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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN TURQUIE

(28-30 NOVEMBRE 2014)

CONFÉRENCE DE PRESSE DU SAINT-PÈRE
AU COURS DU VOL DE RETOUR DE TURQUIE

Dimanche 30 novembre 2014

[Multimédia]


 

(Père Lombardi)

Alors, Sainteté, merci beaucoup d’être avec nous, merci beaucoup pour ce salut si cordial et amical que vous avez voulu faire à tous, à chacun de nous. Maintenant nous passons à la seconde partie, culturelle, celle des questions. Il y a des personnes qui se sont inscrites sur une liste, et en premier nous mettons les deux collègues turques, qui sont naturellement intéressées, parce que nous attendons les questions qui portent sur le voyage. C’est un voyage au cours duquel se sont passées bien des choses, nous pouvons donc approfondir beaucoup d’aspects. Alors, j’invite Yasemin à venir pour poser la première question. Yasemin est de la télévision turque, elle a déjà fait le voyage ici avec le Pape Benoît, elle est donc experte des voyages des Papes en Turquie.

(Yasemin Taskin)

Bonsoir, Sainteté. Ma question porte naturellement sur le voyage. Le président Erdogan a parlé d’« islamophobie » ; vous, naturellement, vous vous êtes davantage arrêté sur une christianophobie actuelle au Moyen-Orient, sur ce qui arrive aux chrétiens, aux minorités. Compte tenu aussi du rappel au dialogue interreligieux, que peut-on faire de plus ? Le dialogue interreligieux suffit-il ? Peut-on aller au-delà ? Et, selon vous, que doivent faire les leaders mondiaux ? Je vous demande cela parce que vous n’êtes pas seulement le chef spirituel des catholiques, mais désormais, vous êtes un leader moral mondial, et donc, en ce sens, je voudrais savoir concrètement ce qu’on peut faire, si on peut aller au-delà…

(Pape François)

Vous avez posé des questions pour un livre !... Sur le dialogue interreligieux je voudrais dire une chose, sur l’islamophobie et sur la christianophobie : ces trois choses.

Sur l’islamophobie : c’est vrai que devant ces actes terroristes, non seulement dans cette région mais aussi en Afrique, il y a une réaction et on dit : « Si c’est ça l’Islam, je me mets en colère ! » Et beaucoup de musulmans sont offensés, beaucoup, beaucoup de musulmans. Ils disent : « Non, nous ne sommes pas comme ça. Le Coran est un livre de paix, c’est un livre prophétique de paix. Cela n’est pas ça l’Islam ». Je comprends cela et je crois que – au moins je crois, sincèrement – qu’on ne peut pas dire que tous les musulmans sont des terroristes : on ne peut pas le dire. Comme on ne peut dire que tous les chrétiens sont fondamentalistes, parce que, nous aussi, nous en avons ; dans toutes les religions il y a ces petits groupes. J’ai dit au Président [Erdogan] : « Ce serait beau que tous les leaders musulmans – qu’ils soient leaders politiques, leaders religieux ou leaders universitaires – parlent clairement et condamnent ces actes, parce que cela aiderait la majorité du peuple musulman à dire « non » ; mais vraiment, de la bouche de ses leaders : le leader religieux, le leader universitaire, beaucoup d’intellectuels, et les leaders politiques ». Cela a été ma réponse. Parce que nous avons tous besoin d’une condamnation mondiale, également de la part des musulmans, qui ont cette identité et qui disent : « Nous ne sommes pas ceux-là. Le Coran n’est pas cela. » Voilà la première chose.

Christianophobie : c’est vrai ! Je ne veux pas utiliser des mots un peu adoucis, non. Ils nous chassent, nous chrétiens, du Moyen-Orient. Quelquefois, comme nous avons vu en Irak, dans la région de Mossoul, ils doivent s’en aller et tout laisser, ou payer la taxe, qui ensuite ne sert pas… Et d’autres fois, ils nous chassent avec des gants blancs. Par exemple, dans un État, un couple, le mari vit ici, la femme vit là… Non, que le mari vienne vivre avec sa femme. Non, non : que la femme laisse et laisse libre la maison. Cela arrive dans certains pays. C’est comme s’ils voulaient qu’il n’y ait plus de chrétiens, qu’il ne reste rien de chrétien. Et dans cette région, c’est comme ça. C’est vrai, dans le premier cas c’est un effet du terrorisme ; mais quand cela se fait diplomatiquement, avec des gants blancs, c’est parce qu’il y a autre chose derrière, et cela n’est pas bon.

