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LETTRE DU PAPE PAUL VI
À L’ÉVÊQUE DU LUXEMBOURG,
MONSEIGNEUR LÉON LOMMEL,
SUR LA PENSÉE DU CARDINAL JOHN HENRY NEWMAN

 

Une fois encore, grâce au zèle infatigable de l’abbé Nicolas Theis, et à l’aimable hospitalité du Grand-Duché, une pléiade de philosophes et de théologiens va se réunir au Luxembourg pour scruter la pensée du Cardinal John-Henry Newman, à un siècle de la publication de Grammar of Assent. Comment ne Nous réjouirions-Nous pas de cette féconde initiative, dont Nous attendons de nombreux fruits, tant il est vrai que Newman, ce génial précurseur, a parcouru d’avance plusieurs des itinéraires dans lesquels se trouvent profondément engagés nos contemporains (Cfr. A.A.S. 55 (1963), p.1025). Nul doute que «la lucidité de ses intuitions et de ses enseignements ne projette sur les problèmes de 1’Eglise d’aujourd’hui une précieuse lumière» (Télégramme au Congrès newmanien de 1964).
La profonde mutation qui ébranle le monde et l’Eglise et dont nous ressentons chaque jour davantage les effets rend plus précieux encore le contact avec cette pensée profondément enracinée dans le terreau de la foi et en même temps en étroite consonance avec les meilleures requêtes de l’intelligence et de la sensibilité modernes. Celui qui, comme saint Augustin, a su ce qu’il en coûte de souffrance pour découvrir la pleine vérité, nous rappelle opportunément que la recherche du vrai est pour l’esprit humain un besoin irrépressible, et que, «pour trouver la vérité, il est indispensable de la chercher avec un grand sérieux» (Sermons Universitaires, I, 8; trad. P. Renaudin, dans Textes Newmaniens, t. I, Paris, Desclée de Brouwer 1955, p. 62). Confiant en l’intelligence de l’homme et en l’action de la grâce qui la pénètre du dedans, il nous appelle à approfondir avec sérénité l’intelligence de la foi, et à promouvoir l’épanouissement des consciences fortifiées par l’Esprit-Saint, dans la fidélité à l’évangile, à l’exemple de la Vierge Marie (Cfr. ibid., XV, 3, p. 328).

Newman nous enseigne aussi à saisir l’invisible à travers le visible, car «ce que nous voyons n’est que l’écorce extérieure d’un royaume éternel; et c’est sur ce royaume que nous fixons les yeux de notre foi» (Parochial and Plain Sermons IV, 13; trad. A. Roucou-Barthélémy, dans Pensées sur l’Eglise, Paris, Cerf, Unam Sanctam 30, 1956, p. 20). Enracinée au cœur du mystère de l’existence variable comme le ciel, changeante comme le vent, tumultueuse comme l’océan, la méditation pénétrante de Newman le conduit pas à pas - one step is enought for me - vers la douce Lumière – Kindly Light - dont la clarté dissipe équivoques et incertitudes, et dont la certitude est source de sérénité pour l’esprit et de paix pour le cœur. Il nous est bon d’entendre cette grande voix dénoncer les méfaits d’une critique maladive et prétentieuse, nous rappeler que chacun «peut être trompé par des apparences ou de faux raisonnements, influencé par des préjugés, égaré par une imagination trop vive», et qu’il nous faut «demeurer humble dans le sentiment d’être ignorant, prudent parce qu’on se sait faillible, docile parce qu’on désire vraiment s’instruire» (Sermons Universitaires 1, 13; trad. Renaudin, op. cit., pp, 66-67), dans une adhésion libre et raisonnée au magistère de l’Eglise: «L’Eglise est la mère des grands et des petits, de ceux qui dirigent et de ceux qui obéissent. Securus judicat orbis terrarum» (Lettre au Père Loyson, 24 nov. 1870; dans Pensées sur l’Eglise, op. cit., p. 117).

