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LETTRE APOSTOLIQUE
TERTIO MILLENNIO ADVENIENTE
DU SOUVERAIN PONTIFE
JEAN-PAUL II
À L'ÉPISCOPAT
AU CLERGÉ ET AUX FIDÈLES
SUR LA PRÉPARATION
DU JUBILÉ DE L'AN 2000

 

Aux Évêques
Aux prêtres et aux diacres
Aux religieux et aux religieuses
À tous les fidèles laïcs

1. Alors qu'approche le troisième millénaire de l'ère nouvelle, la pensée se porte spontanément vers les paroles de l'Apôtre Paul: « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme » (Ga 4, 4). La plénitude du temps s'identifie avec le mystère de l'Incarnation du Verbe, Fils consubstantiel au Père, et avec le mystère de la Rédemption du monde. Saint Paul souligne dans ce passage que le Fils de Dieu est né d'une femme, né sujet de la Loi, venu au monde pour racheter les sujets de la Loi, afin qu'ils puissent recevoir l'adoption filiale. Puis il ajoute: « Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père! » Sa conclusion est vraiment réconfortante: « Aussi n'es-tu plus esclave mais fils; fils, et donc héritier de par Dieu » (Ga 4, 6-7).

Cette présentation paulinienne du mystère de l'Incarnation contient la révélation du mystère trinitaire et du prolongement de la mission du Fils par la mission de l'Esprit Saint. L'Incarnation du Fils de Dieu, sa conception, sa naissance, sont les pré- misses de l'envoi de l'Esprit Saint. Le texte de saint Paul fait apparaître la plénitude du mystère de l'Incarnation rédemptrice.

I

« JÉSUS CHRIST EST LE MÊME HIER ET AUJOURD'HUI... »
(He 13, 8)


2. Dans son Évangile, Luc nous a transmis une description concise des circonstances de la naissance de Jésus: « Il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité... Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s'appelle Bethléem, — parce qu'il était de la maison et de la lignée de David — afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter. Elle enfanta son fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu'ils manquaient de place dans la salle » (2, 1. 3-7).

Ainsi s'accomplissait ce que l'ange Gabriel avait prédit lors de l'Annonciation. À la Vierge de Nazareth, il avait adressé ces paroles: « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (1, 28). Ces paroles avaient troublé Marie et c'est pourquoi le Messager divin s'était empressé d'ajouter: « Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut... L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (1, 30-32. 35). La réponse de Marie au message de l'ange fut claire: « Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole! » (1, 38). Jamais, dans l'histoire de l'homme, autant de choses n'ont dépendu du consentement de la créature humaine qu'à ce moment-là [1].

3. Dans le Prologue de son Évangile, Jean résume en une seule phrase toute la profondeur du mystère de l'Incarnation. Il écrit: « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (1, 14). Pour Jean, dans la conception et la naissance de Jésus se réalise l'Incarnation du Verbe éternel, consubstantiel au Père. L'Évangé- liste se réfère au Verbe qui, au commencement, était auprès de Dieu, par qui a été fait tout ce qui existe; le Verbe en qui était la vie, la vie qui était la lumière des hommes (cf. 1, 1-5). Du Fils unique, Dieu né de Dieu, l'Apôtre Paul écrit qu'il fut « Premier-né de toute créature » (Col 1, 15). Dieu crée le monde par le Verbe. Le Verbe est la Sagesse éternelle, la Pensée et l'Image substantielle de Dieu, « resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance » (He 1, 3). Engendré éternel- lement et éternellement aimé par le Père, Dieu né de Dieu et Lumière née de la Lumière, il est le principe et l'archétype de toutes les choses créées par Dieu dans le temps.

Le fait que le Verbe éternel ait assumé dans la plénitude du temps la condition de créature confère à l'événement de Bethléem, il y a deux mille ans, une singulière valeur cosmique. Grâce au Verbe, le monde des créatures se présente comme cosmos, c'est-à-dire comme univers ordonné. Et c'est encore le Verbe qui, en s'incarnant, renouvelle l'ordre cosmique de la création. La Lettre aux Éphésiens parle du dessein que Dieu a formé par avance dans le Christ « pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (1, 10).

4. Le Christ, Rédempteur du monde, est l'unique médiateur entre Dieu et les hommes et il n'y a pas sous le ciel d'autre nom par lequel nous puissions être sauvés (cf. Ac 4, 12). Nous lisons dans la Lettre aux Éphésiens: « En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce, qu'Il nous a prodiguée en toute sagesse et intelligence. Il nous a fait connaître... ce dessein bienveillant qu'Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis » (1, 7-10). Le Christ, le Fils consubstantiel au Père, est donc Celui qui révèle le dessein de Dieu pour toute la création, et en particulier pour l'homme. Comme l'affirme de façon suggestive le Concile Vatican II, il « manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la grandeur de sa vocation »[2]. Il lui montre cette vocation en révélant le mystère du Père et de son amour. « Image du Dieu invisible », le Christ est l'homme parfait qui a rendu aux fils d'Adam la ressemblance avec Dieu déformée par le péché. Dans sa nature humaine, exempte de tout péché et assumée dans la Personne divine du Verbe, la nature commune à tout être humain est élevée à une dignité sans égale: « Par son incarnation, le Fils de Dieu lui-même s'est en quelque sorte uni à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme, il a aimé avec un cœur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché »[3].

5. Le fait, pour le Fils de Dieu, de « devenir l'un de nous » s'est réalisé dans la plus grande humilité. Il n'est donc pas étonnant que l'historiographie profane, occupée par des événements plus spectaculaires et par des personnages plus en vue, ne lui ait accordé au début que de brèves allusions, qui sont tout de même significatives. Le Christ est mentionné par exemple dans les Antiquités judaïques, ouvrage rédigé à Rome par l'historien Flavius Josèphe entre 93 et 94[4], et surtout dans les Annales de Tacite, composées entre 115 et 120, où l'historien, rapportant l'incendie de Rome en 64, dont Néron accusait faussement les chrétiens, fait explicitement allusion au Christ « supplicié par le procureur Ponce Pilate sous l'empereur Tibère »[5]. Suétone, lui aussi, dans sa biographie de l'empereur Claude écrite aux environs de 121, nous apprend que les Juifs ont été expulsés de Rome parce que, « à l'instigation d'un certain Chrestus, ils provoquaient de fréquents tumultes »[6]. Les interprètes sont convaincus pour la plupart que ce texte se rapporte à Jésus Christ, devenu motif de luttes internes dans le judaïsme romain. Il y a un autre témoignage important, qui confirme la diffusion rapide du christianisme: celui de Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, qui rapporte à l'Empereur Trajan, entre 111 et 113, qu'un grand nombre de personnes se réunissaient « à jour fixe, avant l'aube, pour chanter alternativement une hymne au Christ comme à un Dieu »[7].

Mais le grand événement que les historiens non chrétiens se limitent à mentionner est mis en pleine lumière par les écrits du Nouveau Testament qui, tout en étant des documents de croyants, n'en sont pas moins dignes de foi dans tout ce qu'ils rapportent, même comme témoi- gnages historiques. Le Christ, vrai Dieu et vrai homme, Seigneur du cosmos, est aussi Seigneur de l'histoire, dont il est « l'Alpha et l'Oméga » (Ap 1, 8; 21, 6), « le Principe et la Fin » (Ap 21, 6). En Lui, le Père a dit la parole ultime sur l'homme et sur son histoire. C'est ce que dit en une syn- thèse expressive la Lettre aux Hébreux: « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils » (1, 1-2).

6. Jésus est né dans le peuple élu, en accomplissement de la promesse faite à Abraham et constamment rappelée par les prophètes. Ceux-ci parlaient au nom et à la place de Dieu. L'économie de l'Ancien Testament, en effet, vise essentiellement à préparer et à annoncer la venue du Christ Rédempteur de l'univers et de son Règne messianique. Les livres de l'Ancienne Alliance sont ainsi des témoins permanents d'une pédagogie divine attentive[8]. Cette pédagogie atteint son but dans le Christ. Celui-ci, en effet, ne se limite pas à parler « au nom de Dieu » comme les prophètes, mais c'est Dieu même qui parle dans son Verbe éternel fait chair. Nous touchons ici le point essentiel qui différencie le christianisme des autres religions, dans lesquelles s'est exprimée dès le commencement la recherche de Dieu de la part de l'homme. Dans le christianisme, le point de départ, c'est l'Incarnation du Verbe. Ici, ce n'est plus seulement l'homme qui cherche Dieu, mais c'est Dieu qui vient en personne parler de lui-même à l'homme et lui montrer la voie qui lui permettra de l'atteindre. C'est ce que proclame le prologue de l'Évangile de Jean: « Nul n'a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui l'a fait connaître » (1, 18). Le Verbe incarné est donc l'accomplissement de l'aspiration présente dans toutes les religions de l'humanité: cet accomplissement est l'œuvre de Dieu et il dépasse toute attente humaine. C'est un mystère de grâce.

Dans le Christ, la religion n'est plus une « recherche de Dieu comme à tâtons » (cf. Ac 17, 27), mais une réponse de la foi à Dieu qui se révèle: réponse dans laquelle l'homme parle à Dieu comme à son Créateur et Père; réponse rendue possible par cet Homme unique qui est en même temps le Verbe consubstantiel au Père, en qui Dieu parle à tout homme et en qui tout homme est rendu capable de répondre à Dieu. Plus encore, en cet Homme, la création entière répond à Dieu. Jésus Christ est le nouveau commencement de tout: en lui, tout se retrouve, tout est accueilli et est rendu au Créateur de qui il a pris son origine. De cette façon, le Christ est la réalisation de l'aspiration de toutes les religions du monde et, par cela même, il en est l'aboutissement unique et définitif. Si, d'un côté, Dieu, dans le Christ, parle de lui-même à l'humanité, de l'autre, dans le même Christ, l'humanité entière et toute la création parlent d'elles-mêmes à Dieu, plus encore, elles se donnent à Dieu. Ainsi, tout retourne à son principe. Jésus Christ est la récapitulation de tout (cf. Ép 1, 10) et en même temps l'accomplissement de toute chose en Dieu, accomplissement qui est à la gloire de Dieu. La religion qui a pour fondement le Christ Jésus est la religion de la gloire, c'est exister dans la nouveauté de la vie à la louange de la gloire de Dieu (cf. Ép 1, 12). Toute la création est en réalité une manifestation de sa gloire; en particulier, l'homme (vivens homo) est une épiphanie de la gloire de Dieu, il est appelé à vivre de la plénitude de la vie en Dieu.

7. En Jésus Christ, Dieu ne parle pas seulement à l'homme maisil le recherche. L'Incarnation du Fils de Dieu en témoigne: Dieu recherche l'homme. Jésus parle de cette recherche comme des retrouvailles de la brebis perdue (cf. Lc 15, 1-7). C'est une recherche qui naît au cœur même de Dieu et qui a son point culminant dans l'Incarnation du Verbe. Si Dieu va à la recherche de l'homme, créé à son image, à sa ressemblance, il le fait parce qu'il l'aime éternellement dans le Verbe, et il veut l'élever dans le Christ à la dignité de fils adoptif. Dieu recherche donc l'homme, qui lui appartient d'une manière particulière, autrement que toute autre créature. L'homme appartient à Dieu parce qu'il a été choisi par amour: c'est mû par son cœur de Père que Dieu recherche l'homme.