Et troisièmement, le dialogue interreligieux. J’ai eu peut-être la conversation la plus belle, la plus belle dans ce sens, avec le Président des Affaires Religieuses et son équipe. Déjà, quand le nouvel Ambassadeur de Turquie est venu il y a un mois pour porter les Lettres de créances, j’ai vu un homme exceptionnel, un homme de profonde religiosité. Et aussi le Président de ce service était de la même école. Et ils ont dit une belle chose : « Il semble maintenant que le dialogue interreligieux soit arrivé à la fin. Nous devons faire un saut de qualité, pour que le dialogue interreligieux ne soit pas le seul : ‑ comment pensez-vous cela ?... Nous cela … – Nous devons faire un saut de qualité, nous devons faire le dialogue entre des personnes religieuses de différentes appartenances ». C’est beau, parce que ce sont l’homme et la femme qui se rencontrent avec un homme et une femme et qui échangent leurs expériences : on ne parle pas seulement de théologie, on parle d’expérience religieuse. Et ce serait un pas en avant très beau, très beau. Cette rencontre m’a beaucoup plu. Elle a été de haute qualité.

Revenant aux deux premiers aspects, surtout celui de l’islamophobie, nous devons toujours distinguer la proposition d’une religion de l’utilisation concrète qu’un gouvernement déterminé fait de cette proposition. Tu dis peut-être : « Je suis musulman – je suis juif – je suis chrétien ». Mais tu gouvernes ton pays non comme musulman, non comme juif, non comme chrétien. Il y a un abîme. Il faut faire cette distinction, parce que souvent, on utilise le nom, mais la réalité n’est pas celle de la religion. Je ne sais pas si j’ai répondu…

(Yasemin Taskin)

Merci, Sainteté.

(Père Lombardi)

Vous avez répondu abondamment. Maintenant Esma [Cakir] veut venir, notre seconde dame turque de ce voyage. Elle est de l’Agence d’information.

(Esma Cakir)

Bonsoir, Sainteté. Quelle est la signification de ce moment de prière si intense que vous avez eu à la mosquée ? A-t-il été pour vous, Saint Père, une façon de vous tourner vers Dieu ? Quelle chose en particulier voulez-vous nous partager ?

(Pape François)

Je suis allé là, en Turquie, je suis venu comme pèlerin, non comme touriste. Et je suis venu pour une raison précise, le motif principal était la fête d’aujourd’hui : je suis venu pour la partager avec le Patriarche Bartholomée ; un motif religieux. Mais ensuite, quand je suis allé à la mosquée, je ne pouvais pas dire : « Non, maintenant je suis un touriste ». Non, tout était religieux. Et j’ai vu cette merveille ! Le mufti m’expliquait bien les choses, avec beaucoup de douceur, et aussi avec le Coran où l’on parle de Marie et de Jean Baptiste, il m’expliquait tout… A ce moment j’ai senti le besoin de prier. Et j’ai dit : « Nous prions un peu ? » Il a dit « Oui, oui ». Et j’ai prié : pour la Turquie, pour la paix, pour le mufti… pour tous… pour moi, qui en ai besoin… J’ai prié, vraiment… Et j’ai surtout prié pour la paix. J’ai dit : « Seigneur, finissons-en avec la guerre… ». Ainsi, cela a été un moment de prière sincère.

(Père Lombardi)

Maintenant nous demandons à notre orthodoxe de l’équipe, Alexey Bukalov, un de nos aînés, qui a fait beaucoup de voyages : il est russe et orthodoxe. Et il avait demandé de pouvoir poser une question, vu que cela a été un voyage où les relations avec les orthodoxes ont été fondamentales.

(Alexey Bukalov)

Merci. Merci Père Lombardi. Sainteté, en vous remerciant de ce que vous faites pour le monde orthodoxe, je veux savoir : après cette visite et après cette rencontre extraordinaire avec le Patriarche de Constantinople, quelles perspectives y a-t-il pour les contacts avec le Patriarcat de Moscou ? Merci.

(Pape François)

Le mois dernier, à l’occasion du Synode, Hilarion est venu comme délégué du Patriarche Kirill. Il a voulu me parler, non pas comme délégué au Synode, mais comme président de la Commission pour le dialogue orthodoxe-catholique. Nous avons parlé un peu.