Cet attachement profond à l’Eglise va chez Newman de pair avec un respect exigeant de l’incomparable dignité de l’être humain, du caractère unique et irremplaçable de sa vocation, et de sa responsabilité immédiate devant Dieu. Il a su magnifier la conscience, «le vicaire naturel du Christ, comme il n’hésite pas à la définir; prophète par ses instructions, monarque par son absolutisme, prêtre par ses bénédictions et ses anathèmes» (Certain Difficulties felt by Anglicans in Catholic Teaching, II, 2; trad. dans Pensées sur l’Eglise, op. cit., p. 130). Mais il précise tout aussi-tôt qu’il entend par là « la conscience qu’il y a lieu de nommer ainsi . . . . et non ce misérable faux-semblant qui . . . prend maintenant le nom de conscience . . . Le chrétien doit vaincre dans sa nature cet esprit vil, étroit, égoïste et bas qui le pousse, dès qu’il entend parler d’un ordre éventuel, à se placer en opposition avec le supérieur qui a donné cet ordre, à se demander s’il n’outrepasse pas ses droits, et à se réjouir d’introduire le scepticisme en des questions de morale et de pratique» (ibid., p. 131). Remarque d’une étonnante actualité, comme tant d’intuitions qui sont bien loin d’avoir épuisé toute leur fécondité dans l’Eglise.
Nul doute en particulier que l’on ait grand profit aujourd’hui, en cette heure de remise en cause systématique, à se pénétrer des vues si profondes de l’«Essay on the Development of the Christian Doctrine» (Cfr. par exemple, JEAN GUITTON, La philosophie de Newman, Paris, Boivin 1933) sur le développement organique de la doctrine de l’Eglise, lié à la croissance de son corps vivant à travers les vicissitudes d’une histoire bimillénaire, où des vérités d’abord informulées et des convictions latentes se donnent peu à peu, sous la poussée de l’Esprit, une expression définitive. Qui ne voit aussi la valeur des analyses de la «Grammar of assent» pour l’homme moderne qui, sous l’influence de nouveaux courants philosophiques, peine à trouver le chemin d’une véritable certitude, c’est-à-dire qui ne soit pas liée à une sincérité éphémère et changeante, mais s’enracine dans une conviction raisonnée qui peut bien s’appuyer sur l’expérience intérieure, mais repose d’abord sur une révélation objective?

Telle est la féconde actualité de Newman, au lendemain d’un Concile qui a précisé la permanente identité de l’Eglise à travers les flux du temps, tout en exprimant d’une manière neuve le mystère de sa vie profonde et la réponse qu’elle apporte aux requêtes de l’homme moderne, témoignant ainsi de sa prodigieuse puissance de renouveau et de son éternelle jeunesse. Puissions-nous comme lui découvrir que «Dieu peut nous enseigner et nous procurer la connaissance de ses voies dans les événements ordinaires de chaque jour, si seulement nous voulons nous donner la peine d’ouvrir les yeux» (Parochial and Plain Sermons, VI, p. 249). Puissions-nous avec lui, dans un même amour de la vérité, un sens de Dieu aussi aigu, un discernement spirituel aussi avisé, une piété aussi familière du monde invisible, un goût du spirituel aussi profond, cheminer en Eglise, ex umbris et imaginibus in veritatem. Avec lui enfin, «demandons à Dieu de nous donner cette beauté de la sainteté, qui consiste en des sentiments de vive tendresse pour Notre Seigneur et qui ajoute à une âme chrétienne ce que la beauté extérieure ajoute au mérite d’un homme. Avant tout la vertu et la foi, mais aussi une fleur de grâce et de jeunesse» (Parochial Sermons, VII, X, 134; trad. dans Méditations et prières, par M.-A. Pératé, Paris, Gabalda 1916, p. 30). Tels sont les voeux qu’il nous plaît de formuler à l’intention de tous les congressistes, en appelant de grand cœur sur eux et sur leurs travaux l’abondance des divines grâces en gage desquelles Nous vous donnons une large Bénédiction Apostolique.

Du Vatican, le 17 mai 1970.

PAULUS PP. VI

                                  



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