Pourquoi le recherche-t-il? Parce que l'homme s'est éloigné de lui, se cachant comme Adam parmi les arbres du paradis terrestre (cf. Gn 3, 8-10). L'homme s'est laissé égarer par l'ennemi de Dieu (cf. Gn 3, 13). Satan l'a trompé en le persuadant qu'il était lui-même dieu et qu'il pouvait connaître, comme Dieu, le bien et le mal, et gouverner le monde selon son bon plaisir sans être obligé de tenir compte de la volonté divine (cf. Gn 3, 5). En recherchant l'homme par l'intermédiaire de son Fils, Dieu veut l'amener à abandonner les chemins du mal dans lesquels il a tendance à s'avancer toujours plus. « Lui faire abandonner » ces chemins veut dire lui faire comprendre qu'il fait fausse route; cela veut dire vaincre le mal présent dans l'histoire humaine. Vaincre le mal: voilà ce qu'est la Rédemption. Celle-ci se réalise par le sacrifice du Christ, grâce auquel l'homme rachète la dette du péché et est réconcilié avec Dieu. Le Fils de Dieu s'est fait homme en prenant un corps et une âme dans le sein de la Vierge, précisément pour ceci: faire de lui-même un parfait sacrifice rédempteur. La religion de l'Incarnation est la religion de la Rédemption du monde par le sacrifice du Christ, dans lequel est contenue la victoire sur le mal, sur le péché et sur la mort elle-même. En acceptant la mort sur la Croix, le Christ, en même temps, manifeste et donne la vie, car il ressuscite, et la mort n'a plus aucun pouvoir sur lui.

8. La religion qui a son origine dans le mystère de l'Incarnation rédemptrice est la religion dans laquelle on « demeure dans le cœur de Dieu », dans laquelle on participe à sa vie intime. Saint Paul en parle dans le passage cité au début: « Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père! » (Ga 4, 6). L'homme élève sa voix, comme le Christ s'adressait « avec une violente clameur et des larmes » (He 5, 7) à Dieu, spécialement à Gethsémani et sur la Croix: l'homme crie vers Dieu comme le Christ a crié, et il témoigne ainsi qu'il participe à sa filiation par l'Esprit Saint. L'Esprit Saint, que le Père a envoyé au nom de son Fils, fait en sorte que l'homme participe à la vie intime de Dieu. Il fait en sorte que l'homme soit aussi fils, à la ressemblance du Christ, et héritier des biens qui constituent la part du Fils (cf. Ga 4, 7). C'est en cela que consiste la religion de la « vie au cœur de Dieu », à laquelle l'Incarnation du Fils de Dieu donne naissance. L'Esprit Saint, qui sonde les profondeurs de Dieu (cf. 1 Co 2, 10), nous introduit, nous les hommes, dans cette profondeur en vertu du sacrifice du Christ.

II

LE JUBILÉ DE L'AN 2000

9. Saint Paul, parlant de la naissance du Fils de Dieu, la situe dans la « plénitude du temps » (cf. Ga 4, 4). En réalité, le temps s'est accompli par le fait même que Dieu, par l'Incarnation, s'est introduit dans l'histoire de l'homme. L'éternité est entrée dans le temps: peut-il y avoir un « accomplissement » plus grand que celui-là? Peut-il même y avoir un autre « accomplissement »? Certains ont pensé à des cycles cosmiques mystérieux dans lesquels l'histoire de l'univers et en particulier de l'homme se répéterait constamment. L'homme naît de la terre et il retourne à la terre (cf. Gn 3, 19): telle est la donnée de première évidence. Mais il y a en l'homme une irrésistible aspiration à vivre toujours. Comment peut-on penser pour lui à une survivance au-delà de la mort? D'aucuns ont imaginé des formes diverses de réincarnation: selon la manière dont il a vécu lors de son existence précédente, il connaîtrait l'expérience d'une nouvelle existence plus noble ou plus humble, jusqu'à ce qu'il ait atteint sa complète purification. Cette croyance, très enracinée dans certaines religions orientales, tend à montrer, entre autres, que l'homme n'entend pas se résigner au caractère irrévocable de la mort. Il est convaincu qu'il a une nature essentiellement spirituelle et immortelle.

La Révélation chrétienne exclut la réincarnation et parle d'un épanouissement que l'homme est appelé à réaliser au cours d'une existence unique sur terre. Cet épanouissement de son destin, l'homme l'atteint par le don désintéressé de luimême, un don qui n'est possible que dans la rencontre avec Dieu. C'est en Dieu qu'il trouve la pleine réalisation de ce qu'il est: telle est la vérité révélée par le Christ. L'homme s'épanouit en Dieu, qui est venu à sa rencontre par son Fils éternel. Grâce à la venue de Dieu sur terre, le temps humain, qui a commencé à la création, a atteint sa plénitude. « La plénitude du temps », en effet, c'est seulement l'éternité, bien plus, c'est Celui qui est éternel, c'est-à-dire Dieu. Entrer dans la « plénitude du temps » signifie donc atteindre le terme du temps et sortir de ses limites pour trouver son épanouissement dans l'éternité de Dieu.

10. Dans le christianisme, le temps a une importance fondamentale. C'est dans sa dimension que le monde est créé, c'est en lui que se déroule l'histoire du salut, qui a son apogée dans la « plénitude du temps » de l'Incarnation et atteint sa fin dans le retour glorieux du Fils de Dieu à la fin des temps. En Jésus Christ, Verbe incarné, le temps devient une dimension de Dieu, qui est en lui-même éternel. Avec la venue du Christ commencent les « derniers jours » (cf. He 1, 2), la « dernière heure » (cf. 1 Jn 2, 18), avec elle commence le temps de l'Église, qui durera jusqu'à la Parousie.

De ce rapport de Dieu avec le temps naît le devoir de le sanctifier. C'est ce qui se réalise, par exemple, quand on consacre à Dieu des temps, des jours, des semaines, comme cela se faisait déjà dans la religion de l'Ancienne Alliance et comme cela se fait encore, bien que d'une manière nouvelle, dans le christianisme. Dans la liturgie de la Vigile pascale, quand le célébrant bénit le cierge qui symbolise le Christ ressuscité, il proclame: « Le Christ hier et aujourd'hui, commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga; à lui, le temps et l'éternité, à lui, la gloire et la puissance pour les siècles sans fin ». Il prononce ces paroles en gravant sur le cierge les chiffres du millésime de l'année en cours. Le sens de ce rite est clair: il met en évidence le fait que le Christ est le Seigneur du temps, il est son commencement et son achèvement; chaque année, chaque jour, chaque moment est inclus dans son Incarnation et dans sa Résurrection pour se retrouver ainsi dans la « plénitude du temps ». C'est pourquoi l'Église, elle aussi, vit et célèbre la liturgie dans l'espace de l'année. L'année solaire est ainsi imprégnée par l'année liturgique, qui reproduit en un sens tout le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption, en commençant par le premier dimanche de l'Avent pour se terminer par la solennité du Christ Roi, Seigneur de l'univers et de l'histoire. Chaque dimanche rappelle le jour de la résurrection du Seigneur.

11. Dans un tel contexte, on comprend facilement la pratique des Jubilés, qui a son origine dans l'Ancien Testament et se poursuit dans l'histoire de l'Église. Jésus de Nazareth, s'étant rendu un jour dans la synagogue de sa ville, se leva pour faire la lecture (cf. Lc 4, 16-30). On lui donna le rouleau du prophète Isaïe, dans lequel il lut le passage suivant: « L'Esprit du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m'a donné l'onction; il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, panser les cœurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part du Seigneur » (61, 1-2).

Le prophète parlait du Messie. « Aujourd'hui — ajouta Jésus — cette Écriture est accomplie pour vous qui l'entendez » (Lc 4, 21), faisant comprendre qu'il était lui-même le Messie annoncé et qu'en lui commençait le « temps » si attendu: le jour du salut était arrivé, la « plénitude du temps ». Tous les Jubilés se rapportent à ce « temps » et concernent la mission messianique du Christ, venu comme « consacré par l'onction » de l'Esprit Saint, comme « envoyé par le Père ». C'est lui qui annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres. C'est lui qui apporte la liberté à ceux qui en sont privés, qui libère les opprimés, qui rend la vue aux aveugles (cf. Mt 11, 4-5; Lc 7, 22). Il réalise ainsi « une année de grâce du Seigneur », qu'il proclame non seulement par la parole mais avant tout par ses œuvres. Le Jubilé, c'est-à-dire « une année de grâce du Seigneur », ce n'est pas seulement le retour d'un anniversaire dans la chronologie, c'est même ce qui qualifie l'activité de Jésus.

12. Les paroles et les œuvres de Jésus constituent de cette façon l'accomplissement de toute la tradition des Jubilés de l'Ancien Testament. On sait que le Jubilé était un temps consacré d'une manière particulière à Dieu. Il y en avait un tous les sept ans, selon la Loi de Moïse: c'était « l'année sabbatique » pendant laquelle on laissait reposer la terre et on libérait les esclaves. L'obligation de libérer les esclaves était réglementée par des prescriptions détaillées contenues dans les Livres de l'Exode (23, 10-11), du Lévitique (25, 1-28), du Deutéronome (15,1-6), c'est-à-dire pratiquement dans toute la législation biblique, qui acquiert ainsi cette dimension particulière. Pour l'année sabbatique, outre la libération des esclaves, la Loi prévoyait la remise de toutes les dettes, selon des prescriptions précises. Et tout cela devait être fait en l'honneur de Dieu. Ce qui concernait l'année sabbatique valait aussi pour l'année « jubilaire », qui revenait tous les cinquante ans. Mais, pour l'année jubilaire, les usages de l'année sabbatique étaient élargis et célébrés plus solennellement encore. Nous lisons dans le Lévitique: « Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l'affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé: chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan » (21, 10). L'une des conséquences les plus significatives de l'année jubilaire était l'« émancipation » générale de tous les habitants qui avaient besoin d'être libérés. À cette occasion, tout israélite rentrait en possession de la terre de ses aïeux, s'il l'avait vendue ou s'il l'avait perdue en devenant esclave. On ne pouvait être privé définitivement de la terre car elle appartenait à Dieu, et les israélites ne pouvaient demeurer indéfiniment en état d'esclavage puisque Dieu les avait « rachetés » pour lui-même comme sa propriété exclusive en les libérant de l'esclavage en Égypte.

13. Même si les préceptes de l'année jubilaire sont restés en grande partie dans le domaine de l'idéal — c'était plus une espérance qu'une réalisation concrète, se transformant par ailleurs en une prophetia futuri, annonce de la vraie libération qui serait accomplie par le Messie à venir —, dans le cadre juridique qui s'en dégageait se dessina peu à peu une certainedoctrine sociale, qui se développa ensuite plus clairement à partir du Nouveau Testament. L'année jubilaire devait rétablir l'égalité entre tous les fils d'Israël, ouvrant de nouvelles possibilités aux familles qui avaient perdu leurs biens et même la liberté personnelle. Quant aux riches, l'année jubilaire leur rappelait au contraire que le temps viendrait où les esclaves israélites, redevenus leurs égaux, pourraient revendiquer leurs propres droits. On devait, au moment prévu par la Loi, proclamer une année jubilaire, et venir en aide à tous ceux qui étaient dans le besoin. Cela exigeait un gouvernement juste. La justice, selon la Loi d'Israël, consistait surtout à protéger les faibles, et un roi devait se distinguer dans ce domaine, comme l'affirme le Psalmiste: « Il délivre le pauvre qui appelle et le petit qui est sans aide; compatissant au faible et au pauvre, il sauve l'âme des pauvres » (Ps 7271, 12-13). La source d'une telle tradition était strictement théologique, en liaison avant tout avec la théologie de la création et avec celle de la divine Providence. Il existait en effet une conviction commune: à Dieu seul, en tant que Créateur, appartient le « dominium altum », c'est-à- dire la seigneurie sur toute la création, en particulier sur la terre (cf. Lv 25, 23). Si, dans sa Providence, Dieu avait donné la terre aux hommes, cela signifiait qu'il l'avait donnée à tous. C'est pourquoi les richesses de la création devaient être considé- rées comme un bien commun de l'humanité entière. Celui qui possédait ces biens en tant que propriétaire n'en était en réalité qu'un administrateur, c'est-à-dire un ministre tenu à agir au nom de Dieu, l'unique propriétaire au sens plénier du terme, car la volonté de Dieu était que les biens créés servent à tous d'une manière juste. L'année jubilaire devait servir précisément à rétablir aussi cette justice sociale. Ainsi la doctrine sociale de l'Église, qui a toujours eu une place dans l'enseignement de l'Église et qui s'est développée particulièrement au siècle dernier, surtout à partir de l'encyclique Rerum novarum, a l'une de ses racines dans la tradition de l'année jubilaire.