D’abord je dirai quelque chose sur toute l’orthodoxie, et puis “j’arriverai” à Moscou. Je crois qu’avec l’orthodoxie nous sommes en chemin. Ils ont les sacrements, ils ont la succession apostolique… nous sommes en chemin. Que devons-nous attendre ? Que les théologiens se mettent d’accord ? Ce jour n’arrivera jamais, je vous l’assure, je suis sceptique. Ils travaillent bien, les théologiens, mais je me rappelle de ce qu’on disait à propos de ce qu’avait dit Athenagoras à Paul VI : « Nous, avançons seuls ; et mettons tous les théologiens sur une île, qu’ils réfléchissent ! ». Je croyais que ce n’était pas vrai, mais Bartholomée m’a dit : « Non, c’est vrai, il a parlé ainsi ». On ne peut pas attendre : l’unité est un chemin, un chemin que l’on doit faire, que l’on doit faire ensemble. Et c’est cela l’œcuménisme spirituel : prier ensemble, travailler ensemble, il y a beaucoup d’œuvres de charité, beaucoup de travail… Enseigner ensemble… Aller de l’avant ensemble. C’est l’œcuménisme spirituel. Puis, il y a l’œcuménisme du sang, quand on tue les chrétiens ; nous avons tant de martyrs… à commencer par ceux de l’Ouganda, canonisés il y a 50 ans : ils étaient pour moitié anglicans, et pour moitié catholiques ; mais ceux-là [qui les ont tués] n’ont pas dit : « Tu es catholique… Tu es anglican… ». Non : « Tu es chrétien », et le sang se mélange. C’est l’œcuménisme du sang. Nos martyrs crient : «  Nous sommes un ! Déjà nous avons une unité, dans l’esprit et aussi dans le sang ». Je ne sais pas si j’ai raconté ici l’anecdote d’Hambourg, du curé d’Hambourg… Je l’ai racontée ? Quand j’étais en Allemagne, j’ai dû aller à Hambourg pour faire un baptême. Et le curé s’occupait de la cause de canonisation d’un prêtre qui avait été guillotiné par les nazis parce qu’il enseignait le catéchisme aux enfants. Et à un certain point, dans son étude, il a découvert que derrière lui, dans la file, il y avait un pasteur luthérien, condamné à la guillotine pour le même motif. Le sang des deux s’était mélangé. Et ce curé est allé voir l’évêque et a dit : « Je ne poursuis pas cette cause seulement pour le prêtre : ou pour les deux ou pour personne ! ». C’est l’œcuménisme de sang, qui nous aide beaucoup, qui nous dit beaucoup. Et je crois que nous devons aller courageusement sur ce chemin. Oui, partager les chaires universitaires, il le faut, mais de l’avant, de l’avant…

Je dirai une chose que peut-être l’un ou l’autre ne pourra pas comprendre, mais… Les Églises catholiques orientales ont le droit d’exister, c’est vrai. Mais l’uniatisme est un mot d’une autre époque. Aujourd’hui on ne peut pas parler ainsi. On doit trouver une autre route.

Maintenant, « atterrissons » à Moscou. Avec le Patriarche Kirill… Je lui ai fait savoir, et lui aussi est d’accord, il y a la volonté de nous rencontrer. Je lui ai dit : « Je viens où tu veux. Tu m’appelles et je viens » ; et lui aussi a la même volonté. Mais ces derniers temps, avec le problème de la guerre, le pauvre a tant de problèmes là-bas, que le voyage et la rencontre avec le Pape sont passés au second plan. Mais tous les deux nous voulons nous rencontrer et nous voulons aller de l’avant. Hilarion a proposé, pour une réunion d’étude de cette Commission dont il préside la délégation de l’Église orthodoxe russe, d’approfondir le thème du Primat, parce qu’on doit faire avancer cette demande qu’avait faite Jean-Paul II : « Aidez-moi à trouver une forme de Primat sur laquelle nous puissions nous mettre d’accord ». C’est ce que je peux vous dire.

(Alexey Bukalov)

Merci sainteté.

(Pape François)

Merci à vous.

(Père Lombardi)

Merci beaucoup. Alors, maintenant, nous appelons Mimmo Muolo, pour le groupe italien, le journaliste d’“Avvenire”.

(Mimmo Muolo)

Bonsoir, Sainteté.

(Pape François)

Vous allez bien ?

