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DISCOURS DU PAPE PIE XII
À UN GROUPE DE PÈRES DE FAMILLE
PROVENANT DE DIFFÉRENTS DIOCÈSES DE FRANCE
*

Salle des Suisses - Mardi 18 septembre 1951

Un pèlerinage de pères de famille ! Quelle joie pour Notre cœur ! Tant et tant de fois Nous avons, à propos des questions les plus diverses, insisté sur la sainteté de la famille, sur ses droits, sur son rôle en tant que cellule fondamentale de la société humaine. À ce titre c'est sa vie, sa santé, sa vigueur, son activité, qui, dans l'ordre, assurent la vie, la santé, la vigueur, l'activité de la société tout entière. Parce qu'elle tient de Dieu, son existence et sa dignité, sa fonction sociale, la famille en est responsable devant Dieu. Ses droits et ses privilèges sont inaliénables, intangibles; elle a le devoir, avant tout devant Dieu, et secondairement devant la société, de défendre, de revendiquer, de promouvoir effectivement ces droits et ces privilèges, non seulement pour son propre avantage, mais pour la gloire de Dieu, pour le bien de la collectivité.

Que de fois on a chanté les louanges de la mère, saluant en elle le cœur, le soleil de la famille ! Mais, si la mère en est le cœur, le père en est la tête et, par conséquent, c'est de la valeur, de la vertu, de l'activité du père, que dépendent premièrement la santé et l'efficience de la famille.

Vous avez compris, chers fils, et c'est ce qui vous rassemble ici, la nécessité pour le père de famille de connaître intelligemment, socialement, chrétiennement, son rôle et ses devoirs, et vous êtes venus, dans cette intention, demander les conseils et la bénédiction du Père commun, chef de la grande famille humaine.

Il est clair que votre premier devoir, au sanctuaire du foyer familial, est de pourvoir, — dans le respect et toute la perfection humainement possible de son intégrité, de son unité, de la hiérarchie naturelle qui unit entre eux ses membres, — à la conservation, à la santé corporelle, intellectuelle, morale et religieuse de la famille. Et ce devoir comporte évidemment celui de défendre et de promouvoir ses droits sacrés, celui en particulier de remplir ses obligations envers Dieu, de constituer, dans toute la force du terme, une société chrétienne :

Défendre ses droits contre toutes les violences ou influences extérieures capables de porter atteinte à la pureté, à la foi, à la stabilité sacrosainte de la famille ;

Promouvoir ces mêmes droits, en réclamant de la société civile, politique, culturelle, tout au moins les moyens indispensables à leur libre exercice.

Pour le chrétien il y a une règle, qui lui permet de déterminer avec certitude la mesure des droits et devoirs de la famille dans la communauté de l'État. Elle est ainsi conçue : la famille n'est pas pour la société ; c'est la société qui est pour la famille. La famille est la cellule fondamentale, l'élément constitutif de la communauté de l'État, car, pour employer les expressions mêmes de Notre Prédécesseur Pie XI d'heureuse mémoire, « la cité est ce que la font les familles et les hommes, dont elle est formée, comme le corps est formé des membres » (Encycl. Casti connubii, 31 déc. 1930 - Acta Apost. Sedis, vol. 22, 1930, p. 554). L'État devrait donc, en vertu même, pour ainsi dire, de l'instinct de conservation, remplir ce qui, essentiellement et selon le plan de Dieu Créateur et Sauveur, est son premier devoir, c'est-à-dire garantir absolument les valeurs, qui assurent à la famille l'ordre, la dignité humaine, la santé, la félicité. Ces valeurs-là, qui sont des éléments mêmes du bien commun, il n'est jamais permis de les sacrifier à ce qui pourrait être apparemment un bien commun. Indiquons-en seulement, à titre d'exemples, quelques-uns qui se trouvent, à l'heure présente, en plus grand péril : l'indissolubilité du mariage ; la protection de la vie avant la naissance ; l'habitation convenable de la famille, non pas d'un ou deux enfants ou même sans enfants, mais de la famille normale plus nombreuse ; fourniture de travail, car le chômage du père est la plus amère détresse de la famille ; le droit des parents sur les enfants vis-à-vis de l'État ; la pleine liberté pour les parents d'élever leurs enfants dans la vraie foi et, par conséquent, le droit des parents catholiques à l'école catholique ; des conditions de vie publique telle que les familles et surtout la jeunesse ne soient pas dans la certitude morale d'en subir la corruption.

Sur ce point et sur d'autres encore qui touchent plus au fond de la vie familiale, il n'y a, entre les familles, aucune différence ; sur d'autres questions économiques et politiques, en revanche, elles peuvent se trouver dans des conditions fort diverses, disparates et, parfois, en concurrence, sinon en opposition. C'est ici qu'il faut s'efforcer — et les catholiques tiendront à en donner l'exemple — de promouvoir l'équilibre, fût-ce au prix de sacrifices d'intérêts particuliers, en vue de la paix intérieure et d'une saine économie.

Mais, quant aux droits essentiels des familles, les vrais fidèles de l'Église s'engageront jusqu'au dernier pour les soutenir. Il pourra arriver que, ici ou là, sur un point ou sur un autre, on se voit dans la nécessité de céder devant la supériorité des forces politiques. Mais, dans ce cas, on ne capitule pas, on patiente. Encore faut-il, en pareil cas, que la doctrine reste sauve, que tous les moyens efficaces soient mis en œuvre pour acheminer progressivement vers la fin à laquelle on ne renonce pas.

Parmi ces moyens, efficaces fussent-ils à long terme, un des plus puissants est l'union entre les pères de famille fermes dans les mêmes convictions, dans la même volonté. Votre présence ici est un témoignage que telle est votre pensée.