14. Il faut souligner toutefois ce qu'Isaïe exprime par les paroles « proclamer une année de grâce du Seigneur ». Pour l'Église, le Jubilé est précisément cette « année de grâce », année de la rémission des péchés et des peines dues aux péchés, année de la réconciliation entre les adver- saires, année de multiples conversions et de pénitence sacramentelle et extra-sacramentelle. La tradition des années jubilaires est liéeà la concession d'indulgences d'une manière plus large qu'en d'autres périodes. À côté des Jubilés qui rappellent le mystère de l'Incarnation lors des années cent, cinquante et vingt-cinq, il y a ceux qui commémorent l'événement de la Rédemption: la Croix du Christ, sa mort sur le Golgotha et sa Résurrection. L'Église, en ces circonstances, pro- clame « une année de grâce du Seigneur » et fait en sorte que tous les fidèles puissent bénéficier plus largement de cette grâce. Voilà pourquoi les Jubilés sont célébrés non seulement « in Urbe » mais aussi « extra Urbem », ce qui avait lieu tradition- nellement l'année qui suivait la célébration « in Urbe ».

15. Dans la vie des personnes, les Jubilés sont habituellement liés à la date de naissance, mais on célèbre aussi les anniversaires du baptême, de la confirmation, de la première communion, de l'ordination sacerdotale ou épiscopale, du sacrement de mariage. Certains de ces anniversaires se retrouvent dans le domaine profane, mais les chrétiens leur attribuent toujours un caractère religieux. Dans la perspective chrétienne, en effet, tout Jubilé — celui du vingt-cinquième anniversaire de sacerdoce ou de mariage, appelé « d'argent », celui du cinquantième, appelé « d'or », ou celui du soixantième, dit « de diamant » — constitue une année particulière de grâce pour la personne qui a reçu l'un des sacrements mentionnés ci-dessus. Ce que nous avons dit des Jubilés individuels peut être appliqué aussi aux communautés ou aux institutions. Ainsi, on célèbre le centenaire ou le millénaire de fondation d'une ville ou d'une commune. Dans le domaine ecclésial, on célèbre les Jubilés des paroisses et des diocèses. Tous ces Jubilés personnels ou communautaires jouent un rôle important et significatif dans la vie des personnes et des communautés.

Dans ce contexte, la deux millième année depuis la naissance du Christ (indépendamment de l'exactitude du calcul chronologique) représente un Jubilé extraordinairement important, non seulement pour les chrétiens mais indirectement pour l'humanité entière, étant donné le rôle de premier plan exercé par le christianisme au cours de ces deux millénaires. Il est significatif que le calcul du cours des années se fait presque partout à partir de la venue du Christ dans le monde: celle-ci devient donc également le centre du calendrier le plus utilisé aujourd'hui. N'est-ce pas là aussi un signe de la contribution incomparable apportée à l'histoire universelle par la naissance de Jésus de Nazareth?

16. Le mot « Jubilé » évoque la joie, non seulement la joie intérieure mais la joie qui se manifeste extérieurement, car la venue de Dieu est un événement qui est également extérieur, visible, audible et tangible, comme le rappelle saint Jean (cf. 1 Jn 1, 1). Il est donc juste que toute marque de joie suscitée par cette venue se manifeste extérieurement. Cela montre que l'Église se réjouit du salut. Elle invite tout le monde à la joie et elle s'efforce de créer les conditions voulues pour que les énergies du salut puissent être communiquées à chacun. L'An 2000 marquera donc la date du grand Jubilé.

Par son contenu, ce grand Jubilé sera, en un sens, semblable à tous les autres. Mais en même temps il sera différent, et plus ample que tout autre. En effet, l'Église respecte les mesures du temps: les heures, les jours, les années, les siècles. Sous cet aspect, elle marche pas à pas avec chaque homme, faisant prendre conscience à chacun que chacune de ces périodes est empreinte de la présence de Dieu et de son action salvatrice. Dans cet esprit, l'Église se réjouit, rend grâce, demande pardon et présente des supplications au Seigneur de l'histoire et des consciences humaines.

L'une des prières les plus ardentes en cette heure exceptionnelle où s'approche le nouveau millénaire est celle par laquelle l'Église demande au Seigneur que croisse l'unité entre tous les chrétiens des diverses Confessions jusqu'à atteindre la pleine communion. Je forme le vœu que le Jubilé soit une bonne occasion pour collaborer efficacement à la mise en commun de tout ce qui nous unit et qui est certainement plus important que ce qui nous divise. Dans cette perspective, comme il serait bon que, tout en respectant les programmes des diverses Églises et Communautés, on arrive à des projets œcuméniques pour la préparation et la réalisation du Jubilé! Celui-ci y gagnerait en vigueur pour témoigner devant le monde de la ferme volonté de tous les disciples du Christ de réaliser au plus tôt la pleine unité, dans la certitude que « rien n'est impossible à Dieu ».

III

LA PRÉPARATION DU GRAND JUBILÉ

17. Tout jubilé est préparé dans l'histoire de l'Église par la divine Providence. Cela vaut également pour le grand Jubilé de l'An 2000. Dans cette conviction, nous regardons aujourd'hui avec gratitude et sens de la responsabilité ce qui est advenu dans l'histoire de l'humanité à partir de la naissance du Christ, et surtout les événements qui se sont produits entre l'An 1000 et l'An 2000. Mais, d'une façon toute particulière, nous portons un regard de foi sur notre siècle, y cherchant ce qui témoigne non seulement de l'histoire de l'homme mais aussi de l'intervention de Dieu dans les événements humains.

18. De ce point de vue, on peut affirmer que le Concile Vatican II constitue un événement providentiel par lequel l'Église a commencé la préparation immédiate du Jubilé du deuxième millénaire. Il s'agit en effet d'un Concile semblable aux précédents, et pourtant très différent; un Concile centré sur le mystère du Christ et de son Église, et en même temps ouvert au monde. Cette ouverture a été la réponse évangélique à l'évolution récente du monde, avec les bouleversements qu'a connus le XXe siècle éprouvé par une première puis une deuxième guerres mondiales, par l'expérience des camps de concentration et d'effroyables massacres. Tout ce qui est arrivé montre plus que jamais que le monde a besoin de purification, qu'il a besoin de conversion.

On dit souvent que le Concile Vatican II marque une époque nouvelle dans la vie de l'Église. C'est vrai, mais en même temps il est difficile de ne pas remarquer que l'Assemblée conciliaire a eu largement recours aux expériences et aux réflexions de la période antérieure, spécialement du patrimoine de pensée de Pie XII. Dans l'his- toire de l'Église, le « vieux » et le « neuf » sont toujours étroitement mêlés. Le « neuf » croît sur le « vieux », le « vieux » trouve dans le « neuf » une expression plus accomplie. Ainsi en a-t-il été pour le Concile Vatican II et pour l'activité des Papes liés à l'Assemblée conciliaire, à commencer par Jean XXIII, puis Paul VI et Jean-Paul Ier, et enfin le Pape actuel.

Il est certain que ce qu'ils ont accompli pendant et après le Concile — l'enseignement aussi bien que l'activité de chacun d'eux — a apporté une contribution marquante à la préparation du nouveau printemps de vie chrétienne qui devra être révélé par le grand Jubilé si les chrétiens savent suivre l'action de l'Esprit Saint.

19. Sans aller jusqu'aux accents sévères de Jean Baptiste quand, au bord du Jourdain, il invitait à la pénitence et à la conversion (cf. Lc 3, 1-17), le Concile a manifesté en lui-même quelque chose de l'ancien prophète en désignant avec une nouvelle vigueur aux hommes d'aujourd'hui le Christ, « l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29), le Rédempteur de l'homme, le Seigneur de l'histoire. Au Concile, l'Église, dans le désir d'être pleinement fidèle à son Maître, s'est interrogée sur son identité et a redécouvert la profondeur de son mystère de Corps et d'Épouse du Christ. Se mettant attentivement à l'écoute de la Parole de Dieu, elle a réaffirmé la vocation universelle à la sainteté; elle a entrepris la réforme de la liturgie, « source et sommet » de sa vie; elle a donné l'impulsion au renouvellement de nombreux aspects de son existence au niveau universel et dans les Églises locales; elle s'est impliquée dans la promotion des diverses vocations chrétiennes, de celle des laïcs à celle des religieux, du ministère des diacres à celui des prêtres et des évêques; elle a redécouvert en particulier la collégialité épiscopale, expression privilégiée du service pastoral exercé par les évêques en communion avec le Successeur de Pierre. Dans le cadre de ce profond renouveau, le Concile s'est ouvert aux chrétiens des autres Confessions, aux membres des autres religions, à tous les hommes de notre temps. Dans aucun autre Concile on n'a parlé avec autant de clarté de l'unité des chrétiens, du dialogue avec les religions non chrétiennes, du sens spécifique de l'Ancienne Alliance et d'Israël, de la dignité de la conscience personnelle, du principe de la liberté religieuse, des différentes traditions culturelles au sein desquelles l'Église accomplit sa tâche missionnaire, des moyens de communication sociale.

20. Une grande richesse de contenu et le ton nouveau, inconnu jusqu'alors, avec lequel les ques- tions ont été présentées par le Concile cons- tituent comme une annonce de temps nouveaux. Les Pères conciliaires ont parlé le langage de l'Évangile, le langage du Discours sur la montagne et des Béatitudes. Dans le message du Concile, Dieu est présent dans sa seigneurie absolue sur toutes choses, mais aussi comme garant de l'authen- tique autonomie des réalités temporelles.

La meilleure préparation de l'échéance bimil- lénaire ne pourra donc que s'exprimer par un engagement renouvelé d'appliquer, autant que possible fidèlement, l'enseignement de Vatican II à la vie de chacun et de toute l'Église. Avec le Concile a été comme inaugurée la préparation immédiate du grand Jubilé de l'An 2000, au sens le plus large du terme. Si nous cherchons quelque chose d'ana- logue dans la liturgie, on pourrait dire que la liturgie de l'Avent qui revient chaque année est la plus proche de l'esprit du Concile. En effet, l'Avent nous prépare à la rencontre de Celui qui était, qui est et qui vient constamment (cf. Ap 4, 8).

21. Sur le chemin de la préparation du rendez- vous de l'An 2000 s'inscrit la série de Synodes commencée après le Concile Vatican II: Synodes généraux et Synodes continentaux, régionaux, nationaux et diocésains. Le thème fondamental est celui de l'évangélisation, et même de la nouvelle évangélisation, dont les bases ont été posées par l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, publiée en 1975 après la troisième Assemblée générale du Synode des Évêques. Ces Synodes font déjà par eux-mêmes partie de la nouvelle évangélisation: ils résultent de la conception du Concile Vatican II sur l'Église; ils donnent une grande place à la participation des laïcs, dont ils déterminent la responsabilité spécifique dans l'Église; ils sont l'expression de la force que le Christ a donnée à tout le peuple de Dieu, le rendant participant de sa mission messianique, mission prophétique, sacerdotale et royale. Le deuxième chapitre de la constitution dogmatique Lumen gentium contient des affirmations très claires à ce sujet. La préparation du Jubilé de l'An 2000 s'effectue ainsi, aux niveaux universel et local, dans toute l'Église, animée par une conscience nouvelle de la mission salvatrice reçue du Christ. Cette prise de conscience se manifeste avec une particulière évidence dans les exhortations post-synodales consacrées à la mission des laïcs, à la formation des prêtres, à la catéchèse, à la famille, à la valeur de la pénitence et de la réconciliation dans la vie de l'Église et de l'humanité, et prochainement à la vie consacrée.