(Mimmo Muolo)

Bien, merci. Sainteté, je suis honoré de vous poser cette question au nom des journalistes italiens. Une phrase que vous avez dite ce matin durant la Divine Liturgie m’a frappé : « Je veux assurer à chacun de vous que, pour arriver au but désiré de la pleine unité, l’Église catholique n’entend pas imposer une quelconque exigence ». Nous voudrions que vous nous expliquiez davantage cette phrase, si c’est possible, et si elle concerne justement le problème du Primat que vous indiquiez avant.

(Pape François)

Ce n’est pas une exigence : c’est un accord, parce qu’eux aussi le veulent ; c’est un accord pour trouver une forme qui soit plus conforme à celle des premiers siècles. J’ai lu une fois une chose qui m’a fait réfléchir. Entre parenthèses, ce que je sens de plus profond sur ce chemin de l’unité est l’homélie que j’ai faite hier, sur l’Esprit Saint. C’est seulement le chemin de l’Esprit Saint qui est le bon, parce qu’il est surprise, il nous fera voir où est le point ; il est créatif… Le problème – c’est peut-être une autocritique, mais c’est plus ou moins ce que j’ai dit dans les congrégations générales avant le conclave – l’Église a le défaut, l’habitude peccamineuse de trop se regarder elle-même, comme si elle croyait avoir sa lumière propre. Mais écoute : l’Église n’a pas de lumière propre. Elle doit regarder Jésus-Christ ! Les premiers Pères appelaient l’Église « mysterium lunae », le mystère de la lune, pourquoi ? Parce qu’elle donne de la lumière, mais non la sienne, celle qui vient du soleil. Et quand l’Église se regarde trop elle-même, les divisions arrivent. Et c’est ce qui s’est passé après le premier millénaire. Aujourd’hui à table, nous parlions du moment, de l’endroit – je ne me rappelle pas lequel – où un cardinal est allé donner l’excommunication du Pape au Patriarche : elle s’est regardée elle-même, à ce moment, l’Église ! Elle n’a pas regardé Jésus-Christ. Et je crois que tous ces problèmes qu’il y a entre nous, entre chrétiens – je parle au moins de notre Église catholique – apparaissent quand elle se regarde elle-même : elle devient autoréférentielle. Aujourd’hui, Bartholomée a utilisé un mot qui n’est pas « autoréférentielle » mais qui ressemble, très beau… je ne me le rappelle pas maintenant, mais très beau, très beau [le terme, traduit en italien, était « introversion »]. Ils acceptent le Primat : dans les Litanies, aujourd’hui, ils ont  prié pour le « Pasteur et Primat ». Comment disaient-ils ? Ποιμένα καί Πρόεδρον”, « Celui qui préside… ». Ils le reconnaissent ; ils l’ont dit aujourd’hui, devant moi. Mais sur la forme du Primat, nous devons retourner un peu au premier millénaire pour nous en inspirer. Je ne dis pas que l’Église s’est trompée, non. Elle a suivi sa route historique. Mais maintenant la route historique de l’Église est celle qu’a demandée Jean Paul II : « Aidez-moi à trouver un point d’accord à la lumière du premier millénaire ». Le point clé est celui-ci. Quand elle se regarde elle-même, l’Église renonce à être Église pour être une « ONG théologique ».

(Père Lombardi)

Merci Sainteté. Maintenant, nous invitons notre amie Irene Hernandez Velàsco, qui est d’ « El Mundo », et qui est à son dernier voyage parce qu’elle vient d’être transférée … à Paris… et donc à elle la parole.

(Irene Hernandez Velasco)

Merci Sainteté. Je voulais vous poser une question à propos de la révérence historique, que vous avez faite hier devant le Patriarche de Constantinople. Surtout je voudrais savoir comment vous pensez affronter les critiques de ceux qui peut-être ne comprennent pas ces gestes d’ouverture, surtout ceux du côté un peu ultraconservateur, qui regardent toujours avec un peu de suspicion vos gestes d’ouverture…

(Pape François)

