aujourd’hui, et tout chrétien peut aussi s’approprier les phrases, belles et simples, qu’écrivit Louise de Marillac à ses sœurs en mission: “Si l’humilité, la simplicité et la charité qui donne le support, sont bien établies entre vous, votre petite compagnie sera composée d’autant de saintes que vous êtes de personnes. Mais il ne faut pas attendre qu’une autre que nous commence. Commençons la toute première”.

2. En se donnant à Dieu sans retour, elle s’unit de plus en plus étroitement à la volonté de son Maître: “Il nous faut être à Dieu, qui veut que nous ne voulions autre chose que ce qu’il veut”. Dans cette union intime, elle rejoignait le Christ crucifié qu’elle n’avait cessé de mettre sous les yeux de ses sœurs en leur donnant pour devise: “La charité de Jésus crucifié nous presse”. Ainsi pouvait-elle sortir victorieuse des épreuves que la vie lui faisait traverser en s’écriant, dans une admirable formule: “Souffrir et aimer, c’est une même chose”.

Vous avez, en sainte Louise, un exemple à suivre et à proposer. Loin d’avoir connu une vie facile, alors que sa naissance la mettait à l’abri de bien des préoccupations matérielles, elle a surmonté de nombreuses difficultés, à commencer par l’épreuve de la foi. Elle a connu la tristesse du veuvage et a su la transformer en offrande de sa personne à Dieu. En un mot, elle a su passer de l’anxiété à la sainteté, elle a accepté de remettre à Dieu sa vie, de trouver la sérénité et la paix de l’âme en Lui seul. Cette attitude fondamentale de l’existence chrétienne sera tout à la fois votre soutien et le critère de votre fidélité au charisme de celle qui fonda, avec saint Vincent de Paul, la Compagnie des Filles de la Charité.

3. En jetant les bases de la Compagnie, sainte Louise de Marillac donnait naissance à une nouvelle forme de vie dans l’Église, pratiquée aujourd’hui dans les sociétés de vie apostolique qui sont actives dans de nombreux champs de la mission ecclésiale. À l’époque de leur fondation, saint Vincent de Paul écrivait: “Les Filles de la Charité ne sont pas religieuses, mais des filles qui vont et viennent comme des séculiers”. Dans son désir ardent de rejoindre plus facilement les pauvres et de leur apporter un secours efficace, dans sa volonté de se faire toute à tous, sainte Louise eut à cœur de visiter, de développer et de conseiller les “charités” établies dans toute la France, et même au-delà de ses frontières, pour mettre en œuvre la puissance de l’amour et de la miséricorde. Une voie s’ouvrait à un nouvel ordre de choses dans l’Église. Des centaines d’institutions hospitalières ou enseignantes féminines allaient adopter un mode de vie analogue, au service du prochain dans le monde.

Jamais cet essor admirable n’eût été possible sans le soutien d’une prière intense. La vie spirituelle de sainte Louise se caractérise notamment par son accueil constant de l’Esprit Saint. Par une de ces intuitions qui portent en elles-mêmes la marque de leur authenticité, elle conjoint la dévotion au “oui” de l’Annonciation et la dévotion à la fête de la Pentecôte. Comme la Vierge Marie, comblée de grâce par la puissance de l’Esprit et présente aux côtés des Apôtres dès les origines de l’Église, celle a trouvé dans l’action de Dieu la source de sa force; elle a bien senti que la fidélité de la Compagnie aurait dans le “fiat” marial son modèle et son guide. Elle a su faire grandir chez les autres l’esprit de prière dans lequel elle vivait à l’exemple de Marie.

4. Renouvelez aujourd’hui le don de vous-mêmes au Seigneur! Accueillez à nouveau la grâce qu’Il fit à son Église en lui donnant sainte Louise! Puisez dans son action, dans ses écrits, les nourritures nécessaires à votre route! En cette année où, avec l’encyclique “Centesimus Annus”, j’ai appelé le peuple chrétien à porter une attention plus grande à l’enseignement social de l’Église, suivez le chemin qu’elle vous trace pour donner aux pauvres l’amour préférentiel qu’ils attendent de vous! Le service des pauvres demeure l’axe majeur de la pensée et de l’action de Louise de Marillac. Continuez à vous dépenser pour eux sans compter! Je le redis en reprenant ses propres paroles: “Continuez, je vous prie, à servir nos chers maîtres avec grande douceur, respect et cordialité, regardant toujours Dieu en eux!”. Dans la persévérance de votre fondatrice, vous avez le meilleur des exemples; dans son intercession, le plus sûr des soutiens.