22. Au ministère de l'Évêque de Rome reviennent des tâches et des responsabilités propres en vue du grand Jubilé de l'An 2000. Tous les Papes du siècle qui va se conclure ont agi de quelque manière dans cette perspective. Avec le dessein de tout renouveler dans le Christ, saint Pie X chercha à prévenir les développements tragiques que préparait la situation internationale du début du siècle. L'Église se rendait compte qu'elle devait agir fermement pour favoriser et défendre des biens aussi fondamentaux que la paix et la justice face à des tendances opposées qui s'affirmaient dans le monde contemporain. Les Papes de la période pré-conciliaire se dépensèrent dans ce sens avec une grande détermination, chacun avec ses problèmes particuliers: Benoît XV fut confronté à la tragédie de la première guerre mondiale, Pie XI dut se mesurer avec les menaces des systèmes totalitaires ou non respectueux de la liberté humaine, en Allemagne, en Russie, en Italie, en Espagne et, encore avant, au Mexique. Pie XII intervint contre la grande injustice constituée par le suprême mépris de la dignité humaine qui sévit durant la deuxième guerre mondiale. Il donna des orientations très claires, même pour la naissance d'un nouvel ordre mondial après la chute des systèmes politiques précédents.

En outre, au cours du siècle, à la suite de Léon XIII, les Papes ont repris systématiquement les thèmes de la doctrine sociale catholique, exposant les caractéristiques d'un juste système dans le domaine des rapports entre le travail et le capital. Il suffit de penser à l'encyclique Quadragesimo anno de Pie XI, aux nombreuses interventions de Pie XII, aux encycliques Mater et magistra et Pacem in terris de Jean XXIII, à Populorum progressio et à la lettre apostolique Octogesima adveniens de Paul VI. Je suis revenu moi-même à maintes reprises sur ce sujet: j'ai consacré l'encyclique Laborem exercens d'une manière particulière à l'importance du travail humain, tandis qu'avec Centesimus annus j'ai voulu réaffirmer la valeur de la doctrine de Rerum novarum cent ans plus tard. Dans l'encyclique Sollicitudo rei socialis, j'avais auparavant proposé à nouveau d'une façon systématique toute la doctrine sociale de l'Église dans le contexte de l'opposition entre les deux blocs Est et Ouest et du danger d'une guerre nucléaire. Les deux éléments de la doctrine sociale de l'Église — la sauvegarde de la dignité et des droits de la personne dans le cadre d'un juste rapport entre travail et capital, et la promotion de la paix — se sont retrouvés dans ce texte et ont été associés. C'est aussi la cause de la paix qu'entendent servir les Messages pontificaux annuels du 1er janvier, publiés à partir de 1968, sous le pontificat de Paul VI.

23. Le pontificat actuel, depuis son premier document, parle du grand Jubilé d'une manière explicite et invite à vivre la période d'attente comme « un nouvel Avent »[9]. Il est ensuite revenu bien d'autres fois sur ce thème, s'y étendant largement dans l'encyclique Dominum et vivificantem[10]. En effet, la préparation de l'An 2000 devient comme une de ses clés d'interprétation. Il n'est certes pas question de se prêter à un nouveau millénarisme, comme certains le firent à la fin du premier millénaire; ce que l'on veut au contraire, c'est de rendre particulièrement attentif à tout ce que l'Esprit dit à l'Église et aux Églises (cf. Ap 2, 7, et suivants), comme aussi aux individus à travers les charismes qui sont au service de la communauté entière. On entend souligner ce que l'Esprit suggère aux diverses communautés, des plus petites, comme la famille, aux plus grandes, comme les nations et les organisations internationales, sans oublier les cultures, les civilisations et les saines traditions. Malgré les apparences, l'humanité continue à attendre la révélation des fils de Dieu et vit de cette espérance, comme en travail d'enfantement, selon l'image utilisée avec tant de force par saint Paul dans la Lettre aux Romains (cf. 8, 19-22).

24. Les pèlerinages du Pape sont devenus un élément important dans l'effort d'application du Concile Vatican II. Commencés par Jean XXIII qui, à la veille de l'inauguration du Concile, fit un pèlerinage significatif à Lorette et à Assise (1962), ils ont beaucoup augmenté sous Paul VI qui, après s'être tout d'abord rendu en Terre Sainte (1964), effectua neuf autres grands voyages apostoliques qui le mirent en contact direct avec les populations des divers continents.

Le pontificat actuel a élargi considérablement ce programme, en commençant par le Mexique à l'occasion de la IIIe Conférence générale de l'Épis- copat latino-américain réunie à Puebla en 1979. Puis, la même année, il y eut le pèlerinage en Pologne pendant le Jubilé du neuvième centenaire de la mort de saint Stanislas, évêque et martyr.

Les étapes suivantes de ces voyages sont connues. Les pèlerinages sont devenus systé- matiques et ont permis d'atteindre les Églises particulières dans tous les continents, en portant une attention soutenue au développement des relations œcuméniques avec les chrétiens des différentes Confessions. Sous ce dernier aspect, ont eu un relief particulier les visites en Turquie (1979), en Allemagne (1980), en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse (1982), en Suisse (1984), dans les Pays scandinaves (1989), et tout dernièrement dans les Pays baltes (1993).

Actuellement, parmi les buts de pèlerinages vivement désirés, en plus de Sarajevo en Bosnie- Herzégovine, il y a le Proche-Orient: le Liban, Jérusalem et la Terre Sainte. Il serait très signifi- catif de pouvoir, à l'occasion de l'An 2000, visiter tous ces lieux qui se trouvent sur le chemin du peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, depuis les terres parcourues par Abraham et par Moïse, en traversant l'Égypte et le Mont Sinaï, jusqu'à Damas, ville qui fut témoin de la conversion de saint Paul.

25. Dans la préparation de l'An 2000, les diverses Églises ont leur rôle à jouer: avec leurs Jubilés, elles célèbrent des étapes significatives dans l'histoire du salut des divers peuples. Parmi ces Jubilés locaux ou régionaux, il y a eu des événements d'une suprême importance: le millénaire du baptême de la Rus' en 1988[11], et aussi le cinquième centenaire du début de l'évangélisation dans le continent américain (1492). À côté d'événements d'une aussi vaste ampleur, même s'ils ne sont pas de portée universelle, il faut en rappeler d'autres non moins significatifs, par exemple le millénaire du baptême de la Pologne en 1966 et du baptême de la Hongrie en 1968, de même que le sixième centenaire du baptême de la Lituanie en 1987. En outre, il y aura prochainement le mille cinq centième anniversaire du baptême de Clovis, roi des Francs (496), puis le mille quatre centième anniversaire de l'arrivée de saint Augustin à Cantorbéry (597) et du début de l'évangélisation du monde anglo-saxon.

En ce qui concerne l'Asie, le Jubilé fera évoquer l'Apôtre Thomas qui, dès le début de l'ère chrétienne, selon la tradition, annonça l'Évangile en Inde, où les missionnaires du Portugal ne devaient venir ensuite que vers 1500. Il y a cette année le septième centenaire de l'évangélisation de la Chine (1294), et nous nous apprêtons à faire mémoire de la diffusion de l'œuvre missionnaire dans les Philippines avec l'érection du siège métropolitain de Manille (1595) et à célébrer le quatrième centenaire des premiers martyrs au Japon (1597).

En Afrique, où la première annonce remonte aussi à l'époque apostolique, avec les mille six cent cinquante ans écoulés depuis la consécration épiscopale du premier évêque des Éthiopiens, saint Frumence (vers 340), et les cinq cents ans depuis le début de l'évangélisation de l'Angola dans l'antique royaume du Congo (1491), des pays comme le Cameroun, la Côte-d'Ivoire, la République centrafricaine, le Burundi, le Burkina-Faso sont en train de célébrer le centenaire de l'arrivée des premiers missionnaires sur leurs territoires res- pectifs. D'autres nations africaines l'ont célébré récemment.

Et comment ne pas mentionner les Églises d'Orient, dont les antiques Patriarcats sont liés de si près à l'héritage apostolique et dont les vénérables traditions théologiques, liturgiques et spirituelles constituent une immense richesse qui entre dans le patrimoine commun de tout le christianisme? Les multiples célébrations jubilaires de ces Églises et des Communautés qui reconnaissent en elles l'origine de leur apostolicité rappellent la marche du Christ au cours des siècles et aboutissent, elles aussi, au grand Jubilé de la fin du deuxième millénaire.

Vue sous cet éclairage, toute l'histoire chrétienne nous apparaît comme un fleuve unique auquel de nombreux affluents apportent leurs eaux. L'An 2000 nous invite à nous rencontrer avec une fidélité renouvelée et en une communion plus profonde sur les rives de ce grand fleuve, le fleuve de la Révélation, du christianisme et de l'Église qui parcourt l'histoire de l'humanité, en commençant par l'événement qui eut lieu à Nazareth, puis à Bethléem, il y a deux mille ans. C'est vraiment le « fleuve » qui, avec ses « bras », selon l'expression du Psaume, « réjouit la cité de Dieu » (4645, 5).

26. Dans la perspective de la préparation de l'An 2000 se situent également les Années saintes de cette dernière partie du siècle. Nous avons encore présente à la mémoire l'Année sainte que le Pape Paul VI décréta en 1975; puis, dans la même ligne, 1983 a été célébré comme Année de la Rédemption. L'Année mariale 1987-1988 a eu une résonance peut-être plus forte encore: très attendue, elle a été intensément vécue dans les Églises locales, particulièrement dans les sanctuaires marials du monde entier. L'encyclique Redemptoris Mater, publiée à ce moment-là, a mis en relief l'enseignement conciliaire sur la présence de la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église: il y a deux mille ans, le Fils de Dieu s'est fait homme par la puissance de l'Esprit Saint et est né de la Vierge Marie immaculée. L'Année mariale a été comme une anticipation du Jubilé; elle contenait déjà bien des éléments qui devront être pleinement exprimés en l'An 2000.

27. Il est difficile de ne pas remarquer que l'Année mariale a précédé de près les événements de 1989. Ces événements ne peuvent pas ne pas surprendre par leur ampleur et surtout par la rapidité de leur déroulement. Les années quatre-vingt s'étaient écoulées en se chargeant d'un danger croissant, à la suite de la « guerre froide »; l'année 1989 a apporté une solution pacifique, qui a revêtu en un sens la forme d'un développement « organique ». À la lumière de cette solution, on se sent poussé à reconnaître un sens vraiment prophétique à l'encyclique Rerum novarum: ce que le Pape Léon XIII y écrit sur le communisme se trouve exactement vérifié, comme je l'ai souligné dans l'encyclique Centesimus annus[12]. On pouvait du reste pressentir que, dans ce qui s'est passé, la main invisible de la Providence était à l'œuvre avec une attention maternelle: « Une femme oublie-t-elle son petit enfant...? » (Is 49, 15).