Je me permets de dire que ce n’est pas un problème seulement pour nous : c’est aussi un problème pour eux [ les orthodoxes ]. Ils ont le problème de certains moines, de certains monastères qui sont  sur cette voie. Par exemple, un problème qui se discute depuis le temps du bienheureux Paul VI, c’est la date de Pâques. Et nous ne nous mettons pas d’accord ! Parce que la célébrer à la date de la première lune après le 14 Nisan présente le danger qu’avec les années qui passent, nous aurions le risque – nos arrière petits enfants – de la célébrer en août ! Et nous devons chercher… Le bienheureux Paul VI a proposé une date fixe concertée, un dimanche d’avril. Bartholomée a été courageux, par exemple, en deux occasions – je m’en souviens d’une, mais il y en a une autre. En Finlande, il a dit à la petite communauté orthodoxe : « Fêtez Pâques avec les luthériens, à la date des luthériens », pour que dans un pays à minorité chrétienne il n’y ait pas deux Pâques. Mais également les orientaux catholiques… J’ai entendu une fois à table, Via della Scrofa… on préparait Pâques dans l’Église catholique, et il avait un oriental catholique qui disait : « Non, notre Christ ressuscite un mois plus tard ! Ton Christ ressuscite aujourd’hui ?  – et l’autre : « ton Christ est mon Christ ». La date de Pâques est importante. Il y a des résistances, de leur part et de notre part. Ces groupes conservateurs… nous devons être respectueux envers eux et ne pas nous lasser d’expliquer, de catéchiser, de dialoguer, sans insulter, sans les salir, sans dire du mal. Parce que tu ne peux pas supprimer une personne en disant : « celui-là c’est un conservateur ». Non, celui-là est fils de Dieu autant que moi. Mais toi viens, et parlons. S’il ne veut pas parler c’est son problème, mais j’ai du respect. Patience, douceur et dialogue.

(Père Lombardi)

Merci Sainteté. Et nous invitons Patricia Thomas, de l’AP, qui pose une question au nom du groupe américain. Elle est une grande voyageuse avec le Pape, elle représente le pool des télévisions américaines.

(Patricia Thomas)

Bonjour. Je voudrais poser une question sur le Synode, si vous me permettez. Pendant le Synode il y a eu un peu de polémique sur le langage, sur la façon dont l’Église devrait traiter les homosexuels. Le premier document parlait d’accueillir les gays et parlait d’eux très positivement. Êtes vous d’accord avec ce langage ?

(Pape François)

Je dirai d’abord une chose : je voudrais que le thème principal de vos articles soit ce voyage. Mais je vais répondre, je vais répondre, soyez tranquille. Mais que cela ne devienne pas la chose la plus importante. Les gens ont besoin d’être informés sur le voyage. Mais je vais te répondre. Le Synode est un parcours, il est un chemin. Première chose. Deuxième chose : le Synode n’est pas un parlement. Il est un espace protégé pour que le Saint Esprit puisse parler. Tous les jours il y avait le briefing, avec le Père Lombardi et d’autres pères synodaux, qui disaient ce qui s’était dit ce jour là. Il y avait des choses discordantes, quelques unes. Ensuite, à la fin de ces interventions, un projet a été fait, la première relatio. Celle-ci a ensuite été le document de travail par groupes linguistiques qui ont travaillé dessus ; ils ont ensuite donné leurs apports qui ont été rendus publiques : ils étaient entre les mains de tous les journalistes. C'est-à-dire que chaque groupe linguistique – anglais, espagnol, français, italien – a vu toutes les parties celle-ci [premier rapport]. Parmi elles aussi cette partie dont vous parlez. Ensuite, tout est revenu  à la commission rédactrice, et cette commission a cherché à introduire tous les amendements. Ce qui est substantiel est resté, mais tout a dû être réduit, tout, tout. Et ce qui est resté de substantiel se trouve dans le rapport final. Mais ce n’est pas terminé : celui-ci est aussi une rédaction provisoire, il est devenu les « lineamenta » du prochain Synode. Ce document a été envoyé aux conférences épiscopales, qui doivent en discuter, envoyer leurs amendements ; ensuite un autre « instrumentum laboris » sera fait, et le prochain Synode en fera son affaire. C’est un parcours. C’est pour ça qu’on ne peut pas prendre l’avis venant d’une personne ou d’un projet. Nous devons voir le Synode dans sa totalité. Je ne suis pas non plus d’accord – mais c’est mon avis, je ne veux pas l’imposer – je ne suis pas d’accord que l’on dise : « Aujourd’hui ce père a dit ceci, aujourd’hui ce père a dit cela ». Non, que l’on dise ce qui a été dit, mais non qui l’a dit, parce que – je le répète – le Synode n’est pas un parlement, il est un espace ecclésial protégé, et cette protection c’est pour que le Saint Esprit puisse travailler. Voilà ma réponse.