Un autre moyen qui, même avant d'obtenir le résultat visé, n'est jamais stérile, qui, à défaut ou dans l'attente du succès que l'on continue de poursuivre, porte toujours ses fruits, c'est le soin, dans cette coalition des pères de famille, de travailler à la persuader, petit à petit, de favoriser le triomphe de la vérité et de la justice. Aucun effort pour agir sur elle ne doit être dédaigné ou négligé.

Il est un terrain, sur lequel cette éducation de l'opinion publique, sa rectification, s'impose avec une urgence tragique. Elle s'est trouvée, sur ce terrain, pervertie par une propagande, que l'on n'hésiterait pas à appeler funeste, bien qu'elle émane, cette fois, de source catholique et qu'elle vise à agir sur les catholiques, et même si ceux, qui l'exercent, ne paraissent pas se douter qu'ils sont, à leur insu, illusionnés par l'esprit du mal. Nous voulons parler ici d'écrits, livres et articles, touchant l'initiation sexuelle, qui souvent obtiennent aujourd'hui d'énormes succès de librairie et inondent le monde entier, envahissant l'enfance, submergeant la génération montante, troublant les fiancés et les jeunes époux.

Avec tout le sérieux, l'attention, la dignité que le sujet comporte, l'Église a traité la question d'une instruction en cette matière, telle que la conseillent ou la réclament tant le développement physique et psychique normal de l'adolescent, que les cas particuliers dans les diverses conditions individuelles. L'Église peut se rendre cette justice que, dans le plus profond respect pour la sainteté du mariage, elle a, en théorie et en pratique, laissé les époux libres en ce qu'autorise, sans offense du Créateur, l'impulsion d'une nature saine et honnête.

On reste atterré en face de l'intolérable effronterie d'une telle littérature : alors que, devant le secret de l'intimité conjugale, le paganisme lui-même semblait s'arrêter avec respect, il faut en voir violer le mystère et en donner la vision — sensuelle et vécue — en pâture au grand public, à la jeunesse même. Vraiment, c'est à se demander si la frontière est encore suffisamment marquée entre cette initiation, soi-disant catholique, et la presse ou l'illustration érotique et obscène, qui, de propos délibéré, vise la corruption ou exploite honteusement, par vil intérêt, les plus bas instincts de la nature déchue.

Ce n'est pas tout. Cette propagande menace encore le peuple catholique d'un double fléau, pour ne pas employer une expression plus forte. En premier lieu, elle exagère outre mesure l'importance et la portée, dans la vie, de l'élément sexuel. Accordons que ces auteurs, du point de vue purement théorique, maintiennent encore les limites de la morale catholique ; il n'en est pas moins vrai que leur façon d'exposer la vie sexuelle est de nature à lui donner, dans l'esprit du lecteur moyen et dans son jugement pratique, le sens et la valeur d'une fin en soi. Elle fait perdre de vue la vraie fin primordiale du mariage, qui est la procréation et l'éducation de l'enfant, et le grave devoir des époux vis-à-vis de cette fin, que les écrits dont Nous parlons laissent par trop dans l'ombre.

En second lieu, cette littérature, pour l'appeler ainsi, ne semble tenir aucun compte de l'expérience générale, d'hier, d'aujourd'hui et de toujours, parce que fondée sur la nature, qui atteste que, dans l'éducation morale, ni l'initiation, ni l'instruction, ne présente de soi aucun avantage, qu'elle est, au contraire, gravement malsaine et préjudiciable, si elle n'est fortement liée à une constante discipline, à une vigoureuse maîtrise de soi-même, à l'usage, surtout, des forces surnaturelles de la prière et des sacrements. Tous les éducateurs catholiques dignes de leur nom et de leur mission savent bien le rôle prépondérant des énergies surnaturelles dans la sanctification de l'homme, jeune ou adulte, célibataire ou marié. De cela, dans ces écrits, à peine souffle-t-on un mot, si encore on ne le passe tout à fait sous silence. Les principes mêmes que dans son Encyclique Divini illius Magistri Notre Prédécesseur Pie XI a si sagement mis en lumière, concernant l'éducation sexuelle et les questions connexes, sont — triste signe des temps ! — écartés d'un revers de main ou d'un sourire : Pie XI, dit-on, écrivait cela il y a vingt ans, pour son époque. Depuis, on a fait du chemin !

Pères de famille ici présents : il y a sur toute le face du monde, en tous pays, tant d'autres chrétiens, pères de famille comme vous, qui partagent vos sentiments. Coalisez-vous donc avec eux — bien entendu, sous la direction de vos Évêques — ; appelez à vous prêter leur puissant concours toutes les femmes et les mères catholiques, pour combattre ensemble, sans timidité comme sans respect humain, pour briser et arrêter ces campagnes de quelque nom, de quelque patronage qu'elles se couvrent et s'autorisent. Ce n'est pas sans raison que vous avez placé votre pèlerinage sous la protection spéciale du grand Pape eucharistique, le bienheureux Pie X. Ayez confiance dans le secours de la Vierge immaculée, Mère très pure, Mère très chaste, « auxilium christianorum »; confiance dans la grâce du Christ, source de toute pureté, qui ne délaisse jamais ceux qui travaillent et qui combattent pour l'avènement et l'affermissement de son règne. Avec la plus vive espérance que vos efforts et vos prières hâteront le triomphe de ce règne, Nous vous donnons de tout cœur, à toutes vos familles, à tous les pères chrétiens unis à vous d'esprit, de prière et d'action, Notre Bénédiction apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XIII,
Treizième année de Pontificat, 2 mars 1951 - 1er mars 1952, pp. 241-245
Typographie Polyglotte Vaticane



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