Mais après 1989 se sont manifestés de nouveaux périls et de nouvelles menaces. Dans les pays de l'ancien bloc de l'Est, après la chute du communisme, est apparu le grand danger des nationalismes, comme le montrent malheureusement les événements des Balkans et d'autres zones voisines. Cela oblige les nations européennes à faire un sérieux examen de conscience, en reconnaissant qu'il y a eu des fautes et des erreurs historiques, dans les domaines économique et politique, à l'égard de nations dont les droits ont été systématiquement violés, aussi bien par les impérialismes du siècle passé que par ceux de notre siècle.

28. Actuellement, à la suite de l'Année mariale, nous vivonsl'Année de la Famille dans la même perspective; son contenu est étroitement lié au mystère de l'Incarnation et à l'histoire même de l'homme. On peut donc nourrir l'espoir que l'Année de la Famille, inaugurée à Nazareth, deviendra, comme l'Année mariale,une étape nouvelle et significative de la préparation du grand Jubilé.

C'est dans ce sens que j'ai adressé une Lettre aux Familles, dans laquelle j'ai voulu exposer à nouveau l'essentiel de l'enseignement de l'Église sur la famille et le faire entrer, pour ainsi dire, au cœur de chaque foyer. Au Concile Vatican II, l'Église a reconnu que l'une de ses tâches était de mettre en valeur la dignité du mariage et de la famille[13]. L'Année de la Famille entend contribuer à la mise en œuvre du Concile dans ce domaine. Il est donc nécessaire que la préparation du grand Jubilé passe, en un sens, par chaque famille. N'est-ce pas par une famille, celle de Nazareth, que le Fils de Dieu a voulu entrer dans l'histoire de l'humanité?

IV

LA PRÉPARATION IMMÉDIATE

29. Dans le cadre de ce vaste panorama se pose la question suivante: peut-on envisager un programme spécifique d'initiatives pour la préparation immédiate du grand Jubilé? À dire vrai, ce qui a été dit plus haut présente déjà quelques éléments d'un programme.

Une prévision plus détaillée d'initiatives « ad hoc », pour ne pas être artificielle ni difficilement applicable dans les diverses Églises, qui vivent dans des conditions si différentes, doit résulter d'une consultation élargie. J'en suis bien conscient, et c'est pourquoi j'ai voulu interroger à ce sujet les Présidents des Conférences épiscopales et, en particulier, les Cardinaux.

Je suis reconnaissant aux vénérés membres du Collège cardinalice, réunis en Consistoire extraordinaire les 13 et 14 juin 1994, d'avoir élaboré sur ce thème de nombreuses propositions et fourni d'utiles orientations. Je remercie également mes Frères dans l'épiscopat qui, de diverses façons, n'ont pas manqué de me faire parvenir des suggestions appréciées, que j'avais bien en tête en rédigeant la présente lettre apostolique.

30. Une première indication, qui ressort clairement de la consultation, est relative au temps de la préparation. Nous sommes désormais à quelques années seulement de l'An 2000; il a donc paru bon d'organiser cette période en deux phases, en réservant la phase à proprement parler préparatoire aux trois dernières années. On a pensé en effet qu'une période plus longue aurait fini par accumuler trop de matériaux et par diminuer l'attention spirituelle.

En conséquence, on a jugé qu'il convenait d'avancer vers la date historique par une première phase de sensibilisation des fidèles sur des thématiques plus générales, pour concentrer ensuite la préparation directe et immédiate dans une seconde phase, de trois ans, entièrement consacrée à la célébration du mystère du Christ Sauveur.

a) Première phase

31. La première phase aura donc un caractère anté-préparatoire: elle devra servir à raviver chez le peuple chrétien la conscience de la valeur et de la signification que le Jubilé de l'An 2000 revêt dans l'histoire humaine. Portant en lui-même la mémoire de la naissance du Christ, il a intrinsèquement une connotation christologique.

Conformément à l'articulation de la foi chrétienne en parole et sacrement, il semble important d'unir ici aussi, pour cet anniversaire spécial, la structure de la mémoire avec celle de la célébration, en ne se limitant pas à rappeler l'événement d'une façon seulement conceptuelle, mais en rendant présent son caractère salvateur par l'actualisation sacramentelle. La célébration jubilaire devra con- firmer chez les chrétiens d'aujourd'hui la foi en Dieu qui s'est révélé dans le Christ, soutenir leur espérance qui les tourne vers l'attente de la vie éternelle, raviver leur charité qui les fait se dépenser généreusement au service de leurs frères.

Au cours de la première phase (1994 à 1996), le Saint-Siège, aidé par un Comité créé à cet effet, ne manquera pas de suggérer quelques éléments de réflexion et d'action au niveau universel, tandis qu'un effort de sensibilisation sera accompli, d'une manière plus capillaire, par des Commissions semblables dans les Églises locales. Il s'agit de continuer en quelque sorte ce qui a été fait lors de la préparation éloignée et en même temps d'appro- fondir les aspects les plus caractéristiques de l'événement jubilaire.

32. Le Jubilé est toujours un temps de grâce particulière, « un jour béni par le Seigneur »: comme tel, il a — on l'a déjà noté — un caractère joyeux. Le Jubilé de l'An 2000 veut être une grande prière de louange et d'action de grâce surtout pour le don de l'Incarnation du Fils de Dieu et de la Rédemption qu'Il a accomplie. Pendant l'année jubilaire, les chrétiens se mettront, avec une admiration et une foi renouvelées, face à l'amour du Père, qui a donné son Fils « afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). En outre, ils élèveront avec une profonde conviction leur action de grâce pour le don de l'Église, fondée par le Christ comme « sacrement, c'est-à-dire à la fois signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain »[14]. Leur action de grâce s'étendra enfin aux fruits de sainteté mûris dans la vie de tant d'hommes et de femmes qui, à chaque génération et à chaque époque de l'histoire, ont su accueillir sans réserve le don de la Rédemption.

Toutefois, la joie de tout Jubilé est d'une manière particulière une joie pour la rémission des fautes, la joie de la conversion. C'est pourquoi il serait bon de placer de nouveau au premier plan ce qui a constitué le thème du Synode des Évêques de 1984, c'est-à-dire la pénitence et la réconciliation[15]. Ce Synode fut un événement extrêmement significatif dans l'histoire de l'Église post-conciliaire. Il reprit la question toujours actuelle de la conversion (« metanoia »), qui est la condition préliminaire de la réconciliation avec Dieu pour les personnes comme pour les communautés.

33. Il est donc juste que, le deuxième millénaire du christianisme arrivant à son terme, l'Église prenne en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l'esprit du Christ et de son Évangile, présentant au monde, non point le témoignage d'une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d'agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale.

Bien qu'elle soit sainte par son incorporation au Christ, l'Église ne se lasse pas de faire pénitence: elle reconnaît toujours comme siens, devant Dieu et devant les hommes, ses enfants pécheurs. La constitution Lumen gentium dit à ce sujet: « L'Église, qui comprend des pécheurs en son propre sein, est à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement »[16].

La Porte sainte du Jubilé de l'An 2000 devra être symboliquement plus large que les précé- dentes car l'humanité, arrivée à ce terme, laissera derrière elle non seulement un siècle mais un millénaire. Il est bon que l'Église franchisse ce passage en étant clairement consciente de ce qu'elle a vécu au cours de ces dix derniers siècles. Elle ne peut passer le seuil du nouveau millénaire sans inciter ses fils à se purifier, dans la repentance, des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs. Reconnaître les fléchissements d'hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d'aujourd'hui et nous prépare à les affronter.

34. Parmi les péchés qui requièrent un plus grand effort de pénitence et de conversion, il faut évidemment compter ceux qui ont porté atteinte à l'unité voulue par Dieu pour son peuple. Au cours des mille ans qui arrivent à leur terme, plus encore qu'au premier millénaire, la communion ecclésiale, « parfois par la faute de l'une et de l'autre des parties »[17], a connu de douloureux déchirements qui s'opposent ouvertement à la volonté du Christ et sont pour le monde un objet de scandale[18]. Malheureusement, ces péchés du passé font encore sentir leur poids et demeurent, même à l'heure actuelle, comme des tentations. Il est nécessaire d'en faire amende honorable, en invoquant avec force le pardon du Christ.

En cette dernière partie du millénaire, l'Église doit s'adresser avec plus de ferveur à l'Esprit Saint pour lui demander la grâce de l'unité des chrétiens. C'est là un problème crucial pour le témoignage évangélique dans le monde. Après le Concile Vatican II surtout, il y a eu de nombreuses initiatives œcuméniques, prises avec générosité et détermination; on peut dire que toute l'activité des Églises locales et du Siège apostolique ont eu ces dernières années un souffle œcuménique. Le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens est devenu l'un des centres principaux où est stimulé le processus vers la pleine unité.

Mais nous savons tous que la réalisation de cet objectif ne peut être le fruit des seuls efforts humains, tout indispensables qu'ils soient. En définitive, l'unité est un don de l'Esprit Saint. Il nous est demandé de favoriser la concession de ce don sans nous laisser aller à des légèretés ni à des réticences dans le témoignage de la vérité mais en mettant généreusement en pratique les directives tracées par le Concile et les documents du Saint-Siège qui l'ont suivi, directives appréciées même par beaucoup de chrétiens qui ne sont pas en pleine communion avec l'Église catholique.

Voilà donc l'une des tâches des chrétiens en marche vers l'An 2000. L'approche de la fin du deuxième millénaire nous invite tous à un examen de conscience et à d'utiles initiatives œcuméniques, afin que nous puissions nous présenter, lors du grand Jubilé, sinon totalement unis, du moins beaucoup plus près de surmonter les divisions du deuxième millénaire. Pour cela — chacun le voit bien — un énorme effort est nécessaire. Il faut poursuivre le dialogue doctrinal, mais surtout s'engager davantage dans la prière œcuménique. Cette prière s'est beaucoup intensifiée après le Concile, mais elle doit se développer encore et il faut que les chrétiens s'y impliquent toujours davantage, dans l'esprit de la grande invocation du Christ avant sa Passion: « Père..., qu'ils soient un en nous, eux aussi » (Jn 17, 21).

35. Il y a un autre chapitre douloureux sur lequel les fils de l'Église ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir: le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes d'intolérance et même de violence dans le service de la vérité.

Il est vrai que pour juger correctement l'histoire, on ne peut se dispenser de prendre attentivement en considération les conditionnements culturels de l'époque: sous leur influence, beaucoup ont pu considérer en toute bonne foi que, pour porter authentiquement témoignage à la vérité, il fallait réduire au silence l'opinion d'autrui ou au moins la marginaliser. De multiples motifs concouraient souvent à la création d'un terrain favorable à l'intolérance, alimentant un climat passionnel auquel seuls de grands esprits vraiment libres et pleins de Dieu réussissaient d'une certaine manière à se soustraire. Mais la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas l'Église du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et l'ont empêchée de refléter pleinement l'image de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable d'amour patient et d'humble douceur. De ces attitudes douloureuses du passé ressort pour l'avenir une leçon qui doit inciter tout chrétien à s'en tenir fermement à la règle d'or définie par le Concile: « La vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance »[19].

36. De nombreux cardinaux et évêques ont souhaité un sérieux examen de conscience surtout pour l'Église d'aujourd'hui. Au seuil du nouveau millénaire, les chrétiens doivent se mettre humblement en présence du Seigneur pour s'interroger sur les responsabilités qu'ils ont, eux aussi, dans les maux de notre temps. En effet, à côté de nombreuses lumières, l'époque actuelle présente beaucoup d'ombres.