(Père Lombardi)

Merci Sainteté. Et maintenant nous passons la parole à Antoine-Marie Izoard, du groupe français.

(Antoine-Marie Izoard)

Sainteté, avant tout je dirai que les familles de France, les fidèles vous attendent avec grande joie.

Vous avez réussi à passer un peu de temps avec les réfugiés, cet après midi. Pourquoi n’a-t-il pas été possible, durant ce voyage, de visiter un camp ? Et autre chose, pensez-vous pouvoir nous dire si vous pensez pouvoir aller bientôt en Irak ?

(Pape François)

Oui. Je voulais aller dans un camp, et M. Gasbarri a fait tous les calculs, il a tout fait, mais il fallait un jour de plus, et ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible pour beaucoup de raisons, pas seulement personnelles. Alors j’ai demandé aux Salésiens qui travaillent avec les enfants réfugiés de les amener. Et j’ai été avec eux avant d’aller rendre visite à l’Archevêque arménien malade à l’hôpital et ensuite à l’aéroport, à la fin. Et j’ai eu un dialogue avec eux.  Et j’en profite pour remercier le gouvernement turc : il est généreux, il est généreux. J’ai oublié le nombre de réfugiés qu’il a…

(Alberto Gasbarri)

Ils sont un million environ dans tout le pays.

(Pape François)

Un million ! Mais tu sais ce que cela signifie un million de personnes qui viennent ici ; et tu dois penser à leur santé, à leur alimentation, à leur donner un lit, une maison… Il a été généreux. Et je veux publiquement le remercier. Et ensuite, l’autre question ?...

(Antoine-Marie Izoard)

L’Irak.

(Pape François)

Oui. Je veux aller en Irak. J’ai parlé avec le Patriarche Sako, j’ai envoyé le Cardinal Filoni, et pour le moment ce n’est pas possible. Non pas parce que je ne veux pas. Si j’y allais maintenant, cela créerait un problème assez sérieux aux autorités, de sécurité… Mais ça me plairait beaucoup et je le veux. Merci.

(Père Lombardi)

Nous avons encore deux questions pour conclure ce que nous avions prévu. Thomas Jansen, pour le groupe allemand, et Hiroshi Isida, le japonais. J’invite Thomas à venir.

(Thomas Jansen)

Saint Père, il y a quelques jours vous avez rendu visite au Parlement européen à Strasbourg : avez-vous aussi parlé avec le Président Erdogan de l’Union Européenne et de l’entrée de la Turquie ?

(Pape François)

Non, nous n’avons pas parlé de cela avec Erdogan. C’est curieux : nous avons parlé de beaucoup de choses, mais de cela nous n’en avons pas parlé.

(Père Lombardi)

Alors, Hiroshi Ishida : nous allons donc en Asie.

(Hiroshi Ishida)

Sainteté, je suis heureux de vous poser une question au nom des journalistes japonais. Pour moi, ce voyage sera le dernier où je pourrai vous suivre car en janvier je retourne au Japon. Mais je vous attendrai avec joie l’an prochain à Nagasaki avec les fidèles. Donc je voudrais vous demander, au sujet de la « troisième guerre mondiale » et des armes nucléaires : pendant la cérémonie qui a eu lieu en septembre à Redipuglia, vous avez dit que la troisième guerre mondiale, probablement, se déroule déjà « par morceaux » partout dans le monde. L’an prochain sera le 70ème anniversaire de la fin de la deuxième Guerre Mondiale, et aussi celui de la tragédie de la bombe atomique d’Hiroshima et de Nagasaki. Il y a encore dans le monde de nombreuses armes nucléaires. Que pensez-vous de la tragédie d’Hiroshima et de Nagasaki, et comment pensez-vous que nous, êtres humains, devrions nous nous comporter avec ces armes nucléaires et avec la menace des radiations ? Merci.

(Pape François)

Je dois dire deux choses.