Votre Compagnie peut être légitimement fière d’avoir pour protectrice une telle figure qui, en chaque pauvre, reconnaissait un membre souffrant du Christ, le Fils de Dieu qui nous a aimés et s’est livré pour nous. Ainsi, en se donnant tout entière au service des pauvres, en vivant “l’état de charité”, elle ne voulait pas s’occuper d’une forme particulière de pauvreté à l’exclusion des autres. Au contraire, son champ d’action demeurait très ouvert et c’est cela qu’elle vous invite à imiter. Par elle, le Seigneur appelle aujourd’hui encore beaucoup de jeunes femmes à tout quitter pour se rendre totalement disponibles à ces “petits” qui sont ses frères. Pour que leur cœur et leur esprit restent ouverts à toute détresse, la diversité des activités de la Compagnie doit être conservée et même développée. Avec les centres de soins ou les hôpitaux, les crèches ou les dispensaires, les écoles ou les foyers, les maisons de retraite ou les services d’entraide, sans compter bien d’autres initiatives en fonction des formes nouvelles de la pauvreté que connaît le monde actuel, vous devez rester celles par qui le Seigneur “relève le pauvre de sa misère”, celles par qui “il fait largesse, il donne au pauvre”.

5. En gardant l’élan de sainte Louise, vous rejoindrez sa spiritualité de l’action missionnaire. En effet, l’Évangile se répandra à mesure que les hommes, rétablis dans leur dignité, pourront reconnaître dans leur Créateur la source de leur vie. Il faut que l’on puisse entendre à nouveau résonner cette parole du Christ: “Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres”. En servant les pauvres, vous “quittez Dieu pour Dieu”, comme aurait dit saint Vincent de Paul, et vous le faites de multiples manières. Vous recevez et vous vivez la parole du Christ à ses Apôtres: “Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous”. Vous recevez du Christ ces pauvres que la vie a blessés et vous avez mission de les lui amener. La Bonne Nouvelle est effectivement annoncée aux pauvres que vous secourez, dès lors qu’ils reconnaissent en votre action ce que le Christ aurait fait pour eux et qu’ils reçoivent en vérité la révélation de Dieu, lui qui nous a aimés le premier en nous donnant son Fils.

6. Cette action, évangélisatrice et caritative, vous place au cœur de l’Église d’où vous rayonnez comme un foyer brûlant d’amour. À la suite de sainte Louise de Marillac, vous collaborez étroitement avec les communautés chrétiennes des lieux où vous vivez. Le sens de l’ÉgIise qu’elle voulut transmettre à ses Filles vous aide à mener à bien vos tâches apostoliques dans l’esprit même qui l’inspirait. Vous remplissez ainsi votre rôle proprement féminin dans le Corps mystique du Christ, dans l’Église virginale et sponsale, en veillant sur la naissance, sur la vie et la mort de ses membres. L’amour des pauvres vous fait œuvrer pour l’avènement d’une société plus juste, sur tous les continents, afin que s’accomplissent les paroles du Psalmiste: “Les pauvres mangeront et seront rassasiés; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent”.

7. Dans la joie de ce quatrième centenaire, j’invoque l’Esprit de force et de sainteté sur les Filles de la Charité et sur leurs Supérieures; je demande au Christ, médecin des corps et des âmes, de venir au secours des malades, des affligés, des pauvres que l’on oublie. Comme l’avait fait sa fondatrice, je confie la Compagnie à l’intercession de la Vierge Marie et j’accorde ma Bénédiction Apostolique à ses membres et à toutes les personnes qui, de par le monde, se sont mises à l’école de sainte Louise de Marillac.

Du Vatican, le 3 juillet 1991.

IOANNES PAULUS PP. II

 

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