Comment passer sous silence, par exemple, l'indifférence religieuse qui conduit beaucoup d'hommes d'aujourd'hui à vivre comme si Dieu n'existait pas ou à se contenter d'une vague religiosité qui ne leur permet pas de se confronter au problème de la vérité ni au devoir de cohérence? Il faut ajouter que, un peu partout, on a perdu le sens de la transcendance de l'existence humaine et l'on est désorienté dans le domaine éthique, même en ce qui concerne les valeurs fondamentales du respect de la vie et de la famille. Un test s'impose pour les fils de l'Église: à quel point ne sont-ils pas eux-mêmes atteints par l'atmosphère de sécularisme et de relativisme éthique? Et quelle part de responsabilité ne doivent-ils pas se reconnaître, eux aussi, face à la progression de l'irréligion, parce qu'ils n'ont pas manifesté l'authentique visage de Dieu « en raison des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale »? [20]

On ne peut nier, en effet, que chez beaucoup de chrétiens la vie spirituelle traverse une période d'incertitude qui affecte non seulement la vie morale mais aussi la prière et même la rectitude théologale de la foi. Celle-ci, déjà mise à l'épreuve par la confrontation avec notre temps, est parfois désorientée par des positions théologiques erronées, qui se répandent, entre autres, à cause de la crise de l'obéissance à l'égard du magistère de l'Église.

Quant au témoignage de l'Église à notre époque, comment ne pas ressentir de la souffrance devant le manque de discernement, qui devient parfois un véritable consentement, de nombreux chrétiens devant la violation des droits humains fondamentaux de la part de régimes totalitaires? Et ne faut-il pas déplorer, parmi les ombres du présent, la coresponsabilité de tant de chrétiens dans des formes graves d'injustice et de marginalisation sociale? On peut se demander combien d'entre eux connaissent à fond et pratiquent d'une manière cohérente les directives de la doctrine sociale de l'Église.

L'examen de conscience ne saurait omettre la réception du Concile, ce grand don de l'Esprit Saint à l'Église au déclin du deuxième millénaire. Dans quelle mesure la Parole de Dieu est-elle devenue plus pleinement l'âme de la théologie et inspiret-elle toute l'existence chrétienne, comme le demandait la constitution Dei Verbum? La liturgie est-elle vécue comme « source et sommet » de la vie ecclésiale, selon l'enseignement de la constitution Sacrosanctum Concilium? Voit-on s'affermir, dans l'Église universelle et dans les Églises particulières, l'ecclésiologie de communion de la constitution Lumen gentium, en donnant la place qui convient aux charismes, aux ministères, aux di- verses formes de participation du peuple de Dieu, sans pour autant se prêter à un « démocratisme » et à un sociologisme qui ne respectent pas la vision catholique de l'Église ni l'authentique esprit de Vatican II? Il y a aussi une question vitale, celle du style des rapports entre l'Église et le monde. Les directives conciliaires — données par Gaudium et spes et d'autres documents — pour un dialogue ouvert, respectueux et cordial, accompagné toutefois d'un discernement attentif et d'un témoignage courageux rendu à la vérité, restent valables et nous invitent à un effort supplémentaire.

37. L'Église du premier millénaire est née du sang des martyrs: « Sanguis martyrum - semen christianorum »[21]. Les événements historiques liés à la figure de Constantin le Grand n'auraient jamais pu garantir à l'Église un développement comme celui qui se réalisa durant le premier millénaire s'il n'y avait eu les semailles des martyrs et le patrimoine de sainteté qui caractérisèrent les premières générations chrétiennes. Au terme du deuxième millénaire, l'Église est devenue à nouveau une Église de martyrs. Les persécutions à l'encontre des croyants — prêtres, religieux et laïcs — ont provoqué d'abon- dantes semailles de martyrs dans différentes parties du monde. Le témoignage rendu au Christ jusqu'au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants, comme le notait déjà Paul VI dans son homélie pour la canonisation des martyrs ougandais[22].

C'est là un témoignage à ne pas oublier. Malgré les grandes difficultés d'organisation qu'elle éprouvait, l'Église des premiers siècles s'est employée à consigner dans des martyrologes le témoignage des martyrs. Ces martyrologes ont été constamment mis à jour au cours des siècles, et dans le catalogue des saints et des bienheureux de l'Église ont été inscrits non seulement ceux qui ont versé leur sang pour le Christ mais aussi des maîtres de la foi, des missionnaires, des confesseurs, des évêques, des prêtres, des vierges, des époux, des veuves, des enfants.

En notre siècle, les martyrs sont revenus; souvent inconnus, ils sont comme des « soldats inconnus » de la grande cause de Dieu. Dans toute la mesure du possible, il faut éviter de perdre leur témoignage dans l'Église. Comme il a été suggéré lors du Consistoire, il faut que les Églises locales fassent tout leur possible pour ne pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont subi le martyre, en rassemblant à cette intention la documentation nécessaire. Et cela ne saurait manquer d'avoir un caractère œcuménique marqué. L'œcuménisme des saints, des martyrs, est peut-être celui qui convainc le plus. La voix de la communio sanctorum est plus forte que celle des fauteurs de division. Le martyrologium des premiers siècles a été le fondement du culte des saints. En proclamant et en vénérant la sainteté de ses fils et de ses filles, l'Église rendait un suprême hommage à Dieu même; dans les martyrs, elle vénérait le Christ, qui était à l'origine de leur martyre et de leur sainteté. Plus tard s'est développé l'usage de la canonisation, qui existe encore dans l'Église catholique et dans les Églises orthodoxes. Les canonisations et les béatifications se sont multipliées ces dernières années. Elles manifestent la vitalité des Églises locales, qui sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses qu'aux premiers siècles et qu'au premier millénaire. Le plus grand hommage que toutes les Églises rendront au Christ au seuil du troisième millénaire sera de montrer la présence toute-puissante du Rédempteur par les fruits de foi, d'espérance et de charité chez des hommes et des femmes de si nombreuses langues et races qui ont suivi le Christ dans les diverses formes de la vocation chrétienne.

Il reviendra au Siège apostolique, dans la perspective du troisième millénaire, de mettre à jour les martyrologes pour l'Église universelle, en accordant une grande attention à la sainteté de ceux qui, à notre époque aussi, ont vécu pleinement dans la vérité du Christ. D'une manière toute spéciale, on devra s'employer à reconnaître l'héroïcité des vertus d'hommes et de femmes qui ont réalisé leur vocation chrétienne dans le mariage: convaincus que les fruits de sainteté ne manquent pas non plus dans cet état, nous sentons le besoin de trouver les moyens les plus adaptés pour les mettre en évidence et les présenter à toute l'Église comme modèles et stimulants pour les autres époux chrétiens.

38. Il y a encore un besoin qui a été souligné par les cardinaux et les évêques: celui d'autres Synodes de caractère continental, à la suite de ceux qui ont déjà été tenus pour l'Europe et pour l'Afrique. La dernière Conférence générale de l'épiscopat latino-américain a accueilli, en accord avec l'épiscopat nord-américain, la proposition d'un Synode pour les Amériques sur la problématique de la nouvelle évangélisation dans les deux parties de ce continent, si différentes par leur origine et leur histoire, et sur les thèmes de la justice et des rapports économiques internationaux, en tenant compte de l'énorme différence entre le Nord et le Sud.

Un Synode de caractère continental semble opportun pour l'Asie, où se pose plus intensément la question de la rencontre du christianisme avec les cultures et les religions locales très anciennes. Il y a là un grand défi pour l'évangélisation, car des systèmes religieux comme le bouddhisme et l'hindouisme se présentent comme ayant un caractère clairement sotériologique. Il est donc urgent de réunir un Synode à l'occasion du grand Jubilé pour éclairer et approfondir la doctrine sur le Christ unique Médiateur entre Dieu et les hommes et unique Rédempteur du monde, en le distinguant bien des fondateurs d'autres grandes religions, dans lesquelles on trouve tout de même des éléments de vérité que l'Église considère avec un respect sincère, y voyant un reflet de la Vérité qui éclaire tous les hommes[23]. En l'An 2000 devra retentir avec une force renouvelée la pro- clamation de la vérité: « Ecce natus est nobis Salvator mundi ».

Pour l'Océanie également, un Synode régional pourrait être utile. Dans ce continent, il y a, entre autres éléments, des populations aborigènes qui rappellent d'une manière singulière certains aspects de la préhistoire du genre humain. Dans ce Synode, en plus des autres problèmes du continent, il ne faudrait donc pas négliger le thème de la rencontre du christianisme avec ces formes très anciennes de religiosité, caractérisées, et cela est très significatif, par une orientation monothéiste.

b) Deuxième phase

39. À partir de cette vaste action de sensibilisation, il sera alors possible d'aborder la deuxième phase, celle de la préparation proprement dite. Elle s'étendra sur une période de trois années, de 1997 à 1999. La structure thématique de ces trois années, centrée sur le Christ, Fils de Dieu fait homme, ne peut être que théologique, c'est-à-dire trinitaire.

Première année: Jésus Christ

40. La première année, 1997, sera donc consacrée à la réflexion sur le Christ, Verbe du Père, fait homme par l'action de l'Esprit Saint. Il convient en effet de mettre en lumière le caractère nettement christologique du Jubilé, qui célébrera l'Incarnation du Fils de Dieu, mystère de salut pour tout le genre humain. Le thème général, proposé pour cette année par de nombreux Cardinaux et Évêques, est: « Jésus Christ, unique Sauveur du monde, hier, aujourd'hui et à jamais » (cf. He 13, 8).

Parmi les éléments de la christologie évoqués par le Consistoire, ressortent ceux qui suivent: la redécouverte du Christ Sauveur et Évangélisateur, en se référant particulièrement au chapitre quatrième de l'Évangile de Luc, où s'entrecroisent le thème du Christ envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle et celui du Jubilé; l'approfondissement du mystère de son Incarnation et de sa naissance du sein virginal de Marie; la nécessité d'avoir la foi en Lui pour le salut. Pour connaître la véritable identité du Christ, il convient que les chrétiens, surtout au cours de cette année, reviennent à la Bible avec une attention renouvelée, « soit par la sainte liturgie imprégnée des paroles de Dieu, soit par une pieuse lecture, soit par des cours appropriés et par d'autres moyens »[24]. En effet, dans le texte révélé, c'est le Père céleste lui-même qui, avec amour, vient à notre rencontre et s'entretient avec nous, en nous manifestant la nature de son Fils unique et son dessein de salut pour l'humanité[25].

41. Au cours de cette année, l'effort pour actualiser les sacrements dont on a parlé plus haut pourra prendre appui sur la redécouverte du Baptême comme fondement de l'existence chrétienne, selon la parole de l'Apôtre: « Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Pour sa part, le Catéchisme de l'Église catholique rappelle que « le Baptême constitue le fondement de la communion entre tous les chrétiens, aussi avec ceux qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique »[26]. Du point de vue œcuménique, précisément, ce sera une année très importante pour porter ensemble notre regard vers le Christ, le seul Seigneur, pour s'engager à devenir un en Lui, suivant sa prière au Père. Souligner la place centrale du Christ, de la Parole de Dieu et de la foi ne devrait pas manquer de susciter l'intérêt et l'accueil positifs des chrétiens d'autres confessions.

42. Tout devra être orienté vers l'objectif prioritaire du Jubilé qui est le renforcement de la foi et du témoignage des chrétiens. Il est donc nécessaire de susciter chez tous les fidèles une réelle aspiration à la sainteté, un fort désir de conversion et de renouveau personnel, dans un climat de prière toujours plus intense et de solidarité dans l'accueil du prochain, particulièrement des plus démunis.