Premièrement : c’est un avis personnel, mais je suis convaincu que nous sommes en train de vivre une troisième guerre mondiale par morceaux, par chapitres, partout. Derrière cela, il y a des inimitiés, des problèmes politiques, des problèmes économiques – pas seulement, mais il y en a beaucoup, pour sauver ce système où le dieu argent est au centre, et non la personne humaine – et commerciaux. Le trafic des armes est terrible, il est l’une des affaires les plus importantes en ce moment. Et pour cette raison, je crois que cette réalité se développe, parce que les armes sont données. Je pense à l’année dernière, en septembre, quand on disait que la Syrie avait des armes chimiques. Je crois que la Syrie n’était pas en mesure de produire les armes chimiques. Qui les lui a vendues ? Peut-être certains de ceux qui l’accusaient d’en avoir ? Je ne sais pas. Mais sur cette question des armes, il y a beaucoup de mystère.

Deuxièmement. L’énergie atomique. C’est vrai : l’exemple d’Hiroshima et de Nagasaki… L’humanité n’a pas appris, elle n’a pas appris. Elle est incapable d’apprendre ce qui est élémentaire sur ce sujet. Dieu nous a donné la création pour que nous, de cette « in-culture » primordiale nous fassions une « culture ». Nous pouvons la faire avancer. Et l’homme l’a fait, et il est arrivé à l’énergie nucléaire, qui peut servir à beaucoup de choses, mais il l’utilise aussi pour détruire la création, l’humanité. Et cela devient une deuxième forme d’ « in-culture » : l’in-culture primordiale que l’homme devait transformer en culture devient une autre in-culture, la seconde. Et celle-ci est une in-culture – je ne veux pas dire la fin du monde – mais elle est une in-culture finale. Ensuite, il faudra recommencer depuis le début, et c’est terrible, comme vos deux villes qui ont du recommencer depuis le début.

(Père Lombardi)

Alors, posons une dernière question avec Mme Giansoldati qui s’était inscrite pour le groupe italien et ensuite nous concluons.

(Franca Giansoldati)

Sainteté, vous êtes de retour de ce voyage en Turquie. Je n’ai rien entendu sur les Arméniens. L’année prochaine sera le centenaire du génocide des arméniens et le gouvernement turc a une position négationniste. Je voulais savoir ce que vous pensez de cela. Et avant, vous avez parlé du martyr du sang qui rappelle directement ce qui est arrivé là et qui a coûté la vie à un million et demi de personnes.

(Pape François)

Merci. Aujourd’hui, je suis allé à l’hôpital arménien visiter l’Archevêque arménien qui est là, malade depuis un moment, depuis longtemps… J’ai eu des contacts, au cours de ce voyage, avec les arméniens. Le gouvernement turc a fait un geste, l’année dernière : le premier ministre d’alors, Erdogan, a écrit une lettre à la date de cet anniversaire ; une lettre que certains ont jugée trop faible, mais elle a été – à mon avis – grand ou petit, je ne sais pas, un geste, une main tendue. Et c’est toujours positif. Je peux tendre la main comme ceci ou je peux tendre la main comme cela, en attendant ce que me dit l’autre pour ne pas me mettre dans l’embarras. Et c’est positif, ce qu’a fait le premier ministre d’alors. Une chose qui me tient beaucoup à cœur est la frontière turco-arménienne : si on pouvait ouvrir cette frontière, ce serait une belle chose ! Je sais qu’il y a des problèmes géopolitiques dans la région, qui ne facilitent pas l’ouverture de cette frontière. Mais nous devons prier pour la réconciliation des peuples. Je sais aussi qu’il y a une bonne volonté des deux parties – je le crois – et nous devons aider pour que cela se fasse. Beaucoup d’actes commémoratifs de ce centenaire sont prévus l’année prochaine, mais nous espérons pouvoir avancer sur un chemin de petits gestes, de petits pas de rapprochement. C’est ce que j’ai envie de dire en ce moment. Merci.

(Père Lombardi)

Merci beaucoup, Sainteté. Merci de cette ample conférence, de cette conversation extrêmement sereine, qui a donné à tous grande joie et grande paix, je dois dire. Pour conclure, je voulais vous demander seulement de dire deux paroles de vœux pour KTO, qui est la chaîne de télévision catholique française, qui fête ses 15 ans de vie.

(Pape François)

KTO… Un salut cordial, un salut cordial et mes meilleurs vœux, qu’elle aille de l’avant pour aider à bien comprendre les choses qui arrivent dans le monde. Des vœux nombreux, et que le Seigneur vous bénisse.

Et je vous remercie pour votre amabilité et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. J’en ai besoin. Merci.

(Père Lombardi)

Merci beaucoup, Sainteté vraiment, de ce don.

 



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