La première année sera donc un temps favorable à la redécouverte de la catéchèse, dans son sens et sa valeur première d'« enseignement des Apôtres » (Ac 2, 42), sur la personne de Jésus Christ et son mystère de salut. Dans ce but, il s'avérera très utile d'approfondir le Catéchisme de l'Église catholique, qui présente « fidèlement et organiquement l'enseignement de l'Écriture sainte, de la Tradition vivante dans l'Église et du Magistère authentique, de même que l'héritage spirituel des Pères, des saints et des saintes de l'Église, pour permettre de mieux connaître le mystère chrétien et de raviver la foi du peuple de Dieu »[27]. Par souci de réalisme, on n'omettra pas d'informer la conscience des fidèles au sujet des erreurs concernant la personne du Christ, en éclairant avec justesse les oppositions qui se manifestent contre Lui et contre l'Église.

43. La Vierge Sainte, qui sera présente tout au long de la phase préparatoire, de manière transversale, pour ainsi dire, sera contemplée et invoquée en cette première année surtout dans le mystère de sa Maternité divine. C'est en son sein que le Verbe s'est fait chair! L'affirmation de la place centrale du Christ ne peut donc être disjointe de la reconnaissance du rôle joué par sa très sainte Mère. Son culte, s'il est bien compris, ne pourra en aucune manière porter atteinte « à la dignité et à l'efficacité de l'unique Médiateur, le Christ »[28]. Marie, en effet, montre constamment son Fils divin et se propose à tous les croyants comme modèle de la foi vécue. « En se recueillant avec piété dans la pensée de Marie, qu'elle contemple dans la lumière du Verbe fait homme, l'Église pénètre avec respect plus avant dans le mystère suprême de l'Incarnation et devient sans cesse plus conforme à son Époux »[29].

Deuxième année: l'Esprit Saint

44. L'année 1998, la deuxième année de la phase préparatoire, sera spécialement consacrée à l'Esprit Saint et à sa présence sanctificatrice à l'intérieur de la communauté des disciples du Christ. « Le grand Jubilé, qui conclura le second millénaire, — comme je l'écrivais dans l'encyclique Dominum et vivificantem — 1 a un profil pneumatologique, puisque le mystère de l'Incarnation s'est accompli "par le Saint-Esprit". Ce fut l'œuvre de cet Esprit qui, consubstantiel au Père et au Fils, est, dans le mystère absolu de Dieu un et trine, la Personne-amour, le Don incréé, source éternelle de tout don qui provient de Dieu dans l'ordre de la création, le principe direct et, en un sens, le sujet de la communication que Dieu fait de lui- même dans l'ordre de la grâce. De ce don, de cette communication que Dieu fait de lui-même, le mystère de l'Incarnation constitue le sommet »[30].

L'Église ne peut se préparer à l'échéance du bimillénaire « autrement que dans l'Esprit Saint. Ce qui, « dans la plénitude du temps », s'est accompli par l'Esprit Saint, ne peut maintenant ressortir dans la mémoire de l'Église que par lui »[31].

L'Esprit, en effet, actualise dans l'Église de tous les temps et de tous les lieux la Révélation unique apportée par le Christ aux hommes, la rendant vivante et efficace dans l'âme de chacun: « Le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

45. Dans les tâches premières de la préparation au Jubilé, figure donc la redécouverte de la présence et de l'action de l'Esprit. Il agit dans l'Église par les sacrements, surtout par la Confirmation, ou bien dans les différents charismes, rôles et ministères spécifiques qu'Il suscite pour le bien de l'Église: « Unique est l'Esprit qui distribue ses dons variés pour le bien de l'Église à la mesure de ses ri- chesses et selon les nécessités des services (cf. 1 Co 12, 1-11). Parmi ces dons, la grâce accordée aux Apôtres tient la première place: l'Esprit lui-même soumet à leur autorité jusqu'aux bénéficiaires des charismes (cf. 1 Co 14). Le même Esprit, qui est par lui-même principe d'unité dans le corps où s'exerce sa vertu et où il réalise la connexion intérieure des membres, produit et stimule entre les fidèles la charité »[32].

L'Esprit est aussi pour notre époque l'agent principal de la nouvelle évangélisation. Il importera donc de redécouvrir l'Esprit comme Celui qui construit le Royaume de Dieu au cours de l'histoire et prépare sa pleine manifestation en Jésus Christ, en animant les hommes de l'intérieur et en faisant croître dans la vie des hommes les germes du salut définitif qui adviendra à la fin des temps.

46. Dans cette perspective eschatologique, les croyants seront appelés à redécouvrir la vertu théologale de l'espérance, dont ils ont « naguère entendu l'annonce dans la Parole de vérité, l'Évangile » (Col 1, 5). La vertu fondamentale de l'espérance, d'une part, pousse le chrétien à ne pas perdre de vue le but dernier qui donne son sens et sa valeur à toute son existence, et, d'autre part, elle lui donne de fermes et profondes raisons de s'engager quotidiennement dans la transformation de la réalité pour la rendre conforme au projet de Dieu.

Comme le rappelle l'Apôtre Paul, « nous le savons, en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule: nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de l'adoption filiale, de la rédemption de notre corps. Car notre salut est objet d'espérance » (Rm 8, 22-24). Les chrétiens sont appelés à se préparer au grand Jubilé du commencement du troisième millénaire en ranimant leur espérance en l'avènement définitif du Royaume de Dieu, en le préparant jour après jour dans leur vie intérieure, dans la communauté chrétienne à laquelle ils appartiennent, dans le milieu social où ils sont insérés et ainsi dans l'histoire du monde.

En outre, il convient que l'on mette en valeur et que l'on approfondisse les signes d'espérance présents en cette fin du siècle, malgré les ombres qui les dissimulent souvent à nos yeux:dans le domaine civil, les progrès réalisés par la science, par la technique et surtout par la médecine au service de la vie humaine, un sens plus grand de responsabilité à l'égard de l'environnement, les efforts pour rétablir la paix et la justice partout où elles ont été violées, la volonté de réconciliation et de solidarité entre les différents peuples, en particulier dans les rapports complexes entre le Nord et le Sud du monde...; dans le domaine ecclésial, une écoute plus attentive de la voix de l'Esprit par l'accueil des charismes et la promotion du laïcat, le dévouement ardent à la cause de l'unité de tous les chrétiens, l'importance accordée au dialogue avec les religions et avec la culture contemporaine...

47. La réflexion des fidèles au cours de la deuxième année préparatoire devra porter avec une attention particulière sur la valeur de l'unité à l'intérieur de l'Église, ce à quoi tendent les différents dons et charismes suscités en elle par l'Esprit. À ce sujet, il sera opportun d'approfondir l'enseignement ecclésiologique du Concile Vatican II, exprimé surtout dans la constitution dogmatique Lumen gentium. Ce document important a expressément souligné que l'unité du Corps du Christ est fondée sur l'action de l'Esprit, elle est garantie par le ministère apostolique et soutenue par l'amour mutuel (cf. 1 Co 13, 1-8). Cet approfondissement catéchétique de la foi ne pourra qu'amener les membres du peuple de Dieu à une conscience plus mûre de leurs responsabilités, ainsi qu'à un sens plus vif de la valeur de l'obéissance ecclésiale[33].

48. Marie, qui conçut le Verbe incarné par l'Esprit Saint et qui se laissa ensuite conduire toute sa vie par l'action intérieure de l'Esprit, sera contemplée et imitée au cours de cette année surtout comme la femme fidèle à la voix de l'Esprit, la femme du silence et de l'écoute, la femme de l'espérance, qui sut accueillir comme Abraham la volonté de Dieu, « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18). Elle a porté à sa plénitude l'aspiration des pauvres du Seigneur, modèle rayonnant pour ceux qui mettent de tout cœur leur confiance dans les promesses de Dieu.

Troisième année: Dieu le Père

49. L'année 1999, troisième et dernière année préparatoire, servira à élargir les horizons des croyants selon la perspective même du Christ: la perspective du « Père qui est aux cieux » (cf. Mt 5, 45), par qui il a été envoyé et vers qui il est retourné (cf. Jn 16, 28).

« La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). Toute la vie chrétienne est comme un grand pèlerinage vers la maison du Père, dont on retrouve chaque jour l'amour inconditionnel pour toutes les créatures humaines, et en particulier pour le « fils perdu » (cf. Lc 15, 11-32). Ce pèlerinage concerne la vie intérieure de chaque personne, il implique la communauté croyante et enfin inclut l'humanité entière.

Le Jubilé, centré sur la figure du Christ, devient ainsi un grand acte de louange du Père: « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C'est ainsi qu'Il nous a élus en Lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour » (Ép 1, 3-4).

50. En cette troisième année, le sens du « cheminement vers le Père » devra nous pousser tous à parcourir, dans l'adhésion au Christ, Rédempteur de l'homme, un itinéraire de conversion authentique, qui comprend un aspect « négatif » de libération du péché, et un aspect « positif » de choix du bien, exprimé par les valeurs éthiques comprises dans la loi naturelle confirmée par l'Évan- gile. C'est dans ce cadre qu'il convient de redécouvrir et de célébrer avec ferveur le sacrement de la Pénitence, dans son sens le plus profond. L'annonce de la conversion comme exigence indispensable de l'amour chrétien a une importance particulière dans la société actuelle, où les fondements mêmes d'une conception éthique de l'existence humaine semblent souvent perdus de vue.

Il conviendra donc spécialement cette année de mettre en relief la vertu théologale de la charité, en se rappelant l'affirmation synthétique et saisissante de la première Lettre de Jean: « Dieu est amour » (4, 8. 16). La charité, avec son double visage d'amour pour Dieu et pour les frères, est la synthèse de la vie morale du croyant. Elle a en Dieu sa source et son aboutissement.

51. Dans cette perspective, nous rappelant que Jésus est venu « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Mt 11, 5; Lc 7, 22), comment ne pas souligner plus nettement l'option préférentielle de l'Église pour les pauvres et les exclus? On doit même dire que l'engagement pour la justice et pour la paix en un monde comme le nôtre, marqué par tant de conflits et par d'intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé. Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations. Le Jubilé pourra aussi donner l'occasion de méditer sur d'autres défis de l'époque comme, par exemple, les difficultés du dialogue entre cultures diffé- rentes et les problèmes liés au respect des droits de la femme et à la promotion de la famille et du mariage.

52. En outre, se rappelant que « le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui dévoile sa très haute vocation »[34], deux champs d'action seront indispensables particulièrement au cours de la troisième année préparatoire: la confrontation avec le sécularisme et le dialogue avec les grandes religions.

Par rapport au premier point, il conviendra d'aborder le vaste thème de la crise de civilisation, telle qu'elle s'est manifestée surtout dans l'Occident plus développé sur le plan technologique, mais intérieurement appauvri par l'oubli ou la marginalisation de Dieu. À la crise de civilisation, il faudra répondre par la civilisation de l'amour, fondée sur les valeurs universelles de paix, de solidarité, de justice et de liberté, qui trouvent dans le Christ leur plein accomplissement.

53. En ce qui concerne au contraire la conscience religieuse, la vigile de l'An 2000 sera une circonstance favorable, également à la lumière des événements de ces dernières décennies, pour ledialogue inter-religieux, selon les indications claires données par le Concile Vatican II dans la déclaration Nostra ætate sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes.

Dans ce dialogue, les juifs et les musulmans devront avoir une place de choix. Dieu veuille que, pour confirmer la rectitude de ces intentions, puissent se réaliser aussi des rencontres communes dans des lieux significatifs pour les grandes religions monothéistes.

Pour cela, on étudiera la possibilité de prévoir des rendez-vous historiques à Bethléem, à Jérusalem et sur le Mont Sinaï, lieux de haute valeur symbolique, afin d'intensifier le dialogue avec les juifs et les fidèles de l'Islam, et aussi des rencontres avec les représentants des grandes religions du monde en d'autres villes. On devra cependant toujours être attentif à ne pas pro- voquer de dangereux malentendus, en veillant au risque du syncrétisme et d'un irénisme facile et trompeur.

54. Dans tout cet ensemble de préoccupations, la Très Sainte Vierge Marie, fille élue par le Père, se présente au regard des croyants comme l'exemple parfait de l'amour envers Dieu et envers le prochain. Comme Elle le proclame elle-même dans le cantique du Magnificat, le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses, Lui dont le nom est saint (cf. Lc 1, 49). Le Père a choisi Marie pour une mission unique dans l'histoire du salut: être la Mère du Sauveur attendu. La Vierge a répondu à l'appel de Dieu avec une entière disponibilité: « Je suis la servante du Seigneur » (Lc 1, 38). Sa maternité, commencée à Nazareth et vécue suprêmement à Jérusalem au pied de la Croix, sera reconnue en cette année par tous les enfants de Dieu comme une invitation affectueuse et pressante, à revenir vers la maison du Père en écoutant sa voix maternelle: « Faites ce que le Christ vous dira » (cf. Jn 2, 5).

c) En vue de la célébration

55. La célébration même du grand Jubilé constitue un chapitre en soi; elle aura lieu simultanément en Terre Sainte, à Rome et dans les Églises locales du monde entier. Dans cette phase surtout, la phase de la célébration, l'objectif sera la glorification de la Trinité, dont tout provient et vers laquelle tout s'oriente dans le monde et dans l'histoire. Les trois années de préparation immédiate tendent à ce mystère: du Christ et par le Christ, dans l'Esprit Saint, vers le Père. Dans ce sens, la célébration jubilaire met en œuvre et anticipe en même temps le but et l'accomplissement de la vie du chrétien et de l'Église en Dieu un et trine.

Mais comme le Christ est l'unique voie d'accès au Père, pour souligner sa présence vivante et salvatrice dans l'Église et dans le monde, se tiendra à Rome, à l'occasion du grand Jubilé, le Congrès eucharistique international. L'An 2000 sera une année intensément eucharistique: dans le sacrement de l'Eucharistie, le Sauveur, incarné dans le sein de Marie il y a vingt siècles, continue à s'offrir à l'humanité comme source de vie divine.

La dimension œcuménique et universelle du saint Jubilé pourra être mise en évidence opportunément par une rencontre pan-chrétienne significative. Il s'agit d'un geste de grande valeur, c'est pourquoi, afin d'éviter les équivoques, il doit être proposé correctement et préparé avec soin, dans un esprit de collaboration fraternelle avec les chrétiens des autres confessions et des autres traditions, de même que dans un esprit d'ouverture reconnaissante à l'égard des autres religions dont les représentants voudraient bien manifester leur attention à la joie de tous les disciples du Christ.

Une chose est certaine: chacun est invité à faire ce qui est en son pouvoir pour que l'on ne manque pas le défi de l'An 2000, auquel est certainement attaché une grâce particulière du Seigneur pour l'Église et pour toute l'humanité.

V

« JÉSUS CHRIST EST LE MÊME... À JAMAIS »
(He 13, 8)

56. L'Église existe depuis deux mille ans. Comme le grain de sénevé évangélique, elle croît et devient un grand arbre capable de couvrir de ses frondaisons toute l'humanité (cf. Mt 13, 31-32). Le Concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique sur l'Église, prenant en considération la question de l'appartenance à l'Église et de l'ordination au peuple de Dieu, s'exprime ainsi: « À cette unité catholique du peuple de Dieu 1, tous les hommes sont appelés; à cette unité appartiennent ou sont ordonnés, de diverses manières, aussi bien les fidèles catholiques que les autres qui croient au Christ, et enfin, en général, tous les hommes qui, par la grâce de Dieu, sont appelés au salut »[35]. Pour sa part, Paul VI explique dans l'encyclique Ecclesiam suam que les hommes sont universellement impliqués dans le plan de Dieu, en soulignant qu'il y a différents cercles du dialogue du salut[36].

En fonction de cette conception, on peut comprendre mieux encore la parabole du levain (cf. Mt 13, 33): le Christ, levain divin, pénètre toujours plus profondément le présent de la vie de l'humanité, en propageant l'œuvre du salut accomplie dans le Mystère pascal. Il englobe aussi dans son règne salvifique tout le passé du genre humain, en commençant par le premier Adam[37]. L'avenir lui appartient: « Jésus Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais » (He 13, 8). De son côté, l'Église « ne vise qu'un seul but: continuer, sous la conduite de l'Esprit Paraclet, l'œuvre du Christ lui-même, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi »[38].

57. C'est pourquoi, depuis les temps apostoliques, la mission de l'Église se poursuit sans interruption à l'intérieur de la famille humaine universelle. La première évangélisation a concerné surtout la région de la Mer Méditerranée. Au cours du premier millénaire, les missions parties de Rome et de Constantinople ont porté le christianisme dans tout le continent européen. Elles se dirigèrent en même temps vers le cœur de l'Asie, jusqu'en Inde et en Chine. La fin du XVe siècle, avec la découverte de l'Amérique, marqua le commencement de l'évangélisation de ce grand continent, au sud et au nord. En même temps, tandis que les rivages sub-sahariens de l'Afrique accueillaient la lumière du Christ, saint François Xavier, patron des missions, allait jusqu'au Japon. Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, un laïc, André Kim, apporta le christianisme en Corée; à cette époque, l'annonce de l'Évangile rejoignit la péninsule indochinoise, de même que l'Australie et les îles du Pacifique.

Le XIXe siècle a connu une grande activité missionnaire parmi les peuples de l'Afrique. Toutes ces actions ont porté des fruits qui se prolongent aujourd'hui. Le Concile Vatican II en prend acte dans le décret Ad gentes sur l'activité missionnaire. Après le Concile, la question missionnaire a été traitée dans l'encyclique Redemptoris missio, portant sur les problèmes des missions dans la dernière partie de notre siècle. L'Église continuera à être missionnaire à l'avenir encore: le caractère missionnaire, en effet, fait partie de sa nature. Avec la chute des grands systèmes anti-chrétiens dans le continent européen, du nazisme puis du communisme, la tâche urgente s'impose de présenter à nouveau aux hommes et aux femmes de l'Europe le message libérateur de l'Évangile[39]. En outre, ainsi que l'affirme l'encyclique Redemptoris missio, on retrouve dans le monde la situation de l'Aréopage d'Athènes où parla saint Paul[40]. Il y a aujourd'hui de nombreux « aréopages » très divers: ce sont les vastes domaines de la civilisation contemporaine et de la culture, de la politique et de l'économie. Plus l'Occident se détache de ses racines chrétiennes, plus il devient terrain de mission, sous la forme de différents « aréopages ».

58. L'avenir du monde et de l'Église appartient aux jeunes générations qui, nées au cours de ce siècle, arriveront à leur maturité au cours du prochain, le premier du nouveau millénaire.Le Christ attend les jeunes, comme il attendait le jeune homme qui lui posa la question: « Que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle? » (Mt 19, 16). Je me suis référé à la réponse impressionnante que Jésus lui donna dans la récente encycliqueVeritatis splendor, de même que, antérieurement, dans la Lettre à tous les jeunes du monde de 1985. Les jeunes, dans toutes les situations et dans toutes les régions de la terre, ne cessent d'inter- roger le Christ: ils le rencontrent et le cherchent pour continuer à l'interroger. S'ils savent suivre le chemin qu'Il leur montre, ils auront la joie d'apporter leur contribution à sa présence dans le prochain siècle et dans les siècles suivants, jusqu'à la consommation des temps. « Jésus est le même hier, aujourd'hui et à jamais ».

59. En conclusion, il est opportun de reprendre ces paroles de la Constitution pastorale Gaudium et spes: « L'Église croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l'homme, par son Esprit, lumière et force pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu'il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés. Elle croit aussi que la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouvent en son Seigneur et Maître. Elle affirme en outre que, sous tous les changements, il y a bien des choses qui ne changent pas et qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd'hui et à jamais. C'est pourquoi, à la lumière du Christ, Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, le Concile se propose de s'adresser à tous les hommes, afin d'éclairer le mystère de l'homme et d'apporter son concours à l'effort pour trouver une solution aux principales questions de notre temps »[41].

Tandis que j'invite les fidèles à faire monter vers le Seigneur d'instantes prières afin d'obtenir les lumières et le soutien nécessaires à la préparation et à la célébration du Jubilé désormais proche, j'exhorte mes vénérés Frères dans l'Épis- copat et les communautés ecclésiales qui leur sont confiées à ouvrir leurs cœurs aux suggestions de l'Esprit. L'Esprit ne manquera pas d'inspirer les âmes, afin que l'on se dispose à célébrer avec une foi renouvelée et une générosité active le grand événement jubilaire.

Je confie cette tâche de toute l'Église à l'intercession de Marie, Mère du Rédempteur. Mère du bel amour, elle sera pour les chrétiens en marche vers le troisième millénaire l'Étoile qui guidera fermement leurs pas à la rencontre du Seigneur. Que l'humble Vierge de Nazareth qui, il y a deux mille ans, a donné au monde entier le Verbe incarné oriente l'humanité du nouveau millénaire vers Celui qui est « la lumière véritable, qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9)!

C'est dans ces sentiments que j'accorde à tous ma Bénédiction.

Du Vatican, le 10 novembre 1994, en la dix-septième année de mon pontificat.

 

JOHANNES PAULUS PP. II


 

[1] Cf. S. Bernard, In laudibus Virginis Matris, Homilia IV, 8, Opera omnia, éd. Cisterc. (1966), 53.

[2] Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n°22.

[3] Ibid.

[4] Cf. Ant. Iud. 20, 200, et aussi 18, 63-64, passage bien connu et si discuté.

[5] Annales 15, 44, 3.

[6] Vita Claudii, 25, 4.

[7] Epist. 10, 96.

[8] Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n°15.

[9] Encyclique Redemptor hominis (4 mars 1979), n°1: AAS 71 (1979), p.258.

[10] Cf. Encyclique Dominum et vivificantem (18 mai 1986), nn°49 et suivants: AAS 78 (1986), pp. 868 et suivantes.

[11] Cf. Lettre apostolique Euntes in mundum (25 janvier 1988): AAS 80 (1988) pp. 935-956.

[12] Cf. Encyclique Centesimus annus (1er mai 1991), n°12: AAS 83 (1991), pp. 807-809.

[13] Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn°47-52.

[14] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n°1.

[15] Cf. Exhort. apost. Reconciliatio et penitentia (2 décembre 1984): AAS 77 (1985), pp. 185-275.

[16] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n°8.

[17] Conc. Oecum. Vat. II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, n°3.

[18] Cf. Ibid. n°1.

[19] Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, n°1.

[20] Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n°19.

[21] Tertullien, Apol., 50, 13: CCL I, 171.

[22] AAS 56 (1964), p. 906.

[23] Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n°2.

[24] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, n°25.

[25] Cf. Ibid. n°2.

[26] Catéchisme de l'Eglise catholique, n°1271.

[27] Const. apost. Fidei depositum (11 octobre 1992): AAS 86 (1994), p. 116.

[28] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n°62.

[29] Ibid. n°65.

[30]) Encyclique Dominum et vivificantem (18 mai 1986), n°50; AAS 78 (1986), pp. 869-870.

[31] Ibid. n°51; AAS 78 (1986), p. 871.

[32] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n°7.

[33] Cf. Ibid. n°37.

[34] Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n°22.

[35] Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n°13.

[36] Cf. Paul VI, Encyclique Ecclesiam suam (6 août 1964), III: AAS 56 (1964), pp. 650-657.

[37] Cf. Ibid. n°2.

[38] Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n°3.

[39] Cf. Déclaration de l'Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Evêques, n°3.

[40] Cf. Encyclique Redemptoris missio (7 décembre 1990), n°37, c: AAS 83 (1991), pp. 284-286.

[41] Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n°10.

 



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